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Pour cette fin d'année, et pour Noël, Jacques Sapir a fait un interview avec Georges Kuzmanovic, le président du parti souverainiste de gauche République Souveraine. À l'occasion Jacques Sapir nous a fait quelques propositions en vue de redresser le pays si par le plus grand des hasards des dirigeants bien intentionnés y arrivaient, ce qui n'est vraiment pas gagné, il faut bien l'admettre malheureusement. Vous pouvez librement voir cet interview sur la chaîne de République Souveraine, Fréquence populaire. Alors bien évidemment je souscris une grande partie des arguments de Jacques Sapir, même si vous allez le voir je le trouve trop timoré sur bien des points, et je pense qu'il se trompe sur quelques autres. Après tout ceci est un peu sujet à spéculation puisque dans la politique comme ailleurs il y a toujours un écart assez grand entre la théorie et la pratique. C'est d'autant plus vrai en politique qu'il y a tout un tas de paramètres à prendre en compte qui ne concerne pas forcément les sujets sur lesquels nous raisonnons. Les contraintes purement politiques par exemple peuvent souvent empêcher de vrais politiques d'intérêt général. Les rapports de force interne et externe compte énormément et l'on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut.
Sans oublier les événements aléatoires qui peuvent aussi produire des variations dans les stratégies à adopter. S'il y a une chose à véritablement rejeter dans les classes pratiques politiques actuelles c'est l'entêtement dans l'idéologie et l'incapacité à s'adapter au monde réel et à adapter ses idées à cette réalité. Bien diriger la France demandera avant tout du pragmatisme sur tous les sujets et non une action aux idées totalement préconçues, quelles qu'elles soient. La première proposition de Jacques Sapir s'est fait étonnement sur les questions d'organisation du pouvoir. Ce dernier a préconisé un changement dans le fonctionnement gouvernemental par la création de trois ou quatre grands ministres regroupant actuellement divers ministères. Je dois avouer ne pas savoir s'il s'agit là d'une question d'importance. L'organisation en elle-même ne m'ayant jamais véritablement intéressé pour tout vous dire. Il est par contre dommage que Jacques Sapir n'en ait pas profité pour parler de l'organisation de la cinquième république. Il semblerait que les Français pensent de plus en plus à une nouvelle constitution. Avant cela il faudrait peut-être penser simplement à rendre à la constitution actuelle son sens premier. Là par contre Sapir en parle à travers l'usage des référendums. Et il est clair que depuis le viol du référendum de 2005, quelque chose d'important s'est cassé en France en matière démocratique.
Donc tant qu'à parler d'organisation il est clair que réutiliser la constitution telle qu'elle a été pensée à l'origine permettrait peut-être de redresser la barre. À dire vrai je vois très mal la France actuelle et ses « élites » être capables de réécrire une constitution correcte qui ne soit pas remplie par un amoncellement d'idioties à la mode. On l'a vu récemment avec l'introduction de l'avortement dans la constitution, une chose qui n'a absolument rien à y faire, qu'on soit pour ou contre l'avortement. Une constitution n'est pas une loi, c'est un cadre qui organise l'exercice du pouvoir, rien de plus et rien de moins. Pas un lieu où l'on impose toutes les lubies du moment. Donc plutôt que d'abandonner totalement la cinquième république, il me semble qu'on devrait d’abord essayer de la sauver. Cela passe par un retour au septennat et peut-être à l'imposition de certaines règles qui étaient implicites sans être écrites à l'époque de De Gaulle, mais qui ont été ignorées par les olibrius qui lui ont succédé. Par exemple, un président qui perdrait une élection législative après une dissolution de son fait devrait automatiquement perdre son mandat. Ce n'est qu'un simple exemple.
Le préalable à la sortie de l'euro et l'UE
Mais revenons au cœur du sujet d'aujourd'hui, le redressement français. Jacques Sapir attaque directement sur l'une des questions centrales, la sortie de l'euro. L'euro est l'un des grands facteurs des difficultés macroéconomiques françaises. On le sait depuis longtemps. La France n'est pas la seule dans ce cas d'ailleurs. La pauvre Italie a par exemple encore plus souffert que nous de la monnaie unique, ce pays n'a plus de croissance depuis la fin des années 90. Il rappelle au demeurant qu'il y a des pays qui sont effectivement membre de l'UE, mais pas membre de l'euro c'est le cas de la Suède ou du Danemark par exemple. On remarque d'ailleurs assez rapidement que les pays qui sont dans l'UE, mais pas dans l'euro ont eu une meilleure croissance et ont plus vite récupéré des crises comme celle de 2008. D'autre part, un pays comme la Pologne qui est dans l'UE, mais pas dans l'euro a largement bénéficié de cette situation, car elle avait en plus l'avantage des bas salaires ce qui lui a permis de drainer une grande part de l'industrie des anciens pays développés de l'ouest. Comme nous l'avions vu il y a quelque temps dans ce texte, les pays de l'Est deviennent commercialement aussi problématiques que l'Allemagne pour l'ouest. Nous avons littéralement subventionné notre propre désindustrialisation à travers les mécanismes de l'UE et de l'euro.
Donc on le voit, la sortie de l'euro est un préalable au redressement économique et Jacques Sapir l'explique très bien. Cependant, je pense qu'il se trompe sur le fait que la sortie de l'euro de la part de la France sera une espèce de scandinavisation de la situation européenne de la France. Si l'UE a accepté cette situation pour les pays scandinaves par exemple c'était pour plusieurs facteurs. Le premier est qu'il s'agit de petit pays. Entendons bien, petit sur le plan démographique et économique. La Suède au sens géographique est d'ailleurs un assez grand pays. Mais ce sont des pays qui ne sont pas membre fondateur de l'UE. Le Danemark est rentré dans la CEE en 1973 en même temps que les Anglais et les Suédois nous ont rejoints en 1995, peu de temps avant l'euro en fait. À l'inverse la France fait partie des membres fondateurs et c'est le second contributeur net au sein de l'UE. Ensuite, les pays non membres de l'euro n'ont jamais été membres justement. Ils n'ont pas eu à en sortir, personne jusqu'à présent n'est sorti de l'euro. La sortie d'un membre de la zone euro va mécaniquement déstabiliser cette zone monétaire, surtout un membre aussi important que la France. La zone déjà trop excédentaire commercialement se retrouverait avec un excédent encore plus important, ce qui pourrait produire une hausse importante de la valeur de l'euro. Chose qui pourrait nuire à certains membres restants comme l’Italie.
Et j'en viens donc au dernier argument. D'autres pays seront nécessairement tentés par la sortie de l'euro si la France part, à commencer par l'Italie l'autre grande victime de cette monnaie stupide. Donc l'hypothèse de Sapir d'une France sortant de l'euro, mais restant dans l'UE me paraît peu crédible en fait. Je pense que l’enchaînement des événements fera mécaniquement imploser une institution qui ne tient plus que par les menaces contre ses pays membres. N'oublions pas non plus que les partis anti-UE grimpent fortement en Allemagne, c'est le moins que l'on puisse dire. Du reste, l'UE c'est un peu comme le vélo, si on n’avance pas on tombe. La fin de l'euro suite à cet enchaînement aura un impact sur toute la volonté européenne. Cette mécanique folle qui avancent toute seule, sans les peuples depuis des décennies, ne survivrait pas, je pense, à la fin de son aboutissement logique qu'était la monnaie unique. Car la monnaie unique c'était pour ses créateurs le moyen de mettre définitivement fin aux États-nations en créant un état fédéral. C'est d'ailleurs assez paradoxal de voir cette fuite en avant fédérale au moment même où les difficultés du continent liées justement à cette construction s'accumulent. La fin de l'euro sera donc la fin de l'UE et la fin de l'Europe de Monnet et Schuman. Le fantasme européen qui date en réalité des deux guerres mondiales est qui est passablement anachronique aujourd'hui.
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Donc non, il n'y aura pas d'UE sans l'euro pour la France. La sortie de l'un produira mécaniquement la sortie de l'autre. Autant sortir des deux immédiatement. Pour ce qui est des effets des dévaluations, Sapir explique ensuite très bien les effets. Effectivement, les dévaluations renchérissent les importations, mais elles favorisent aussi les exportations. Le but étant de rééquilibrer notre balance commerciale et de réindustrialiser. En gros, une dévaluation a les mêmes effets que des droits de douane sur les importations couplées à des subventions gratuites pour l'état aux exportations. Les produits locaux coûtent moins cher pour les étrangers. Rappelons ici qu'en 1958 pour redresser la situation économique désastreuse liée surtout à la guerre d'Algérie, De Gaulle et le président de la banque de France de l'époque dévalue le franc à deux reprises. Une première fois de 20% puis une seconde fois de 17,5% la même année, des mesures phares du plan Pinay-Rueff. Ce qui est drôle c'est qu'à cette occasion on crée le nouveau franc, dis le franc « lourd », qui vaudra 100 anciens francs. La dévaluation permettra de redresser l'économie, mais il faut bien voir que la situation internationale était assez différente d'aujourd'hui. Plus proche de notre époque, l'Islande, dont je parle souvent, a dévalué de 70% en 2008. Bien plus que les dévaluations qu'on imagine nécessaires pour la France qui se situe autour de 20%. Et bien l'Islande a connu une inflation maximale de 12% puis une baisse rapide en trois ans environ. Sa balance commerciale a vite repris des couleurs et la croissance est repartie, contrairement à la Grèce qui elle avait fait le choix de rester dans l'euro et de ne pas dévaluer. On connaît la triste suite pour ce pays. Mais nous continuerons à parler de tout ceci dans la seconde partie.