Je viens de lire un article qui concerne l'émission de Fredéric Taddei sur France 3, l'une des seules émissions de télévision qu'il m'arrive de regarder, surtout la rediffusion sur le net et en fonction des sujets, et bien il semblerait que la direction de France télévision veuille l'annuler ou au moins en réduire fortement le nombre de diffusion pour des raisons d'audience, officiellement. Cette information provenant du site de Morandini on la prendra avec des pincettes, mais si elle s'avère vraie je ne peux que regretter ce choix, sachant la contraction de plus en plus forte aussi bien d'un point de vue quantitatif que qualitatif des émissions d'analyse et de débat politique à la télévision française. "Ce soir ou jamais" est une émission critiquable par bien des aspects notamment la durée trop courte des débats et le trop grand nombre d'invités qui empêche une entrée en profondeur des sujets. Mais l'émission de Taddei a l'immense mérite de la pluralité des débatteurs et de l'éclectisme des points de vue invités à s'y défendre. Il n'y a en que dans cette émission que l'on retrouve les débats les plus proches des vrais clivages du pays, bien loin des fausses oppositions vue ailleurs sur le paf français. Et cela révèle une fois de plus l'inadéquation entre la mécanique marchande qui s'infiltre, même dans le service public, et la nécessité d'informer correctement la population, quitte à ce que seule une poignée de citoyen veillant tard le soir le soit. Cela pointe une fois de plus le doigt sur la situation calamiteuse de l'information en France. Des journalistes culs et chemises avec le pouvoir politique et économique, des informations massivement filtrées par l'idéologie du petit village parisien et une divergence sans cesse croissante entre l'opinion pulblique et l'opinion médiatique majoritaire. Le TCE avait eu cette effet révélateur de la discordance entre médias et population, mais les affaires médiatiques qui se suivent depuis n'ont fait que confirmer le divorce entre les français et leurs médias. Et ce n'est pas l'affaire Ockrent récente qui va améliorer l'image du quatrième pouvoir.
Nous vivons également une restructuration de l'influence médiatique qui se couple en France avec ce pourrissement du milieu journalistique. Les médias mainstreams sont en crise partout dans les pays développés à cause de l'arrivé d'internet et des médias alternatifs qui progressent, mais la France a en plus cette profonde crise de confiance produite par les liens incestueux entre pouvoir économique, politique et médiatique. Des hommes politiques jouent d'ailleurs avec cette détestation, de Melenchon qui en a fait l'un de ses plans d'attaque pour faire parler de lui, à Marine Lepen qui s'emploie à devenir la cible des médias pour finalement se faire bien voir, non seulement de son propre camp, mais aussi pour gagner en popularité. Car on en est arrivé à un point tel de haine des médias classiques que toute victime du système médiatique se transforme en une espèce de Robin des bois des temps modernes.
L'autre problème qui est inhérent à la nature même de la sphère médiatique moderne, construite toute entière autour de l'information télévisé, c'est qu'elle est complètement superficielle et omnibus. Elle est faite pour être facilement absorbée par toute la population, on remplit le temps télévisuel par des informations qui n'informent pas mais qui distraient le public. C'est un point que Pierre Bourdieu avait déjà formidablement analysé dans son texte sur le journalisme et la télévision, mais dont on ne prend pas souvent la mesure. La télévision par son instantanéité, son caractère émotionnel, et son obsession de l'audimat condamne toute analyse faisant appel un tant soi peu à une réflexion rationnaliste, elle est naturellement anti-cartésienne. Ce faisant elle a un caractère mécaniquement tautologique, elle répète sans arrêt ce que tout le monde est censé savoir. Elle donne mécaniquement dans le consensus intellectuel parce qu'elle n'a pas le temps de réfléchir à ce qui n'est pas dans la grille de lecture de son consensus. Le prêt à mâcher intellectuel qui domine les médias français et la sphère politique, ne sont en fait que le résultat de la domination de la télévision dans l'espace médiatique. On peut donc dire que quelque part la télévision est au centre de la crise démocratique et peut-être de la crise de civilisation que nous connaissons. Car les médias font les politiques, ils leur imposent en quelques sorte l'agendat et c'est particulièrement vrai pour la génération télé qui dirige aujourd'hui le pays. Sarkozy est un enfant de la télé qui en use mais qui est aussi manipulé par elle. La télévision façonne le monde et en donne une image qui par la suite permettra à telle ou telle idée de monter au pouvoir. Les journaux qui sont l'ancien pouvoir médiatique n'ont eu qu'à plier face à elle dans les années 70-80, pour la France, alors que naguère c'était les journaux qui étaient les faiseurs d'opinion, aujourd'hui c'est la télévision mais plus pour trés longtemps.
Vers la nécessaire décentralisation médiatique
En regardant ce pouvoir de la télévision, on pourrait se dire que finalement la meilleur méthode pour réintroduire du temps, de l'intelligence,et de la réflexion, c'est d'agir sur le contenu et donc d'avoir un pôle public télévisuel fort, c'est à mon avis une erreur. D'abord parce que si la télévision a ce pouvoir, il est entrain de décliner fortement, les nouveaux médias produit par internet sont littéralement en court de saccage du pouvoir médiatique télévisuel. Les révélations de Wikileaks montrent d'ailleurs jour après jour la différence profonde qu'il y a entre la réalité telle que la vendait la télévision et la réalité du monde sensible. On parle d'ailleurs déjà de cinquième pouvoir pour les médias d'internet. Or la grosse différence entre les médias classiques et les médias issus du réseau c'est que le coût de la diffusion étant nul ou presque, les puissances économiques qui ont phagocyté la télévision et les journaux ne peuvent contenir la monté en puissance de ce nouveau média. Les puissances d'argent ne peuvent parfaitement maitriser l'information issue du web. La télévision et les journaux sont verticaux, internet est horizontal, il y a égalité entre le producteur et le consommateur et nous sommes tous à la fois consommateur et créateur d'information et d'analyse. Cette réalité produite par la nature même d'internet condamne imédiatement la volonté de concentration et de contrôle, internet restera décentralisée pour le meilleur et pour le pire. L'autre arguement contre le renforcement d'un pôle public d'information télévisuel c'est qu'il entre lui aussi dans la course à l'audience. Alors même que les ressources de ce pôle public ne dépendent pas des rentrés prublicitaires les directions se montrent tout de même attentives à l'audimat. Nous sommes tellement habitués aux critères marchands dans lesquels la quantité prime sur la qualité que même si France télévision ne dépend pas des pubs elle continuera à fournir du temps de cerveau disponible comme sur TF1.
Dans ce cadre on comprend bien que la télévision en tant que système centralisé d'information a fait son temps, seule une décentralisation de la production télévisuelle permettra de remédier au défaut de ce média. J'en avais déjà parlé, l'avenir est à la réduction des coûts de production audiovisuel et à la production de télévisions citoyennes. La télévision sera un média d'information valable le jour où tout le monde participera à sa production. Et la télévision par ADSL est peut-être ce qui permettra à l'avenir de produire une telle évolution médiatique. En attendant il n'y a pas grand chose à faire pour sauver la télévision actuelle, elle s'enfonce et s'enfoncera toujours plus dans la médiocrité et la nullité, surtout en matière d'information toujours partielle et partiale.