
Voyage au pays de ma petite ville de Montpellier. Embourgeoisée ma ville est devenue. Bien plus aujourd'hui qu'elle ne le fut jamais auparavant. La différenciation spatiale en fonction de la classe sociale à laquelle vous appartenez y est aujourd’hui tellement voyante qu'on ne peut guère mieux illustrer les analyses de Christophe Guilluy sur la question. Prenez donc le célèbre tramway de Montpellier et voyagez donc d'un bout à l'autre de la ville vous y trouverez l'essence même de ce qui cloche dans la société libérale du monde sans frontières de la tolérance universelle. Un patchwork de population n'ayant rien à partager ni à penser en commun. Partout se voit cette fragmentation ethnoculturelle aggravée considérablement par l'immigration de masse particulièrement forte ces deux dernières décennies dans la plus grande ville de l’Hérault. Partagée entre les bobos d'importation récente souvent parisiens, les étudiants festifs qui gobent l'intégralité du discours bien pensant, les retraités déconnectés des réalités du temps présent et l'armada sans cesse grossissante de populations d'origine étrangère, la pauvre ville de Montpellier n'est plus que l'ombre de ce qu'elle fut. Un centre-ville où se côtoie une misère invraisemblable peuplée de SDF français et d'immigrés turbulents, ainsi que d'une bourgeoisie prétentieuse sûre de ses valeurs de sa supériorité morale et qui peine à camoufler son mépris de classe.
C'est donc dans cette ambiance extraordinaire d'une ville plus américaine que française dans l'esprit que j’eus l'occasion d’observer de près l'un ces spécimens étranges de bourgeois qui a toujours raison. Non que je n'ai jamais eu à en côtoyer bien sûr. C'est une espèce fort répandue, l'élection de Macron en fut la preuve. Mais je vis là dans le tramway justement une démonstration de l'incroyable capacité du bourgeois libéral à s'aveugler et à nier la réalité même la plus évidente et triviale. La chaleur estivale était intense, le tramway débordait de population, et je n'étonnerais guère mon lectorat en disant que bien peu de personnes dans ce transport étaient françaises d'origine. La moitié venait probablement d'Afrique subsaharienne (population qui n'existait pas à Montpellier il y a seulement 20 ans) , le reste était composé de Maghrébins avec femmes en tchadors dans leur grande majorité. Au bas mot, les Français ne devaient guère dépasser les 10 % de la population de la rame. Ce n'est pas encore représentatif de la population d'ensemble de la ville. Nous n'en sommes pas encore là, mais il y a fort à parier que l'évolution démographique, la délinquance explosive ainsi que les nouveaux transports comme les invasives trottinettes électriques, ont poussé les autochtones à éviter de plus en plus les transports en commun. Quoi qu'il en soit la scène est en place.
C'est dans cette atmosphère désagréable où l'on a peine à s'imaginer être encore en France que j'observais mon étrange spécimen. Ce dernier était un homme d'une cinquante d'années bien habillé bardé de valises estampillées "Irlande" montrant qu'il revenait d'un voyage d'agrément au pays du trèfle à quatre feuilles. Il était accompagné de son fils, probablement un collégien de troisième. Ils discutaient ensemble et de manière intéressante montrant leur origine sociale bien mieux que n'importe quel vêtement. Je n'écoutais pas par curiosité malsaine, mais simplement parce que le hasard avait fait que je me trouvais juste à côté d'eux. N'étant guère un aficionado du smartphone et du divertissement portable, je préfère généralement observer le monde qui m'entoure directement. Il s'agit là à mon avis d'un exercice simple que certains de nos dirigeants seraient bien inspirés de pratiquer pour éviter le gouffre entre eux et leurs concitoyens. J'appris ainsi que mon spécimen était professeur d'université et que son fils se passionnait pour les sciences. Grand bien lui fasse, me dis-je alors. Il y a trop peu de jeunes Français aujourd’hui pour s'enquérir de telles passions. Mais voilà que de bonnes discussions scientifiques la discussion déborda sur la politique.
Voilà que le fils mit en question son père sur les questions politiques. Il eut le malheur de dire que tout de même le RN ne dit pas que des idioties et que parfois il fallait peut-être écouter ce que disaient les opposants politiques. Le père sortit alors de ses gonds, littéralement, une réaction grotesque du même acabit qu'un gamin qui s'énerve parce qu'il n'a pas eu ce qu'il voulait. Un caprice d'enfant. Avec une phrase du type « mais voyons, tu connais une seule idée intelligente provenant de l'extrême droite toi ? ». Le débat était clos, le fils était à terre apeuré par la réaction excessive de son père. Ce dernier probablement paniqué par l'hypothèse d'avoir un fils doutant du progressisme rajouta alors cette phrase merveilleuse dans le contexte du tramway montpelliérain. « De toute manière il n'y a pas de problème d'immigration en France », « Et de toute manière ça n'a rien avoir avec le chômage. » . J'étais éberlué, vraiment. Comment affirmer avec tant de certitude et d'obstination une telle chose dans un contexte physique montrant pourtant une réalité contraire à l'affirmation ? Que l'on me comprenne bien. Le chômage n'est pas le produit unique de l'immigration . Mais il est très clair aussi que d'un point de vue statistique en pénurie d'emploi l'immigration pèse fortement sur les salaires et l'emploie. C'est encore plus vrai quand on voit l'explosion du nombre des travailleurs détachés. Mais ce qui me surprend c'est que le spécimen n'a pas le moins du monde douté de ses certitudes dans le contexte physique pourtant totalement contraire à son affirmation. Il aurait tout aussi bien pu vous dire que l'on peut respirer sous l'eau tout en se noyant dans la mer.
La bourgeoisie navigue entre hypocrisie et religion
On a affaire là à la démonstration de la force d'une idéologie. Alors évidemment il ne s'agit que d'une personne. On n’est pas dans une étude sociologique sérieuse qui demanderait des moyens et du temps. Mais j'ai trouvé cet exemple particulièrement parlant pour comprendre le phénomène que nous affrontons. Quand je parle de nous, je fais référence aux personnes encore attachées aux faits et à l’observation du monde réel. Il faut bien admettre que le diplôme et l'intelligence supposée ne préviennent en rien de l'endoctrinement ou de la propagande idéologique. Cet exemple le montre à mon sens. Et je me demande d'ailleurs si les plus éduqués ne sont pas par nature les plus à même de tomber dans l'absurdité idéologique . Ils sont en effet les plus prompts à accepter l'idée que le monde n'est pas simple et que quelque chose qui semble évident au premier abord peut se révéler faux en réalité. Il s'agit là d'une aptitude utile en science . On pensera à la physique quantique qui n'a rien d'évident, ou encore à tous ces théorèmes de physique qui semblait farfelues à leur époque parce que contraire au sens commun, mais qui se sont avérés vrais à la longue. La gravité de Newton n'avait rien d'évidente quand ce grand physicien en a montré l’existence. Le problème c'est que cette aptitude qui est parfois utile peut aussi pousser l'individu à penser que tout ce qui est évident est forcément faux. Là on tombe effectivement dans un phénomène de création de croyance à l'image du documentaire fascinant sur l'université Evergreen aux USA où l'on vit l'idéologie du progressisme tourner à la folie collective. D'ailleurs, je parlais de Newton, mais savez-vous qu'il était passionné par l'alchimie et qu'il y consacra une grande partie de sa vie à la recherche de la pierre philosophale ? Comme quoi même les plus grands esprits peuvent errer dans la folie.
À ce phénomène de croyance religieuse que les élites peuvent produire, il y a aussi, il faut bien le comprendre, une raison pratique. Nous vivons dans une société de plus en plus dure. Même les bourgeois les plus aveugles voient en partie cette réalité. Ils ont conscience en partie d'être responsables de cette réalité, mais ils ne peuvent l'admettre consciemment puisque leur ego leur affirme qu'ils sont moralement supérieurs. Dans le cadre de l'idéologie libérale, particulièrement dans le monde anglo-saxon protestant, le fait de réussir est même un cadeau divin, la récompense pour un être supérieur naturellement . On pensera ici au lien très fort qui a uni le capitalisme à l'idéologie religieuse protestante comme l'avait si bien montré Max Weber. On pensera à Benjamin Franklin et sa stupide phrase que les gens citent sans arrêt : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. » . Il ne faut jamais avoir souffert ni de la faim ni du froid pour tenir de tels propos. Il n'y a plus de liberté quand on est mort, pourrais-je ajouter. On a donc un phénomène de croyance qui correspond totalement aux intérêts de classes des bourgeois. En quelques sortes le néoprogressisme est un nouveau protestantisme. Une idéologie qui comme son ancêtre favorise les dominants en justifiant par tous les moyens sa domination. La question que l'on doit se poser est « Est-ce qu'il est encore possible de raisonner avec de telles personnes ?» . Ou bien ferions-nous mieux d'abandonner cette idée et d'aller vers un inéluctable affrontement ? Les irréductibles combattants du libéralisme qui sont les 20 % d'en haut et dont mon spécimen fait partie ne pourront probablement jamais être raisonnés. L'affrontement est donc inéluctable avec le reste de la population. Il ne reste qu'à espérer que cet affrontement ne dépasse pas un jour le cadre des urnes. Les évolutions récentes et l'action gouvernementale contre les Gilets jaunes semblent malheureusement confirmer que ces couches sociales seront prêtes à jeter leurs propres principes moraux aux premiers dangers électoraux pour leurs intérêts. Je ne peux malheureusement que souscrire à la crainte d'Emmanuel Todd d'un coup d'État en France. L'on pouvait même déjà en un sens interpréter l'élection de Macron comme une forme allégée de coup d'État par le matraquage marketing dont il a bénéficié.