Cette date anniversaire est importante dans le sens où les faits démontrent jours après jour les effets néfastes de la construction européenne telle qu'elle s'est faite. Il devient toujours plus difficile au système de cacher les vices de fonctionnement de l'euro ou les incohérences pratiques que produit cette structure bureaucratique. En mai 2005 j'avais voté non au TCE comme la majorité de mes concitoyens, cependant à l'époque j'étais déjà sceptique quant à la possibilité qu'il y avait à pouvoir sauver la monnaie unique et la construction européenne. J'étais d'ailleurs déjà septique quant à la possibilité de faire du protectionnisme européen. À l'époque je participai souvent au forum de Marianne sur l'ancien site de ce célèbre hebdo. Que de noms d'oiseaux ai-je reçu avec mes idées de protection nationale de dévaluation ou de contrôle des capitaux. Même sur ce forum qui attirer des gens plus à même d'avoir des idées hétérodoxes il était bien difficile de défendre alors de telles idées sans se voir caricaturer. "Quoi vous voulez le modèle albanais ou nord-coréen? " Rares étaient ceux à lire réellement les propositions ou à penser que l'UE était une construction impossible à sauver. Six ans plus tard, et une crise économique d'une ampleur jamais vue, les choses ont changé. Il n'est plus difficile aujourd'hui de critiquer l'euro. En tous cas, ces idées sont bien moins rejetées qu'il y a deux ou trois ans. Chez les alternatifs beaucoup ont évolué et sont passées d'une critique de la construction européenne visant sa simple réforme, à une volonté de sortie pure et simple de l'euro et de la construction européenne. Je pense ici à un collègue blogueur comme Malakine par exemple. Les positions ont changé et l'impensable est devenu la seule alternative crédible à la crise actuelle.
Le débat manqué
J'ai tout de même quelques regrets quant à l'évolution du débat sur l'Europe depuis 2005. Car ce vote me semble avoir été largement gâché par les hommes politiques, mais aussi par les citoyens. Je crois que le vote de 2005 était le dernier moment pour une vraie réforme de la construction européenne. Mais les européistes ont verrouillé le débat et l'ont interdit en violant au passage le vote français par une félonie dont le peuple se souviendra encore longtemps, ainsi que les historiens du futur qui jugeront je crois sévèrement cette dérive oligarchique de notre régime politique. Il était pourtant encore temps de sauver l'Europe à l'époque, si seulement les dogmatiques de l'euro l'avaient été un peu moins. Si seulement ils avaient accepté de prendre en compte les incohérences de la construction européenne. Mais les extrémistes sont ainsi, ils ne reculent devant rien pour imposer leur dogme jusqu'à ce que cela les conduise à la catastrophe, nous y sommes.
Mais il n'y a pas que chez les européistes qu'il y a eu des occasions manquées. Que dire du comportement des nonistes de gauche nombreux et puissants qui ont littéralement disparu après le vote. Jean Luc Mélenchon ou encore Laurent Fabius n'ont pas profité de leur victoire pour agir. Que se serait-il passé si au lieu d'écouter leurs intérêts à court terme ils avaient fait sécession avec le PS libéral? Où en serait aujourd'hui un tel groupe s'il avait existé avec Sarkozy au pouvoir et la crise de l'euro en gestation avancée? La réponse est simple, le phénomène Marine Le Pen n'existerait pas et ils seraient en train de se préparer à monter à la tête de l'état aux prochaines élections. À l'aune de l'histoire récente, on imagine ce gaspillage qu'a été la volonté de rester au PS des nonistes de gauche. On voit bien ici le prix à payer pour la pseudo-unité de la gauche dont on sait comme elle a fini en 2007. Trahir ses idées au nom du réalisme n'est pas si intelligent que ce que l'on peut croire à long terme, en fait ce n'est guère payant. Alors Mélenchon est effectivement parti, mais c'était déjà trop tard. II aurait fallu agir avant, tant que l'évènement était frais dans la tête de nos compatriotes. Les nonistes de gauche auraient certainement perdu en 2007, et toute la gauche avec, mais ils auraient créé une dynamique qui aurait tout écrasé pour 2012. Aujourd'hui, cette gauche protectionniste et euroseptique se fait manger par Marine Le Pen, vers qui les plus faible se tournent malheureusement. On a même failli avoir DSK comme candidat à la prochaine présidentielle, un homme encore plus libéral que Sarkozy.
Ces six années ont été gâchées, rien n’a été fait pour inverser la tendance de la construction européenne, ses contradictions se sont même largement aggravées. Nos élites s'enferment de plus en plus dans leur tour essayant d'empêcher toute forme de contradiction de les atteindre malgré les évidences et la réalité qui les entoure. Alors ils peuvent maudire ce vote sur le TCE et détester ceux qui ont rejeté leur constitution. En réalité, ce rejet était la dernière occasion qu'ils avaient pour pouvoir sauver leur construction, aujourd'hui il est trop tard. Le feu se répand, la Grèce va probablement quitter l'euro et d'autres la suivront ensuite. Chaque nation reprendra son destin en main et le rêve européen ne sera plus dans quelques années qu'un cauchemar dont personne ne souhaitera plus se souvenir.
En souvenir de cette époque, voici deux textes que j'avais écrits sur le forum de Marianne. Il date de 2005 pendant la période d'avant le vote,mais vous retrouverez facilement les thématiques actuelles, elles n'ont pas changé, sauf qu'aujourd'hui elles sont prises enfin au sérieux. Le premier texte concernait la monnaie unique et l'impossibilité qu'il y a pour la faire fonctionner. Le deuxième texte est une réponse à Emmanuel Todd et à un article qu'il avait publié en mai 2005 sur Politis. Un article qui m'avait particulièrement énervé puisque j'avais appris à ce moment-là que Todd était pour le "Oui". J'avoue n'avoir toujours pas compris son point de vue d'ailleurs. Je n'ai plus le texte original de Todd, par contre on doit surement pouvoir le trouver quelque part sur le net.
L’Euro est-il viable ? (Avril 2005)
Voilà une question qui fâche au moment ou l’on va voter pour une constitution européenne . L’Euro est une mauvaise réponse donnée à une question mal posée. Les élites de notre continent qui ont construit ce machin n’en ont pas vraiment compris toutes les conséquences à long terme. Dans la théorie économique, la valeur de la monnaie d’un pays sur le marché des changes internationaux est fondamentalement corrélée aux échanges de ce même pays. Quand ce dernier connaît un excédent commercial c'est-à-dire qu’il exporte plus qu’il n’importe, sa monnaie devient rare en quantité sur le marché mondial (d’ailleurs cette théorie s’appelle à juste titre la théorie quantitative). Comme ce qui est rare est cher, la valeur de cette monnaie va grimper par rapport aux autres (celles des pays qui sont en déficits) parce qu’elle est plus demandée pour l’achat des marchandises de ce pays. Mais du coup le prix des marchandises exportées par cette nation vont augmenter et en même temps le prix des marchandises importées vont baisser. En théorie (et uniquement en théorie) la balance commerciale de ce pays va naturellement s’équilibrer, la valeur de sa monnaie devrait être stable sur un marché mondial en équilibre avec de petites variations ici ou là, le marché des changes est théoriquement toujours en équilibre.
Même si ce raisonnement est juste, force est de constater que la réévaluation monétaire ne parvient pas à équilibrer les balances commerciales, d’ailleurs de combien faut-il dévaluer le dollar pour équilibrer la balance commerciale de ce pays avec la Chine sachant que le différentiel salarial est d’au moins un pour vingt. La valeur d’une monnaie peut certainement jouer sur de petit différentiel commercial, mais pas lorsque les écarts sont trop grands. Mais utilisons cette théorie qui est l’un des fondements de la théorie économique classique pour l’appliquer à notre zone monétaire. Cette zone connaît des disparités commerciales énormes qui rendent impossible l’apparition d’un intérêt général pour toutes les nations qui y sont engagées. Certains pays ont d’énormes excédents, l’Allemagne à elle toute seule représente les trois quarts de l’excédent de la zones euro, alors que l’Espagne connaît un déficit en pleine explosion, sans parler de la France. Mais si l’euro varie en fonction des monnaies des pays extraeuro et donc régule le commerce avec les autres zones monétaires, il ne régule pas le commerce interne! L’Allemagne est excédentaire vis-à-vis de tous les pays de la zone euro, mais il n’y a aucun mécanisme qui permette de rééquilibrer cette situation.
Les Européens souhaitaient une zone de stabilité monétaire, ils voulaient revenir à l’époque de Bretton Woods et du Dollar garantis or qui a permis trente ans de stabilité monétaire, mais ils ont oubliés ce qui va avec la stabilité de la monnaie : le protectionnisme ! Pendant tout le 19e siècle l’or était par excellence la monnaie du commerce international les pays qui avaient un déficit pratiquaient le protectionnisme pour équilibrer leurs commerces et conserver leurs réservent d’or c’est ce qui a donné l’illusion d’un commerce autorégulé (voir Paul Bairoch « Mythes et paradoxe de l’histoire économique »), seule la Grande-Bretagne à l’époque pratiquait le libre-échange parce qu’elle avait acquis une avance industrielle considérable qui lui garantissait un excédent commercial vis-à-vis de ses partenaires. La stabilité de l’or permit une faible quantité de crises économiques non pas parce que sa valeur était stable, mais parce qu’aucun pays ne pouvait se permettre de déséquilibre constant pour la raison évoquée précédemment. Contrairement à la situation actuelle où l’étalon monétaire international qu’est le dollar permet de façon burlesque à la nation américaine de payer ses importations avec du papier. L’Amérique ressemble curieusement à l’Espagne des conquistadores qui payait ses importations avec de l’or provenant de ses pillages en Amérique du Sud sans se soucier de sa propre industrie, et avec comme différence de taille que les mines de l’Amérique ne sont limitées que par la quantité d’encre disponible pour imprimer les billets de banque. Quand il n’y a pas de moyen de dévaluer sa monnaie, il faut bien équilibrer la balance commerciale d’une manière ou d’une autre, sans quoi le pays déficitaire est condamné à voir son chômage augmenter et son économie s’effondrer. L’euro joue aujourd’hui le même rôle que l’or à cette époque, mais uniquement dans le cadre de la zone euro, chaque état membre se doit de faire attention à ses réserves d’euro sans quoi il risque une pénurie qui profite aux détenteurs de capitaux. Car l’argent devenu rare peut être thésaurisé afin de produire de la valeur, la rareté des capitaux conduit à la stagnation de l’économie et à la montée du chômage.
Or l’Europe a tout simplement oublié ce détail central, elle interdit toute possibilité de mettre en place des droits de douane c’est totalement incohérent(voir l’article III-36 de la constitution qui interdit les droits de douane). À cela vient s’ajouter un autre problème, vu la place de l’économie allemande dans le commerce extérieur de la zone euro la valeur de cette monnaie reflète la puissance des exportations allemandes et non les déficits espagnols et français, même si l’Espagne et la France sont en déficit la zone euro est globalement excédentaire +150Md€ l’année passée et donc l’euro s’apprécie sur le marché international. De ce fait, les marchandises du reste du monde sont de moins en moins chères pour le consommateur français ou espagnol ce qui aggrave encore leurs déficits en détruisant les dernières industries rescapées du libéral socialisme(la Chine vient de devenir notre premier déficit bilatéral avec 5Md€ au premier semestre 2004 devant l’Allemagne un déficit qui s’accroît de plus en plus vite). Ces pays se retrouvent doublement punis même si les fonds européens permettent pour l’instant à l’Espagne de faire illusion.
En conclusion, on pourrait dire que seul le retour d’un protectionnisme coopératif dont le seul but est l’équilibre des échanges internes à la zone euro pourrait permettre non seulement la survie, mais aussi l’utilisation du plein potentiel de la zone euro. Nous devons protéger notre commerce des exportations agressives de pays comme la Chine ou le Japon par une barrière commune (comme dans le traité de Rome 1957, préférence communautaire), mais aussi comprendre que l’équilibre interne de la zone euro doit être atteint par des moyens protectionnistes modérés si l’on veut éviter l’éclatement inéluctable où nous conduirait la germanisation de l’industrie du continent. Il est évident que si la zone euro s’employait à user de cette stratégie couplée avec une politique de relance de la demande intérieure commune(politique industrielle, hausse des salaires, baisse d’impôt pour les bas revenus, politique de grands travaux..) l’Europe connaîtrait rapidement le plein emploi voire même la pénurie étant donné le déclin démographique du continent. Le vote pour la constitution devrait être un débat sur ce dont je viens de parler, mais on préfère perdre du temps à voter un texte qui pour moi est sans intérêt et n’apporte rien de plus que le conservatisme et le laissez-faire transcrit en texte pour l’éternité. Mais même si la constitution est rejetée les problèmes demeureront, tant que l’on ne parlera pas commerce, monnaie et relance, il n’y aura pas de solution pour le chômage et la croissance de notre continent, c’est sur ce débat là qu’il faut entraîner les politiques. On peut du moins espérer que l’éventuel « non » agisse comme un réveille-matin, mais je n’ai pas trop d’espoir. Si l’Europe ne fait rien l’UE disparaîtra et la France reprendra son indépendance monétaire ce qui ne serait pas forcement une catastrophe tout dépendrait des dirigeants présents lors de cet événement. Pour terminer et montrer l’importance de la politique monétaire, pendant la période 98/2000 l’euro s’est déprécié de plus de trente pour-cent face au dollar et aux monnaies asiatiques qui y sont amarrées, on est alors passé en France de la politique du franc fort à celle de l’euro faible ce qui a permis la reprise économique. La politique du gouvernement d’alors aussi nulle que celle du gouvernement actuel a pourtant donné l’illusion de l’efficacité grâce à la forte baisse du chômage et à la reprise de la croissance, mais je ne vois pas de différence entre Lionel Jospin et Raffarin c’est dans les deux cas une politique libérale (le marketing n’est pas le même, mais le produit est identique). Seul la différence des valeurs monétaires explique la divergence des résultats et notamment le fait que l’Allemagne d’alors essayait péniblement d’absorber l’ex RDA. Globalement la RFA + la RDA avait un déficit commercial qui explique la faiblesse de l’euro à l’époque. Mais c’est du passé, l’Allemagne connaît un excédent commercial de plus en plus gros qui va faire grimper l’euro à des sommets inimaginables détruisant totalement notre tissu industriel ou ce qu’il en reste après 20ans de franc fort, on pourrait même dire que nous entrons dans le franc fort éternel.
Emmanuel Todd vote « oui » à la constitution européenne ! (Mai 2005)
Pour celles et ceux qui connaissent ce brillant auteur, la surprise doit être de taille, car cette position est aussi incompréhensible à première vue que celle de monsieur Jean François Kahn. La position d’Emmanuel Todd est expliquée succinctement par un interview paru dans l’hebdomadaire Politis n850 de la semaine du 5 au 11 mai 2005. Pour ceux qui n’ont pas la chance de le connaître, il faut savoir qu’il s’est longtemps engagé contre le libre-échange et le projet de Maastricht, il reste d’ailleurs nettement contre le libre-échange, je vous invite à lire ses deux derniers ouvrages « Après l’empire » et « L’illusion économique ». Dans cette interview il expose deux arguments qui à mon sens relèvent plus du coup de poker que de l’analyse rationnelle et intelligente auquel il m’avait habitué :
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Le traité constitutionnel serait un traité qui ne sert pas à grand-chose, il ne fait que réajuster un petit peu l’organisation de l’Europe sans en changer le fond, vous remarquerez qu’il s’agit d’un argument proche de celui de JFK (ce n’est peut-être pas un hasard E.T. étant proche de la rédaction de Marianne, son nom apparaît d’ailleurs dans les noms de la rédaction rubrique idées).
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L’ultralibéralisme serait en train d’être battu, il va mourir de sa belle mort. Il cite l’exemple de la Grande-Bretagne qui commence à réinvestir dans ses services publics. Pour lui la partie 3 qui est celle qui institutionnalise le libéralisme était présente lors des traités précédents (ce qui est vrai) et n’a était incluse dans la constitution que pour rassurer les nouveaux membres de l’UE, notamment la partie concernant l’OTAN. Il s’agissait donc de les rassurer, mais pour E.T. la position des pays de l’Est n’est que temporaire, ils sont juste en retard dans leurs visions du monde (c’est pour cela qu’ils sont pros américains et ultralibéraux). Pour lui il faut faire preuve de pragmatisme économique en votant « oui », et il faut voir les pays de l’est comme des alliés et non comme des ennemis dans le champ de bataille de la mondialisation.
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Il ne croit pas à l’irréversibilité du texte. Il donne en exemple le fait que les politiques sont en train de mettre à la poubelle le pacte de stabilité qui devait soi-disant durer pour l’éternité dans le traité de Maastricht (il va à mon avis un peu vite en besogne, car cet élément est remis dans la constitution). Le protectionnisme continental apparaîtra comme la seule solution à moyen terme pour l’Europe face à l’implosion de l’économie américaine et à la menace chinoise. Il faut dès lors préparer l’UE en concevant un minimum de règles communautaires permettant ce nouveau protectionnisme, notamment la prise décisionnelle grâce à la majorité qualifiée.
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L’Europe doit faire contre poids face à l’empire américain, après l’effondrement du dollar c’est l’Europe qui deviendra le centre économique de la planète. Elle est plus démocratique que les États-Unis et il ne faut pas confondre les deux espaces géopolitiques (il s’adresse là au lectorat de Politis qui est plutôt d’extrême gauche, ce qui n’est pas mon cas), l’Europe serait plus soft que l’Amérique dans son approche diplomatique. Un rejet de la constitution serait comme un feu vert donné à l’administration américaine lui disant OK on laisse tomber l’UE et on vous donne les clefs de la planète.
Je vais répondre point par point à ces arguments et j’espère que vous serez nombreux à réagir à ces propos qui contrairement aux arguments habituels des Oui-ouistes sont défendables et non idéologiques, donc dangereux pour les partisans du NON.
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Premier point, je suis d’accord avec lui, ce traité ne sert en fait pas à grand-chose, philosophiquement il est proche du traité de Maastricht et continu dans la même direction et c’est en 1992 que les électeurs auraient dû dire NON. Cela aurait évité la poursuite du franc fort et le chômage de masse qui en a résulté. Mais ce vote est l’occasion pour le peuple de dire ce qu’il pense des technocrates bruxellois, d’ailleurs si ce texte est sans importance réelle, pourquoi s'inquiéter d’un éventuel rejet ? Certes, le texte modifie quelque peu le mode de fonctionnement de l’UE, quoique pas tellement si l’on regarde celui de Nice. Mais c’est là a mon avis le changement le plus fort chez E.T., il considère dorénavant la construction européenne comme inéluctable, il est rentré dans la pensée unique qu’il a si longtemps fustigée, adieux la France, on est bien loin de « L’illusion économique ».
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L’ultralibéralisme ne recule pas, il est au contraire de plus en plus puissant, malgré des faillites à la chaîne causée par ses idées lorsqu’il travaillait au FMI monsieur Camdessus continu d’être considéré comme un homme que l’on écoute. Monsieur Minc a maintenant une émission pour lui tout seul sur Direct 8, on va bientôt libéraliser les services (Bolkestein) même si pour l’instant la réforme est mise au placard, grâce à l’hypothèse du NON au demeurant. Si à l’échelle internationale le libéralisme recule (en Asie où il est inexistant, en Amérique du Sud il est moribond, et aux USA on ne parle plus que de protectionnisme) ce n’est pas le cas en Europe, et il ne reculera pas par l’opération du Saint-Esprit, il faut que les citoyens se battent pour le faire tomber. Quant à la Grande-Bretagne même si Tony Blair a effectivement augmenté les dépenses de l’état, c’est oublier que le pseudo-plein emploi obtenu dans ce pays a pour corollaire un fort endettement à l’américaine vis-à-vis de l’extérieur avec un déficit commercial de 40Md€ cette année. La croissance britannique est fondée sur l’endettement des ménages presque trois plus fort qu’en France. On ne peut pas dire que les Anglais soient devenus antilibéraux, là c’est prendre ses rêves pour des réalités, au contraire le libéralisme est en train de prendre racine et d’être complètement intériorisé dans la tête des Britanniques comme des autres européens. Le protectionnisme reste un sujet tabou pour les biens pensants malgré les efforts de quelques auteurs comme E.T. justement ou Jean Luc Gréau « l’avenir du capitalisme ». Et d’ailleurs ce n’est pas parce qu’une politique est souhaitable pour redresser une situation que la société prendra la décision de l’appliquer. Il y a plein d’exemples historiques de sociétés s’enfonçant dans un déclin permanent alors qu’elles auraient objectivement pu s’en sortir ( c’est mon coté pessimiste qui ressort, E.T. lui est un homme vigoureusement optimiste, de là peut-être vient la différence de vision. Mais à mon sens mieux vaut prévoir le pire des cas pour éviter les mauvaises surprises).
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Le texte n’est révisable que si tous les membres soit les 25 états membres le veulent ! Le seul moyen pour la France de changer la politique commerciale une fois la constitution adoptée sera de sortir de l’UE. Car je ne vois pas comment changer ce texte sachant que les états membres n’arrivent pratiquement jamais à se mettre d'accord, et sachant à quel point le libéralisme est incrusté dans la tête de nos voisins. Il n’y a qu’en France ou l’on voit encore des gens critiquer le libre-échange, ailleurs c’est le règne de la résignation (les autres européens nous considèrent d’ailleurs comme des fossiles dépassés). Le libre-échange en Europe résistera à la crise économique longtemps même si à force il finira peut-être par céder face à la réalité. Mais supposons un instant que le libre-échange soit terminé avec l’extérieure de la zone euro, l’intérieure de la zone possède à 25 états des disparités de niveau de vie suffisantes pour bloquer la hausse des salaires et de la demande qui en découle pour les 20 prochaines années minimums. Ce n’est peut-être rien à l’échelle de l’histoire où se place E.T. ,mais c’est énorme pour ceux qui sont au chômage et dans la précarité en France et ailleurs sur le continent aujourd’hui et maintenant. De plus Il n’y a pas de règle européenne permettant de sortir par le haut de ce dilemme, il faudrait une règle équivalente au système de Bretton-Woods dans laquelle seraient interdits les excédents et les déficits commerciaux bilatéraux. Aucun pays ne devrait avoir à jouer un rôle spécial dans l’économie du continent, or monsieur E.T. sait pertinemment que l’Allemagne fait presque autant de dégât à l’économie française que la Chine, critiquer les dégâts causés par les pays à bas salaires sur nos économies est juste, mais les autres pays développés qui font la course à l’excédent pour réduire leur chômage en pillant les autres est aussi détestable (Allemagne, Japon, Corée du Sud). L’UE c’est une minimondialisation avec les mêmes effets locaux. L’Allemagne continue à faire cavalier seul en terme commercial, elle enregistre cette année 205Md€ d’excédent face à une pauvre France en déficit prévu de 7.7Md€, l’Espagne est à moins 40Md€ sans parler de la G.B. (à noter que la GB à tout de même sa propre monnaie ce qui limite les dégâts du libre-échange, car elle varie en fonction de la balance des paiements, ce n’est évidemment pas le cas de notre pauvre pays). Ces déficits sont notamment engendrés par le commerce avec l’Allemagne, or aucun mécanisme ne permet de rééquilibrer les échanges internes à la zone euro. On a pas le droit de taxer les importations (article III-151) et on a plus de monnaie à dévaluer face au mark puisqu’on a la même monnaie que l’Allemagne. On fait comment ? On supplie les Allemands de nous épargner eux qui ont fait financer la reconstruction de l’Allemagne de l’Est par le reste de l’Europe dans les années 90. Il n’y a pas de solidarité européenne chacun tire la couverture à soi, le couple franco-allemand n’est qu’une façade qui fait apparaître de graves fissures alors l’UE...
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Mais voilà en fait pourquoi E.T. est pour la constitution européenne, il veut que l’Europe remplace les USA dans le rôle régulateur mondial de l’économie. Il veut remplacer un empire par un autre peut-être ? Il pense qu’il n’y a pas d’autre moyen pour mettre fin à la folie de la mondialisation qui cache en fait une américanisation de la planète (le monde produit pour que l’Amérique consomme). À court terme l’euro ferait tomber le dollar, c’est ici que E.T. fait appel au pragmatisme économique, serrons les dents en attendant la fin de la domination du dollar. Il se trompe et fait preuve à mon avis de bien peu de pragmatisme économique au contraire de ce qu’il affirme. Il devrait lire Norman Palma professeur d’économie à la Sorbonne :). Ce dernier explique très bien que l’euro est la corde avec laquelle les USA vont se pendre (d’accord avec E.T.), mais il dit également que la zone euro va énormément souffrir, l’euro va grimper à des sommets inimaginables. Les étrangers paniqués vont chercher une valeur refuge momentanée pour sauver la valeur de leur patrimoine, conservé jusqu'à présent avec la monnaie américaine (ainsi les trois quarts de l’épargne mondiale est aux USA et la dette de la plupart des pays du monde est exprimée en dollars, sans parler des réserves chinoises et japonaises représentant prés de 1300Md$ cette année, ou du pétrole vendu en dollars valorisant cette monnaie). Cette course vers la monnaie européenne engendrera sa montée et l’effondrement de la valeur du dollar, mettant fin à l’empire. Mais l’Europe se retrouvera ruinée par ce système, si rien n’est fait toutes nos industries seront détruites. Le coup de poker de Todd est ici, il suppose que les autorités européennes vont bien réagir en mettant des droits de douane, moi je pense qu’ils ne feront rien parce que l’UE n’est pas une démocratie et qu’elle se fiche de l’intérêt général. Et je tiens à signaler que l’affaire du textile chinois tant à confirmer mon hypothèse négative et non la sienne plutôt positive. Mais y avait-il besoin de l’euro pour voir la fin du système américain ? Non, la monnaie de ce pays est soutenue par la Chine et le reste de l’Asie, ces pays n’auront pas les moyens de la soutenir indéfiniment, même en l’absence de l’euro le dollar se serait effondré. Mais dans cette perspective c’est l’or et non l’euro qui aurait servi de valeur refuge (voir peut-être le Mark , le Yen, et le Yuan), c’est donc pour rien que l’on a construit la zone euro et fait souffrir les Français. L’effondrement du dollar entraînera donc la destruction de la zone euro à long terme et non sa domination. Mais supposons que E.T. ait raison, et que l’Europe domine, est-ce souhaitable ? Est-ce que les états européens à l’heure actuelle présentent des visages réellement démocratiques ? Où est-ce simplement le fait que l’Europe est faible qui empêche nos dirigeants de se comporter comme G.W. Bush et ses collègues ? L’exemple le plus frappant est que la constitution inscrit dans la politique extérieure de l’UE la volonté d’étendre sur la planète entière le libre-échange, n’est-ce pas un peu impérialiste (voir l’article III-292 §-e de la partie 3)? Demandons à nos amis africains ce qu’ils pensent de l'attitude de l’Europe dans les grandes réunions sur le commerce international, ils sont j’en suis sure moins positifs sur l’action de l’UE qu’E.T. . Certes les Européens « paraissent » plus sympa, mais c’est parce qu’ils sont plus intelligents et peut-être encore plus vicieux que leurs homologues américains. Moi je ne veux que ce que voulait De Gaule, la liberté et l’indépendance de tous les peuples du monde et non un empire fut-il à nouveau européen. Je pense que la démocratie en Europe est profondément malade et que ce vote pour la constitution est une occasion en or pour remettre le continent dans la bonne direction. Le peuple a son mot à dire sur son propre avenir, le principe de la constitution française n’est-il pas « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Emmanuel Todd contredirait-il son propre discours profondément démocrate dans son livre « L’illusion économique », et ferait-il passer les intérêts de la classe dirigeante de la France avant celui des Français !Où pratique-t-il le passivisme à son tour (voir son livre)? Je ne comprends pas sa position qui se place dans un jeu cynique de géopolitique qu’il a lui même tant décrié par le passé ,et je le dis avec d’autant plus d’amertume que j’admire ses ouvrages. C’est ce genre de raisonnement en terme de rapport de force entre états qui a conduit notre continent au bord du gouffre lors de deux conflits mondiaux. Je finirais en citant E.T. lui-même :« L’idée d’une contrainte économique agissant de l’extérieur sur les états, baptisée mondialisation, n’est qu’une illusion. Le sentiment d’impuissance qui paralyse les gouvernements ne sera surmonté que si renaît l’idée de nation. »
(L’illusion économique )
« Les États-Unis sont sortis vainqueurs du XXe siècle parce qu’ils avaient su, sur une très longue période, refuser de s’impliquer dans les conflits militaires de l’Ancien Monde. Suivons l’exemple de cette première Amérique, celle qui avait réussi. Osons devenir forts en refusant le militarisme et en acceptant de nous concentrer sur les problèmes économiques et sociaux INTERNES de nos sociétés. »
(Après l’empire)