Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Jacques Sapir vient de produire une série d'articles sur la sortie de l'euro et sur la crise grecque pour le site de marianne2. Vous pouvez lire les trois articles en question à ces adresses: partie1, partie2, partie3. Ces articles n'apprendront pas grand-chose à ceux qui connaissent déjà les analyses de Jacques Sapir, cependant il fait œuvre de pédagogie en visant probablement un public plus large qu'à ses habitudes. Il faut dire que l'on sait que les Français malgré la crise de l'euro persistent à croire que le maintien de ce dernier est un moindre mal face aux risques de changement monétaire. La propagande européiste a quand même bien fait son office depuis vingt ans et l'on aura beau expliquer que tout ceci est faux, les gens resteront persuadés que le changement est trop risqué. Et pourtant où sont elle les promesses que les promoteurs de l'euro avaient faites à l'époque de Maastricht? Le chômage a-t-il baissé? La croissance fut-elle plus forte ces dix dernières années? Il n'y a pas eu d'inflation? Pourtant les Français malgré les constats qu'ils font sur la monnaie unique ont peur d'en sortir. Nous pouvons pourtant les rassurer, les quelques exemples que nous avions pris récemment montrant que l'on peut avoir une monnaie nationale et même être un minuscule pays et s'en sortir bien mieux que la grande Europe, aujourd'hui homme malade de l'humanité. Nous avions vu récemment l'exemple de l'Islande, un petit pays qui a subi une crise plus grave encore que la Grèce en 2008-09. En bien deux ans plus tard la croissance est repartie, le pays connait des excédents et le chômage baisse. Tout l'inverse de l'Irlande, de la Grèce ou de l'Espagne qui s'enfoncent de plus en plus dans un trou sans fond. Et pour cause, ces pays ne peuvent pas dévaluer comme l'a fait l'Islande, et ils sont contraints par les multiples règlementations restrictives de la construction européenne. Leur seule solution d'action étant la contraction de la demande intérieure et la hausse du chômage, en attendant l'émigration d'une vaste portion de leur propre population. Il semble d'ailleurs que le Portugal commence à connaître une fuite de sa population active.
Alors il est vrai que tout ne s'explique pas que par la monnaie. L'Islande n'a par exemple pas été assez stupide pour renflouer les banques privées qui avaient pris des risques inconsidérés. On voit qu'ici le gouvernement d'un petit pays éclairé vaux mieux qu'une direction technocratique d'une entité gigantesque comme l'UE. Le caractère démocratique de l'Islande ayant empêché les lobbys de prendre le contrôle du pays en l'endettant stupidement. L'immense Europe est finalement plus fragile face au lobbyisme que les petites nations démocratiques, l'union ne fait donc pas nécessairement la force. Le caractère bureaucratique de l'UE lié à sa nature la rendant incapable de décisions rapides, et sa nature multinationale l'empêche d'avoir un sens de l'intérêt général ce qui favorise la corruption et la non-responsabilité face à ses citoyens. Pour en revenir aux propositions de Jacques Sapir il propose dans son dernier texte une solution parallèle à la sortie de l'euro qu'il juge finalement nettement plus préférable que cette dernière. Cette solution consiste en une monétisation des dettes des états européens couplées à une dévaluation de la monnaie unique. C'est de cette stratégie que je pense discutable par certains aspects que je vais parler maintenant.
Dévaluer l'euro pour le sauver?
Cette stratégie est aussi défendue par mon collègue blogueur Malakine qui en a fait la défense dans un commentaire sur son blog. Un commentaire qu'il avait fait en réponse à un de mes propos sur le débat entre Guaino et Todd. Il soulignait également au passage que c'était le point de vue défendu par Chevènement. Si je reconnais qu'une telle stratégie a potentiellement la possibilité d'alléger notre fardeau commun, je persiste à penser pour plusieurs raisons que je vais étayer que cette stratégie est dangereuse à plusieurs titres. Mais commençons par expliquer en quoi une dévaluation de l'euro couplée à une monétisation pourrait arranger nos affaires.
Le principal problème que connaissent les pays de la zone euro les plus fragiles est leurs déficits commerciaux. C'est à cause de ces déficits commerciaux que ces nations sont obligées de s'endetter toujours plus afin de couvrir le déséquilibre de leur balance des paiements. Dans le système économique actuel, totalement libéral et où l'émission de crédit est essentiellement aux mains des banques privées, les états espagnols grecs ou portugais n'ont eu d'autre choix que de s'endetter vis-à-vis d'acteurs privés. Il fut un temps où les états auraient pu s'endetter entre eux, les pays excédentaires prêtant aux pays déficitaires, mais tel n'est plus notre organisation. Donc ces états se sont endettés sur le secteur privé au prix du marché, c'est à dire au taux d'intérêt que les instituts de notation estimée valable pour leur dette. La dégradation actuelle de la situation provient du fait que les perspectives de remboursement de ces prêts sont mises en doute, pour de bonnes raisons, par la majorité des investisseurs privés. Pour de bonnes raisons parce que la source de l'endettement de ces pays, le déficit commercial, ne semble pas pouvoir se réduire dans les conditions économiques qui ont été construites par la monnaie unique. Or pour rembourser un jour leur dette, les pays qui ont emprunté doivent dégager des marges de manœuvre leur permettant de rembourser ces prêts. Une forte croissance et des excédents commerciaux sont ainsi des moyens permettant de dégager des ressources supplémentaires. Cependant, comment obtenir une croissance et des excédents commerciaux quand votre monnaie est surévaluée et que vous comprimez la demande intérieure du pays en réduisant les salaires et les dépenses de l'état? C'est tout simplement impossible et les marchés l'ont bien compris, ils anticipent donc un défaut sur la dette de la plupart de ces pays. C'est pour cette raison que les taux demandés explosent, on ne leur prête qu'à des conditions insupportables.
C'est ici que la solution dans le cadre d'une non-sortie de l'euro de Jacques Sapir prend son sens. Il s'agit pour lui de palier aux problèmes produit par l'euro et par la situation de surendettement des états en utilisant une méthode qui aura un effet positif sur les deux problèmes en même temps. D'une part pour consolider le bilan des états il propose une monétisation des dettes à l'échelle de la zone euro. Ce serait la banque centrale européenne qui liquiderait en quelque sorte la dette grecque espagnole ou portugaise, c'est une espèce de Quantitative easing européen. Sapir estime entre 1100 et 1300 milliards d'euros la monétisation des dettes publiques en question. Il faut préciser d'ailleurs que même si nous sortions de l'euro la question de la monétisation des dettes publiques se poserait, sauf que dans ce cadre nous devrions avec minutie contrôler la circulation des capitaux pour éviter des effets secondaires graves comme la fuite de capitaux ou l'effondrement monétaire. À l'échelle de l'euro, ce genre de risque n'existe pas vraiment, il est vrai qu'il s'agit là d'un avantage de la monnaie unique. Sauf que cet avantage l'UE n'en use pas et pire comme le disait Emmanuel Todd l'Europe use de sa puissance économique pour se torturer. L'effet secondaire de la monétisation de la dette publique Grecque, Espagnole et autre sera aussi de dévaluer l'euro face aux autres monnaies dans des proportions qu'il est en fait difficile d'imaginer. Mais on peut espérer un retour à un dollar pour un un euro c'est-à-dire au taux de change de l'euro des environs de l'an 2000.
Nous voyons ici que la solution de Jacques Sapir résout nos deux problèmes en même temps parce qu’elle produit un désendettement et qu'en même temps elle produit une dévaluation qui permettra aux pays en déficit commercial de renouer avec un certain équilibre. Il y a quand même un problème d'application politique puisque l'on voit mal l'Allemagne et sa peur de l'inflation accepter une monétisation des dettes, le souvenir de la période de la république de Weimar l'ayant apparemment condamné à se fermer pour toujours ce type de solution. Ensuite cette solution ne permet pas un rééquilibrage interne de la zone euro, ce qui nous conduit également à réfléchir aux conséquences néfastes de cette politique à l'extérieur de la zone européenne.
L'euro c'est notre monnaie, c'est votre problème.
Pour paraphraser John Connally le secrétaire d'État américain au trésor pendant la période Nixon, celle de l'abandon du système du dollar basé sur l'or, on peut dire que la solution de Jacques Sapir consiste à dire « L'euro c'est notre devise, c'est votre problème ». En effet quelque part pour contrer les problèmes inhérents à la nature de la monnaie unique nous allons produire ici une politique qui va expulser vers d'autres régions du monde nos problèmes économiques. Pour la bonne et simple raison, que les pays qui ont des excédents à l'intérieure de la zone euro, à l'heure actuelle, vont se retrouver excessivement avantagés une fois l'euro revenu à des niveaux plus faibles. Il faut bien voir que d'un point de vue comptable et en moyenne l'euro actuel globalement n'est pas surévalué. La zone euro a juste un léger déficit commercial, donc on ne peut pas dire que la zone euro ait une monnaie surévaluée, elle l'est, mais uniquement pour certains pays membres. Pour les autres membres, ceux qui sont en excédent, l'euro est beaucoup trop faible. Que se passerait-il si l'euro était dévalué pour revenir une parité d’un dollar? C'est simple, les pays qui ont des déficits retrouveraient une balance en équilibre, mais ils compenseraient en fait leurs déficits avec des pays comme l'Allemagne en ayant des excédents avec des pays comme les USA, le Canada, ou l'Australie. De leur côté les pays qui sont déjà en excédent verraient ceux-ci exploser pour atteindre des niveaux difficilement imaginables. En effet, ils maintiendraient leurs excédents avec les PIGS parce que la dévaluation de l'euro ne changerait rien au commerce intracommunautaire, mais en plus ils verraient leurs excédents avec l'extérieur exploser sous l'effet de la dévaluation de l'euro.
Jusqu'à combien l'Allemagne verrait-elle alors son excédent passer ? 10 ou 15% de son PIB, voir peut-être plus. Et quel effet une telle politique aurait-elle sur la croissance du reste de la planète? L'Europe se transformerait en une gigantesque machine mercantiliste produisant entrainant une baisse mondiale de la demande, car les autres régions du monde aussi auraient comme stratégie de résister en dévaluant face aux excédents accumulés par la zone euro sous-évaluée. Donc comme on le voit la stratégie de Jacques Sapir si elle est théoriquement intéressante pour les pays membres consiste en fait à expatrier notre problème de déséquilibre commercial interne vers d'autres pays. Ce n'est donc pas une solution. Nous sommes toujours coincés dans le fait qu'il est impossible d'avoir une seule monnaie pour des pays aux économies largement divergentes. On ne trouve pas de juste milieu et chaque solution collective à l'échelle de la zone euro, produit des effets collatéraux extrêmement graves. Soit nous laissons le taux de change tel qu'il est, et les PIGS coulent, puis l'Italie et la France. Soit on dévalue, et l'on fait couler les pays à l'extérieur de la zone euro. On remarquera au passage que les seules qui ne risquent rien sont les Allemands dans ces deux solutions. Il nous faudra donc nécessairement envisager des solutions différenciées pour chaque nation de la zone euro. À chaque problème, sa solution, puisqu’une solution globale produit toujours des effets secondaires non désirables.
Si on reste dans l'euro alors on peut penser par exemple à une relance de la demande intérieure dans les pays excédentaires. Si l'Allemagne augmentait par exemple de 20% ses salaires, les autres pays pourraient rééquilibrer leur balance commerciale en exportant plus chez elles. Une relance dans les pays excédentaires tirerait la croissance du continent tout en rééquilibrant les balances commerciales au sein de la zone euro. Dans un tel scénario, une dévaluation de l'euro n'aurait pas d'effets dévastateurs à l'extérieur, car les excédents allemands se réduiraient petit à petit. On peut donc imaginer une monétisation des dettes des PIGS couplée à une relance des salaires des pays excédentaires de la zone. On réduirait ici le gonflement de l'excédent de la zone euro qui coïnciderait avec la dévaluation produite par la monétisation. L'autre solution serait de permettre un protectionnisme intérieur et extérieur à la zone euro. On garderait l'euro comme monnaie unique, mais on laisserait à chaque état le soin de protéger son commerce avec des quotas et des droits de douane. Ces derniers ne seraient autorisés que pour les pays en déficit commercial de façon à ce qu'ils remontent la pente jusqu'à rétablir leurs équilibres macroéconomiques.