Il s'agit d'une question un peu abrupte vue comme cela, mais la situation de déliquescence actuelle du continent ne peut que nous forcer à nous la poser. En effet, alors même que les résultats des multiples plans de rigueur commencent à se faire sentir sur le continent nos élites toujours aussi peu éclairées appuient sur l'accélérateur de la compression des dépenses publiques. Je l'ai expliqué à de multiples reprises sur ce blog, mais je le répète, ce genre de politique n'a de sens que si la nation qui la pratique est la seule à la faire. Et elle ne marchera que si par ailleurs on trouve de la croissance à l'extérieur pour que les exportations puissent prendre le relais de la croissance intérieure anémiée. Or il n'y a pas d'extérieur sur lequel les nations européennes puissent s'appuyer. La croissance aux USA ne redémarrera plus à cause de la contrainte du déficit extérieur. Et l'Asie quant à elle ne fait que tirer sa croissance par ses excédents, ce qui signifie qu'en aucun cas elle ne peut devenir le moteur de la croissance mondiale. Les autres zones économiques sont elles trop petites pour qu'elles puissent tirer le paquebot Europe de la langueur économique.
À cette réalité basique s'ajoute le fait que l'industrie du continent est aujourd'hui en voie d'extinction grâce à la lubie du libre-échange et de l'euro monnaie surévaluée. Je rappelle au passage que même l'Allemagne connait des difficultés sur les marchés extérieurs à la zone euro. Elle a de gros déficits commerciaux avec la Chine, le Japon et certains pays d'Europe de l'Est qui sont ses premiers déficits. Ce qui signifie que l'euro est aussi surévalué pour l'Allemagne. La Zone euro est d'ailleurs globalement en déficit sur son commerce extérieur. Seulement certains pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas compensent ce déficit par des excédents avec leurs proches voisins qui ne peuvent se protéger par des dévaluations, des taxes ou des quotas. Pour se convaincre de cette réalité des pays phares de l'excédent commercial en Europe il suffit de regarder ces données que vous pouvez retrouver sur le site des statistiques allemandes destatis.de.
Sur le site des statistiques allemandes, on trouve aussi les premiers déficits et excédents allemands qui sont assez parlant en eux-mêmes. On voit bien par exemple que les premiers excédents sont surtout des pays de la zone euro. Les USA malgré leur poids économique n'arrivent qu'en troisième position sur le plan des excédents allemands avec 20,5 milliards d'euros contre près de 29 pour la France et de 21 pour la GB. Il n'y a aucun pays asiatique dans la liste, on dit pourtant souvent que l'Allemagne contrairement à ses partenaires bénéficierait de la dynamique asiatique grâce à ses machines-outils. Cela n'est en tout cas pas visible sur la balance commerciale. Bien au contraire d'ailleurs comme on peut le voir sur le tableau suivant .
Sur le graphique suivant, nous voyons ici les principaux déficits commerciaux de l'Allemagne avec en tête la Chine avec près de 23 milliards de déficits. Il y a tout de même des pays européens dans les décis, allemands, mais seule l'Irlande fait partie de la zone euro. La Hongrie et la république tchèque étant les usines de l'Allemagne au même titre que la Chine, il est normal que ce pays connaisse un déficit avec eux. Nous sommes donc très loin d'une Allemagne qui tirerait sa croissance des pays en voie de développement. Et c'est la même chose pour les autres pays excédentaires de la zone euro.
Dans ces conditions, croire qu'une politique de contrition salariale et de compression de la demande intérieure pourra résoudre les problèmes d'endettement et de croissance relève une tare intellectuelle congénitale de la part de ceux qui nous servent d'élite. Nos dirigeants continuent pourtant à croire que leurs remèdes fonctionneront et ce n'est pas le changement de dirigeant en 2012 en France qui y changera quoi que ce soit . On voit d'ailleurs que la crise recommence à se faire sentir en Allemagne puisque la production manufacturière recommence à baisser, alors qu'elle n'avait pas encore atteint le niveau d'avant crise.
Production manufacturière allemande
Les descendants spirituels de Laval et Hoover
En fait, la comparaison avec les dirigeants les plus stupides des années trente est tout à fait pertinente. Nous voyons sous nos yeux et en direct l'histoire se répéter, on peut tout à fait comparer Sarkosy et ses sbires à Pierre Laval ou à Edgar Hoover aux USA, même délires sur les grands équilibres et mêmes résultats en pratique. Les élites d'ailleurs ne parlent en général que des conséquences et non des causes des dettes. On ne parle par exemple absolument pas des déficits commerciaux qui sont parfaitement ignorés de la presse mainstream qui lui préfère des déficits publics. Pourtant la dette et les déficits publics viennent forcément de quelque part? Mais personne dans les médias en dehors de quelques personnalités n'ose dire sa provenance. On oublie qu'ils proviennent d'une part des aides monstrueuses accordées sans contre partie aux banques. Mais aussi et surtout du fait que les délocalisations et la destruction du tissu économique de ces trente dernières années ont contraint bon nombre de nos concitoyens et de nos entreprises à s'endetter pour continuer à vivre. La crise actuelle n'est pas un produit de la météo. C'est avant tout le résultat d'un pourrissement commencé dans les années 70 et qui a été caché par un amoncellement de dettes privées et publiques. Ignorer cet état de fait c'est passer à côté de l'essentiel et c'est surtout ne pas être en mesure de résoudre les problèmes de nos concitoyens. Une nation ne peut pas éternellement importer tout ce qu'elle consomme sans s'appauvrir. Le libre-échange ne nous a pas enrichis, mais appauvris. Importer un produit, alors qu'hier vous le fabriquiez vous même ne peut en aucun cas enrichir votre pays. C'est une chose que les libéraux n'ont toujours pas comprise malheureusement.
C'est à cette réalité qu'est confrontée aujourd'hui non seulement l'Europe, mais tout l'occident. Et c'est une réalité qui est niée par nos dirigeants qui cherchent n'importe quel prétexte pour continuer comme si rien n'avait changé et comme si l'occident était toujours le centre du monde sans aucun concurrent extérieur. Pourtant nombreuses sont les nations aujourd'hui à se jouer des règles établies par les Occidentaux. À commencer par la Chine qui ne joue le jeu du libre-échange que lorsqu'il l'avantage. L'agressivité commerciale de ce pays non seulement contre les nations développées, mais aussi contre d'autres pays en voie de développement devrait faire réagir n'importe quelle personne saine d'esprit. Le paradoxe actuel c'est que l'histoire de ce début de 21e siècle ressemble à celle de la fin du 19e, mais avec une inversion des protagonistes et de leurs comportements commerciaux et économiques. En effet à la fin du 19e c'est l'Europe et les USA qui commencent à pratiquer le protectionnisme essentiellement contre la GB et sa révolution industrielle qui lui a fait prendre une bonne longueur d'avance en matière de productivité du travail. Les pays d'Asie et d'Amérique du Sud à l'exception du Japon sont alors libre-échangistes. Cela conduira ces régions du monde à un sous-développement au 20e siècle. Et cela alors même que l'Amérique du Sud par exemple avait un niveau de vie équivalent, voire même supérieur à la plupart des pays d'Europe avant cette époque. Aujourd'hui, nous assistons à l'histoire inverse. L'Europe reste grande ouverte malgré son déclin industriel accéléré, il en va de même pour les USA. Ces deux régions préparent même psychologiquement leurs populations à vivre dans la grande misère en attendant le retour de la peste et du choléra. En Amérique du Sud par contre ou en Asie on fait du protectionnisme voir même du mercantilisme. Laurent Pinsolle vient d'ailleurs de rappeler dans son dernier texte que l'Argentine protectionniste va plutôt bien et qu'elle se passe très bien de l'emprunt sur les marchés internationaux. La présidente sortante vient d'ailleurs d'être brillamment réélue dès le premier tour. Preuve que le protectionnisme ne rend pas si impopulaire surtout s'il améliore le sort de la majorité de la population. De toute façon, elle n'en a plus besoin puisqu'elle n'a plus de déficit commercial extérieur à couvrir et que sa monnaie est adaptée à son tissu économique. Je rappelle au passage que j'avais parlé plus précisément du cas argentin dans ce texte. On peut espérer qu'un jour la France ou d'autres nations d'Europe puissent suivre le même chemin si par hasard nos pays revenaient à la raison.
Une Europe en déclin accéléré
De fait, nous assistons à une inversion des places dans l'histoire et malheureusement pour les Européens on sait très bien historiquement où finissent les nations qui ne prêtent pas attention à leur tissu industriel. Dans une vingtaine d'années, l'Europe fera probablement partie du tiers-monde si elle n'inverse pas immédiatement la tendance. On voit d'ailleurs déjà chez les jeunes européens des comportements économiques des populations de pays pauvres. Cela va de la restriction volontaire des soins, y compris des soins dentaires, à la réduction à minima des dépenses nutritionnelles. Les jeunes européens ont d'ailleurs pour la plupart déjà baissé les bras et ne s'attendent probablement pas à une quelconque amélioration de leur sort ajoutant ainsi à leurs difficultés, le pessimisme, voire le désespoir pour les plus mal lotis. D'ores et déjà les jeunes européens partent de leurs pays sinistrés économiquement pour fuir la misère. On sait qu'aujourd'hui c'est par l'Espagne et le Portugal que commence la nouvelle grande migration des peuples d'Europe. C'est un phénomène d'autant plus grave qu'il s'agit de pays en fort déclin démographique et vieillissant. Pour que la jeunesse déjà peu nombreuse décide de partir, il faut vraiment que la situation soit intenable. Pour l'instant, la jeunesse de ces pays se réfugie dans d'autres nations d'Europe qui pour l'instant semble moins touchée par la crise. Mais comme vous le savez vous qui lisez ce blog depuis longtemps, la crise touchera tous les pays d'Europe y compris l'Allemagne. Avec l'euro et l'UE pour la première fois, le destin de l'Europe est uniforme, nous coulerons tous ensemble.
Les évènements qui suivront sont assez simples à imaginer en fait. L'étape ultime de la crise sera l'effondrement de la demande française. Car la France est en fait le dernier pilier de la demande en Europe. C'est notamment le pilier qui maintient un semblant de croissance chez nos amis outre-Rhin . Comme je l'avais dit précédemment, c'est donc l'effondrement de la demande intérieure français sous les coups des politiques de compression économique que l'euro devrait être mis en danger. Du moins c'est ce qu'il faut espérer. En effet lorsque l'Allemagne verra ses excédents avec la France fondre, l'intérêt pour elle de se maintenir dans la zone euro aura disparu. La panne économique en Allemagne et la dégradation de la balance des paiements faute de demande dans les pays occidentaux pour compenser les déficits croissants avec l'Asie et l'Europe de l'est, devraient convaincre les Allemands les plus récalcitrants à mettre fin à la zone euro. Il s'agit pour moi de la seule hypothèse crédible qui puisse nous conduire à la fin de la zone euro. Car on ne peut pas compter sur les élites françaises ou autres pour aller dans ce sens, ni sur une révolte des peuples qui semblent tout simplement résignés à leur sort. C'est d'ailleurs probablement un gouvernement socialiste qui fera la grande purge libérale en France et qui mettra ainsi en péril la maigre croissance du continent. On peut aussi imaginer un maintien de la zone et une vaste émigration des jeunes européens comme cela se passe à l'heure actuelle en Espagne et en Grèce. À dire vrai plus le temps passe et plus cette hypothèse me semble crédible. On pourrait assister dans les années qui viennent à une vaste fuite de population de l'Europe vers d'autres régions du monde moins stupidement gérées. Le déclin démographique déjà palpable du continent s'accélèrerait alors subitement pour faire en quelques décennies du continent une espèce de no man's land peuplé de vieux dans des territoires en déclin. Certaines régions d'Allemagne de l'Est préfigurent peut-être déjà ce que sera l'Europe du 21e siècle. L'Allemagne de l'Est avait une accumulation de phénomène du même genre déclin de la natalité, plus une fuite migratoire au début des années 90, avec un déclin économique. Le résultat pour l'Allemagne de l'Est fut une perte de près de trois millions d'habitants.
Nous vivons en tout cas une époque charnière pour le continent, mais l'on sent intuitivement que les bonnes décisions ne seront pas prises. On peut mettre cela sur le dos du vieillissement, de la corruption, ou de la stupidité, le fait est que je ne vois pas vraiment ce qui pourrait inverser la tendance. On peut aussi avoir des surprises aux prochaines élections en France, mais elles ne seront pas forcément très bonnes. L'avenir de l'Europe est donc plus que jamais dans les mains de l'Allemagne, il faut espérer que pour une fois l'égoïsme national allemand serve le continent de façon positive en mettant fin à l'euro. Cela ne mettrait pas fin à tous nos problèmes, mais obligerait les élites à revoir leurs copies. En attendant, nos dirigeants vont à nouveau prêter de l'argent en pure perte pour sauver des banques pour éviter d'avoir à traiter les vrais problèmes de nos nations.