
L'on commence dans les médias à parler du ralentissement extrêmement fort de l'économie allemande. Jacques Sapir vient même de faire une petite vidéo sur la question de la récession mondiale qui risque de produire d'ici la fin de l'année. L'on pourrait ici rebondir sur les propos de Jacques Sapir en soulignant le fait qu'en réalité l'UE et la zone euro ne sont en fait jamais sorties de la crise de 2008-2009. Le PIB n'a pas progressé sur les dix dernières années ce qui en soi dénote une situation absolument dramatique d'un point de vue macroéconomique même si les situations entre les différents membres de la zone euro divergent fortement . La zone euro est en fait maintenant dans une situation qui ressemble de plus en plus à une dépression permanente. La situation démographique dramatique du continent aggravant encore plus la situation de faiblesse de la demande intérieure déjà provoquée par le libre-échange et l'euro. À côté de la situation européenne, les tensions qui se multiplient sur le plan commercial entre les USA et la Chine montrent que la globalisation a atteint largement un point de déclin. Depuis la crise de 2008, l'illusion d'une globalisation porteuse de croissance et de développement semble enfin dissipée même si pour l'instant une grande partie de l'intelligentsia, particulièrement en Europe, continue de croire au globalisme marchand.
Le grand déséquilibre commercial mondial source de toutes les crises depuis 1974
Les USA ont été les principaux promoteurs de la globalisation économique à partir des années 70. L’apogée de ce soutien aux idées néolibérales a été le fameux consensus de Washington dans les années 80 qui visaient en apparence à enterrer les politiques keynésiennes ainsi que les états providences qui avaient pourtant largement fait leurs preuves durant tout la période d'après-guerre. Mais ce libéralisme de façade promu par les USA n'avait pas en réalité pour but de faire croître l'économie mondiale ou de produire le développement des pays sous-développés. Il faudrait être bien naïf pour croire les USA capables d'un tel altruisme. Le libre-échange et la libre circulation des capitaux avaient pour but de maintenir coûte que coûte l'hégémonie des USA sur le plan monétaire et économique. C'est avant tout la question de la domination du dollar qui a motivé les USA dans la course à la globalisation financière et économique. De la même manière que le libre-échange a permis au début à la Grande-Bretagne, alors largement en avance sur l'industrialisation, d'affirmer encore un peu plus sa domination commerciale en écrasant des pays sous ses marchandises.
La stratégie des USA après la guerre du Vietnam qui fit apparaître les premiers déficits commerciaux structurels aux USA mit en évidence que ce pays finirait par être rattrapé d'abord par les puissances européennes et les Japon, puis par d'autres nouvelles puissances industrielles. Ne pouvant dominer par leurs exportations alors déjà en déclin après leur omnipotence durant l'immédiat après guerre, les USA ont alors choisi à court terme de devenir le marché indispensable au reste de la planète. Ainsi à partir des années 70 les USA ont fait exploser leurs importations et ont rendu l'Europe et les Japon dans un premier temps totalement dépendants de leur marché intérieur. Alors qu'après guerre les économies des pays les plus avancés avaient des cycles économiques relativement autonomes. Le cycle américain est devenu petit à petit le centre de gouvernement des marchés européens et asiatiques. À tel point que lors de la crise de 2008 la simple division par deux du déficit commercial américain a mis l'Allemagne, l'UE en récession et a fait s'écrouler la croissance chinoise.
Cette domination par l'importation que l'on pourrait qualifier d'impérialisme consumériste caractérisé par un déficit commercial permanent a régi toute la vie de l'économie mondiale depuis les années 70. L'Empire consumériste américain a atteint son apogée juste avant la crise de 2008 périodes pendant laquelle le déficit de la balance commerciale américaine atteignit 800 milliards de dollars. Les libéraux qui n'ont cessé de critiquer les dettes publiques oublient assez largement que dans le système globalisé qu'ils ont construit, la demande mondiale est le produit de la dette publique ou privée. Et qu'en l’occurrence le déficit des USA, mais aussi d'autres pays du monde comme la France ou la Grande-Bretagne n'est pas un défaut du système économique mondial, mais en réalité son pilier. C'est parce que certains pays ont pu s'endetter bien au-delà du raisonnable que la croissance mondiale a pu continuer malgré la contradiction fondamentale du libre marché qui compresse toujours plus les revenus distribués. Comment en effet l'économie pourrait-elle croître sans jamais voir le revenu des consommateurs augmenter ? La déconnexion de plus en plus palpable, en occident en particulier, entre la hausse de la productivité et la hausse des salaires étant une mécanique totalement dépressionnaire. Seule l'augmentation de l'endettement a permis d'avoir une croissance depuis 40 ans dans les régions avancées.
L'économie mondiale depuis 1974 s'est donc organisée en partie sous la pression des USA autour de deux pôles économiques. D'un côté des pays accumulant des dettes sous toutes leurs formes . Cela concerne les pays du monde anglo-saxon principalement, mais aussi la France ou encore l'Espagne. De l'autre des pays qui se sont mis à accumuler des excédents commerciaux l'Allemagne, le Japon, la Chine ou encore la Corée du Sud. C'est ce bloc mercantiliste devenu trop gros avec l'arrivée de la Chine qui a mis fin à la stratégie des USA de domination par l'importation. Les USA pouvaient supporter les importations européennes et japonaises et donc asseoir leur domination sur ces deux régions. Mais la Chine semble être un trop gros morceau pour eux. L’impérialisme consumériste américain a donc atteint sa limite en 2008 sous la forme d'une cassure de son déficit commercial qui garantissait son rôle de consommateur en dernier ressort qui faisait la pluie et le beau temps chez les peuples dominés.
Précisons ici que ce système de domination d'un type totalement nouveau n'est pas une domination forte. Le Japon et les pays d'Europe de l'Ouest se sont soumis tous seuls à la domination du marché américain. L'Europe des années 70-80 aurait très bien pu s'autonomiser si elle l'avait voulu, elle avait déjà rattrapé les USA sur le plan technique. Mais on a affaire ici à un système en partie lié à l’anthropologie et à la culture locale. Les Européens et les Japonais ont une vision obsessionnelle de l'exportation, ils associent à tort l'excédent commercial comme un signe de richesse et de prospérité. Pour reprendre l'hypothèse de Keynes sur l'influence de la tradition agricole sur l'esprit d'accumulation, les peuples du vieux monde ont plutôt tendance à valoriser la production et l'accumulation parce qu'ils ont longtemps souffert de la pénurie. L'esprit mercantiliste n'est pas seulement le produit d'un calcul, d'une volonté de domination sur les autres, il est aussi le fruit d'une vision du monde hérité de l'histoire. Le paradoxe c'est que les pays qui pensaient dominer par leurs excédents sont en fait devenus prisonnier des USA qui les dominent grâce à la taille de leur marché intérieur, c'était en fait un piège grossier. Car les Américains n'ont pas ce rapport à l'économie d'où d'ailleurs leur très faible propension à épargner. Cette séparation anthropologique a encouragé en quelque sorte cette fragmentation du monde avec la dérégulation économique. Comme l'a si bien décrit Emmanuel Todd dans ses nombreux ouvrages, la mondialisation a mis en lumière les différences fondamentales qui existent entre les différentes cultures et nations. La mondialisation a en quelque sorte fait exploser les différences là où l'on prétendait qu'elle les réduirait. Et cette inégalité exacerbée qui portait en elle la mort inéluctable de cette même mondialisation.
La montée de la Chine et la fin de la mondialisation
Les très grandes disparités entre les nations provoquées par le libre-échange et la libre circulation des capitaux n'ont fait que croître ces quarante dernières années. Et la panne salariale qu'elle a provoquée chez les anciennes puissances industrielles arrive aujourd'hui à son paroxysme. Nous sommes en présence d'une panne généralisée de la demande solvable et donc d'une crise de surproduction massive. C'est à ça qu'on a affaire, et rien d'autre. L'énorme concentration des richesses vers le haut de la pyramide sociale n'a pas produit le ruissellement si cher aux illuminés du libéralisme triomphant, et l'investissement n'a cessé de baisser en même temps que la demande. Car Keynes avait bien raison, c'est bien la demande qui conditionne l'investissement et non l'inverse.
La situation actuelle est donc un énorme sac de nœuds, car la mondialisation a entraîné comme le voulaient les libéraux une intrication massive des économies les unes avec les autres. Et c'est cette même intrication qui rend extrêmement difficile la possibilité de relance ou d'une politique de redressement de la demande intérieure. En effet, un pays qui relance sa demande aujourd'hui dans le cadre du libre-échange se voit condamné à voir sa demande se faire absorber en grande partie par les pays du bloc mercantiliste Chine et Allemagne en tête. C'est encore plus vrai pour les esclaves de l'euro qui ne peuvent même pas dévaluer pour diminuer cet inconvénient. D’où la compétition du moins-disant social qui aggrave toujours plus la crise de la demande mondiale.
Comment tout cela va-t-il donc évoluer ? C'est très simple à peu près comme dans les années 30. La crise mondiale provoquée par le libre-échange et la libre circulation des capitaux va pousser de plus en plus de pays à des solutions alternatives. Mais ces solutions ne seront pour la plupart jamais compatibles avec les règles du libéralisme actuel. On aura donc progressivement une remise en cause des principes libéraux qui ont servi jusqu'ici de dogme d'organisation économique. Et il est tout à fait normal que la remise en cause du libre-échange commence aux USA car ils sont les premiers à avoir déstructuré leur économie sous les dogmes libéraux. D'autre part, la stratégie de domination par l'importation a échoué du fait que la Chine est beaucoup trop grosse pour tomber dans le piège. Pire que ça, avec le temps les USA auraient pu à terme devenir eux même dépendant du marché chinois. Trump l'a bien compris puisqu'il veut que les entreprises américaines quittent l'Empire du Milieu. Contrairement aux Européens maladivement mercantilistes, il sait très bien que l'excédent et l'exportation ne sont pas un gage de puissance ou d'indépendance, mais bien souvent le contraire surtout quand on est beaucoup plus petit.
Dans son coin la Chine essaie de retourner le système globaliste dans son intérêt. Elle promeut le libre-échange sans doute pour rendre de plus en plus de pays dépendants de son marché intérieur. Avec son milliard quatre cents millions d'habitants la Chine a la capacité de transformer en satellite l'Europe de l'Ouest, la Russie, l’Océanie et le Japon. La bêtise crasse des dirigeants européens me fait craindre un tel scénario où l'Europe de l'Ouest deviendrait le vassal de la Chine après avoir été celui des USA pendant 70 ans. Triste avenir pour un continent qui pourrait fort bien se débrouiller tout seul avec la Russie. Il est possible cependant que certains pays se réveillent en Europe et mettent également des politiques macroéconomiques indépendantes. Mais pour l'instant en dehors de la Grande-Bretagne fort peu de pays du continent font montre d'une capacité d'imagination d'indépendance. Il est tellement doux pour un dirigeant de faire semblant de diriger en appliquant des recettes apprises par cœur plutôt que d'avoir à imaginer des stratégies originales pour son pays. On ne soulignera jamais assez à quel point le succès du libéralisme économique comme doctrine est lié à la fainéantise intellectuelle des dirigeants.
Les tensions auxquels on assiste aujourd’hui ne sont donc que le résultat naturel de la mondialisation de l'économie. La poussée du protectionnisme est inéluctable tout comme le retour des nations, voire d'un certain nationalisme. Les peuples qui continueront malgré tous à appliquer les recettes libérales finiront comme simple figurant dans la nouvelle histoire du monde qui s'annonce. Nous ne sommes qu'au début d'un nouveau cycle économique qui pourrait tenir plusieurs décennies.
régis 06/09/2019 18:06
Yann 07/09/2019 22:13
La Gaule 02/09/2019 12:10
Yann 02/09/2019 22:34
La Gaule 01/09/2019 17:37
Yann 02/09/2019 22:30