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26 décembre 2024 4 26 /12 /décembre /2024 15:34

 

Pour cette fin d'année, et pour Noël, Jacques Sapir a fait un interview avec Georges Kuzmanovic, le président du parti souverainiste de gauche République Souveraine. À l'occasion Jacques Sapir nous a fait quelques propositions en vue de redresser le pays si par le plus grand des hasards des dirigeants bien intentionnés y arrivaient, ce qui n'est vraiment pas gagné, il faut bien l'admettre malheureusement. Vous pouvez librement voir cet interview sur la chaîne de République Souveraine, Fréquence populaire. Alors bien évidemment je souscris une grande partie des arguments de Jacques Sapir, même si vous allez le voir je le trouve trop timoré sur bien des points, et je pense qu'il se trompe sur quelques autres. Après tout ceci est un peu sujet à spéculation puisque dans la politique comme ailleurs il y a toujours un écart assez grand entre la théorie et la pratique. C'est d'autant plus vrai en politique qu'il y a tout un tas de paramètres à prendre en compte qui ne concerne pas forcément les sujets sur lesquels nous raisonnons. Les contraintes purement politiques par exemple peuvent souvent empêcher de vrais politiques d'intérêt général. Les rapports de force interne et externe compte énormément et l'on ne peut pas toujours faire ce que l'on veut.

 

Sans oublier les événements aléatoires qui peuvent aussi produire des variations dans les stratégies à adopter. S'il y a une chose à véritablement rejeter dans les classes pratiques politiques actuelles c'est l'entêtement dans l'idéologie et l'incapacité à s'adapter au monde réel et à adapter ses idées à cette réalité. Bien diriger la France demandera avant tout du pragmatisme sur tous les sujets et non une action aux idées totalement préconçues, quelles qu'elles soient. La première proposition de Jacques Sapir s'est fait étonnement sur les questions d'organisation du pouvoir. Ce dernier a préconisé un changement dans le fonctionnement gouvernemental par la création de trois ou quatre grands ministres regroupant actuellement divers ministères. Je dois avouer ne pas savoir s'il s'agit là d'une question d'importance. L'organisation en elle-même ne m'ayant jamais véritablement intéressé pour tout vous dire. Il est par contre dommage que Jacques Sapir n'en ait pas profité pour parler de l'organisation de la cinquième république. Il semblerait que les Français pensent de plus en plus à une nouvelle constitution. Avant cela il faudrait peut-être penser simplement à rendre à la constitution actuelle son sens premier. Là par contre Sapir en parle à travers l'usage des référendums. Et il est clair que depuis le viol du référendum de 2005, quelque chose d'important s'est cassé en France en matière démocratique.

 

Donc tant qu'à parler d'organisation il est clair que réutiliser la constitution telle qu'elle a été pensée à l'origine permettrait peut-être de redresser la barre. À dire vrai je vois très mal la France actuelle et ses « élites » être capables de réécrire une constitution correcte qui ne soit pas remplie par un amoncellement d'idioties à la mode. On l'a vu récemment avec l'introduction de l'avortement dans la constitution, une chose qui n'a absolument rien à y faire, qu'on soit pour ou contre l'avortement. Une constitution n'est pas une loi, c'est un cadre qui organise l'exercice du pouvoir, rien de plus et rien de moins. Pas un lieu où l'on impose toutes les lubies du moment. Donc plutôt que d'abandonner totalement la cinquième république, il me semble qu'on devrait d’abord essayer de la sauver. Cela passe par un retour au septennat et peut-être à l'imposition de certaines règles qui étaient implicites sans être écrites à l'époque de De Gaulle, mais qui ont été ignorées par les olibrius qui lui ont succédé. Par exemple, un président qui perdrait une élection législative après une dissolution de son fait devrait automatiquement perdre son mandat. Ce n'est qu'un simple exemple.

 

Le préalable à la sortie de l'euro et l'UE

 

Mais revenons au cœur du sujet d'aujourd'hui, le redressement français. Jacques Sapir attaque directement sur l'une des questions centrales, la sortie de l'euro. L'euro est l'un des grands facteurs des difficultés macroéconomiques françaises. On le sait depuis longtemps. La France n'est pas la seule dans ce cas d'ailleurs. La pauvre Italie a par exemple encore plus souffert que nous de la monnaie unique, ce pays n'a plus de croissance depuis la fin des années 90. Il rappelle au demeurant qu'il y a des pays qui sont effectivement membre de l'UE, mais pas membre de l'euro c'est le cas de la Suède ou du Danemark par exemple. On remarque d'ailleurs assez rapidement que les pays qui sont dans l'UE, mais pas dans l'euro ont eu une meilleure croissance et ont plus vite récupéré des crises comme celle de 2008. D'autre part, un pays comme la Pologne qui est dans l'UE, mais pas dans l'euro a largement bénéficié de cette situation, car elle avait en plus l'avantage des bas salaires ce qui lui a permis de drainer une grande part de l'industrie des anciens pays développés de l'ouest. Comme nous l'avions vu il y a quelque temps dans ce texte, les pays de l'Est deviennent commercialement aussi problématiques que l'Allemagne pour l'ouest. Nous avons littéralement subventionné notre propre désindustrialisation à travers les mécanismes de l'UE et de l'euro.

 

Donc on le voit, la sortie de l'euro est un préalable au redressement économique et Jacques Sapir l'explique très bien. Cependant, je pense qu'il se trompe sur le fait que la sortie de l'euro de la part de la France sera une espèce de scandinavisation de la situation européenne de la France. Si l'UE a accepté cette situation pour les pays scandinaves par exemple c'était pour plusieurs facteurs. Le premier est qu'il s'agit de petit pays. Entendons bien, petit sur le plan démographique et économique. La Suède au sens géographique est d'ailleurs un assez grand pays. Mais ce sont des pays qui ne sont pas membre fondateur de l'UE. Le Danemark est rentré dans la CEE en 1973 en même temps que les Anglais et les Suédois nous ont rejoints en 1995, peu de temps avant l'euro en fait. À l'inverse la France fait partie des membres fondateurs et c'est le second contributeur net au sein de l'UE. Ensuite, les pays non membres de l'euro n'ont jamais été membres justement. Ils n'ont pas eu à en sortir, personne jusqu'à présent n'est sorti de l'euro. La sortie d'un membre de la zone euro va mécaniquement déstabiliser cette zone monétaire, surtout un membre aussi important que la France. La zone déjà trop excédentaire commercialement se retrouverait avec un excédent encore plus important, ce qui pourrait produire une hausse importante de la valeur de l'euro. Chose qui pourrait nuire à certains membres restants comme l’Italie.

 

Et j'en viens donc au dernier argument. D'autres pays seront nécessairement tentés par la sortie de l'euro si la France part, à commencer par l'Italie l'autre grande victime de cette monnaie stupide. Donc l'hypothèse de Sapir d'une France sortant de l'euro, mais restant dans  l'UE me paraît peu crédible en fait. Je pense que l’enchaînement des événements fera mécaniquement imploser une institution qui ne tient plus que par les menaces contre ses pays membres. N'oublions pas non plus que les partis anti-UE grimpent fortement en Allemagne, c'est le moins que l'on puisse dire. Du reste, l'UE c'est un peu comme le vélo, si on n’avance pas on tombe. La fin de l'euro suite à cet enchaînement aura un impact sur toute la volonté européenne. Cette mécanique folle qui avancent toute seule, sans les peuples depuis des décennies, ne survivrait pas, je pense, à la fin de son aboutissement logique qu'était la monnaie unique. Car la monnaie unique c'était pour ses créateurs le moyen de mettre définitivement fin aux États-nations en créant un état fédéral. C'est d'ailleurs assez paradoxal de voir cette fuite en avant fédérale au moment même où les difficultés du continent liées justement à cette construction s'accumulent. La fin de l'euro sera donc la fin de l'UE et la fin de l'Europe de Monnet et Schuman. Le fantasme européen qui date en réalité des deux guerres mondiales est qui est passablement anachronique aujourd'hui.

 

Donc non, il n'y aura pas d'UE sans l'euro pour la France. La sortie de l'un produira mécaniquement la sortie de l'autre. Autant sortir des deux immédiatement. Pour ce qui est des effets des dévaluations, Sapir explique ensuite très bien les effets. Effectivement, les dévaluations renchérissent les importations, mais elles favorisent aussi les exportations. Le but étant de rééquilibrer notre balance commerciale et de réindustrialiser. En gros, une dévaluation a les mêmes effets que des droits de douane sur les importations couplées à des subventions gratuites pour l'état aux exportations. Les produits locaux coûtent moins cher pour les étrangers. Rappelons ici qu'en 1958 pour redresser la situation économique désastreuse liée surtout à la guerre d'Algérie, De Gaulle et le président de la banque de France de l'époque dévalue le franc à deux reprises. Une première fois de 20% puis une seconde fois de 17,5% la même année, des mesures phares du plan Pinay-Rueff. Ce qui est drôle c'est qu'à cette occasion on crée le nouveau franc, dis le franc « lourd », qui vaudra 100 anciens francs. La dévaluation permettra de redresser l'économie, mais il faut bien voir que la situation internationale était assez différente d'aujourd'hui. Plus proche de notre époque, l'Islande, dont je parle souvent, a dévalué de 70% en 2008. Bien plus que les dévaluations qu'on imagine nécessaires pour la France qui se situe autour de 20%. Et bien l'Islande a connu une inflation maximale de 12% puis une baisse rapide en trois ans environ. Sa balance commerciale a vite repris des couleurs et la croissance est repartie, contrairement à la Grèce qui elle avait fait le choix de rester dans l'euro et de ne pas dévaluer. On connaît la triste suite pour ce pays. Mais nous continuerons à parler de tout ceci dans la seconde partie.

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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 14:56

 

Une information vient de passer subrepticement en provenance du Japon. La ville de Tokyo vient en effet de mettre en place une nouvelle politique visant à redresser la natalité locale. Elle va rendre gratuites les places en crèche. Si cela paraît assez anecdotique comme information, c'est tout de même un changement assez fort pour un pays qui reste terriblement traditionaliste sur les questions familiales. Il ne s'agit bien évidemment que d'une mesure dans une ville, mais quand on connaît le poids de Tokyo au Japon on imagine bien que le reste du pays finira par suivre. Il faut dire que le Japon est désormais au pied du mur. Contrairement aux Européens et à des pays comme l'Allemagne qui n'ont pas voulu affronter le problème, les Japonais ne font pas massivement recours à l'immigration pour compenser leur effondrement démographique. Or à l'heure actuelle le Japon perd 500000 habitants par an et cela va s'accélérer. Et si certains ont longtemps peint le Japon comme un pays avec un problème économique, ce n'est plus vrai. Le Japon a maintenant surtout un problème démographique qui se traduit bien évidemment en problème économique.

 

En effet, une réduction mécanique de la population fait naturellement décroître la consommation et les activités de production. Difficile d'avoir une croissance économique quand le nombre de consommateurs et de travailleurs potentiel diminuent. Keynes fut un précurseur sur cette question, car il est l'un des premiers économistes à avoir réfléchi aux conséquences d'un déclin démographique sur l'économie d'un pays. Il fut précurseur parce qu'à l'époque où il écrivit ses réflexions sur ce sujet le monde connaissait bien au contraire une croissance démographique importante. Mais Keynes avait bien suivi les évolutions en Grande-Bretagne et il voyait bien la tendance baissière sur le plan de la fécondité. En prolongeant les tendances, il en a vite conclu qu'un jour ou l'autre la fécondité baisserait sous le seuil de renouvellement des générations et donc produirait une baisse de la population à longue échéance. Ce phénomène s'est produit en Europe et aux USA dans les années 70. Une période qui fut réellement charnière, car bon nombre des problèmes que nous connaissions aujourd'hui viennent étrangement pour une très grande part de cette décennie étrange.

 

Keynes montra sans son essai : « Quelques conséquences d'un déclin de la population » que la croissance de la population avait contribué au moins pour moitié à la croissance économique générale de la Grande-Bretagne au 19e siècle. Le progrès technique et organisationnel qui produisirent les gains de productivité ne fournit donc que la moitié de la croissance économique réelle. Chose qu'il est assez facile d'admettre lorsque l'on connaît l'histoire du déclin relatif français. Alors que la France suivait la Grande-Bretagne sur le plan de l'industrialisation, elle n'était pas aussi dynamique. Et pour cause sa démographie était largement stagnante. Un coup d’œil à l'évolution des populations montre au fond le changement qu'ont connu les rapports de force sur le continent européen. Pendant très longtemps la France était de loin le pays le plus peuplé du continent. Mais à partir de 1750 le pays connaît la première transition démographique de la planète entraînant une perte de poids très rapide. Rendez-vous compte, en 1800, la France est trois fois plus peuplée que la Grande-Bretagne, seule la Russie la dépasse de peu avec 31 millions d'habitants contre 29 en France. Mais en 1900 La France est alors moins peuplée que l'Allemagne, la Grande-Bretagne et beaucoup moins que la Russie.

 

 

Donc on le voit bien, cette réalité démographique a bien évidemment un poids énorme sur les évolutions économiques et la croissance générale. La déconnexion que nous avons connue entre l'évolution économique et la démographique est en fait assez récente, c'est la période justement d'industrialisation qui a permis à certains pays précoces comme la Grande-Bretagne puis les autres pays d'Europe de peser bien plus lourd dans l'économie mondiale que ce qu'ils représentaient démographiquement. Mais comme l'a souligné Jacques Sapir dans son dernier livre consacré aux BRICS cette période est terminée. Avec la globalisation, les Occidentaux ont en fait perdu le secret de leur domination. Le savoir technique et scientifique s’est répandu sur toute la planète. La hausse du niveau d'instruction un peu partout accélérant cette transition. Le monde va petit à petit reprendre les équilibres géopolitiques d'avant la révolution industrielle à savoir que le poids de chaque pays correspondra de plus en plus à son poids démographique planétaire.

 

Un problème qui va devenir planétaire

 

Le Japon a désormais conscience de son problème démographique et commence enfin à vouloir sortir de sa torpeur en la matière. Rien ne dit que cette politique fonctionnera. Il faut bien admettre que nous ne savons pas nécessairement pourquoi les gens dans leur masse font ou ne font pas d'enfants. Mais créer des conditions de vie plus favorables pour les familles ne pas avoir d'effet négatif sur cette question. Même si dans le cas japonais il reste encore beaucoup à faire pour arriver ne serait-ce qu'au niveau des standards moyens en Europe. L'école coûte cher au Japon et il est très difficile pour les femmes de concilier travail et vie de famille. À tel point que les femmes choisissent généralement le travail ou la famille. Il est assez courant qu'une femme arrête simplement de travailler lorsqu'elle a un enfant. C'est d'ailleurs pour cette raison que les femmes japonaises sont si regardantes sur les revenus de leur futur conjoint. En tout cas de manière bien plus ouverte que dans d'autres pays. Il faut impérativement que le salaire de l'homme seul suffise à subvenir aux besoins d'une famille. Chose qui est de plus en plus rare au Japon, la globalisation et la grande stagnation depuis la bulle des années 80, ayant passablement abîmé le niveau de revenu des salariés japonais.

 

N'oublions pas que si nous avons l'Allemagne comme concurrent direct, avec l'Europe de l'Est comme usine. Le Japon est entouré de puissance montante. Le Japon a ainsi fortement délocalisé en Chine, et avant cela en Corée du Sud. Sans parler du reste de l'Asie qui monte. Pas de quoi favoriser à long terme le Made in Japan. Ce pays paie en quelque sorte le prix d'avoir été un peu trop précurseur dans la région que ce soit au plan industriel ou démographique. Mais cette évolution, nous le savons, ne fait que préfigurer une évolution plus générale. La Chine est d'ores et déjà soumise aux effets du vieillissement. Les jeunes sont de moins en moins nombreux à rentrer sur le marché du travail. Les derniers chiffres sur la consommation de pétrole montrent également les effets du ralentissement économique chinois dont on avait déjà parlé précédemment. Ce pays ayant construit un modèle exportateur qui n'a plus de sens depuis qu'elle est la première puissance économique du monde. Le Japon montre donc un peu ce que sera la Chine puis le reste de l'Asie dans 20 ou 30 ans. Reste à savoir s'il pourra redresser sa natalité plus ou moins rapidement.

 

 

Rappelons que les pays comme la France ou les pays scandinaves ont des politiques familiales assez généreuses. Jusqu'à il y a quelques années, ces pays connaissaient effectivement une natalité moins mauvaise qu'ailleurs, en particulier en France. Mais la baisse très rapide des naissances en France semble mettre cette logique en défaut. Même s'il faut rappeler que les politiciens français, en particulier Hollande, ont cassé en partie ces politiques. En tout cas si la politique peut peut-être redresser la situation il ne faut pas hésiter à faire dans l'original si je puis dire et à tenter des choses nouvelles même si l'on se trompera sûrement quelquefois. Le plus important, je pense, est de construire réellement une société qui rassure les parents et qui leur permet de se projeter dans l'avenir. Il est clair que sur ce plan la seule politique familiale ne pourra pas par exemple compenser les imbécillités macroéconomiques que nos dirigeants ont faites depuis 50 ans. L'instabilité de l'emploi, les logements trop coûteux sont autant de choses délétères pour la natalité et la projection dans l'avenir. D'ailleurs, ne nous étonnons pas si l'effondrement de la natalité en occident a accompagné l'ouverture au commerce international. Les fermetures d'usines dans les années 70-80, ce n'était pas simplement des fermetures d'usines, mais aussi des vies et des familles brisées et donc une baisse des naissances inéluctables.

 

Le redressement des démographies de nos pays ne pourra pas se faire tant que nous laisserons tant de gens dans l'indigence. Une politique économique qui ne s'inquiète que des rendements pour les actionnaires et des revenus pour les 1% d'en haut ne peut pas se plaindre ensuite des conséquences collectives en matière de démographie. La chimère de l'immigration se fracassant de plus en plus ouvertement sur le mur de l'islam conquérant, il ne reste plus qu'à refaire des bébés. Mais pour ça il faudra inéluctablement remettre le capital sous clef et les entreprises dans le cadre de l'économie nationale. On ne peut plus dissocier la démographie de la question économique comme nous l'avons fait trop longtemps.

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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 15:31

 

Une information qui a été reprise un peu partout vient de sortir sur les premières mesures commerciales de monsieur Trump. Elles disent plus long qu'un grand discours sur les orientations réelles du nouveau président américain. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'option nationale, dont il se prévaut, recule pendant qu’apparaît en réalité une vision impériale comme la précédente, mais sous une autre forme. En effet loin de faire du protectionnisme un outil au service d'une réindustrialisation nationale, Trump fait du protectionnisme le même usage que Biden à savoir un moyen de pression et une arme à l'encontre de leur principal adversaire stratégique qu'est la Chine. Il vient en effet de menacer les pays qui voudraient rejoindre la proposition des BRICS sur la création d'une unité de compte internationale pour remplacer le dollar dans les échanges internationaux. Cette proposition fut l'une des questions les plus importantes abordées pendant la récente réunion des BRICS qui s'est tenue à Kazan. Vous pouvez lire les documents en anglais qui résume les prises de position des différents partenaires lors de cette importante réunion. Une réunion que l'on pourrait facilement comparer à celle de Yalta à la sortie de la Seconde Guerre mondiale ou à celle de Bretton Woods.

 

Trump compte donc taxer à 100% les pays qui entreraient dans cette logique pourtant nécessaire en réalité de la réorganisation de la structure monétaire du commerce international. Car nul ne peut prétendre de façon rationnelle qu'il est logique qu'un pays en particulier détienne le droit d'émettre de la monnaie internationale. Cette situation pouvait peut-être se justifier en 1945 par le poids des USA sur l'économie mondiale, mais il s'agissait déjà à l'époque d'une justification par le rapport de force et non par la logique de la bonne gouvernance, si je puis dire. Keynes avait d'ailleurs prévenu ses homologues américains des dangers que ce type de privilège pouvait produire à plus longue échéance. L'initiative des BRICS est donc d'un point de vue logique totalement justifiée, et cela même si les BRICS n'avaient pas représenté le poids qu'ils ont désormais. On rappellera d'ailleurs au passage qu'à l'origine le projet de la monnaie européenne avait justement pour but d'échapper au privilège du dollar. Et si l'euro n'avait pas été transformé en outils pour créer un fantasque état fédéral européen peut-être aurait-il pu avoir cette fonction. Les BRICS tentent la même chose, mais de façon beaucoup moins stupide et idéologique.

 

Pour en revenir à notre sujet principal, comme nous l'avions vu dans le cas du protectionnisme sous Biden, l'on voit bien que le nouveau protectionnisme américain ne répond pas vraiment à l'objectif affiché. Officiellement, Trump, tout comme Biden, et avant eux Obama, qui fut le premier à remettre en question le libre-échange en réalité, utilise le protectionnisme pour faire de l'America First comme il dit. Il présente le protectionnisme comme un outil visant à réindustrialiser le pays qui croule sous les déficits commerciaux. Comme je l'ai dit récemment après une remontée partielle, le déficit commercial américain recommence à plonger depuis quelques mois. L'on pourrait dès lors tout à fait abonder dans le sens de Trump et comprendre la nécessité d'un protectionnisme pour redresser la balance commerciale. Le problème n'est pas là, sauf pour les obsédés idéologiques du libre-échange bien entendu. Mais l'on voit bien qu'il y a quelque chose de problématique dans ce nouveau protectionnisme américain. En effet, il cible certains pays en particulier et il est visiblement avant tout une démarche géopolitique plus qu'économique.

 

D'une part, nous avons vu la multiplication des menaces et du protectionnisme anti-chinois. Les USA ont tout fait pour nuire aux industriels chinois et cela ne s'arrête pas à quelques droits de douane. Ils ont par exemple obligé l'entreprise néerlandaise ASLM à couper ses liens avec la Chine, elle qui produit les machines nécessaires à la lithographie des circuits imprimés pour les semi-conducteurs. On n’est pas du tout dans la volonté d'une politique de réindustrialisation ici, mais uniquement dans une stratégie de nuisance vis-à-vis d'un adversaire qui monte en gamme et dont on veut arrêter sa montée en gamme. Du reste comme je l'ai déjà dit taxer un pays en particulier n'a aucun sens si le but était réellement une réindustrialisation. Car dans la globalisation actuelle, il est très simple de déplacer des usines d'assemblage et de faire changer officiellement la nationalité d'une production. Pour éviter les taxes sur les véhicules chinois, les industriels n'ont eu qu'à faire de l'assemblage au Mexique par exemple pour camoufler la réalité de la provenance des productions. Les pièces continuant d'être produites en réalité en Chine. Le seul bénéficiaire de ce protectionnisme tartuffe étant le Mexique et tant mieux pour ce pays. Mais on le voit bien ici, ce protectionnisme de sanction contre un pays n'est pas un outil de réindustrialisation, en aucun cas. Et les électeurs de Trump risquent bien vite d'être déçus en voyant les conséquences concrètes de cette escroquerie de communicant. Si Trump voulait rouvrir des usines automobiles par exemple, il taxerait tous les véhicules importés, quel que soit le pays sans distinction. Il favoriserait les réimplantations des industriels aux USA au lieu de déplacer des usines Apple de la Chine vers l'Inde ou le Vietnam par exemple. Or ce n'est pas du tout ce que font les élites US.

 

Ajoutons à cela que Trump menace maintenant le Mexique et le Canada de taxation à 25% s'ils ne mettent pas fin aux passages de clandestins ou au trafic de drogue concernant les opiacés. C'est assez drôle quand on pense que la crise du Fentanyl est avant tout une crise produite par les laboratoires américains et non par les pays voisins. On se souvient que la société française Publicis avait été condamnée par la justice américaine pour avoir fait la pub de ces produits et pourtant les labos américains qui ont produit et valorisé ces saloperies s'en sortent toujours à l'image des propriétaires de Purdue. On le voit, le système américain tout entier semble pensé pour accuser l'extérieur de ses propres dérives. Faut-il y voir les effets d'un système totalement corrompu, probablement, mais ce n'est pas le sujet du jour. Trump, loin d'être un nationaliste comme certains l'ont présenté, ou d'être un isolationniste, semble surtout vouloir changer de stratégie pour assurer la domination de l’imperium américain. Il veut utiliser le protectionnisme dans ce sens et cela me gêne énormément à titre personnel, car le protectionnisme est justement un outil autrement plus intéressant s'il s'inscrit dans une optique réelle de réindustrialisation.

 

Du bon usage du protectionnisme

 

Alors, maintenant plaçons-nous d'un point de vue patriotique et non impérialiste. Si nous utilisons le protectionnisme non pour forcer le changement commercial d'autres pays, mais pour réellement réindustrialiser le nôtre comment devions-nous faire ? Commençons tout de suite par cette prémisse de Keynes. Il ne s'agit pas d'arracher la plante avec ses racines, mais de l'habituer progressivement à la faire pousser dans une autre direction. Le système économique est quelque chose à la fois d'assez simple à comprendre, mais aussi très complexe. Faire des changements extrêmement brutaux dans un sens ou dans l'autre peut avoir des conséquences imprévisibles, et l'imprévisible peut toujours avoir de graves conséquences. Je vous conseillerai d'éviter les mesures à l'emporte-pièce comme mettre 100% de droit de douane partout d'un seul coup. On peut être stupide lorsqu'on fait du libre-échange sans faire attention, car le marché mondial pourra toujours pourvoir à vos besoins moyennant endettement bien évidemment. Un protectionnisme stupide peut provoquer des pénuries, ce qui est autrement plus grave suivant le secteur concerné. Si vous êtes dépendant à 100% d'importation pour vos médicaments, de très grosses taxes mises en place d'un coup pourraient simplement décourager les producteurs à vendre sur votre marché et vous vous retrouveriez rapidement sans médicament. À un moindre degré, cela nourrirait à court terme une forte augmentation des prix.

 

Tout est donc affaire de timing et de précision. Faire une politique protectionniste demande donc une bonne connaissance des capacités de production de votre propre pays et des prévisions industrielles. Bref, cela demande une certaine planification, contrairement au libre-échange. Peut-être est-ce finalement la masse de travail que cela demande qui a été le rôle prédominant dans la préférence de nos élites pour le libre-échange. Il ne faut jamais négliger la paresse de certains, en particulier dans les hautes sphères de l'état. Ce n'est pas un hasard si les états en parti communiste d'Asie comme la Chine ou le Vietnam sont ceux qui ont le mieux utilisé le protectionnisme, c'est aussi parce que ce courant de pensée leur a légué une véritable tradition de planification si je puis dire. Colbert puis le Gaullisme et le CNR nous en avaient aussi légué une mais on a tout jeté à la poubelle dans les années 80-90. Quoiqu'il en soit, il faut coupler à des politiques de protection une véritable stratégie industrielle nationale.

 

Il s'agirait aussi de minimiser les effets néfastes du protectionnisme à court terme. Le but, il faut se le rappeler, n'est pas de réduire le niveau de vie de la population, mais bien de pousser l'organisation économique à rouvrir des usines en France et à réduire nos dépendances aux importations. In fine il est probable que cela réduise un peu le niveau de vie puisque les productions locales seront sans doute plus cher, mais cela restera dans le domaine du raisonnable. À mon sens mieux vaut être un peu moins riche, mais indépendant que d'être tout entier soumis à des puissances étrangères. Et je pense qu'une grande partie de notre population penserait de même si la question était posée. Cependant, le but n'est pas l'autarcie (probablement impossible à faire dans un pays comme la France) , mais la régulation macroéconomique ainsi qu'une plus grande autonomie sur le plan géostratégique. De fait, il vaut mieux faire du protectionnisme étalé dans le temps et augmentant de façon sectorielle et progressive. Par exemple, on annonce dans un secteur où nous sommes particulièrement dépendants une taxe de 5% dans un premier temps, une taxe qui augmentera officiellement année après année pour atteindre un niveau suffisant pour rendre compétitives sur le marché intérieur les productions nationales. On minimise l'effet sur les prix en premier lieu et l'on donne une perspective aux producteurs pour qu'ils aient le temps de localiser les productions. On peut également imaginer des subventions éventuelles si des problèmes de coûts entrent en jeu pour rapidement rapatrier des productions. C'est au cas par cas si je puis dire.

 

Je rappellerai également que les droits de douane ne sont pas le seul protectionnisme possible. Il y a les quotas par exemple qui ont d'énormes avantages. Un quota en volume permet de limiter les importations sans y être fermé. Si vous consommez trois millions de véhicules par an par exemple et que vous souhaitez qu'au moins 90% des véhicules soient produits en France, vous pouvez mettre un quota de 10% en volume ce qui fait dans ce cas 300K véhicules importables sur le territoire français par an. Cela laisse les innovations externes pénétrer le marché sans pour autant faire sombrer toute l'industrie. L’industrie nationale beaucoup plus petite que celle de la Chine par exemple pourra alors copier ce que font les Chinois sans être pour autant menacés de disparition. On notera que l'immense avantage des quotas en volume est aussi d'être totalement insensible aux variations des taux de change. Seulement les quotas n'ont de sens que s'il y a déjà une production nationale capable de remplir les besoins de la population. Même dans l'automobile, nous n'y sommes plus depuis longtemps. Quoiqu'il en soit, nous avons rapidement abordé ce thème, mais j'espère que les politiques protectionnistes ne seront pas trop dévalorisées par l'usage impérialiste que les USA risquent d'en faire dans les années qui viennent. Le but n'est pas de nourrir le conflit entre nations et empire, mais la régulation, de façon à éviter les trop grands déséquilibres commerciaux producteurs de crises et de conflits graves. Si le commerce entre les peuples doit être doux, il ne l'est pas naturellement contrairement à ce que pensait Montesquieu. Il nécessite une régulation objective et donc des frontières pour éviter les excès de certains.

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25 novembre 2024 1 25 /11 /novembre /2024 15:38

 

La destruction de la démocratie

 

Nous avons vu rapidement les effets du libre-échange sur nos économies. Loin d'avoir favorisé la croissance économique, on voit clairement un fort ralentissement en occident à partir de la mise en place des principes de la dérégulation commerciale et financière. La globalisation si elle a permis une plus forte rémunération du capital et de plus gros bénéfices pour les entreprises jouant à fond la carte de l'exploitation des bas salaires des pays moins avancés, elle n'a pas fait exploser les investissements concomitamment. C'est là à mon sens le cœur de la catastrophe de l'idéologie libérale. Car toute leur stratégie partait du principe que les gains produits par l'abaissement du coût du travail productif conduiraient à plus d'investissement et donc à plus de croissance, il n'en a à rien été. La globalisation s'est donc traduite en occident par une forte polarisation économique, les classes moyennes disparaissant progressivement. La plupart des pays d'occident se caractérisant de plus en plus par une dualité sociale entre les très riches et les très pauvres. Cette situation est particulièrement radicale dans le monde anglo-saxon et aux USA en particulier.

 

Des marges plus élevées ne signifient pas plus d'investissement contrairement aux croyances libérales

 

Cette disparition progressive des classes moyennes explique en grande partie la dégradation des processus politique et démocratique en occident. Les gagnants de la globalisation persuadés de leur supériorité supportent de moins en moins les processus démocratiques. À l'inverse les populations victimes de la globalisation rejettent de plus en plus ouvertement ses « élites » considérées simplement comme des traîtres à leurs propres intérêts. Comme le disait Jaurès, la nation est le seul bien des pauvres. Il est donc assez logique que le dernier résidu du patriotisme n'existe plus que chez les couches populaires pendant que l'élite financière enterre avec allégresse cette horrible nation qui les taxe et les empêche de libérer toute leur « énergie créatrice ». Ceux qui gagnent dans le globalisme cherchent naturellement à s'extraire des solidarités nationales qui autrefois étaient nécessaires à leur propre prospérité. En un sens, c'est ici que la globalisation économique a eu les effets les plus délétères sur nos sociétés, elle les a fragmentés et a détruit la nécessaire solidarité nationale qui permettait une cohésion minimale de nos nations.

 

La démocratie en occident n'est plus en réalité qu'une énorme farce où les puissances d'argent se disputent le pouvoir en utilisant tous les stratagèmes possibles. Je sais bien que beaucoup espèrent dans l'élection de Trump le retour à un certain patriotisme, je crains que ceux qui pensent cela ne se heurtent rapidement à des déconvenues. Ce qui ne signifie pas pour autant que l'élection de Trump n'a pas des effets positifs par ailleurs, mais pour d'autres raisons indirectes. De fait, la globalisation par nature a déconnecté le processus économique de la nation, et elle a permis aux classes possédantes de se désolidariser du reste de la nation jusque dans son verbiage quotidien. L'invasion du globish n'est qu'un des multiples effets de cette déconstruction des économies nationales. La France a maintenant des candidats politiques qui se sentent plus chez eux à New York ou à Berlin, que dans la Creuse. C'est extrêmement problématique politiquement, puisque la masse de la population, qui elle n'est pas vraiment dans la globalisation, mais victime d'elle, ne peut adhérer à de telles orientations politiques.

 

Dans leur masse, les Français restent français, mais ils sont en quelque sorte prisonnier de ce bout de terre que les puissances politiques nationales par idéologie, corruption et intérêt personnel, ont supprimé les possibilités politiques. La question de la souveraineté est intimement liée à cette question du libre-échange et de la libre circulation des capitaux et des personnes. En libérant le commerce, vous ne faites pas que libérer le commerce, vous cassez mécaniquement les liens sociaux d'une nation, et in fine la démocratie. Car vous ôtez toute possibilité d'action politique et économique réelle. Encore une fois, il ne s'agit pas ici de prôner la fermeture totale, si le libre-échange peut se permettre d'être stupide, le protectionnisme ne le peut pas, il doit être adapté aux conditions réelles d'une nation. Mais en rendant le protectionnisme impossible, en rendant impossible toute régulation du commerce même par la monnaie puisque nos élites ont rajouté aux contraintes du libre-échange l'impossibilité de dévaluer. Vous rendez impossible la politique avec un grand P. Il ne reste dès lors plus que les sujets secondaires et les faits divers pour faire semblant d'encore faire des choix politiques.

 

Ce n'est donc pas un hasard si la démocratie s'effondre depuis le milieu des années 70. Cela coïncide très exactement avec le projet néolibéral cherchant justement à faire sortir la question économique de l'action politique et donc de la démocratie. Peut-on réellement se plaindre du fait qu'une idéologie antidémocratique finisse par produire un système non démocratique ? Non bien évidemment. Alors bien sûr la globalisation a produit des paradoxes, car ce que je viens de dire n'est valable que pour l'occident sous domination américaine. Et c'est d'ailleurs pour cela que l'histoire n'est pas terminée et que nous ne vivrons jamais dans un monde d'individus sans nation. La Chine a par exemple très bien su utiliser la bêtise des capitalistes occidentaux pour elle-même faire une industrialisation à une vitesse invraisemblable. Et elle utilise maintenant cette puissance nouvelle pour faire avancer son propre agenda selon ses propres conceptions politiques et économiques très éloignées du libéralisme débilitant occidental. De fait, les élites occidentales ont tellement affaibli leurs propres nations que la question même de la protection de leurs propres intérêts commence à se faire jour. Peut-être est-ce là que se situe le trumpisme. Dans une prise de conscience que les élites sont allées trop loin dans la démolition nationale, au point de se mettre en danger face aux nouvelles puissances montantes qui elles sont bien nationales.

 

Les super-monopoles planétaires

 

Si le libre-échange est présenté depuis le début comme une machine à nourrir la concurrence, il s'agit là d'un aspect qui a beaucoup changé depuis le début dans les années 70. En effet, les marchés sont par nature éphémères, c'est d'ailleurs un aspect dont on parle rarement. En effet par la mécanique même de la concurrence couplé à la mécanique du capitalisme financiarisé, vous avez une machine à concentrer massivement les activités. De fait, les marchés finissent souvent par se réduire à quelques acteurs quand il n'y a pas carrément des monopoles privés qui se forment. Cette tendance grégaire des marchés capitalistes à concentrer les activités a d'ailleurs été prise en compte par les ordolibéraux allemands. Ces derniers pensant que l'état devait intervenir pour faire revenir la concurrence lorsque les activités sur un marché étaient trop concentrées. Aux USA cela avait donné les lois antitrust, mais elles sont rarement appliquées, et de manière très parcellaire. Il suffit souvent à ces grosses entreprises de verser des amendes pour s'en sortir. Quoiqu'il en soit, la concurrence aujourd’hui à l'échelle de la planète n'est pas une concurrence entre des entreprises, mais entre des mains-d’œuvre et des systèmes sociaux. Le pays qui martyrise le mieux sa population étant le gagnant de la course à l’attraction des investissements économiques. Car le but de la concurrence actuel n'est pas la véritable concurrence entre les entreprises, cela réduirait les rentes du capital. Le but de la concurrence est toujours d'amoindrir le poids des salaires distribués, et rien d'autre.

 

Si ces théories visant à remettre de la concurrence par l'intervention de l'état peuvent sembler être du bon sens en pratique, c'est autre chose. Les grandes entreprises peuvent corrompre le personnel politique et faire en sorte que leurs intérêts ne soient jamais réellement remis en cause sauf pour dans la communication officielle. Et là où cela se corse, c'est avec les effets de la globalisation. En effet, si les états français ou américains pouvaient bien mettre au pas leurs grandes entreprises lorsqu'elles étaient enfermées dans le marché national c'est beaucoup moins vrai maintenant qu'elles se sont globalisées. Le dernier effet malsain de la globalisation, et non des moindres, est donc la fabrication de monopoles et de cartels globaux à l'échelle de la planète. Des groupes tellement puissants que même les états nations les plus imposants ne peuvent plus contrôler. C'est là probablement le point le plus antidémocratique des effets de la globalisation. Ces grands groupes sont en fait dans le cadre du système actuel de véritables entités politiques agissant dans leurs propres intérêts, mais non géolocalisable si je puis dire. Ce sont des empires sans territoire, mais dont les possessions sont des capitaux, des brevets et des rentes diverses. La plus emblématique de ces monstruosités étant probablement Blackrock.

 

Le système postnational occidental a fini par revenir en réalité aux origines du système capitaliste, le féodalisme. Mais un féodalisme où la puissance n'est plus dans la possession d'immenses terres et serfs, mais dans le contrôle des capitaux et des rentes sous toutes leurs formes. Heureusement, ce nouveau féodalisme ne tient que par la puissance de la domination américaine sur le monde. On peut penser que la remise en cause du système américain et le retour des frontières nationales un peu partout sur la planète y mettra fin. Mais l'on peut se demander vers quoi ce système aurait pu aller à long terme. Il manquait aux conglomérats géants et privés la force militaire pour véritablement asseoir leur puissance. On peut donc se demander si finalement le globalisme américain s'il n'avait été entravé par les puissances montantes n'aurait pas fini par produire des seigneurs féodaux privés avec des entreprises globales imposant militairement à des peuples telle ou telle politique.

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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 15:33

 

Alors que les USA viennent de voter pour un nouveau président qui officiellement n'est pas vraiment un libre-échangiste dans l'âme, l'Europe semble s'évertuer à s'enfermer dans son dogme au mépris des changements historiques de l'économie mondiale et du bon sens minimal. Le traité de libre-échange avec le Mercosur va être un désastre non seulement pour les agriculteurs européens, mais aussi pour les industriels. Car contrairement à ce que pensent les Allemands et les autres obsédés du libre-échange croyant à leur propre supériorité, il n'est absolument pas certains que l'industrie européenne en plein effondrement gagne dans cette dérégulation. Comme nous en avons rappelé, les pays d’Amérique du Sud ne sont plus ce qu'ils étaient il y a vingt ou trente ans. Le Brésil pour ne parler que de la première puissance de la région s'est fortement industrialisé derrière de lourdes barrières douanières justement. Et l’Amérique du Sud bénéficie d'une grosse population formée et capable de produire aujourd'hui. Le libre-échange en dehors de quelques produits très spécifiques n'a jamais été une politique positive pour la masse de la population bien qu'elle ait toujours été présentée ainsi, mais aujourd'hui pour les Européens elle est carrément suicidaire. Nous avons plus les avantages dont nous jouissions autrefois alors que nos concurrences bénéficient à la fois de plus faible coût du travail, d'une productivité qui nous rattrape et d'un accès à de l'énergie et à des matières premières bien moins chères qu'en Europe.

 

Nous allons donc dans ce texte rapide rappeler les dégâts que le libre-échange a déjà provoqués en France et en Europe, mais aussi faire comprendre le lien qu'il y a entre la démocratie, la nation, et l'espace économique. Car les tentatives de déstructuration des économies nationales reviennent à détruire progressivement toute capacité d'action politique, et donc in fine à mettre fin à la démocratie. Car le libre-échange n'est pas seulement un choix économique, c'est un choix qui détermine également le modèle social et politique d'un pays. En choisissant le libre-échange, vous abandonnez presque mécaniquement les politiques économiques et sociales. Et c'est d'ailleurs essentiellement pour cette raison que les libéraux économiques l'ont prôné, il fallait faire sortir l'économie de l'orbite politique pour imposer en réalité les choix des plus puissants et des plus riches au détriment du reste de la population. En un sens par nature, la libre circulation des marchandises, et des capitaux, sont des attaques contre la démocratie, ce dont la plupart de nos compatriotes n'ont pas vraiment conscience. Ni même les politiques d'ailleurs. Cela ne signifie pas qu'il faille se barricader et vivre en autarcie, mais s'interdire totalement de réguler le commerce et la circulation monétaire et financière, revient à se couper les deux bras et à se plaindre ensuite de ne pas pouvoir tourner le volant de la voiture.

 

Le libre-échange n'a pas bénéficié au consommateur

 

Commençons tout de même par parler des gains supposés du libre-échange. Rappelons tout de même que les théoriciens du libre-échange vivaient à une époque où l'essentiel de nos pays était encore agraire. Ricardo est mort en 1823, autant dire à la préhistoire de l'industrie et du commerce mondial. Sa thèse sur le commerce international a été faite dans un contexte où il n'y avait ni supertanker ni déplacement des facteurs de production. Comme disait Keynes dans ce contexte où le commerce agricole représentait l'essentiel des échanges commerciaux, on pouvait croire à une nécessaire spécialisation géographique de la production. Il est bien évident qu'il est plus simple de produire des bananes au Brésil qu'en Islande. Mais si ce raisonnement peut éventuellement tenir la route pour certaines productions particulières comme le cacao, le café ou les fruits exotiques, il est en revanche beaucoup plus discutable pour l'industrie. En effet, la production industrielle n'a pas vraiment besoin d'une grosse spécialisation géographique. Si l'accès aux ressources naturelles ou à certains lieux de distribution peut jouer, il y a bon nombre d'autres facteurs comme l'éducation, la situation étatique, les impôts à prendre en compte.

 

La production ne représente plus rien dans le prix d'une chaussure c'est absurde

 

On rappellera d'ailleurs que l'exemple pris par Ricardo sur le commerce entre la Grande-Bretagne et le Portugal montre aussi les limites de sa théorie. En effet grâce au libre-échange, le Portugal s'est spécialisé dans l'exportation de vin laissant son industrie textile disparaître. À l'inverse la Grande-Bretagne d'alors s'était spécialisée dans le textile et grâce aux gains de productivité put acheter de plus en plus de vin tout en fournissant de moins en moins de travail alors que les gains de productivité dans la production de vin étaient alors très faibles. Le résultat, on le connaît, le Portugal qui était un pays très riche a raté l'industrialisation et il est devenu un pays pauvre d'Europe. Pour des gains économiques à très court terme, le Portugal a donc oblitéré son avenir même s'il n'en a pas eu conscience à l'époque. Pour continuer dans l'histoire on pourrait présenter le modèle exactement inverse, celui de la Corée du Sud donc l'histoire économique a été très bien dépeint par l'économiste coréen Ha-Joon Chang. La Corée du Sud est un pays qui a pratiqué fortement le protectionnisme à une période où c'était très mal vu en occident. Et dans les années 90, le FMI réclamait une baisse des taxes aux importations de voitures en particulier.

 

L'Allemagne et le Japon souhaitant exporter leurs véhicules dans ce pays en forte croissance. Le FMI arguait alors que la Corée eut mieux fait de se spécialiser dans la production de bateaux et d'acier où elle avait des avantages et qu'elle laisse tomber l'automobile parce que ses voitures n'étaient pas compétitives. Et bien la Corée a envoyé le FMI se faire foutre, si je puis dire. Le résultat, on le connaît aujourd'hui. Sans ce protectionnisme des entreprises comme Hyundai ou même Samsung n'auraient pas survécu, et la Corée du Sud serait beaucoup moins prospère. Le calcul libre-échangiste ne prenait pas en compte les effets collatéraux d'investissement et de développement entraîné par le maintien de certaines activités même moins productives. Le calcul libre-échangiste surestime en fait les gains et sous-estime très gravement les coûts en termes de créativité et de dynamique industrielle.

 

Les prix vestimentaires, par exemple, n'ont jamais baissé malgrés l'effondrement des prix de production

 

Mais parlons des gains supposés. On a présenté le libre-échange comme une machine à abaisser les prix. En gros grâce à l'esclavage moderne de la sous-rémunération du travail productif à travers l'exploitation de la main-d’œuvre des pays moins avancés, les libéraux ont présenté cette abomination comme un bénéfice pour les consommateurs occidentaux. J’insiste ici sur le caractère prédateur de la démarche, car c'est bien de cela qu'il s'agissait. Car les usines de textile ou d'autres activités qui se délocalisaient dans les pays à bas coût n'étaient pas plus productives que chez nous, c'était même souvent l'inverse. On est loin ici en réalité de la thèse de Ricardo qui lui raisonnait en matière d'efficacité économique. Là l'efficacité comptable ne résultat pas d'une meilleure capacité de production, mais à une meilleure capacité à exploiter sa propre population. Mais ce pacte faustien qui est encore défendu par les libre-échangistes en ce moment même au Brésil pour les accords du Mercosur est un mensonge. Si l'on regarde historiquement parlant les pays occidentaux qui ont libéralisé leur commerce à partir des années 70 n'ont pas connu de baisse des prix, c'est le moins que l'on puisse dire. Lorsque vous achetez une marchandise produite en Chine ou pire au Bangladesh, vous ne payez pas le prix local moyennant le coût du transport. Vous payez vos chaussures toujours très cher, mais la part du travail dans la valeur de cette chaussure s'est simplement effondrée pendant que les activités parasites et la finance ont vu leur part, elles, exploser. C'est ça les vrais effets de la globalisation.

 

En réalité, les prix n'ont jamais baissé pour les consommateurs. C'est avant tout les marges des producteurs et des intermédiaires qui ont explosé. D'un côté, les consommateurs occidentaux, qui sont aussi des travailleurs, ont vu leurs emplois partir, et les salaires se compresser, de l'autre côté ils n'ont en réalité jamais vu les soi-disant bénéfices des délocalisations. Ce fut un transfert net de revenu du travail vers le capital. Alors ici l'on pourrait objecter qu'effectivement cela a fait baisser en réalité le niveau de vie en occident, ou du moins cela l'a empêché de progresser, mais c'était pour la bonne cause puisque grâce à ça les entreprises avaient plus de marges et pouvaient donc investir plus. Et bien cela ne n'est pas passé ainsi, car la fameuse thèse du ruissellement n'est qu'un ramassis d'idioties. S'il est évident que des entreprises qui perdent de l'argent vont avoir tendance à réduire leurs investissements, l'inverse n'est pas systématiquement vrai. Ce n'est pas parce qu'une entreprise a des marges qu'elle investit. Et si l'on regarde les effets de l'augmentation des marges des entreprises depuis la mise en place de la globalisation, cela ne s'est pas traduit par des investissements supplémentaires, bien au contraire. L'état qui n'a de cesse de subventionner les entreprises ou de baisser leurs impôts et leur charge devrait pourtant le savoir. Macron a tout fait pour caresser les grandes entreprises dans le sens du poil sans rien obtenir comme investissement en retour. Par contre, la spéculation a grimpé en flèche. Et jamais les actionnaires n'ont été autant arrosé. Le grand paradoxe de notre temps c'est que l'idéologie libérale qui prétendait lutter contre les monopoles et les rentes les a en fait renforcés comme jamais dans l'histoire humaine.

 

Alors pour quelle raison les entreprises n'ont-elles pas augmenté leurs investissements? Et bien, c'est parce que ce qui pilote l'investissement n'est pas les marges bénéficiaires, mais l'intérêt qu'il y a à investir. C'est la demande qui pilote l'investissement. Une entreprise n'investit pas pour investir, elle investit parce qu'elle pense que ses investissements lui permettront de faire des bénéfices et d’accroître ses parts de marché, ou de créer un nouveau marché lucratif. Or comme nous l'avons vu, la globalisation s'est fait au détriment des salariés et des consommateurs ce qui a provoqué une crise de la demande à partir des années 70. Une crise qui a été seulement partiellement compensée par les dépenses publiques et l'endettement que ce soit aux USA ou en Europe. Le paradoxe, là encore, c'est que la globalisation qui a permis de faire exploser les marges des grandes entreprises est aussi le mécanisme qui a démotivé la nécessité d'investir dans nos pays. En un sens loin d'être un mécanisme de développement, le libre-échange a été une formidable machine à déplacer l'industrialisation de l'occident vers l'Asie et rien d'autre.

 

PS : Nous parlerons des effets sur la politique et la démocratie dans la seconde partie

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18 novembre 2024 1 18 /11 /novembre /2024 15:11

 

S'il y a bien une chose qui caractérise la civilisation actuelle, ou ce qui prétend être une civilisation , c'est le rôle fondamental qu'y tient le fétiche de la valeur marchande. Il ne s'agit pas ici de parler de la fétichisation de la marchandise qui fut décrite par d'autres. Car en réalité ce fut une erreur de voir dans la marchandise un fétiche. Ce n'est pas la marchandise qui a été fétichisée par les Occidentaux modernes sous l'influence de l'idéologie libérale, c'est la valeur marchande elle-même. Car dans notre mode absurde, elle mobilise toutes les énergies, suscite toutes les inquiétudes et produit tous les fantasmes. Elle façonne totalement l'imaginaire des hommes modernes et oriente à la fois leur vie et la politique qui s’astreint à eux. Évidemment on ne saurait mieux montrer l'importance que cette illusion revêt que dans l'importance que nous accordons par exemple aujourd'hui aux divagations des marchés financiers. Les marchés montent, c'est formidable, ils baissent, c'est le drame, sans que tout un chacun n'imagine un instant qu'en réalité tout ceci relève plus du jeu de casino qu'autre chose. La bourse c'est du sérieux, voyons. Le Bitcoin c'est un truc formidable qui va stocker la valeur marchande quelque part et produire une rente magique pour son propriétaire. Je pourrais plaisanter ici en montrant que les cartes Pokémon sont autant de valeurs marchandes sûres dans ce monde absurde que les bitcoins. Le simple fait que de simples cartes à jouer puissent susciter des « valeurs » marchandes immenses révèle la nature erronée du marché comme représentant réel de la valeur des choses. Les anciens économistes avaient bien raison de se méfier de la valeur marchande et du lui opposer la valeur d'usage.

 

La société peut s'effondrer, tant que ma valeur actionnariale est là, que ma cryptomonnaie grimpe, je n'ai rien à craindre de l'avenir. C'est évidemment totalement faux, mais c'est un peu le résultat de la collusion d'un individualisme sans cesse croissant, avec une idéologie qui résume l’importance des choses à leur valeur marchande. J'écoutais hier l'interview intéressant de Marcel Gauchet à l'occasion de la sortie de son dernier livre qui a souligné, à juste titre, cet étonnant paradoxe des sociétés occidentales modernes, alors que les individus sont en réalité de moins en moins autonomes et des plus en plus dépendants de la complexité de leur société, ils paraissent de plus en plus croire qu'ils sont des individus se façonnant d'eux-mêmes. Des individus totalement libres de leur choix et de leurs actions. La réalité triviale est pourtant inverse à cette croyance. Nos ancêtres pas si lointains étaient en réalité bien plus libre que nous ne le sommes par bien des aspects. Ils produisaient eux-mêmes leur nourriture et ne dépendaient si fortement de toutes les facilités de la société industrielle moderne. Le prix à payer était un niveau de vie largement inférieur au nôtre.

 

Alors pourquoi aujourd'hui voyons-nous de plus en plus cette idéologie de l'individu roi ? Car que ce soit dans sa version wokiste et faussement progressiste ou dans la version libertarienne à la Elon Musk, c'est toujours la croyance de l'individu tout puissant que ces idéologies valorisent. C'est effectivement paradoxal de voir ces individus en réalité de moins en moins capables de changer quoi que ce soit dans leur vie et dans leur société être également adepte de la croyance en la toute puissance de l'individu. Car c'est un paradoxe qu'Emmanuel Todd a souvent souligné, l’individu n'a de capacité d'action que s'il est membre en réalité d'un collectif. Si la contrainte collective constitue par définition une contrainte qui implique le respect de règle et l'action solidaire à l'intérieur du groupe, la collectivité permet également de démultiplier l'action individuelle. Les grands hommes de notre histoire n'étaient pas que des hommes, ils incarnaient des idées, la nation , une religion bref quelque chose qui rassemblait d'autres hommes derrière eux. Ils étaient grands parce qu'ils étaient en quelque sorte portés par d'autres qu'ils représentaient.

 

L'impuissance que produisent nos sociétés actuelles vient en grande partie de cette incapacité à créer de mouvement de masse et de groupe. L'idéal de rationalité collective se transforme petit à petit en une forme de paralysie généralisée conduisant les individus à l'impuissance collective. Il reste alors la fétichisation de la valeur marchande. Les milliardaires devenant les sauveurs puisque ce sont les super-individus par excellence dans une société qui a fait de la valeur marchande la mesure de toute chose. Dans un pays comme les USA il n'y a donc pas vraiment de surprise au phénomène Trump même s'il risque d'en décevoir plus d'un, mais c'est un autre débat.

 

Quand les sociétés négligent le plus essentiel

 

Pour revenir à la question de la valeur marchande, il faut bien comprendre que dans les sociétés d'autrefois celle-ci n'avait absolument pas le poids qu'elle a aujourd'hui. On n'a pas construit les cathédrales pour gagner de l'argent ou pour faire des gains de productivité. Les grandes œuvres de l'humanité n'avaient pour la plupart pas pour but des gains ou des bénéfices financiers contrairement à ce que certains peuvent penser. Il y avait d'autres motivations, d'autres mécanismes psychiques pour motiver la population à réaliser telle ou telle chose. On ne se rend pas compte de l'emprise progressive qu'a prise la valeur marchande depuis deux siècles dans l'esprit des contemporains. L'on s'offusque aujourd'hui de l'effondrement des naissances , mais en un sens n'est-ce pas le stade terminal du calcul économique égoïste qui le produit ? Notre pensée utilitariste permanente qui réduit tout à un calcul économique ne porte-t-elle pas intrinsèquement les germes de la stérilisation générale des êtres humains ?

 

En effet à quoi sert donc le fait d'avoir des enfants ? Cela coûte cher, cela ne rapportera rien, puisque plus tard ils vivront tout aussi égoïstement comme nous ? Si l'on se place du strict point de vue d'homo economicus, le fait d'avoir des enfants est sujet à caution. Alors les libertariens du coin vous diront qu'il faut détruire les systèmes de retraite pour que les gens retrouvent l'intérêt d'avoir des enfants pour leurs vieux jours. Parce qu'ils raisonnent vraiment comme ça nos amis libéraux, du moins les plus extrêmes. Mais la réalité c'est que les gens n'avaient pas d'enfants par calcul, cela arrivait comme cela. C'était le produit d'une rencontre entre un homme et une femme (oui je suis réactionnaire sur ce plan). Avoir des enfants n'était pas un calcul économique, ça ne l'a jamais été en tant que tel. Les couples d'ailleurs se formaient souvent à cause d'une certaine pression sociale, pression que nous avons jetée à la poubelle en valorisant les « libertés » individuelles, produisant aujourd'hui des individus souvent malheureux et esseulés. Nous produisons des individus caricaturant la célèbre chanson de Michel Berger « Si maman si. ».

 

Adieu Corée du Sud

 

De fait, la focalisation de toutes les énergies de la société sur la seule fabrication de la valeur marchande détruit en réalité la société. On en a un exemple extraordinaire avec la Corée du Sud dont le gouvernement vient de reconnaître que le pays risque l'effondrement à cause de sa natalité. Qu'ils sont nombreux ceux qui se moquent de la Corée du Nord, un pays d'arriérés communiste. Et pourtant le nord sera encore là dans 50 ans grâce à une fécondité plus raisonnable, le sud c'est moins sûr. Ils ne produisent pas d'iPhone, mais des enfants, c'est peut-être moins vendeur pour des sociétés obsédées par le taux de croissance économique, mais c'est probablement beaucoup plus sain. N'aurait-il pas mieux valu avoir un PIB moins élevé, une productivité plus basse et des valeurs marchandes moins élevées si cela avait permis une natalité plus raisonnable ? C'est ici à mon sens que le danger marchand se révèle. Il est pernicieux, met du temps à se faire sentir, mais provoque des effondrements dramatiques à long terme, car les sociétés qui sont tout entières vouées à la valorisation marchande négligent au final les choses les plus essentielles, celles qui lui permettent de perdurer.

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14 novembre 2024 4 14 /11 /novembre /2024 15:47

 

On vient d'apprendre que notre Premier ministre s'est fait ouvertement humilier par madame Von der Leyen au sujet du traité de libre-échange avec le Mercosur qui va définitivement condamner l'agriculture française à la disparition. Je ne sais pas s'il s'est fait réellement humilier ou s'il fait en réalité semblant puisque le fond idéologique de Barnier n'est en réalité guère différent de celui de madame Von der Leyen, à savoir une obsession pour le libre-échange et le laissez-faire économique. Mais cette affaire risque par contre d'avoir de fortes répercussions politiques en France puisque cela revient ouvertement à mettre fin à notre agriculture, il faut le dire clairement. Cela revient aussi à abandonner les politiques soi-disant écologistes que l'UE impose depuis des années puisque les agriculteurs d’Amérique du Sud ne sont absolument pas soumis aux mêmes règles. Il y a un degré d'hypocrisie dans cette affaire qui est absolument inimaginable. Étonnement, on n'entend guère les groupes politiques, soi-disant écologistes, sur le sujet de ce traité. C'est qu'entre l'UE et l'écologie ils choisissent en réalité toujours l'UE, montrant ainsi leurs priorités réelles.

 

Ne soyons pas dupes tout de même sur les motivations réelles de nos dirigeants dont nous savons d'expérience qu'entre l'idéologie et l'intérêt national ils choisissent toujours l'idéologie. Barnier ici tient comme l'ait dit avant tout à faire passer la pilule en France en se camouflant derrière l'UE et la commission. Cet accord est dans la droite ligne du modèle économique aztèque de la France, terme judicieusement trouvé par Emmanuel Todd et qui lui sied de plus en plus. Un modèle de type sacrificiel, où il faut année après année choisir quel bout de la population plonger dans la misère pour alimenter le totem européen et obéir au précepte du saint libre-échange. La brutalité économique de nos élites n'a plus de limites depuis que le système a fait élire sa chose en la personne d'Emmanuel Macron. Et depuis la trahison sur le traité constitutionnel européen, nos dominants savent, ou pensent qu'ils n'ont pas grand-chose à craindre des réactions populaires. En effet, ils ont littéralement violé un référendum populaire sans aucune réaction. De la même manière la dernière farce électorale qui nous mis un gouvernement sans aucune légitimité au pouvoir ne souffre d'aucune réaction là encore de la population. Les Français laissent faire, du moins pour l'instant.

 

Ce nouveau coup porté cette fois à la filière agricole s'inscrit dans ce mouvement délirant de déconstruction des capacités productives du pays. Un véritable nihilisme économique qui, quelque part, se relève être une véritable pathologique, au sens psychiatrique à ce niveau. On affiche un protectionnisme très verbeux, mais en pratique on démolit d'autant plus la production française. L'exemple macroniste est de ce point fascinant. On voit défiler sur les plateaux télé les macronistes de tout bord répétant à l'envi qu'ils ont sauvé l'économie française et qu'ils ont réindustrialisé le pays, alors que tous les chiffres, officiels pourtant, disent le contraire. Pas seulement la balance commerciale qui est affreusement déficitaire, mais les chiffres de la production manufacturière elle-même. Et que dire de l’obsession pour le marché européen de l'énergie dont tout le monde voit bien le fonctionnement aberrant qui détruit l'économie française. Même notre ancien ministre de l'économie Arnaud Montebourg vient de s'en offusquer sur RTL. En effet, la France ne devrait pas payer son électricité aussi chère, c'est bien le produit du dysfonctionnement d'un marché pensé d'abord pour la consommation d'électricité allemande à base de gaz et non de nucléaire.

 

On remarquera d'ailleurs que l'Europe qui est présentée comme un système de coopération entre nations n'a finalement fait qu'attiser les égoïsmes. L'Allemagne dans une logique rationnelle de coopération aurait dû chercher à construire une industrie nucléaire avec l'aide de la France pour pourvoir à ses besoins énergétiques plutôt que de vouloir détruire l'avantage comparatif de son voisin. Cette stratégie, on le voit aujourd'hui, conduit à une logique de tous perdants. On ne parlera pas des lubies sur l'éolien et autre chimère intermittente qui ne fonctionnent que grâce au charbon désormais. Rappelons que l'électricité ne se stocke pas en grande quantité et donc que les énergies intermittentes posent d'énormes problèmes de gestion qui finalement oblige à utiliser d'autres énergies pilotables pour compenser. L'UE et les faux écologistes nous ont fait perdre plus d'une génération de travail sur le nucléaire. C'est d'autant plus dramatique que la Chine par exemple vient de lancer sa première centrale de type quatrièmes génération, et lance 11 nouveaux réacteurs nucléaires, pendant qu'ils nous vendent des éoliennes et des panneaux solaires inutiles.

 

Le suicide européen

 

Je ne vais pas faire un inventaire à la Prévert de toutes les mauvaises décisions que prend systématiquement l'UE sur tous les sujets. Ce serait trop long et fastidieux. Mais il faut bien comprendre que c'est bien là sa faiblesse. Ce nouveau traité avec le Mercosur qui fait tant parler de lui est souvent présenté comme un projet défavorable à l'agriculture française, mais favorable à l'industrie allemande, rien n'est moins sûr en réalité. S'il est certain que les protagonistes germaniques fortement impliqués dans ces choix croient dur comme fer qu'il s'agit là de l'intérêt allemand, cela ne veut pas dire que c'est vrai pour autant. En effet le déclin de l'industrie allemand n'est pas le produit d'un manque d'accès aux marchés étrangers. On en est loin même puisque l'UE a déjà des traités de libre-échange avec la très grande majorité des pays de la planète. Le déclin de l'industrie allemande est un problème à la fois interne et externe. D'un côté ce pays a fait des choix énergétiques absurdes qui ont explosé à la face de tout le monde avec la crise russo-européenne. Les effets des réformes Hartz qui ont cassé le salariat allemand pour créer les fameux excédents commerciaux allemands des années 2000-2020 ont cessé de faire effet depuis 2017 environ.

 

On voit aujourd'hui que l'industrie allemande est aussi de plus en plus concurrencée par l'industrie chinoise même sur ses produits de prédilection. Il faut bien se mettre en tête que la Chine se spécialisera dans tous les domaines. C'est un pays immense de 1,4 milliard d'habitants avec des jeunes de mieux en mieux formés. Dans ce contexte l'idée saugrenue que les traités de libre-échange seront favorables à l'industrie allemande me paraît simplement irréaliste. On voit dans cette affaire les illusions allemandes. Je suis persuadé que ce sacrifice de l'agriculture française, et globalement européenne, parce que je ne pense pas que les autres agricultures soient mieux loties, ne favorisera même pas l'industrie allemande. En effet, les pays d'Amérique du Sud font comme tout le monde, ils achètent de plus en plus chinois. Il n'est d'ailleurs pas dit que les industriels européens ne vont pas s'installer massivement en Amérique du Sud. Je tiens à rappeler mon texte sur l'économie brésilienne qui montre toutes les qualités de ce pays et son décollage économique avec en plus une population de mieux en mieux formée. L'énergie étant en plus beaucoup moins chère qu'en UE les gros gagnants dans l'histoire risquent de ne pas être les industriels allemands. J'ai toujours pensé que les promoteurs du libre-échange avaient comme motivation réelle une certaine vision raciste et suprémaciste derrière leur grand principe. Ils sont incapables d'imaginer un instant que leur pays puisse perdre dans la concurrence mondiale. C'est pourtant ce qui arrive à l'UE en ce moment même.

 

Le déclin de l'UE tient à son caractère dogmatique sur tous les domaines. Et ce n'est pas vraiment surprenant puisque l'UE n'est pas un état, mais une bureaucratie sans état et sans peuple au-dessus d'elle. Elle s'acharne donc à déployer toujours les mêmes politiques fixées dans ses traités de fondation sans jamais se demander si ces traités ne sont pas caducs et anachroniques. L'UE, tout comme l'URSS en son temps, est ainsi incapable de s'adapter à un monde qui a profondément changé. Elle signe des traités de libre-échange en pensant en permanence que les Européens seront toujours gagnants grâce à leurs avantages comparatifs. Or ces avantages ne sont plus qu'un glorieux souvenir. Ainsi, tel le vieil Empire ottoman, l'UE se suicide en commerçant sans jamais avoir de penser pour ses propres producteurs qui crient à l'agonie. Sûre de ses dogmes, elle exulte même lorsque les producteurs français se meurent, pensant les Allemands en meilleur état. Comme nous l'avons vu précédemment ce n'est pas les USA qui mettront fin à cette absurde construction européenne, mais bien sa propre folie et ses propres dogmes. Reste à savoir combien de temps les peuples d'Europe accepteront de s'appauvrir avant de renverser la table. Si les Français semblent accepter leur déclassement massif et leur appauvrissement en ira-t-il de même pour les Allemands. J'ai comme un doute sur la question.

 

PS. Il n'y a pas que Jacques Sapir qui sort un livre en ce moment, Marcel Gauchet fait de même avec « Le nœud démocratique ». Vous pouvez retrouver son intéressant interview sur le site du Figaro. Il parle en particulier de la déconnexion de nos élites ou prétendues élites d'avec le monde tel qu'il est aujourd'hui.

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11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 16:08

 

Avec l'élection de Donald Trump, j'ai un peu l'impression d'assisté au même phénomène exagéré qui a eu lieu lors du Brexit en Angleterre dans le camp souverainiste ou eurosceptique suivant votre définition. Le fait est que depuis l'élection du nouveau président américain on assiste à un épisode d’excitation collective assez élevé qui, à mon sens, embrume plus qu'il n'éclaire sur les évolutions présentent. Et lorsque l'on est excité, heureux, en pleins émois, on a tendance à perdre un peu de ses facultés cognitives. Il ne s'agit pas ici de dire que les gens n'ont pas de raison de trouver cette élection comme un phénomène important, ou d'intérêt pour notre pays. Mais je pense qu'il y a là un peu trop d'emballement et que les déconvenues risquent ensuite de faire des dégâts. L'engouement n'est pas nécessairement une mauvaise chose, l’espérance est parfois la seule chose qui puisse vous faire avancer. Mais ce n'est pas non plus une raison pour s'aveugler exagérément sur les évolutions de notre pays et de l'Europe.

 

C'est en écoutant le pape du souverainisme, du moins le prétend-il un peu, monsieur Asselineau, que je me suis rendu compte de cet aveuglement. Alors que le créateur de l'UPR voue aux gémonies et rappelle très souvent le rôle des USA dans nos malheurs et la construction européenne, le voici tout guilleret en apprenant la victoire de Trump aux élections US sur le média alternatif Tocsin. On pourrait dire la même chose de monsieur Philippot et de quelques autres montrant une espérance invraisemblable dans l'élection du président d'un pays qui nous a réduits à l'état de vassal en partie par la corruption économique et mentale de nos élites. Plus étonnant encore, monsieur Frexit nous dit que l'UE est morte avec cette élection. Décrivant la fin de l'influence américaine au sein de l'UE comme la fin du système européen. Washington étant en quelque sorte le cerveau organisateur de la construction européenne. C'est à mon humble avis une erreur, et il prend ici un peu ses rêves pour des réalités. Tout comme l'idée que l'élection américaine est présentée comme la fin du globalisme. Il n'en est rien pour des raisons de fonds dont j'ai déjà souvent parlé.

 

Mais parlons surtout des effets de cette élection sur les relations entre l'UE et les USA. Tout d'abord si Trump s'affiche effectivement comme un protectionniste, ce qu'il fera peut-être, il est aussi enfermé dans certaines contraintes macroéconomiques. Les USA ont certes un énorme problème de déficit commercial, mais les politiques de protection que ce pays a prise jusqu'ici n'ont pas vraiment relocalisé l'industrie aux USA. Nous l'avons vu dans le texte précédent. Comme l'a très bien souligné Jacques Sapir qui vient d'ailleurs de sortir un nouveau livre que je n'ai pas encore lu malheureusement, nous n'allons pas pour l'instant vers un retour des nations. Il y a d'abord un mécanisme de transition vers des zones d'influence économique et politique. En clair, les USA et leur empire reculent face à la montée des BRICS et surtout de la Chine. Ils essaient de couper leurs liens directs avec ce pays, mais réorganisent leur capitalisme en installant l'industrie dans des pays tiers plus amicaux, pas en relocalisant aux USA. D'ailleurs, certains pays ont bien compris cette évolution et tentent en ce moment même de profiter de cette aubaine. C'est le cas par exemple des pays d'Asie du Sud-est.

 

 

Cette zone comprenant des pays comme le Vietnam et la Thaïlande est l'une des plus dynamiques du monde avec une population très instruite, travailleuse et encore très jeune. Si l'on rajoute à la péninsule indochinoise l’Indonésie, on a là le cœur du dynamisme économique de ces trente prochaines années avec l'Inde. Les USA et la Chine se disputent donc l'influence dans cette région. Pour les USA le but n'est donc pas vraiment de réindustrialiser, mais de localiser la production dans les territoires sous contrôle. Et les pays de la région d'Asie du Sud-est peuvent jouer l'affrontement Chine-USA pour à la fois favoriser les investisseurs des deux coté ou en se protégeant d'une trop grande influence de l'une des deux parties. Cela fait de cette région un peu une nouvelle Europe d'après guerre, celle qui était l’enjeu des jeux d’influence entre l'URSS et les USA.

 

Les relations USA-UE sous Trump

 

Alors on pourrait ici conjecturer et dire que les USA vont laisser tomber une UE qui est de toute manière une région en déclin et sans avenir. Mais ce n'est pas tout à fait ce que l'on constate depuis quelques années. Non seulement les USA n'ont pas retiré leur poids en Europe, mais ils l'ont accru. Comme le disait très justement Emmanuel Todd, le retrait impérial américain du reste du monde leur a fait accroître leur poids sur leurs principaux vassaux UE, mais aussi Japon et Corée du Sud. Et cette réalité n'est pas le fruit d'une volonté à proprement parler de l'élite US, c'est le fruit du mécanisme de pillage concomitant à l'exploitation du dollar. Les USA fortement déficitaires dans tous les domaines doivent toujours importer massivement des marchandises et des capitaux pour faire tourner leur économie. Si le pool de pays payant, le tribut impérial se réduit alors, la pression sur les pays restants, augmente puisque le flux ne saurait se réduire sous peine de crise existentielle pour l'empire et sa monnaie. En 2023 alors même que l'UE traverse une grave crise énergétique et commence à importer du GNL américain, la zone euro connaît un record d'excédent commercial avec les USA de 158 milliards de dollars. C'est assez paradoxal si l'on y réfléchit bien.

 

 

En effet en toute logique l'UE aurait dû voir sa balance commerciale avec les USA se contracter. Mais l'euro s'est dévalué face au dollar à partir de 2022. On voit ici l'effet du dollar impérial. La monnaie ne suit absolument pas l'évolution du commerce. Les USA qui accumulent les déficits ont connu une amélioration de la valeur de leur monnaie contre l'euro. C'est en partie cette détérioration qui a accru les excédents de la zone euro, mais cela a nourri en partie l'inflation puisque les importations hors de la zone sont devenues plus chères. Quand John Conally disait que le dollar était leur monnaie, mais notre problème, c'était au sens littéral qu'il fallait l'interpréter. On pourrait faire une analyse similaire pour le Japon l'autre pays vassal durement ponctionné par Washington. Alors dans ces conditions est-ce que la volonté de Trump de réindustrialiser le pays va changer la donne ? On notera que malgré les grands discours sur les délocalisations vers les USA de l'industrie Européenne pour l'instant c'est statistiquement invisible. Les USA connaissant même une nouvelle augmentation du déficit de leur balance commerciale.

 

Si les USA taxent les importations européennes, c'est surtout les pays frontaliers des USA qui risquent d'en profiter. La Chine et les BRICS ne voulant plus acheter de la dette US et donc soutenir l'économie américaine, ce sont les Européens qui se substituent aux anciens exploités. Ainsi entre 2023 et 2024 la part de la dette américaine détenue par la Chine est passée de 11% à 9%, celle de l'Europe a légèrement progressé. L'épargne européenne plus que jamais sert avant tout à combler les manques aux USA. On voit donc bien que cette relation toxique pour utiliser une expression à la mode est largement défavorable à l'UE en réalité. Accumuler des excédents avec un pays qui paye avec une monnaie de singe n'a aucun intérêt pour les Européens. Je ne vois donc pas pourquoi Trump changerait quoi que ce soit à ce système tant les Européens sont prêts à tout pour détruire leurs propres économies pour les beaux yeux de l'oncle Sam. Du reste comme je l'ai expliqué dans le texte précédent, la réindustrialisation n'est pas si simple. Il manque aux USA un système scolaire plus accessible économiquement pour réellement redémarrer en tant que puissance industrielle. Il faudrait également que les jeunes s'orientent plus vers les sciences et l'industrie ce qui est compliqué dans une société qui promeut surtout l'argent facile et le sport-spectacle.

 

Alors est-ce que l'UE peut s'effondrer avec l'arrivée de Trump comme le prédit de façon un peu farfelue monsieur Asselineau ? La réponse est non. Si l'on pense à l'effondrement économique, nous y sommes déjà en réalité, et ce depuis 20 ans que l'UE s'est autodétruite avec l'euro qui a entraîné une paralysie économique du continent sous l'égide de l'autorité allemande, le pays de l'austérité permanente. Pourtant l'UE est toujours là. C'est d'ailleurs incroyable d'observer les défenseurs de l'euro de droite à gauche nous expliquer que notre déclin n'a rien à voir avec la monnaie unique même si toutes les données le montrent. Donc on voit bien que même si l'UE produit des catastrophes, elle se maintient. Maintenant, est-ce que la disparition très hypothétique de l'autorité américaine sur Bruxelles va produire cet effondrement ? La réponse est aussi non. La bureaucratie européenne si elle est en partie inféodée aux intérêts US avance avec son propre agenda. Et si Washington disparaît de l'équation, il restera toujours le chef de chantier local à savoir Berlin. Car l'Allemagne est quand même déjà la grande puissance qui oriente les politiques économiques en Europe. Si un phénomène politique doit mettre fin à l'UE, il ne viendra pas des USA, mais probablement bien plus d'Allemagne.

 

On va donc finir sur une note positive. Je ne crois pas plus qu'Asselineau à la durabilité de la construction européenne. Mais même un système très stupide et très inefficace peut perdurer longtemps tant qu'il n'est pas vraiment remis en question par une population. Les pauvres civilisations précolombiennes ont bien pratiqué les sacrifices humains pendant des milliers d'années avant l'arrivée des Européens. L'humanité est parfois capable de s'enfermer dans des systèmes immondes sans jamais les remettre en cause. L'UE c'est un peu notre pyramide où l'on fait des sacrifices économiques et où l'on massacre nos jeunes en les jetant dans la pauvreté pour éviter la colère des dieux. On fait ça depuis 50 ans, on pourrait le faire encore pendant quelques siècles, enfin tant qu'il reste des gens à sacrifier bien évidemment. Ce qui mettra fin à tout cela, plus qu'un abandon américain dont on a vu que ce n'était pas vraiment dans leur intérêt, c'est surtout un réveil des nationalismes en Europe devant le déclin général. Et si la population n'a plus aucun patriotisme réel, à part des résidus, il en reste encore chez nos voisins particulièrement chez les pays de famille souche comme l'Allemagne. C'est donc plutôt sur cela qu'il faut parier pour voir une fin à la bêtise europhile.

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7 novembre 2024 4 07 /11 /novembre /2024 15:44

 

Ce qui devait arriver arrive. Donald Trump est donc à nouveau président des États-Unis d’Amérique. J'aime bien préciser qu'il est à nouveau président puisqu'il semble que dans les médias français on l'ait un peu oublié, nous présentant le bonhomme comme un Hitler en puissance. La communication politique moderne à ceci de fascinante qu'elle devient hystérique, et absolument irrationnelle, en permanence, et cela de tous les côtés politiques, il faut bien l'admettre. La campagne de la presse et de la télévision française pendant cette élection américaine devrait d'ailleurs à elle seule remplir une analyse longue sur la situation médiatique dans notre pauvre pays. On se demande bien où sont passées les institutions de régulation visant à garantir l'impartialité des médias pendant cette campagne. Cet état de fait vient d'ailleurs d'être très justement souligné par le député UDR Maxime Michelet. Il ne s'agit pas de prendre parti pour un candidat ou un autre, mais de garantir une information la plus objective possible. Or le service public et plus généralement les médias français ont totalement échoué en la matière.

 

Ce n'est bien évidemment pas la première fois qu'ils montrent un tel déséquilibre, mes lecteurs qui ont l'âge doivent bien se souvenir de la campagne pour le « Oui » à Maastricht en 1992, ou sur le traité constitutionnel européen où là aussi transparaissent massivement un déséquilibre médiatique. Et qui dire de nos élections ridicules qui se transforment à chaque fois en barrage contre la haine que représenterait le RN. Mais il serait quand même tant de remettre un peu les pendules à l'heure et de rappeler que les médias sont là pour informer, pas pour donner ou imposer leur avis. Cette campagne électorale américaine aura encore plus fortement que les autres événements médiatiques et politiques, montré le déséquilibre massif de l'information en France. Il faut espérer que cette question soit enfin mise en avant ce serait le minimum. Mais revenons donc à l'élection en elle-même, Trump a donc largement gagné. Est-ce qu'il a gagné par son talent ou par la nullité de l'adversaire, probablement un peu des deux ? Les études montrent que c'est bien l’Amérique populaire qui l'a fait triompher en tous cas. Un phénomène qui n'est pas nouveau et qui est même bien implanté en France, les couches populaires votent maintenant à droite ce qui est assez étrange quand on pense à l'histoire politique de nos pays.

 

 

En effet, normalement les couches sociales les moins aisées devraient plutôt militer pour les courants politiques favorisant en théorie leurs intérêts. Mais depuis quelques décennies dans l'ensemble de l'occident, il semble y avoir un mouvement de déconnexion entre les partis de gauche et les couches populaires. Même le vieux démocrate Bernie Sanders vient enfin de s'en rendre compte avec cette élection, mieux vaut tard que jamais, mais c'est vraiment un constat tardif. Nous avons eu évidemment le même phénomène en France avec le RN qui canalise aujourd'hui l'essentiel de l'électorat populaire. La lecture des travaux de Christophe Guilluy nous avait prévenus de ce phénomène qui n'est pas nouveau en France. Aux USA par contre il semble que ce changement soit relativement récent. Un très intéressant graphique montre l'évolution du vote Trump/démocrates par rapport au niveau de revenu. On voit clairement que le vote Trump a attiré les plus pauvres cette fois de façon flagrante. C'était plus équilibré lors de l'élection précédente même s'il était déjà en tête chez les couches populaires. La comparaison avec le vote RN n'est donc pas du tout idiote au moins sur ce plan. Le RN n'ayant pas contre rien à voir avec Trump sur le plan programmatique. Les évolutions sociologiques sont assez similaires toute proportion gardée.

 

Le trumpisme, comme le RN, est un phénomène de réaction contre un establishment jugé à tort ou à raison comme incapable de résoudre les problèmes de la population, en particulier celle des couches populaires. Reste à voir si les prétendus révolutionnaires peuvent réellement atteindre les objectifs qu'ils prétendent atteindre. Je ne vais pas vous le cacher, je suis extrêmement sceptique sur Trump. Et sur le RN je ne me fais plus aucune illusion surtout lorsque l'on voit les sorties récentes de monsieur Jorda Bardella. Mais laissons le bénéfice du doute à monsieur Trump même s'il n'a guère brillé lors de son précédent passage. Vous me direz qu'on peut au moins espérer un arrêt de la guerre en Ukraine, peut-être, mais là aussi j'attends de voir du concret et non des discours.

 

La guerre commerciale

 

Si les couches populaires américaines ont massivement voté pour Trump, ce n'est pas forcément comme j'ai pu le lire ici ou là que les Américains sont passionnés par les winners et les gens qui innovent comme Musk. C'est à mon humble avis surtout à cause de son discours protectionniste. Parce qu'une grande partie de la population américaine va mal, très mal. Il suffit de regarder les statistiques sur la mortalité en général, sur la drogue, les morts par armes à feu ou la baisse d’espérance de vie. Loin des discours comptables sur la croissance américaine, la réalité quotidienne de la majeure partie de la population ne s'est pas arrangée sous Biden. L'économie a été beaucoup trop réduite à la croissance du PIB. Un PIB qui est d'ailleurs de moins en moins composé de production réelle et de plus en plus de valorisation de secteurs de services dont la croissance accompagne surtout l'inflation des prix, à l'image du système médical à la fois le plus cher d'occident, de loin, et le moins efficace, de loin aussi.

 

Beaucoup s’extasient ainsi sur les salaires américains bien plus élevés que celui des Français, oubliant un peu vite que les prix aux USA sont aussi beaucoup plus élevés, relativisant fortement le soi-disant décrochage de l'Europe. Nous pourrions ici aussi rire de la prétendue productivité américaine qui ne se voit que dans le PIB par heures travaillées, mais qui est totalement invisible dans le commerce. Si les USA étaient le pays le plus productif d'occident, comment se fait-il qu'ils croulent sous les déficits commerciaux ? Au contraire, les industriels devraient se battre pour produire aux USA. Le fait qu'il faille massivement subventionner une industrie pour qu'elle veuille s'installer aux USA devrait mettre pourtant la puce à l'oreille de ceux qui prétendent que les USA sont le pays le plus productif du monde. La réalité transparaît en fait dès que les USA essaient de se réindustrialiser comme avec l'industrie du semi-conducteur. L'entreprise Taïwanaise TSMC monte en ce moment même des usines pour produire des semi-conducteurs aux USA, les Américains leur ont un peu forcé la main, et subventionnent massivement. Et bien les coûts sont dramatiquement élevés et l'ouverture des usines prend de gros retards. En grande partie à cause du manque de main-d’œuvre qualifiée. C'est d'autant plus pathétique que TSMC a ouvert très rapidement une usine au Japon. Pourtant, si l'on se fit aux statistiques des économistes, les Américains sont beaucoup plus productifs que les Japonais. Dans les faits, les USA ont beaucoup de mal à produire des choses et quand ils le font, cela coûte nettement plus cher qu'ailleurs. Quand je vous dis qu'il faut relativiser l'importance et la véracité des instruments de mesure économétriques.

 

Il ne suffira pas simplement de taxer les importations pour réindustrialiser, et c'est probablement là que toute la difficulté va se faire sentir dans les années qui viennent. Comme Keynes l'avait habilement dit, il ne s'agit pas de bouleverser une économie comme on déracinerait une plante pour en mettre une autre. Il faut au contraire habituer petit à petit l'économie à aller dans une autre direction avec un tuteur. L'industrialisation ou la réindustrialisation ne peuvent pas être un phénomène instantané, il faut du temps pour le faire. Il faut former la population, transférer des savoir-faire, implanter des lieux de production, acheter des machines, etc. Le protectionnisme de monsieur Trump s'il est appliqué sans discernement va surtout produire de l'inflation, les producteurs locaux étant dans l'incapacité à fournir dans les volumes nécessaires la consommation actuelle des USA. Le manque de main-d’œuvre qualifiée est le produit de près de soixante ans de désindustrialisation constante. Les populations occidentales se sont adaptées à la globalisation en s'orientant surtout vers les métiers de services. Mais si fabriquer un vendeur à partir d'un ouvrier spécialisé ou d'un ingénieur est assez simple, l'inverse ne l'est malheureusement pas. Je crains donc que le trumpisme ne se finisse un peu comme la perestroïka de l'Union soviétique à savoir qu'elle accélère l'effondrement des USA plutôt qu'elle ne l'évite à cause de changements trop rapide.

 

Malgré le protectionnisme affiché, la situation commerciale US ne s'arrange pas.

 

Du reste, il y a la question de la volonté réelle de Trump et de son entourage en la matière. Jusqu'ici le protectionnisme américain ne vise pas réellement à la réindustrialisation. En effet, les USA taxent les importations chinoises. Sauf que les Chinois n'ont eu qu'à créer des usines d'assemblage au Mexique ou ailleurs pour exporter encore aux USA sans problème. Taxer un pays en particulier n'est pas une politique protectionniste visant à réindustrialiser, c'est une politique impérialiste qui vise avant tout à nuire au pays visé. L'on pourrait simplement penser que la nouvelle politique de Trump ne vise pas en réalité à réindustrialiser le pays, ce qui de toute manière aurait un effet de perte de niveau de vie, les USA vivant largement au-dessus de leur niveau de vie potentiel grâce à l'exploitation des pays à bas salaire. Si les USA produisaient eux-mêmes ce qu'ils consomment, leur société serait sûrement beaucoup plus saine et équilibrée, mais le niveau de vie moyen pas forcément plus élevé, en fait il serait probablement moindre. Le statut du dollar ayant garanti à Washington de ne jamais souffrir de ses excès monétaires, du moins jusqu'à présent. Je suppute dès lors que le vrai but de Trump est simplement de réorganiser l'empire de façon à ce que les lieux de production soient sur des territoires que les USA contrôlent plus ou moins ouvertement.

 

Le protectionnisme américain actuel ne viserait donc pas une réindustrialisation qui serait difficile, longue et coûteuse, mais une réorganisation vers des pays moins puissants et plus soumis que la Chine aux intérêts US. D'ailleurs, les chiffres du commerce extérieur semblent plutôt confirmer cette hypothèse, les USA ont vu leurs déficits commerciaux à nouveau plonger ces derniers mois. Prouvant ainsi que la réindustrialisation n'est encore qu'une chimère aux USA. Dans le même temps, on apprenait que la Chine pulvérise ses records d'exportation montrant l'inefficacité des mesures prises contre elle. Les chiffres montrent aussi la baisse des importations chinoises, traduisant la crise de surproduction dont nous avons déjà longuement parlé. Alors il est possible que je me trompe sur le nouveau locataire de la maison blanche, tant mieux si c'est le cas. Mais j'ai beaucoup de mal à croire qu'un empire puisse renoncer volontairement aux avantages que ce système lui procure à lui et à ses élites. Trump à mon humble avis est juste la nouvelle mouture du reaganisme des années 80. Et s'il essaie vraiment de mettre fin à l'empire en réindustrialisant, il serait bien inspiré de ne pas trop brûler les étapes à moins de provoquer ce qu'il cherchait justement à éviter.

 

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31 octobre 2024 4 31 /10 /octobre /2024 15:21

 

 

Depuis quelques années il y a une vogue certaine autour du fantasme de l'automatisation et de la robotique. On pourra bien évidemment montrer en exemple Elon Musk qui joue beaucoup sur le sensationnel pour faire parler de lui et de ses entreprises. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur l'homme à succès de l’Amérique qui n'est pas tout blanc et donc les entreprises font de très grosses pertes dans le monde réel. Et le succès de Musk est surtout un succès des commandes publiques de l'état américain. Par exemple, SpaceX a été financé par la Nasa à hauteur de 15 milliards de dollars sur une décennie. C'est une habitude américaine de déguiser les interventions publiques derrière de grands noms du secteur privé. On est loin de la présentation qui est faite du bonhomme qui serait le pur produit du marché libre et du self made men. Mais le cœur du sujet d'aujourd'hui n'est pas Musk et sa politique de communication, elle vise plutôt à parler de l'illusion qu'il y a sur la robotique et ses effets, en particulier sur la question qui nous taraude celle de l'effondrement démographique.

 

Il est important tout d'abord de rappeler que la robotique est en grande partie une science qui a été largement fantasmée dans la culture populaire. Le grand auteur de science-fiction Isaac Asimov et son œuvre ont en grande partie influencé l'image que le grand public a pu développer sur la question. Le terme même de robot qui n'a pas été inventé par Asimov, mais popularisé par lui montre l'impact que cette œuvre a pu avoir sur la culture populaire. Il ne s'agit pas de critiquer cet impact, c'est juste un constat. Le cinéma avec des œuvres ultérieures finira le travail de l’imaginaire de la robotique, à l'image des œuvres comme celles de Terminator ou Matrix. Des films qui donneront même une image franchement négative à l'évolution technologique. Si toutes ces œuvres n'ont en réalité pas grand-chose de réaliste ou proche du fonctionnement réel de la robotique (les trois règles de la robotique d'Asimov n'ont par exemple aucun sens en pratique), elles ont insufflé une image qui aujourd'hui structure les représentations que le commun des mortels se fait de ces techniques et sciences. Une image que les scientifiques et les entreprises connaissent bien, et peuvent d'ailleurs manipuler à loisir pour faire des effets de communication dans la presse et les médias.

 

L'intelligence artificielle qui porte extrêmement mal son nom en est un exemple frappant. Il ne s'agissait pas de décrire réellement les techniques employées pour faire comprendre ce qui se cache derrière l'IA, mais simplement d'utiliser des termes qui font appel à l'imaginaire populaire. Il y a intelligence donc forcément ça va être incroyable ou très risqué. Si on se contentait d'appeler ça des systèmes d'apprentissage par exemple l'impact sur la population et sur la finance serait bien moindre. Je me souviens d'un de mes profs à l'université qui nous montrait des techniques d'automatiques et qui nous a fait des cours sur les « réseaux de neurones » au début des années 2000. Lorsqu'il a expliqué ce qu'était ces « neurones » à savoir une simple boucle de rétroaction couplée à une fonction non linéaire, je lui ai demandé pourquoi on appelait ça neurone alors qu'il s'agissait vraisemblablement d'une version extrêmement simplifiée d'un vrai neurone. Sa réponse fut laconique « c'est plus vendeur ». C'est que le néolibéralisme avait déjà fait son œuvre et les universités tout comme les centres de recherche étaient en compétition pour rechercher des financements de plus en plus maigres l'état se désengageant de plus en plus de la recherche.

 

Le phénomène n'était pas propre à la France, mais à l'ensemble de l'occident. Même aux USA, il fallait chercher des financements. Et pour attirer le public profane surtout celui avec un gros portefeuille, les scientifiques se mirent à faire du commerce et à manipuler les expressions pour survendre leurs modèles et leurs techniques. L'un des premiers effets fut la fameuse bulle internet qui explosa aussi fortement qu'elle avait gonflé rapidement. La situation ne s'est guère arrangée depuis. Il semble même que la course folle à la recherche de financement oblige certains à carrément mentir, et à faire des falsifications. On voit ainsi de plus en plus de chercheurs mentir sur les données et faire de mauvaises publications scientifiques. C'est extrêmement grave parce que la science part du principe que le débat est honnête et qu'un scientifique ne cherchera pas volontairement à mentir pour atteindre un objectif de notoriété. La science accepte les erreurs, c'est normal, nous ne sommes que des humains, par contre le mensonge est un poison qui peut lui être fatal. Alors pourquoi est-ce que je parle de ceci? C'est pour souligner qu'il y a énormément de fantasmes dans le débat public sur ces techniques. Et que lorsque l'on parle de robotisation on entraîne immédiatement tout un tas d'idées reçues qui faussent le jugement et peuvent nuire gravement au débat.

 

L'automatisation est déjà ancienne

 

Contrairement aux idées reçues, nous ne vivons pas une révolution qui va entraîner une explosion de productivité. La révolution robotique a déjà eu lieu bien avant dans les années 60-70 en réalité. Il suffit de jeter un œil sur une usine moderne pour voir que l'intervention humaine est déjà extrêmement limitée. Et comme je l'ai déjà longuement expliqué, ce n'est pas la technologie en tant que telle qui a fait vraiment exploser la productivité, mais le fordisme. À savoir l'organisation scientifique du travail et la spécialisation des métiers. L'automatisation et la robotique sont venues accroître encore plus la productivité, mais la véritable rupture du 20e siècle, c'est bien le fordisme, et son organisation, qui l'a effectué. Avec toutes les conséquences que l'on connaît sur les travailleurs. Travailleurs qui se sont retrouvés à devoir exécuter des tâches souvent extrêmement répétitives. Si l'automatisation a bien eu un grand mérite, ce fut de réduire ces métiers de répétition même s'il a fallu compenser par la création d'emplois dans d'autres secteurs.

 

L'efficacité de la robotique en usine tient essentiellement au fait qu'il s'agit d'un espace maîtrisé où les machines sont dans un environnement entièrement contrôlé. La robotique moderne a toujours beaucoup plus de mal à montrer sa réelle utilité dans des espaces anarchiques et inconnus même si les progrès dans les « IA » leur permettent maintenant de se débrouiller à peu près correctement. Du moins pour certains domaines. La révolution actuelle tient à ce petit changement où l'on pense que les robots pourront enfin sortir des usines, si je puis dire, en effectuant des tâches dans des environnements non maîtrisés. Ils doivent pour y parvenir arriver à avoir des réactions autonomes. Alors on se met maintenant à fantasmer sur les robots cuisiniers, les robots ménagés capables de tout faire à votre place. Disons le tout net, si Musk amuse la galerie avec ses robots bipèdes, on attend encore en pratique l'utilité réelle de ces machines. Si les coûts en énergie, en entretien et en matières premières surpassent largement la création d'emploi, ne doutez pas que ces machines feront un énorme flop et ce ne serait pas la première fois dans l'histoire de la robotique.

 

Mais admettons que nous y arrivions. Les robots remplacent l'homme dans la plupart des actes de la vie quotidienne en étant plus efficaces. Est-ce que cela réglerait pour autant nos problèmes économiques ? On voit immédiatement le premier problème. Si les IA et les robots remplacent toute la main-d’œuvre, il n'y aura plus de salaire distribué. Et s'il n'y a plus de salaire distribué qui va consommer ce qui est produit ? Dès qu'il y a des gains de productivité, la question se pose en réalité. Si les gains sont plus rapides que l'enrichissement général qu'ils peuvent procurer, vous pouvez vous retrouver avec un problème de chômage et d'insuffisance de la demande. La crise chinoise actuelle dont nous avons déjà longuement parlé vient justement de cette déconnexion entre l'évolution des revenus, de la consommation et de la production. À n'en pas douter une société où le travail humain deviendrait « inutile » aurait un grave problème de cohérence interne. Alors certains nous diront que ce n'est pas grave puisque le but des très riches est de vivre sans bosser en laissant leurs esclaves robots faire le travail à leur place. Un peu à la manière des premiers colons de l'espace dans l’univers d'Isaac Asimov dans son livre « Les robots », sauf qu'en réalité ces œuvres techniques nécessitent tout une chaîne de production qui a besoin d'un volume de vente important pour être économiquement rentable. Le mythe de quelques riches vivant richement avec leur armée de robot seul au milieu d'un océan de misère humaine ne me semble pas du tout vraisemblable du point de vue économique et technique. En même temps, c'est rassurant, non ?

 

Reste la question des retraites. Est-ce que la robotisation peut compenser l'effondrement de la population active ? Si effectivement les robots arrivent réellement à remplacer l'humain dans des tâches domestiques ou de service avancé, on peut dire oui en partie, mais en partie seulement. Car sans aller jusqu'au grand remplacement total de l'activité humaine par des machines, le simple fait de remplacer certains emplois en manque de main-d’œuvre par des machines pose le même problème que celui précédemment cité. Vous remplacez la production, mais pas la consommation. Et vous créer ainsi un déséquilibre mécanique entre l'offre et la demande qui peut provoquer des crises de dépression à l'échelle d'une nation ou de la planète rendant difficile le maintient du modèle économique. L'automatisation totale ne pourrait vraiment compenser l'effondrement de la population active que si par ailleurs le niveau de consommation par tête augmentait dans les mêmes proportions ou que le temps de travail lui aussi diminuait pour se partager les quelques emplois restants. Mais nous sommes ici dans la logique purement théorique . En pratique on sait que cela est très difficile d'autant que l'obsession pour la réduction des salaires que promeut notre modèle d'économie dérégulé n'est pas vraiment à même d'aller dans cette direction. On en déduit assez logiquement qu'en réalité la seule façon de sauver nos systèmes de retraite est avant tout de refaire des enfants en nombre suffisant pour maintenir le niveau de population. Ce ne sont pas les robots qui vont nous sauver de l'effondrement démographique.

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