
Si j'ai toujours eu une grande admiration pour le général de Gaulle, son intelligence, sa capacité à mobiliser les Français tout comme à bien, appréhender le monde dans lequel il vivait. J'ai toujours été un peu moins enthousiaste quant à l'image qu'il avait de la France ou plutôt de l'image qu'il tentait de donner à la France. Pour De Gaulle la France c'était toujours la France de Louis XIV et de la révolution. La nation universaliste par essence pesant sur le monde par son poids naturel et sa grandeur. C'est une vision qui continue d'ailleurs d'alimenter les intellectuels même chez les opposants au système actuel. Une bonne part de nos problèmes actuels viennent justement de cette image et de cette façon romantique de voir notre pays et notre histoire. À l'heure où la nation de demande si demain elle existera encore. La peur de l'invasion démographique non dénuée d’irrationalité d'ailleurs quand on regarde les chiffres, montre largement que les Français doutent d'eux-mêmes et de leur avenir commun. La mode des anglicismes, qui remplace chez les bobo des centres-ville l'adhésion à la correction linguistique française, montre tout autant aujourd'hui le peu d'intérêt pour notre langue sur son propre sol. Il n'est plus à la mode de parler correctement le français, mieux vaut maladroitement baragouiner l'anglais pour se faire bien voir dans la nouvelle grande société. L'américanisation des mœurs des pensées et même du langage montrant l'autodestruction dans laquelle se trouve maintenant embarquée une société française en déliquescence avancée.

Ainsi paradoxalement, les discours ronflants sur la puissance française ou la nécessite d'une grande nation, entrainent les Français à s'illusionner sur eux même et à se piéger à force de tenter l'impossible . L'Union européenne fut quelque part le dernier effet de cette volonté de puissance absurde . Une dernière tentative après l'absurde empire colonial pour se faire plus gros qu'on ne l'est en réalité. L'UE et l'euro ont été vendus aux français comme un moyen d’accroître la puissance française. Les élites françaises elles-mêmes sont tombées dans cette illusion et elles s'accrochent d'ailleurs toujours à cette triste illusion . Abandonnons donc tous les attributs d'une nation, fondons-nous dans la grande Europe et alors nous retrouverons notre bien aimée puissance, celle qui faisait de la France de la révolution le phare de l'humanité. Oubliant qu'au passage en abandonnant notre souveraineté nous abandonnions par là même tout l'intérêt de cette même puissance. À quoi bon être dans le groupe dominant si vous n'avez aucune influence sur la politique menée ? À quoi bon avoir une super Europe si cette dernière fait des politiques qui n'ont d'intérêt que pour l'Allemagne et son industrie ?On trouve probablement dans ce sentiment de volonté de puissance deux origines. D'un côté il y a l'histoire française elle-même. En effet notre pays a longtemps été l'un des pays les plus peuplés du monde. Et la démographie c'est la puissance, surtout dans les sociétés agraires du moyen âge . C'est parce que la France pesait plus démographiquement que l'Angleterre et la botte italienne réunie en 1789 que la Révolution française eut tant d'impact sur le continent. Tout comme cette démographie a permis au pays d'affronter l'Europe entière même avec un mégalo sans stratégie à long terme au pouvoir (je n'ai guère d'amour pour Napoléon ) .
La seconde origine de cette envie de puissance qui nous nuit tant aujourd'hui c'est l'anthropologie . Comme l'a montré Emmanuel Todd, le cœur parisien de la France est égalitaire et libéral dans ses structures familiales. Or lorsque vous croyez à l'égalité entre les hommes, vous êtes quelque part implicitement universaliste. C'est-à-dire que vous pensez que le monde entier peut être identique. L'égalitarisme parfois extrême des Français provient de ce cœur anthropologique. Et la haine de soi qui travaille la France aussi provient de cet égalitarisme. En effet tant que la nation égalitaire est dominante économiquement, culturellement, démographiquement, elle va être sur d'elle même, assimiler les autres peuples. La nation universaliste va même parfois malheureusement entreprendre des aventures impérialistes pour convertir les autres à "son" égalité . À l'inverse la nation égalitariste dominée va finir par vouloir ne plus être elle même, par vouloir ressembler au nouveau dominant parce qu'elle croit toujours à l'égalité. La France dominée va donc suivre toutes les nations dominantes à la mode l'Allemagne hier, les USA aujourd'hui, la Chine probablement demain. Il n'y a pas à vraiment chercher plus loin la haine qu'une part importante des Français portent envers leur propre nation. Les élites du pays ayant transformé la destruction de l'intérêt national en une marque de bon goût et d'intelligence. Nous sommes bien servis d'ailleurs avec Macron en cette matière. Mais cette haine n'est pas qu'en haut. Combien de Français passent leur temps à dénigrer en permanence leur propre pays ? Les produits français, l'école française, la recherche française, etc. L'on pourrait multiplier les exemples, les Français font tout mal, ils sont tellement inférieurs aux autres et à la grande Amérique ou du merveilleux système économique allemand. Étrangement, c'est d'ailleurs souvent chez les prétendus nationalistes qu'on trouve les plus ferventes adeptes de l'autoflagellation. Ne voyez pas ici une volonté de taire toute critique. Notre pays a bien des défauts. Mais l'instinct naturel du français moyen va la conduire à idéaliser beaucoup trop les peuples dominants, en l'occurrence pour l'instant anglo-saxon, et à minimiser de façon tout aussi ridicule ses propres qualités.
Pour une France modeste, mais indépendante.
La puissance est un argument permanent en matière de politique national en France. Les politiciens sont obsédés par les rapports de force et par la volonté de peser sur les affaires du monde. Mais si cette volonté nous conduit collectivement à nous détruire nous même ne vaudrait-il pas mieux y renoncer ? Et si nous cessions de vouloir régenter le monde, de vouloir le façonner à notre image ou à l'image de la puissance dominante. Et si nous contentions d'être français chez nous. D'être maître de notre propre destinée collective plutôt que de vouloir régenter celle des autres. À la volonté de puissance délirante qui a empoisonné notre histoire ces deux derniers siècles ne serait-il pas tant enfin d'accepter notre petitesse et d'en mesurer toutes les conséquences et les avantages ? En un sens, je suis persuadé que le Général de Gaulle en avait pleinement conscience. Il savait que la France était déjà petite. C'est pour ça qu'il nous a fait partir d'Algérie et c'est pour ça qu'il jouait sur les équilibres des puissances pour faire de la géopolitique. Mais il n'a jamais transigé sur l'essentiel à savoir l'indépendance nationale. Il a préféré des projets modestes, mais nationaux aux projets délirants d'une Europe puissance, à l'image de la CED pourtant sur le papier plus prometteur en terme de puissance que la seule force de frappe française.
Pourquoi l'indépendance est-elle si importante me direz-vous ? Parce qu'elle est le pilier de la démocratie. On ne peut pas être une démocratie si l'on n’est pas maître chez soi. Et être maître chez soi implique un certain degré d'indépendance que ce soit au niveau économique, politique ou militaire. Le seul vrai projet pour la France du 21e siècle ne sera pas de faire à nouveau de notre pays une grande puissance à travers l'UE ou une folle vague d'immigration comme certains fous le souhaitent, mais un grand projet d'autonomie national. Faire en sorte que les Français soient les plus autonomes possible pour leur permettre de vraiment choisir le type de société dans laquelle ils veulent vivre. Si les Français ne veulent pas s'exténuer pour engraisser des actionnaires en ayant un niveau de protection des travailleurs élevé alors ce n'est pas au marché par l'intermédiaire du libre-échange de leur imposer cela. Retrouver une capacité d'indépendance nationale et d'autonomie c'est retrouver aussi le sens de la politique.
La crise de la mondialisation dont j'ai parlé il y a peu est aussi une chance de repenser la société et son sens. L'idéologie libérale qui a servi d'unique boussole ces quarante dernières années nous a peu à peu dépossédés de la politique et de l'action publique. Elle a privatisé en fait le pouvoir politique en déléguant aux entreprises et au marché le soin de régenter toute l'activité humaine. En un sens, le libéralisme économique en rendant totalement interdépendantes les nations a ôté aux peuples la possibilité de choisir leur destin, de choisir leur modus vivendi. Et si le rôle de la France était simplement de rappeler aux autres ce lien extrême qui lie autonomie politique, économique et démocratie ?
PS : Régis de Castelnau a écrit un excellent texte ici résumant en peu de ligne les politiques des quarante dernières années qui nous ont conduits d'abandon en abandon à la situation présente. Il en conclut que nous sommes dans une impasse politique et je suis totalement d'accord sur ce point malheureusement.