L'ouverture d'une mine de lithium dans le Massif central relance la question du développement industriel dans notre pays. Je vous conseille d'ailleurs au passage cet excellent interview de Didier Julienne sur la relation importante qu'il y a entre l'industrie de l'extraction minière et le développement de l'industrie. Une relation que nous avons petit à petit oubliée alors même que la grande réussite économique française d'après-guerre au-delà de la qualité de nos dirigeants d'alors était aussi le résultat du travail inlassable de bon nombre de français travaillant dans les mines . On ne le répétera jamais assez, les gueules noires furent autant des héros pour la France que nos résistants. Bon nombre furent d'ailleurs les deux. Travailler dans les mines était non seulement très dangereux, l'histoire récente nous le rappelle avec cette catastrophe dans une mine de charbon en Turquie qui a fait une quarantaine de morts , mais réduisait implacablement l'espérance de vie des personnes y travaillant. Des maladies irréversibles comme la silicose ont empoisonné bon nombre de personnes travaillant dans les mines de cette période.
La domination scientifique et technique de l'occident est terminée
Et c'est globalement ces dégâts sur la santé et ces difficultés du travail à la mine qui ont participé en quelque sorte à la mauvaise image de ces lieux de production. Le mouvement écologiste des années 70-80 a pu trouver là un allié de poids dans son argumentation anti-productiviste. Et si certains idéologues de l'écologie ont bien des défauts, il est quand même indéniable qu'ils ont participé à une prise de conscience plus générale sur la question de la sécurité environnementale et sur la qualité de vie des personnes travaillant dans ces secteurs. Une prise de conscience qui était plus que nécessaire alors. Mais le discours écologique qui était souvent tout à fait approprié sur certains points a malheureusement aussi servi de prétexte à un mouvement beaucoup plus discutable dans son ensemble, celui de la désindustrialisation. Car si les Français ont pris vite goût au travail dans les services et à l'abandon de l'industrie dans les années 70, ils n'ont quand même pas renoncé dans le même temps à la société de consommation qui allait avec. Il y a eu là un énorme paradoxe tout de même, car avoir une société de consommation sans avoir d'industrie ou de mines est en soi une impossibilité manifeste, les marchandises ne poussant pas sur les arbres. Pourtant depuis les années 70 on a eu de cesse d'expliquer que l'avenir c'était la société de service et que l'industrie c'était fini. On a même eu au début des années 2000 le mythe de l'industrie sans usine avec le résultat qu'on connaît pour Alcatel.
Bien évidemment ce que sous-entendait cette idéologie c'était l'externalisation de la production et de l'exploitation minière. Nous nous spécialisons dans les produits à haute valeur ajoutée que nous exportions et nous importions les objets plus basiques ainsi que les matières premières. C'était tout le mythe du libre-échange vendu aux Français depuis les années 70 la célèbre division internationale du travail. Mais voilà aujourd'hui plus de quarante ans après l'abandon du tarif extérieur commun européen et la généralisation du libre-échange, la France se retrouve bien dépourvue. Le défi du changement d'organisation dans le domaine de l'énergie et nos déficits commerciaux gigantesques nous oblige à revoir notre système économique. Pour le dire crûment, nous n'avons plus rien à vendre en échange de ce que les nouveaux pays industriels proposent comme marchandises. Ils sont montés en gamme et comme nous l'avons vu récemment même l'Allemagne perd maintenant face à la Chine, y compris sur les biens d'équipement. Étant donné les rapports de force démographiques et éducatifs, gardez bien à l'esprit que la science et l'innovation scientifique seront bien vite le quasi-monopole de l'Asie. Un rapide coup d'œil aux dépôts de brevet mondiaux donne déjà l'Asie largement gagnante. Demain, nous devrons copier les Chinois et les Indiens qui innoveront beaucoup plus, car plus nombreux et même maintenant mieux éduqués que nous ne le sommes. Quand aux pays producteurs de matières premières ils font comme tous le monde et achètent Asiatiques et surtout chinois. Il n'y a guère de raison pour penser que la situation puisse changer dans les décennies à venir, à moins d'imaginer un effondrement total du niveau de vie en France qui permette à la main-d’œuvre française de concurrencer celle de l'Inde. Au contraire, notre situation commerciale ne va faire que se dégrader si nous ne nous protégeons pas et que nous ne trouvons pas les moyens à nouveau de pourvoir à nos propres besoins. Les Occidentaux vont devoir réapprendre à faire leur tee-shirt eux même s'ils veulent encore en avoir.
C'est donc dans ce contexte global que s'inscrit le besoin de réindustrialiser le pays. Étant désormais l'un des pays, si ce ne le pays d'occident, le plus désindustrialisé, le travail va être énorme. L'extraction de ressource, en l’occurrence du lithium dans le cas de notre mine du Massif central, est un bon début. Encore faut-il que nos dirigeants prennent bien conscience que la simple activité minière ne va pas à elle seule construire une industrie. Bon nombre de pays en voie de développement n'ont tout simplement pas développé d'industrie qui leur soit propre et sont de simples exploitants de leur sous-sol. Quand on voit l'état de l’industrie du bois et de l’ameublement en France, on peut avoir quelques doutes. En effet, notre pays exporte son bois et importe des meubles fabriqués avec, ce qui est une absurdité économique pour le pays. C'est d'ailleurs une caractéristique d'un pays sous-développé, ce qui montre la gravité de la situation industrielle française. Avec l’ouverture d'une mine de lithium, on espère pouvoir développer l'industrie des batteries électrique qui va avec ce matériau. C'est d'autant plus intéressant que l'industrie en question pourrait s'implanter une région de France qui souffre d'un isolement certain et qui pourrait se voir redynamiser par l'ouverture de la mine puis par l'ouverture d'activités industrielles tournant autour du lithium .
En théorie, c'est très intéressant, mais dans les conditions macroéconomiques dans laquelle la France est plongée comment ne pas redouter une simple exploitation minière qui produira pour d'autres régions du monde ? Je rappelle que nous sommes en régime de libre-échange et que la Chine est largement dominante dans le domaine des batteries. Je ne vois pas comment on pourrait la concurrencer sans protection douanière ou quota préalablement mis en place. De la même manière en imaginant que l'UE se dote de frontières commerciales face à la Chine, nul doute que l'Allemagne mieux lotie que nous en matière industrielle en profite plus, elle ou ses satellites d'Europe de l'Est. On le voit si le retour de l'exploitation des matières premières en France est une occasion pour reconstruire une industrie. Cette exploitation seule ne permettra pas une réindustrialisation pour la bonne et simple raison que les conditions qui ont provoqué notre désindustrialisation sont toujours là le libre-échange, plus une monnaie surévaluée qui n'est même plus vraiment la nôtre. Sans parler de l'abandon par l'état français de toute la tradition interventionniste en matière d'industrie, le fait qu'un homme comme Bayrou soit à la tête du soi-disant nouveau commissariat au plan laisse planer un gros doute quant à la prise de conscience de nos dirigeants de l'importance de la planification en la matière. Cependant, ne soyons pas trop pessimistes, au moins la vision angélique d'une France qui reste riche, mais sans industrie est maintenant morte médiatiquement parlant c'est déjà un progrès.
L'exploitation sous-marine
Je profite de parle de ce sujet pour rappeler que la France a aussi un immense réservoir aujourd'hui encore peu connu et encore moins exploité, celui des territoires maritimes. On parle souvent des terres rares comme problème pour les industries de pointe. Mais il faut savoir que les terres rares ne le sont en fait pas tant que ça. Si la Chine est aujourd'hui le principal fournisseur de terres rares, on en trouve en fait un peu partout. Et l'Ifremer avait même fourni un document montrant les richesses potentielles que l'on pourrait obtenir en exploitant les océans, en particulier les cheminées thermales sous-marines. Le sénat a même lancé une mission d'information sur la question récemment, car on sait finalement peu de choses globalement sur les ressources des fonds marins et sur leur potentialité. On a là pourtant une autre possibilité d'exploitation avec des ressources en grande quantité nous permettant d'être plus autonomes dans le domaine industriel à terme. Mais comme je l'ai dit précédemment, il ne faudrait pas non plus réduire la France à une simple nation exportatrice de matière première. Que ces matières premières viennent de notre sous-sol ou de notre territoire maritime. L'exploitation de ressource doit se faire avec une politique industrielle qui l'accompagne, politique qui n'est pas vraiment possible dans le contre eurolibéral actuel.