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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 15:50

 

Nous avons précédemment surtout parlé du RN. Il me semble tout de même approprié de parler rapidement de son ersatz Eric Zemmour. À dire vrai depuis le début, j'ai bien du mal à comprendre l'intérêt de ce mouvement au sein du système politique français. Eric Zemmour n'apporte absolument rien au débat et en réalité ne donne pas vraiment de véritable alternative à la France. Certains ont imaginé qu'il était en quelque sorte un machin fabriqué par les médias pour nuire au RN. Il est certain que son espace médiatique a été très large dès le début, ce qui peut effectivement donner cette impression. Mais l'on peut tout aussi bien expliquer ça par les réseaux de relations que possède le personnage. Son apparition est probablement due à une collusion d'intérêt. Et peut-être est-il sincère dans sa démarche. J'ai quelques doutes sur la question, vu le milieu dont il vient, mais passons. Personnellement, je ne me lancerai pas dans une recherche de stratégie médiatique et de coup tordu pour le contrer. Je n'utiliserai que des arguments rationnels et fondés, comme j'essaie de le faire le plus possible sur ce blog dans la limite de mes maigres capacités.

 

Alors, commençons tout de même rapidement par répondre au discours qu'il a tenu sur ses opposants souverainistes qui lui reproche à juste titre d'être incohérent en voulant rester dans l'UE. Des opposants qu'il décrit comme Frexiteur. Son propos est rapide, mais son argument ne visait probablement pas à convaincre ses opposants à mon avis, mais plutôt ceux de ses partisans qui commencent un peu à douter. Voici le court passage en question. Il fait quelque chose que j’exècre au plus haut point, il fait de la volonté de sortie de l'UE le résultat d'une colère ou d'un mouvement produit par l'émotion. Il joue les hommes compréhensifs, à l'égard de pauvres pommés qui cherchent à sortir de l'UE. Je grossis le trait volontairement, il n'a pas été aussi outrageux ouvertement, mais c'est très clairement ce qui ressort de son court propos. Nous lui répondrons simplement que c'est bien la raison qui nous pousse à vouloir sortir de l'UE et non la colère ou je ne sais quelle émotion qui nous dominerait. On voit ici à mon humble avis toute la limite du zemmourisme coincé dans son propre piège électoral à vouloir ménager la chèvre et le chou.

 

L’incohérence zemmourienne 

 

Zemmour a voulu construire une alternative au RN, mais pas l'alternative que l'on pouvait attendre ou espérer, celle d'une rupture avec la construction européenne mère d'une grande partie de nos malheurs, en particulier l'euro. Au contraire, Zemmour a fait une stratégie de droitisation par rapport au RN. Depuis quelques années, ce parti a produit une impression de donner du lest d'un point de vue économique, et de se s'orienter moins à droite sur le plan économique. Entendez, par là, moins libéral et plus interventionniste. En un sens, le RN était un peu obligé de le faire étant donné son électorat populaire. Zemmour en a sans doute conclu qu'une image plus à droite lui permettrait de piquer des voix dans les couches sociales de l'ancien Front National, celles des bourgeois de droite en quelque sorte. Le retour à l'obsession sur l'immigration et l'islam, le tout enrobé d'un discours libéral digne des années 80 a été en quelque sorte le programme de Zemmour depuis qu'il est apparu comme homme politique et plus comme le pamphlétaire médiatique qu'il était jusqu'alors.

 

On pourrait d'ailleurs ici souligner que le Zemmour de 2024 aurait quelques problèmes à s'entendre par exemple avec le Zemmour de 2005 ou 2010 qui était alors beaucoup plus critique sur la construction européenne autant que je sache, et pour le peu dont je me souviens. Cette évolution en soi est très étrange. Alors on pourrait ici y voir une stratégie pour prendre du poids électoral, mais c'est une stratégie très discutable. En effet si le RN en devenant « raisonnable » sur le plan européen on peut à la limite le comprendre puisqu'il a un électorat en grande partie captif. Changer de cap peut donc élargir sans doute son marché électoral même si cela conduira nécessairement ce parti à l'échec s'il arrive un jour au pouvoir. Mais Zemmour est un nouveau en politique. Il lui fallait donc créer une véritable identité qui lui soit propre et différente du RN. Je me base ici sur une réflexion purement électorale. Mais au lieu de s'appuyer sur une certaine cohérence en appelant à la sortie de l'UE, il a préféré faire du Le Pen version 1988 à coup de « dehors les Arabes ». Heureusement, il y a peu de chance qu'il dénie l'existence des chambres à gaz contrairement à son modèle programmatique.

 

Même si l'on se place du point de vue strictement électoral, on ne voit pas vraiment où son parti veut en venir. L'offre proeuropéenne et anti-immigration existe déjà, c'est celle du RN ou à la limite la droite plus classique. Ce parti fait donc doublon avec une offre politique qui n'a d'autre intérêt que la personne de Zemmour et la pancarte commerciale blonde qui l'accompagne. Le RN et Zemmour c'est deux fois la même chose, et la même impasse d'ailleurs. À dire vrai, je ne vois plus ceci que comme une espèce de lutte d'ego entre des personnalités qui visent le pouvoir simplement pour avoir le pouvoir. Ils ne cherchent pas réellement à résoudre les problèmes du pays. Le manque de sérieux des programmes est d'ailleurs là pour en attester. La France est vraiment le pays d'Iznogoud où tout le monde veut être président à la place du président sans vraiment savoir pourquoi.

 

En un sens, Zemmour est devenu peut-être sans le vouloir, et par la force des choses de son positionnement et de ses alliés, le candidat des « identitaires ». C'est d'ailleurs assez drôle quand on y pense de voir des identitaires soutenir un type qui n'est pas français sur le plan biologique, la France n'est pas à un paradoxe près. D'ailleurs, le courant identitaire m’a toujours paru suspect, comme une importation idéologique étrangère à la France et à son histoire. Leur obsession pour la race est vraiment quelque chose d'étranger à l'histoire de notre pays. J'y vois ici les effets de l'américanisation du pays plus qu'un produit de la réaction française à une immigration effectivement excessive et produisant de nombreux problèmes.

 

Pour en revenir aux contradictions, parlons un peu des propositions de Zemmour. Vous pouvez retrouver des résumés de leurs propositions politiques sur leur site. Sur l'Europe par exemple, monsieur Zemmour affirme « Reprendre le contrôle de nos frontières », et il continue en précisant qu'il faudrait modifier les traités européens si nécessaire. Cela confirme en premier lieu qu'il a bien conscience que ces politiques sont contraires au droit européen. Ouf, il n'est pas totalement inculte. Mais par ailleurs, il se fiche un peu de son électorat. D'une part, modifier les traités nécessite la majorité de l’approbation des membres dans certains cas, et même l'unanimité dans beaucoup d'autres. Qui peut affirmer ici qu'il est possible de mettre tous les membres de l'UE d'accord sur le fait par exemple de réduire l'immigration ? Est-ce que vous croyez sincèrement que l'Allemagne par exemple dont le patronat veut toujours plus d'immigrés va arrêter ces politiques d'un seul coup parce que monsieur Zemmour l'exige ? Ensuite, le laissez-faire n'est pas là par hasard. Le libéralisme est structurel à l'UE parce que lorsqu'il y a trop de monde avec des intérêts divergents, le laissez-faire et l'ouverture sont la solution la plus simple à mettre en œuvre. Les concepteurs de l'UE, qui étaient des gens anti-démocrates, mais intelligents, savaient très bien ce qu'ils faisaient en créant leur grand machin. Une structure qui allait mécaniquement affaiblir les états et créer un grand marché dérégulé par la force des choses et des contradictions entre les intérêts nationaux. Ce qu'ils n'avaient pas prévu c'est que loin d'apporter la prospérité, la disparition des états nations apporte la misère, l'impuissance générale, et le déclin très rapide du continent européen.

 

 

Autre exemple. Zemmour propose de protéger nos entreprises de la concurrence déloyale. Mais c'est totalement incompatible avec tout l'ADN de l'UE qui ne veut ni taxe interne ni déformation du commerce par intervention des états. Pour l'UE avoir des salaires très bas n'est pas une concurrence déloyale, les Français n'ont qu'à être moins payés, c'est tout. Là encore, il faudrait fortement modifier les traités et c'est impossible. Et que dire de l'euro dont monsieur Zemmour ne parle pas. La zone euro une zone monétaire non optimale. Cela signifie que c'est une zone où le capital est libre, les marchandises aussi, mais pas vraiment les personnes. C'est aussi une zone où en réalité il n'y a pas de solidarité. Les flux monétaires d'aide sont en réalité très faibles par rapport aux PIB européens. Les zones riches n'aident pas vraiment les zones pauvres qui coulent indéfiniment contrairement aux régions à l'intérieur des nations qui bénéficient de transfert très important entre elles. Or la France fait l'essentiel de son déficit commercial avec le reste de la zone euro. Après le fort déficit avec les Pays-Bas doit cacher des importations d'autres pays et zones. Il s'agit probablement d'importations chinoises et asiatiques camouflées par le fait que la France importe à travers les ports néerlandais et belges. Mais on voit bien que l'euro est un véritable boulet pour notre économie. Et un problème monétaire de cette envergure nécessiterait pour être compensé des quotas et des droits de douane totalement incompatibles encore une fois avec les traités européens.

 

On le voit rapidement sur ces sujets. Tout changement réel en France ne peut être réalisé qu'accompagné d'un retour à la souveraineté nationale. La sortie de l'UE et de l'euro n'est pas une condition suffisante pour résoudre nos problèmes, mais c'est une condition nécessaire. Il faudra aussi rompre avec l'idéologie néolibérale. Et sur ce plan Zemmour, et son parti, sont très mal placés pour le faire, tout englués qu'ils sont dans l'idéologie thatchérienne des années 70-80. J'ajouterai ici une petite réaction à un argument grossier souvent utilisé par les partisans de Zemmour, celui de la dette publique. Nous serions incapables de sortir de l'UE et de l'euro à cause de la dette publique. C'est un argument qui n'a pas de sens. Tout d'abord, la dette publique française était beaucoup plus forte en 1945 et ça n'a pas empêché la France de se redresser toute seule alors que le pays était dans un état catastrophique. Ensuite, cette dette est le produit justement de la construction européenne qui nous est défavorable. En désindustrialisant le pays, on a détruit la source de la richesse et des gains de productivité. Tout ce qui concourt à ramener l'industrie en France permettra justement de réduire la dette à terme. C'est surtout le déficit extérieur et la dette extérieure qui posent problème et cela ne peut pas être comblé sans dévaluation et politique protectionniste.

 

Du reste, rappelons que dans le pire des cas on peut monétiser ou répudier une dette. Si monsieur Zemmour est aussi passionné d'histoire qu'il le prétend comment peut-il ignorer le nombre de fois où la royauté française s'est assise sur les dettes contractées au nom de l'intérêt national ? Ce ne serait pas la première fois très franchement. Et une petite inflation à 4% pendant quelques années accompagnées d'une dévaluation et d'une indexation des salaires sur l'inflation réglerait mécaniquement bon nombre de nos problèmes. Et cela ne nécessite pas de politique très complexe à mettre en œuvre. Évidemment cela ne plairait probablement pas à l'électorat, rentier et bourgeois qui vote Zemmour. Un électorat dont le patriotisme ne dépasse sûrement pas les intérêts du portefeuille.

 

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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 15:46
Le suicide économique français

 

Voici donc notre guide suprême qui invite l'occident et l'OTAN à mettre des troupes en Ukraine pour combattre les grands méchants Russes. Ces propos stupéfiants ont entraîné une réaction assez forte non seulement en France, mais également à l'étranger. Le chancelier allemand a immédiatement démenti tout comme la plupart de ses homologues européens. Même en France chez ses sous-fifres politiques, la réaction a été pour le moins bien plus mesurée que les propos du chef de l'état. Scholtz a même déclaré jeudi 29 février «  Des diplomates au lieu de grenades » . L'hypothèse d'Emmanuel Todd sur un inéluctable rapprochement entre la Russie et l'Allemagne semble commencer à se produire. Berlin qui a subi de plein fouet les effets de la guerre et surtout des mesures anti-russes qui ont suivi semble contrainte par ses intérêts économiques. Le patronat allemand fait probablement de forte pression pour que le gouvernement change de direction vis-à-vis de la Russie et abandonne en partie les délires atlantistes qui ont dévoré les membres de l'UE ces dernières années. Encore une fois, une nation normale doit être mue par ses intérêts. Et l'Allemagne n'a pas intérêt à un conflit avec la Russie. Si les USA ont réussi momentanément à rompre ce lien naturel, cela ne peut pas durer éternellement parce que cette réalité est inscrite dans la géographie de ces deux nations.

 

Du reste, rappelons que la Russie n'est pas l'ennemi de la France et que nos deux pays n'ont aucune raison pratique à rentrer en conflit contrairement aux propos de notre président. Rappelons également à la suite d'Emmanuel Todd que la Russie est un pays largement sous-peuplé qui est en réalité en surexpansion par rapport à sa démographie. Elle a trop de terre par rapport à sa population, elle fait environ 30 fois la taille de la France pour une population à peine plus de deux fois supérieure. Elle n'a déjà pas assez de population pour exploiter tout son potentiel, mais elle s'aventurerait dans une guerre contre les Scandinaves ou les Polonais pour accroître encore son territoire ? C'est absurde. La Russie a besoin de plus d'habitants et de plus de naissances, et cela ne se gagne plus depuis longtemps par la guerre. On est plus à l'époque des razzias pour attraper des esclaves et les faire bosser dans les champs et les mines. Il est stupéfiant que nos représentants nationaux puissent à ce point raconter n'importe quoi sur la Russie sans qu'il n'y ait la moindre remarque sur le bien-fondé de leurs analyses pourtant clairement erronées.

 

Une politique d'autodestruction de la nation française

 

Mais si cette réalité apparaît claire pour l'Allemagne malgré les étranges choix de ses élites parfois comme l’irrationalité de l'abandon du nucléaire, la France par contre apparaît de plus en plus suicidaire. Tout du moins la France des élites qui prennent des décisions de moins en moins en rapport avec les intérêts de la nation dont elles sont censées avoir la charge. En effet, si tout l'occident semble se mouvoir dans des idéologies qui le mènent souvent dans de graves erreurs qu'elles soient économique ou géopolitique, la France a la particularité d'être le pays qui a le plus constamment agi contre ses propres intérêts depuis le milieu des années 70. Un coup d’œil sur l'emploi industriel en France est assez instructif. La rupture date de l'époque de Giscard au milieu des années 70. Avant cela, la France gagnait des emplois industriels tous les ans malgré les énormes gains de productivité qu'on avait à l'époque. À partir du milieu des années 70, la CEE s'élargit et le libre-échange s'installe. Un libre-échange qui ne va pas cesser de s'intensifier, élaguant des parts de plus en plus importantes de l'industrie française. Ce suicide douanier sera bien évidemment accompagné de la fameuse politique de sadomonétarisme consistant à suivre le Deutschemark en collant le franc à ce dernier. Cette politique qu'on a malheureusement appelée politique du franc fort accéléra encore la désindustrialisation.

 

Le déclin de l'industrie française a été voulu par nos élites au milieu des années 70

 

La cerise sur le gâteau fut l'euro qui ancra définitivement la France dans un cadre monétaire qui ne correspond absolument pas à son économie, à ses besoins et à son territoire. Le résultat, nous l'avons aujourd'hui sous les yeux, c'est un pays totalement désindustrialisé qui n'arrive même plus à fabriquer des masques en tissu et ne peut même plus fournir des médicaments de première nécessité à sa population. La France se retrouve dans l'état d'un pays qui sortirait d'une guerre, mais sans avoir fait la guerre, uniquement parce que ses prétendues élites ont passé ces cinquante dernières années à agir sciemment contre les intérêts nationaux pour des idéologies plus ou moins absurdes et des fantasmes de nation européenne. On le voit donc ici rapidement, le macronisme n'est que l'aboutissement d'un processus commencé dans les années 70. C'est le stade terminal de la destruction de la nation et de ses capacités productives. L'étape suivante sera très probablement la destruction des politiques sociales et publiques de façon plus ou moins assumée. On remarquera que les économies que l'état vient de faire à hauteur de 10 milliards d'euros se sont surtout faites sur les dépenses d'investissement. L'éducation, la recherche, et la santé sont les trois budgets les plus durement frappés par les économies. Ce n'est pas un hasard. Cela s'inscrit dans cette volonté de destruction du pouvoir macroniste. C'est également le fruit de l'impuissance pratique dans laquelle les choix néolibéraux et européistes ont mis le pays depuis deux générations.

 

Les économies de la start-up nation macronienne. On brule les muscles et on garde la graisse.

 

Dans son livre Emmanuel Todd parle peu de la France. Il faut dire que c'est un pays très secondaire aujourd'hui. Une nation qui a cessé depuis vingt ans au moins d'avoir sa propre politique, y compris sur les affaires géopolitiques. C'est un pays totalement inféodé à des puissances étrangères que ce soit celle des USA pour les affaires de stratégie ou sur les intérêts allemands sur les questions économiques. Pour faire simple, on dira que la dernière action indépendante de la France fut l'action contre la seconde guerre en Irak et le discours de Dominique de Villepin, c'est-à-dire 2003. Depuis, la France a mis au pouvoir uniquement des atlantistes à commencer par monsieur Nicolas Sarkozy. On comprend vite pourquoi dans un livre qui parlait surtout de géopolitique notre nation est à peine mentionnée. Nous avons déjà parlé de la notion de nihilisme utilisée par Todd pour dire que cette notion n'expliquait pas tout. Si Nicolas Sarkozy ou Hollande peuvent en effet apparaître comme des individus creux et nihilistes, est-ce le cas d'un Giscard dans les années 70 ?

Il est vrai comme l'a d'ailleurs expliqué Todd que le nihilisme a été précédé par des croyances de substitution au christianisme. Le libéralisme et le communisme furent des théologies de remplacement à la vieille religion en déclin. À partir des années 60, ce fut l'européisme qui rentra petit à petit comme croyance de substitution chez nos élites. Elle fut d'autant mieux acceptée que le déclin démographique relatif de l'occident et de l'Europe rendait le déclin économique et politique de nos nations assez inéluctables. La construction européenne fut donc la grande idéologie de remplacement des années 70-90. Et cette idéologie fut particulièrement forte en France, rappelons que l'UE doit sa structure bureaucratique en grande partie aux hauts fonctionnaires français. L'aspect très technocratique de la structure de l'UE doit énormément à la France malheureusement. Giscard fut l'un des grands prêtres de cette nouvelle religion païenne qui devait conduire le continent vers des lendemains qui chantent. Depuis les années 2000, cette idéologie a perdu en réalité beaucoup de sa superbe en grande partie parce que l'accroissement considérable du poids de la construction européenne n'a pas du tout apporté les fruits escomptés. Nous vivons la fin d'un rêve, ou plutôt d'une folle illusion. C'est en ce sens effectivement qu'on peut aujourd'hui décrire Macron comme un nihiliste européen. Il continue la marche forcée vers l'européisme, mais en réalité il n'y croit probablement plus, tout comme la majorité de ses sbires d'ailleurs.

 

Ils font semblant et suivent par la seule dynamique des intérêts personnels. En ce sens, ils sont nihilistes, et ils prennent même peut-être du plaisir dans la destruction des résidus de pouvoir de leur propre nation. Mais sortons du cadre de l'hypothèse religieuse et nihilistes toddien et réfléchissons à la nature de la construction européenne actuelle. Dans un monde où en réalité plus personne ne croit vraiment au projet, qu'est-ce qui fait mouvoir encore ce grand machin ? Et bien, c'est le mécanisme naturel d'élargissement sans fin de la bureaucratie. On ne fera pas appel ici à Emmanuel Todd, mais plutôt au principe de Peter et à Eisenhower et son complexe militaro-industriel. En effet dans cet état de non-croyance et d'effondrement de l'esprit européiste sous les coups des résultats concrets du projet européen, il reste la motivation pécuniaire. Travailler pour l'UE, ça rapporte. Non seulement grâce aux salaires, mais aussi indirectement grâce aux grandes relations de corruption interne à cette machinerie bureaucratique sans doute l'une des plus corrompues de la planète. Rappelons que l'UE c'est près de 12000 organisations qui essaient d'influencer les votes et les choix au parlement européen. Autant de places à prendre dans le secteur privé par renvoi d’ascenseur une fois que vous quitterez votre opulent poste de député européen.

 

D'un côté, la bureaucratie favorise le principe de Peter où les gens qui montent au sommet multiplient les délégations de pouvoir et les petits postes de serviteurs comme autant de signes extérieurs de pouvoir. Leur permettant d'aligner leurs avis sur tous sans bosser en déléguant un maximum les efforts sur la tête des sous-fifres. Et de l'autre côté, cette immense structure bureaucratique, tentaculaire, sans tête et sans nation à servir, joue à se donner une importance sans cesse croissante pour justifier son expansion sans fin en matière de personnel et d'argent. La multiplication des normes et des règlements de toute sorte ne viennent pas principalement d'une idéologie qu'elle soit écologiste ou autre. C'est avant tout le moyen de permettre l'extension permanente de la masse bureaucratique de l'UE. Tel le complexe militaro-industriel américain qui justifie sa propre existence et ses budgets par la fabrication permanente d'ennemis, le complexe bureaucratique européen justifie en permanence son extension par ses normes et ses élargissements absurdes. Le nihilisme européen a produit une extension infinie du bureaucratisme européiste. À mon sens, si Macron est un symptôme important du nihilisme qui frappe les élites de notre pays, la construction européenne est encore plus représentative du phénomène. Elle avance sans soucis de cohérence, ou de viabilité à long terme. Elle marche vers son propre anéantissement, car son poids finira par faire rompre inéluctablement sa structure. Les fortes manifestations des agriculteurs n'étant qu'un premier pas vers une prise de conscience générale du caractère extrêmement néfaste de cette structure politique. Un autre exemple récent, madame Von der Leyen, vient de signer un nouveau traité de libre-échange avec le Kenya et le Chili en pleine crise agricole. La marche vers le suicide européen s'accélère dans la joie et l'allégresse chez nos dominants.

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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 16:07

 

Autonomie de production et démocratie

 

La capacité d'une nation à pourvoir à ses propres besoins, définit en grande partie ses possibilités actives en matière politique. C'est une chose qui a été grandement oubliée depuis une quarantaine d'années et qui vient de réapparaître subitement au détour des effets de la récente crise sanitaire et encore plus violemment sur la question de la guerre en Ukraine. Il y a un lien très clair entre la politique, la démocratie et la capacité d'une nation à produire et à répondre à ses propres besoins. L'impuissance des hommes politiques français tient évidemment à la construction européenne, mais pas uniquement à cause des traités. C'est avant tout les dégâts qu'a provoqués la construction européenne sur notre économie et particulièrement sur notre industrie et notre agriculture qui ont tué la capacité de la France à peser. L'économiste Jacques Sapir qu'on ne présente plus vient de faire une démonstration particulièrement révélatrice en la question dans un long interview très intéressant sur la chaîne TVL. Il parle de la situation en Ukraine et à un moment donné il dit très clairement que le problème de l'aide à l'Ukraine n'est pas une question d'argent, mais de capacité de production. Que l'on soit pour ou contre l'escalade en Ukraine, il est important ici de noter l'impuissance de l'état français qui ne sait que distribuer des chèques et des aides.

 

En un sens la lente agonie des politiques industrielles et la disparition des générations qui avaient réellement vécu la guerre ont fait disparaître la capacité de compréhension du réel chez nos prétendus élites. J'ajouterais à ça le fait que ces dernières n'ont que très rarement des formations scientifiques et techniques, les grandes écoles commerciales ayant remplacé en grande partie les formations plus centrées sur les sciences dures. C'est à souligner, car les scientifiques et les techniciens gardent généralement une approche plus pragmatique et factuelle des problèmes. Le fait que nos dirigeants soient généralement de formation juridique, commerciale ou autre aura plutôt tendance à favoriser l'art de la rhétorique et de la manipulation de symbole aux analyses factuelles. Nous avons donc un état qui prétend aider l'Ukraine. Qui dépense de l'argent pour aider l'Ukraine, mais cet argent reste dans les caisses de l'état parce que la capacité de production de l'industrie d'armement n'est pas à la hauteur des dépenses engagées. L'état néolibéral mue par le seul appât du gain et le calcul à court terme s'avère donc incapable d'organiser une production et de résoudre les problèmes réels. Tout ce qu'il sait faire s'est imprimé des billets et dépenser de l'argent pour acheter des biens produit ailleurs. On est bien loin de l'économie monétaire de production qui avait été mise en place au lendemain de la guerre et qui devait d'ailleurs beaucoup à l'économie de guerre justement. C'est d'ailleurs ce que connaissent un peu les Russes d'aujourd'hui. Un retour de l'état interventionniste mue par les besoins de la guerre et la redécouverte des bienfaits de la planification industrielle et du protectionnisme même si c'est contraint et forcé.

 

Et ce qui est vrai pour l'armement l'est pour tout le reste. La pénurie de médicaments en France n'est toujours pas résolue et n'est pas près de l'être par exemple. Pourtant l'état et Emmanuel Macron n'ont cessé de parler de leur volonté de rétablir une production nationale. Mais il ne se passe rien parce que les fondements de leur idéologie leur interdisent de faire de la planification, du protectionnisme et de la stratégie productive. Le laissez-faire reste leur unique fond de commerce et les propos de Macron au salon de l'agriculture prétendant que notre agriculture n'existerait pas sans l'UE en sont un énième exemple. Il s'agit pourtant là de quelque chose d'encore plus important que la question militaire. Alors que la France connaît une hausse de sa mortalité infantile, il faut sérieusement se demander si nous n’arrivons pas à la fin dramatique d'une idéologie qui aura finalement coûté aux Français leur niveau de vie. La tiers-mondisation de la France n'est plus un vague sentiment. C'est quelque chose que la population peut voir de plus en plus dans sa vie de tous les jours. La dégradation des services publics n'est que l'avant-goût de l'effondrement économique général que nous subissons et notre incapacité à produire quoi que ce soit.

 

Le long chemin nécessaire de la réindustrialisation

 

En détruisant son appareil productif, la France ne s'est donc pas seulement appauvrie, elle et toute sa population. Elle a également oblitéré sa puissance et sa capacité d'action politique. La souveraineté nationale n'est pas que politique, elle passe aussi par la souveraineté de la production qu'elle soit militaire ou civile. Une nation qui dépend trop de l'étranger pour subvenir à ses besoins n'est plus vraiment souveraine. Elle se met naturellement en situation de servitude vis-à-vis de l'étranger. Et quand vous êtes dépendant, la politique n'est plus indépendante, et le vote ne sert donc plus à rien puisque le pouvoir est ailleurs. Pendant longtemps les européistes à l'image de Jacques Delors ou d'un Michel Rocard ont vendu l'Europe comme une France en plus grande. Ils prétendaient que la taille de l'Europe permettrait une véritable souveraineté européenne puisque d'après eux elle ne pouvait plus entre Françaises. La vérité fut contraire à leurs prétendues attentes. Nous renonçâmes à notre indépendance pour un projet qui nous a fait jeter à la poubelle toutes nos capacités de production. Et loin d'avoir fait une Europe souveraine, jamais le continent n'a été à ce point dépendant de l'étranger. Les européistes ont donc créé une Europe de l'impuissance générale guidée par le prisme de l'idéologie du laissez-faire.

 

Alors, pour finir sur ce plaidoyer sur la question de l'autosuffisance nationale, parlons un peu de la réindustrialisation. Je l'ai déjà longuement décrit dans plusieurs de mes textes. La réindustrialisation ne sera pas simple, c'est un long chemin. Il est plus facile de détruire des industries et des savoir-faire que de les construire. Car construire prend nécessairement du temps. On le voit dans le cas des USA. Ce pays qui est allé très loin dans le sabordement de son industrie a même détruit sa capacité à produire des ingénieurs et des ouvriers spécialisés. La situation est telle que malgré les énormes aides octroyées à l’entreprise taïwanaise TSMC, spécialiste mondial des semi-conducteurs, pour construire une usine aux USA et réduire leur dépendance en importation dans le secteur, l'entreprise a du mal à faire avancer le projet. On apprend ainsi sur « The Economist » que l'usine japonaise sortira bien avant le projet américain. Essentiellement parce que le Japon est un pays qui a gardé une grosse part de formation scientifique ainsi qu'une bonne base industrielle contrairement aux USA. Pourtant l'industrie des semi-conducteurs est née aux USA, pas en Asie. On voit les dégâts que le libre-échange et le laissez-faire ont produits en seulement deux générations.

 

Il en va de même pour tous les types de production. C'est même le cas dans les domaines moins complexes comme l'agriculture. Toute production d'un certain niveau technique et surtout d'un certain niveau de productivité demande de la formation et du temps avant d'être optimale. Plus grave nous n'avons probablement même plus les enseignants pour former des jeunes dans bon nombre de domaines. En effet les bons enseignants dans les domaines pointus sont souvent des gens qui ont bossé dans l'industrie et la recherche naviguant entre les secteurs. Quand cela fait plus d'une génération que vous avez abandonné tout un pan d'un domaine de production, les gens qui bossaient dedans sont partis ailleurs ou ont changé de métiers perdant aussi du savoir-faire quand ils ne sont pas simplement morts de vieillesse sans rien transmettre aux nouvelles générations. La réindustrialisation en France prendra donc du temps. Elle devra s’accompagner d'une politique macro-économique favorisant la production nationale, mais sans précipitation pour ne pas favoriser une trop forte inflation. Comme le disait Keynes dans la citation du texte précédent, il ne faut pas arracher la plante économique avec ses racines, mais l'habituer petit à petit à pousser dans une autre direction, celle de la production nationale. C'est un long cheminement de plusieurs décennies.

 

Il nous faudra également accepter d'apprendre d'autres nations et de former des jeunes en Asie très probablement, là où sont désormais les savoir-faire dans bon nombre de domaines. Cela prendra du temps et nécessitera un peu d'humilité. Nous devons accepter le fait que nous ne sommes plus un pays riche et puissant, mais un pays en développement sur le plan industriel. C'est sur ce point que je crains le plus nos élites qui ont un orgueil à l'échelle de leur incompétence. L'objectif de la réindustrialisation ne doit pas être de devenir tout puissant et un gros exportateur. La France n'en a pas les moyens humains. Le but doit être plus modeste, favoriser un bon niveau d'autosuffisance nationale. On pourrait se fixer pour but de pourvoir à au moins 80% la plupart de nos besoins essentiels. Il ne s'agit pas de vivre en vase clos, mais d'être suffisamment autonome pour ne pas subir les affres de décisions ou d’événements étrangers. Il s'agit pour la France de pourvoir à l’essentiel de ses besoins pour qu'à nouveau nous soyons nous même libres de nos choix collectifs. Je le répète, la souveraineté agricole et industrielle est liée à la possibilité politique et donc à la démocratie. Cette souveraineté permet la mise en action du choix politique. C'est donc à la condition que nous soyons à nouveau capables de produire ce que nous consommons que nous pourrons à nouveau affirmer vivre en démocratie.

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23 février 2024 5 23 /02 /février /2024 15:50

 

« Je me sens donc plus proche de ceux qui souhaitent diminuer l'imbrication des économies nationales que de ceux qui voudraient l'accroître. Les idées, le savoir, la science, l'hospitalité, le voyage, doivent par nature être internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c'est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale. Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens le fassent avec prudence et sans précipitation. Il ne s'agit pas d'arracher la plante avec ses racines, mais de l'habituer progressivement à pousser dans une direction différente. »

 

De l'autosuffisance nationale John Maynard Keynes Londres 1933

 

 

Je suis toujours éberlué par la capacité des économistes libéraux à être à ce point aveugle aux conséquences de leurs propres doctrines. Un cas exemplaire est celui de l'économiste Nicolas Bouzou que les médias font apparaître un peu partout avec un tampon « d'économiste ». Un spécialiste ne saurait être un idéologue ou un défenseur d'intérêt particulier. Non, il est juste économiste, un comme les médecins défendant l'industrie pharmaceutique durant la crise du Covid. Pour ce monsieur, tout va bien en occident, il n'y a pas d'effondrement. Il fait partie de ces économistes qui n'ont comme sens de la mesure du réel que le PIB exprimé en dollar, les taux de chômage sans questionnement et une ignorance totale des questions commerciales et des déficits cumulés en la matière. Peu importe l'effondrement de l'espérance de vie, la hausse de la mortalité infantile que ce soit aux USA ou en France. Peu importe également l'échec de l'OTAN face à la Russie en Ukraine. Non tout va bien en occident, puisque Nicolas Bouzou le dit ça doit être vrai.

 

Les esprits les plus alertes auront déjà remarqué la très grande ressemblance entre les libéraux actuels qu'ils soient néo ou autre chose, avec les communistes de la fin de l'URSS. C'est dans ce genre de situation que l'on remarque le caractère profondément religieux de ces idéologies. Loin d'être seulement une façon de voir les choses qui pourraient être respectables si de temps en temps elles acceptaient le réel qui les contredit. Leur acharnement à ne pas vouloir reconnaître des erreurs impliquant peut-être des raisonnements erronés, montre ce caractère religieux. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de l'européisme qui est un cousin très proche et convergeant avec l'idéologie libérale. Les apôtres de l’Européisme ayant souvent la double casquette idéologique européenne et libérale. Si j'ai commencé ce texte par cette célèbre citation de Keynes qu'il a écrit dans son texte « National Self-Sufficiency », c'est que le sujet du jour est l'autosuffisance nationale. Un véritable gros mot par les temps qui courent, mais un sujet que j'ai régulièrement abordé, même si je n'ai certainement pas le talent d'un Keynes. Précisons d'ailleurs que Keynes fut longtemps lui-même un libéral. Il se considérait comme tel d'ailleurs. Mais la crise de 1929, et la vision d'un libéralisme incapable de résoudre les problèmes, l'ont fait changé d'avis. Il était devenu clair pour lui que le libéralisme ne pouvait pas résoudre la crise et que bien au contraire le laissez-faire conduisait l'humanité à de plus grandes catastrophes.

 

En un sens, la crise actuelle de la globalisation et la situation géopolitique du monde est assez semblable à celle de 1929 même si les acteurs et les rapports de forces sont différents. On a une crise qui est latente, et qui est en grande partie le produit de la dérégulation et du libre-échange de la période des années 70-90. La globalisation est allée beaucoup plus loin que dans les périodes de crises précédentes que ce soit au 19e siècle ou au début du 20e. Jamais les économies n'avaient été autant interdépendantes, et jamais des régions entières n'avaient été autant vidé de leurs capacités de production. La globalisation libérale a réussi le tour de force de faire perdre à l'occident ses siècles d'avance industriel et technologique en l'espace de deux générations. C'est une prouesse qu'il faut noter et qui restera marquée dans l'histoire comme la plus grande bêtise qu'une civilisation n'est jamais réalisée à un tel rythme. Il ne s'agit pas ici de critiquer la montée de la Chine et du reste du monde. En soi c'est une bonne chose. Mais de souligner qu'il s'agissait clairement d'un suicide collectif pour les sociétés occidentales. Le tout mue par le calcul égoïste de certaines classes sociales qui ont vu dans le libre-échange un moyen commode et pratique d'écraser les classes sociales laborieuses de leurs pays respectifs. On ne le dira jamais assez, la véritable motivation au libre-échange n'a jamais été la croissance, cette dernière n'a d'ailleurs jamais cessé de baisser en occident depuis les années 70. Le vrai but a toujours été la domination de certaines classes sociales sur d'autres.

 

Nous arrivons donc désormais à la fin du cycle libéral même si les libéraux ne veulent pas le voir. La globalisation a concentré les activités productives à certains endroits et les consommateurs dans d'autres en particulier en occident. Le résultat est bien évidemment des déséquilibres commerciaux monstrueux qui remettent petit à petit en cause la capacité des anciennes puissances industrielles à s'endetter et donc à continuer de consommer les produits importés. Ce faisant cette crise de la demande se transforme aussi en crise de surproduction dans les pays fortement industrialisés comme la Chine ou l'Allemagne. Faute de client solvable, le système capitaliste se cannibalise et produit du chômage. C'est particulièrement voyant en Chine ou malgré la très forte baisse du nombre de jeunes, le chômage explose chez cette catégorie de la population. Le modèle mercantiliste de ces pays n'est viable que tant que les pays qui cherchent à accumuler des excédents ne sont pas trop gros par rapport aux pays qu'ils parasitent. Au-delà d'une certaine taille, ils tuent leurs hôtes en quelque sorte. Il est bien évident qu'un système économique mondial ne peut être viable que si toutes les régions du monde équilibrent à peu près leurs balances des paiements. Sans quoi des crises arrivent inéluctablement.

 

La différence entre Keynes et les libéraux c'est que les seconds pensaient qu'en laissant faire le marché, la régulation se ferait tout seule, par la magie de la main invisible. Pour Keynes il n'y avait aucune raison pour que la somme des intérêts individuels accouche comme par magie de l’intérêt collectif. Il n'y avait donc aucune raison pour que le libre-échange accouche naturellement d'un monde en équilibre macro-économique et commercial. On pourrait ici discourir longuement sur l'origine de ces disparités commerciales. La structure familiale, le rapport à la consommation, les avantages en terme éducatif géographique sont autant de facteurs explicatifs de ces disparités. Les libéraux peuvent pleurer sur ces déséquilibres, le fait est qu'ils sont là et qu'ils produisent des crises à répétition. Il est donc primordial si l'on est un peu rationnel de prôner un rééquilibrage macro-économique, ce qu'aucun libéral ne prône jamais. Enfin sauf pour prôner de fausses mesures, en parlant de réduction des salaires ou des politiques sociales. Comme si la baisse des charges pouvait suffire à rééquilibrer le commerce français par exemple. On est là sur de fausses solutions démagogiques, mais ce sont pourtant tout le temps celles-ci qui sont mises en avant par les médias et les économistes de plateau télé. Un économiste libéral, mais un peu plus sérieux pourrait au moins prôner une solution plus positive comme une hausse de la consommation de produits importés par les pays en excédent par exemple. Il n'y a bien sûr aucune chance pour que la Chine par exemple choisisse une telle direction, mais théoriquement cela pourrait résoudre une partie du problème.

 

La réalité c'est que la globalisation a créé une économie mondiale ingouvernable. Nous en avions déjà parlé dans plusieurs textes. La suppression des frontières et l'interdépendance conduisent à l'incapacité des états à agir. Seules les plus grosses puissances peuvent encore agir sur leurs économies, et encore. Cette impuissance conduit à la mort de la démocratie puisque cette dernière n'existe que si le pouvoir pour lequel on vote a encore du pouvoir sur les questions essentielles. Ce n'est plus le cas. La question de l'autosuffisance n'est donc pas seulement une question purement économique, c'est aussi et surtout une question de liberté politique et d'autonomie des peuples. Il vaut peut-être mieux avoir un niveau de vie légèrement inférieur avec des prix un peu plus élevés si cela permet une véritable démocratie et la paix civile. C'est tout le propos de Keynes dans la citation du début. Nous reparlerons de la façon de rendre à notre nation son autonomie macro-économique dans le prochain texte. Le chemin sera long, mais ce sera nécessaire si nous voulons à nouveau œuvrer à la paix civile et à la démocratie. La tendance oligarchique actuelle ne pourra que produire de plus en plus de conflits jusqu'à un retour à des formes de guerre civile. Le calcul des gains produit par la globalisation apparaîtrons alors pour des idioties absolues tant le prix à payer pour l'avoir apparaîtrons comme démesuré.

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 15:43

 

L'économie du Brésil

 

Nous avons vu dans la première partie que le Brésil était démographiquement dans les conditions idéal pour connaître un décollage économique. Le passage d'une société à forte fécondité et basse mortalité infantile à celui d'une faible natalité passe par un pic de la population active en proportion de la population totale. C'est ce phénomène de transition qui explique en partie le décollage de plusieurs régions du monde y compris la nôtre dans les années 50-70. Moins de bouches à nourrir et plus de travailleurs disponibles produisent une accumulation du capital beaucoup plus facile. Cela a facilité également la hausse du niveau scolaire global de la population parce que les familles ayant en charge moins d'enfants peuvent investir plus d'argent par tête dans l'éducation de ces derniers. Ce raisonnement poussé à l'extrême explique d'ailleurs sans doute en partie l'effondrement des naissances en Asie en particulier. Les parents cherchant l'excellence préfèrent n'avoir qu'un enfant et tout donner pour qu'il réussisse. Produisant à la fois d'excellents élèves, mais aussi de grands dépressifs à cause de la pression parentale qui s'exerce sur eux.

 

Nous allons donc commencer cette partie consacrée à l'économie par l'évolution de l'instruction au Brésil. Car l'éducation est l'autre facteur du développement humain. Pour se développer, on a besoin de techniciens, d'ouvrier spécialisé et d'ingénieurs, chose qu'on a un peu oubliée en France ou aux USA. Si l'on regarde le niveau d'alphabétisation, le Brésil revient de loin. Les pays d'Amérique du Sud étaient la partie de l'occident la plus en retard sur ce plan. Je dis d'occident parce que je considère ces régions comme culturellement occidentales. Ce sont après tout des pays peuplés en grande partie de descendants d'Européens et dont la matrice culturelle et linguistique est hispanique et lusitanienne. L'occident à mes yeux n'est pas une question de niveau de développement ou d'appartenance à l'Empire américain dont on peut en réalité se demander s'il est encore occidental avec ses évolutions culturelles de ces dernières décennies. De fait, ce retard est visible au Brésil, en 1960 seulement 60% de la population savait lire et écrire à une époque où l'Europe et les USA étaient déjà proches des 100% et avait entamé une massification de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, le taux est de 92%, ce qui signifie près de 100% dans la jeune population. Ce sont les personnes âgées des générations précédentes qui pèsent sur la moyenne nationale. Le pays a donc les qualités éducatives de base pour décoller sur le plan industriel.

 

 

Sur le plan de l'enseignement supérieur, les chiffres sont très intéressants. Le pays connaît un boom de l'enseignement supérieur. En 2020 il y avait près de neuf millions de jeunes faisant des études supérieures sur un peu plus de 16 millions en âge de faire des études supérieures. C'est un très bon taux d'étudiant. Plus intéressants encore, les jeunes Brésiliens semblent pour beaucoup se destiner aux sciences. Sur le tableau suivant qui vient du site campusfrance.org on peut voir l'attrait pour les sciences qui attirent 21% des jeunes. C'est d'autant plus correct que les sciences dures sont séparées de l'informatique et l’ingénierie, qui elles font carrément 34,6%. Cela veut dire que la moitié des jeunes qui font des études supérieures au Brésil se destinent aux sciences en général et seront donc potentiellement employable par l'industrie dans l'avenir. On est très loin des chiffres calamiteux français. Alors le tableau représente le choix des étudiants boursiers, mais il n'y a pas de raison de penser que le choix des autres étudiants soit très différent sur le plan statistique. Cela signifie une vraie dynamique sur le plan éducatif dans un pays extrêmement peuplé. On a donc un pays encore jeune dont les actifs sont très nombreux par rapport aux inactifs et qui en plus voit sa jeunesse augmenter rapidement en niveau de formation et qui s'oriente vers le cœur du dynamisme économique les sciences et techniques.

 

On comprend dès lors mieux pourquoi le Brésil décolle aujourd'hui alors qu'il avait jusque là échoué. Ce n'est pas le fruit du hasard ou l'action d'un homme providentiel, mais bien le fruit d’une évolution sociodémographique à long terme. En réalité dans ces conditions, même une mauvaise politique macroéconomique ne peut probablement pas arrêter la croissance et le développement. Seuls un conflit ou des décisions vraiment absurdes le pourraient, mais le Brésil a la chance de ne pas avoir Emmanuel Macron comme président. Pourtant, la croissance brésilienne n'a décollé que ces deux dernières années. On remarque une très faible et une croissance et même quelques années de récession entre 2013 et 2020. Le décollage actuel pourrait donc ne pas être durable malgré les avantages que cette nation possède. Si on parle en termes de poids économique pur, le PIB exprimé en parité de pouvoir d'achat de ce pays le classe quatrième puissance mondiale derrière la Chine, les USA, et le Japon. Pour rappel la France n'est probablement même plus dans les dix premières puissances économiques du monde. Après tout, dépends du calcul de parité, de l'inflation et d'autres facteurs. Mais il est clair que le Brésil est une véritable grande puissance qui pèse déjà.

 

 

Cependant ce pays qui a, comme on l'a vu, tout pour réussir, semble embarqué dans quelques erreurs de stratégie macroéconomique. En effet, si l'on regarde la balance commerciale du Brésil, on constate des déficits sur une longue période. Le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sous l'influence de l'idéologie néolibérale plus ou moins directement. Le succès d'un pays a été accroché à l'idée que le libre-échange était une bonne chose. Je ne crois pas d'ailleurs que Lula qui est revenu au pouvoir ait une quelconque envie de revenir sur cette question. Il existe à l'heure actuelle des barrières protectionnistes générales au Brésil, mais elles sont moindres avec la Chine qui a des accords bilatéraux depuis 1978. Ce pays a signé divers accords de libre-échange le plus célèbre étant l'organisation du Mercosur. Mais comme on le verra ensuite c'est le commerce avec la Chine qui pose problème Il y a par ailleurs des accords de libre-échange en discussion à l'heure actuelle entre l'UE et le Mercosur auquel appartient le Brésil. Il s'agit là à mon sens du véritable problème du Brésil. L'absence d'une véritable politique industrielle a fait retomber ce pays dans sa spécialisation classique, celle de pays producteur de matières premières et de produits agricoles.

 

 

Si les USA ont cessé d'être leur principal partenaire commercial, c'est la Chine qui joue aujourd'hui ce rôle. Mais on constate un rapport quasiment colonial d'un point de vue commercial entre les deux pays. Le Brésil important énormément de bien de technologie avancé chinois. Ce qui signifie qu'il n’y a pas de développement des capacités de production locale. Un phénomène qui se voit dans la part du PIB de l'industrie qui s'est cassé la figure à partir de 2010. Et comme vous pouvez vous en douter, c'est la Chine qui représente la plus grosse part du déficit commercial brésilien. On retrouve ici un peu la même situation qu'entre l'Inde et la Chine. Le mercantilisme chinois associé à une absence de politique et de stratégie industrielle nationale favorise un échange asymétrique qui ne pourra pas durer éternellement. D'une part parce que cela casse la croissance économique du Brésil. Ensuite parce que comme on l'a vue ce pays est par ailleurs extrêmement dynamique sur le plan démographique et éducatif. Un scénario à la portugaise où le pays se laisserait mourir en faisant partir ses jeunes est pour l'instant exclu à mon avis. Le Brésil est encore jeune et on peut plutôt penser à des révoltes et des phénomènes de colère populaires face à la situation du pays.

Car même si les inégalités ont reculé, la dette extérieure est un problème qui risque à long terme de pousser le Brésil dans des situations similaires à celles de son voisin argentin. La baisse du chômage récent donne des signes d'espoir d'autant que l'emploi industriel semble donner quelques signes de remontée, mais ce dernier ne représente plus que 20% de la population active contre près de 25% en 2014. On pense souvent que la globalisation a détruit l'industrie dans les pays avancés comme la France ou les USA et c'est tout à fait vrai. Mais cela a concerné aussi bon nombre de pays dans le monde. Le Brésil en est un exemple. La chine a aspiré une grande partie de l'activité productive mondiale, y compris celle des pays en voie de développement malgré leurs faibles salaires. Dans le contexte d'un marché mondial, la spécialisation du Brésil devrait être les productions agricoles et le secteur des matières premières. Pas vraiment de quoi occuper entièrement une société dynamique sur le plan scolaire.

 

 

Dernier point sur les inégalités territoriales. Comme on l'a vue, les différentes ethnies au Brésil sont relativement séparées sur le plan spatial au nord, les métis et les noirs au sud les blancs d'origine européenne. À cela s'ajoute une forte disparité de revenu entre le nord et le sud, la richesse étant surtout dans le sud comme l'indique cette carte du développement humain au brésil. Je ne connais pas assez bien ce pays pour savoir si des tensions séparatistes peuvent poindre un jour ou l'autre, mais il y a factuellement des conditions qui pourraient y mener. Il s'agit là probablement du plus grand talon d’Achille de cette nation. Nous voyons donc que si ce pays a un immense potentiel, ce dernier risque de ne pas en profiter s'il ne change pas d'orientation macroéconomique. Le pays devrait s’atteler à développer avant tout son industrie nationale au risque de perdre quelques marchés d'exportation et de se fâcher un peu avec la Chine. L’asymétrie commerciale n'est pas une bonne chose et je ne pense pas que ce Brésil souhaite troquer la domination néfaste des USA par celle de la Chine. Si le laissez-faire continue, c'est pourtant bien ce qui risque d'arriver à terme. Ce n'est pas la première fois que les pays d’Amérique du Sud souffrent du libre-échange et d'une absence de politique industrielle. C'est d'ailleurs à cause de cette idéologie qu'ils ont pris un énorme retard sur le reste de l'occident au 19e siècle. Le problème c'est qu'une politique industrielle nécessite une projection dans le temps. Or le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sujet à de violents phénomènes de changement politique. On le voit dans le passage entre Bolsorano et Lula. Difficile de faire une politique de continuité macroéconomique quand deux camps aussi disparates se succèdent. Pourtant il serait nécessaire par exemple que le Brésil ait une politique constante de substitution des importations industrielles par des productions locales pour monter en gamme petit à petit. Une politique qui n'est pas seulement protectionniste, mais qui passe aussi par une stratégie étatique à long terme. Il serait triste que le Brésil ne brille à l'avenir que comme fournisseur de main-d’œuvre qualifiée pour d'autres nations comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui du pauvre Portugal.

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5 février 2024 1 05 /02 /février /2024 16:03

 

Nous reprenons donc notre critique du dernier livre d'Emmanuel Todd au moment où il analyse la situation en Grande-Bretagne et rapidement dans le monde scandinave. La partie consacrée à la Grande-Bretagne est en un sens assez triste. On sait combien Emmanuel Todd est attaché à ce pays. Il y a fait une partie de ses études et de sa vie. Son côté atypique vient probablement en grande partie de sa double formation entre la France et la Grande-Bretagne. Il ne faut donc vraiment pas voir ses critiques comme étant nourri par une quelconque anglophobie. Il en va de même d'ailleurs pour les USA ensuite. Il regarde juste froidement les données qu'il utilise et essaie de les interpréter. Todd semble penser que les Anglais ont voté pour le Brexit pour de mauvaises raisons désormais. Essentiellement parce que les choix de la Grande-Bretagne postBrexit semblent assez mauvais. Il faut dire que la Grande-Bretagne n'a pas rompu avec son néolibéralisme traditionnel. Et il n'y a pas vraiment de volonté de réindustrialiser le pays. Les errements politiques des dirigeants britanniques et leur étrange hargne contre la Russie ont convaincu Todd qu'il y a désormais quelque chose de pourri au royaume de James Bond.

 

Todd fait notamment cette remarque statistique invraisemblable, en 2019, la probabilité qu'un jeune anglais blanc puisse faire des études supérieures était de 33%, alors qu'elle était de 49%pour les noirs, et de 55% pour les asiatiques. Il note que les élites anglaises sont en fait de moins en moins anglaises. Il met cela sur le compte de l'effondrement éducatif allié à l'effondrement de la croyance religieuse protestante qui jouait un rôle dans les efforts pour l'instruction. On pourrait y rajouter une xénophilie des élites qui n'est probablement pas étrangère non plus à cette situation. Autre marque de l'effondrement anglais, ils rétrécissent. On sait depuis longtemps qu'il y a une corrélation très forte entre la nutrition et la taille. Ce n'est pas un hasard si la taille moyenne de la population a augmenté dans les années d'après-guerre. On peut donc effectivement conclure que, sauf exception particulière, la baisse de la taille des enfants n'est pas un très bon signe sur l'état de santé de la population et son accès à la nutrition. Cependant, il faut faire attention avec ces données. Le Japon par exemple connaît aussi une baisse de la taille de sa population. Les Japonais les plus grands sont nés entre 1975 et 1980. Depuis, leur taille diminue légèrement. Mais ce n'est pas lié à un problème d'accès à la nourriture, mais plutôt aux pratiques médicales, les médecins japonais limitant très fortement la prise de poids des femmes enceintes au Japon. L'obsession de ne pas grossir aussi joue probablement aussi, les Japonais sont un des rares pays développés à échapper à l'augmentation de l'obésité. Il se peut que ce comportement ait joué sur la taille de la population. On le voit bien dans cet exemple, le lien avec la situation économique n'est pas automatique si je puis dire.

 

Pour Emmanuel Todd cet effondrement anglais est lié à la situation religieuse. Le Thatchérisme était en quelque sorte l'émanation de ce nihilisme produit par l'effondrement religieux. Il fallait prendre au mot la dame de fer lorsqu'elle disait que la société n'existe pas. On pourrait ici contredire Todd en disant simplement que les couches sociales aisées ont pris tout le pouvoir et que tout ceci n'a pas grand-chose à avoir avec l'effondrement religieux. Todd lui-même parle ensuite des pays scandinaves pour montrer dans leur caractère belliqueux récent la marque de ce nihilisme. Mais les pays scandinaves n'ont pas été touchés comme la Grande-Bretagne par un effondrement du système de santé ou du système éducatif comme Todd le dit lui-même d'ailleurs. À titre personnel je pense que l'influence des USA joue aussi son rôle dans le comportement de la Suède et du Danemark sur le plan géopolitique. Il n'est même pas sûr que ces pays aient une réelle politique indépendante. Y voir les effets de l'effondrement de la religion me paraît tiré par les cheveux.

 

L'empire américain et son effondrement

 

Nous venons maintenant au cœur du livre même si la partie précédente sert d'assise à la logique d'Emmanuel Todd. Les USA sont la nation du protestantisme et c'est ce protestantisme qui a nourri leur dynamique historique en matière d'alphabétisation précoce. Emmanuel Todd le rappelle même si c'est un fait assez connu. On pourrait d'ailleurs rajouter que c'est aussi ce protestantisme qui a nourri leur démographie. On l'a un peu oublié, mais les USA ont eu une natalité bien plus forte que l'Europe à la même période. Les Américains faisaient encore plus de 3 enfants par femme à la fin des années 60, la France du baby-boom c'était 2,6. On met souvent la dynamique démographique des USA sur le dos de l'immigration, mais en réalité c'est surtout la forte fécondité qui a créé leur dynamique. Une forte fécondité qui rendait d'ailleurs beaucoup plus facile l'assimilation des immigrés européens qui avaient souvent moins d'enfants que les locaux. Mais j'avais déjà parlé longuement de tout ceci dans mon texte consacré à la situation démographique américaine.

 

Pour Todd l'effondrement du protestantisme aux USA est marqué par le fait que les dirigeants du pays ne sont même plus de culture protestante. Le comportement erratique des USA, extrêmement belliqueux et en même temps incohérents, vient de la perte de valeur collective cimentant les élites. Le côté irrationnel est effectivement voyant en terme géopolitique. Les USA n'avaient par exemple absolument aucun intérêt à se mettre la Russie sur le dos. Bien au contraire, une Russie dépendante de l'Allemagne et donc des USA aurait été bien plus intéressante pour eux. Surtout pour faire face à l'immense Chine puis à la montée de l'Inde ensuite. Au lieu d'amadouer les Russes, les dirigeants américains les ont jetés dans les bras de la première puissance industrielle de la planète. Il faut bien comprendre qu'au-delà de la question de la démocratie, des libertés et de toutes ses fariboles dont on abreuve les médias, ce sont surtout les intérêts matériels des nations et des élites des nations qui structurent normalement les politiques étrangères. Il est effectivement très curieux de voir les dirigeants américains favoriser leur principal concurrent pour des questions pour lesquelles ils n'ont jamais eu d'intérêt réel dans le passé. Qui peut réellement croire que les USA se battent pour la démocratie ? Soyons sérieux, on parle d'un pays qui a fait bombarder et mis sous blocus des nations qui avaient eu le malheur de mal voter. On pensera au Chili par exemple. Les USA ont toujours agi dans leurs intérêts à plus ou moins court terme. Même si ce n'était pas toujours de façon très intelligente, il est vrai. Mais là on peut être d'accord avec Todd sur le fait qu'il y a une bizarrerie dans leur comportement anti-russe.

 

Alors le nihilisme peut être une explication. Mais on peut aussi se poser des questions quant à la structure du pouvoir aux USA. Y a-t-il vraiment un pilote dans l'avion ? La grande séparation des pouvoirs et la multitude de structures de pouvoir en concurrence les unes avec les autres pourraient aussi expliquer en partie les comportements étranges et contre-productifs de ce pays. On l'a vu avec l'élection de Trump. Le président et son équipe sont loin d'avoir les rênes sur ce qui se passe au niveau des actions générales entreprises par les USA. On se souvient du discours d'Eisenhower sur le complexe militaro-industriel américain qui risquait de prendre le pouvoir. Les USA sont le pays de l'individualisme, mais aussi des communautés. C'est-à-dire des groupes fermés qui agissent comme des entités indépendantes par rapport à la société. On pourrait voir dans la cacophonie géopolitique américaine le fruit pourri de ce communautarisme et de cette façon d'organiser la société, chaque groupe agissant dans son intérêt sans penser à l'ensemble de l'intérêt national. Ce n'est pas forcément plus rassurant que l'hypothèse Toddienne d'un nihilisme autodestructeur pour être honnête.

 

L'économie US

 

Nous arrivons au point faible de son essai à mes yeux, le volet économique. Je vais commencer par dire que je suis globalement d'accord avec la thèse de Todd sur l'effondrement de la puissance économique américaine. Ce n'est pas sur les conclusions que je vais être en désaccord, mais surtout avec la méthode qu'il emploie. En fait, la partie consacrée à l'économie américaine est assez courte alors qu'elle est d'importance sur la fin du livre et sur les réflexions de Todd. Je m'avance peut-être, mais j'ai l'impression qu'il a négligé cette partie du livre parce qu'il avait déjà fait des analyses plus poussées dans ses œuvres précédentes. « Après l'Empire » et surtout « L'illusion économique » sont indubitablement supérieures sur cette question et je vous renvoie à ces deux livres pour compléter l'analyse plus superficielle que Todd fait dans celui-ci.

 

Pour résumer, les USA sont une puissance qui consomme plus qu'elle ne produit. Une nation qui n'arrive plus à produire et qui dépend toujours plus des importations pour fonctionner. Le PIB américain est en quelque sorte fictif, bidon. Et si Todd parle de l'effondrement du protestantisme pour expliquer en partie cette réalité, ainsi que de l'effondrement éducatif, les jeunes Américains se détournant largement des sciences. Il rappelle tout de même le rôle joué par le dollar. Je pense d'ailleurs qu'il se met dans ce livre à sous-estimer les effets de la monnaie en général sur l'économie. On l'a pourtant vu avec la France qui voit sa balance commerciale s'effondrer depuis la mise en place de l'euro. La corrélation est extrêmement forte. C'est la même chose pour les USA. Est-ce que les USA auraient aussi mal tourné si le dollar n'avait jamais été la monnaie universelle ? Même avec l'effondrement de la croyance religieuse, je ne pense pas qu'ils auraient pu connaître un tel effondrement industriel. Simplement parce qu'ils n'auraient pas pu importer autant pour compenser. La vie c'est des contraintes. Elles nous embêtent souvent, elles nous limitent, mais elles sont aussi le pouvoir de nous structurer. Elle nous force à agir contre elle en quelque sorte. Les USA ont en quelque sorte une économie malade de ne plus avoir de contraintes. La seule qu'ils ont étant le chiffre du plafond de la dette sans cesse mise à un niveau plus élevé avec le petit jeu de la frayeur du moment. Va-t-on relever le plafond de la dette ? Cela occupe les médias, mais il n'y a en réalité jamais de suspens sur la conclusion.

 

À mon sens Todd a sous-estimé dans son livre le poids des politiques macroéconomiques sur la société en général et peut-être surestimé les effets socioculturels et anthropologiques. Pour revenir sur la question du PIB, Todd se perd dans une tentative un peu maladroite pour essayer de mesurer la réalité du PIB américain. Je pense qu'il aurait plutôt dû s'appuyer comme il l'avait fait autrefois sur les PIB exprimés en parité de pouvoir d'achat. Une méthode qui a déjà le mérite de prendre en compte le coût de la vie locale et l'inflation. Je vous renvoie à mon texte sur l'illusion économique américaine sur ces questions. Comparer des nations entre elles avec des instruments comme le PIB est très difficile. Il vaut mieux s'appuyer comme on le faisait autrefois sur les capacités de production. C'est ce que fait succinctement Todd d'ailleurs. Sans entrer dans une relation de prédation comme le fait Todd, on pourrait décrire le modèle américain comme la conclusion d'un comportement macroéconomique étatique en contradiction avec son modèle pratique. En gros, les USA ont voulu à partir des années 70-80 devenir néolibéraux et détruire toutes les frontières commerciales et financières. Mais ils n'ont pas voulu les conséquences de ce modèle à savoir la hausse du chômage et l'appauvrissement d'une partie croissante du pays. Ils ont donc continué à faire des relances de type keynésiennes de l'époque fordiste qui l'avait précédé.

 

L'abscence des USA sur le Podium des producteurs de machines-outils en dit long sur la réalité de leur économie.

 

Ils ont gardé la maxime de Keynes qui disait qu'il valait mieux payer les gens à creuser des trous et à les reboucher plutôt que de laisser la dépression et le chômage s'installer. Mais dans le modèle keynésien, l'économie était relativement fermée. L'argent injecté pour consommer par les creuseurs de trou faisait donc tourner la machine économique et évitait la dépression. Mais les USA ont abandonné les frontières avec le néolibéralisme. L'argent qu'ils injectent fait donc toujours bosser les creuseurs de trous,les services divers, les activités superfétatoires des youtubeurs aux coachs en tout genre, en passant par les services de santé beaucoup trop chers, mais ils produisent aussi des importations de plus en plus massives. Comme Todd l'avait bien compris et expliqué dans Après l'Empire, les USA sont devenus l'état keynésien de la planète entière. Et la dernière crise l'a confirmé. Le modèle économique américain consiste à créer de la dette ou émettre de la monnaie qui permet de payer des gens dans des métiers superflus, ce qui leur permet ensuite de consommer des objets produits ailleurs. Cela va même plus loin puisque le pays importe maintenant massivement de la population pour gonfler sa consommation et accroître toujours plus artificiellement son PIB.

 

Alors on peut se dire que cela marche, les USA ont de la « croissance ». Mais sur le plan interne, on voit les problèmes s'accumuler, et pas seulement sur le plan macroéconomique. Les bullshit job de David Graeber ont des effets sur la psyché de la population qui a du mal à trouver du sens à ce qu'elle fait et pour cause. L'explosion de l'usage de la drogue ne doit pas être totalement étrangère à ce phénomène. Mais surtout ce n'est pas tenable. Le reste du monde ne va pas éternellement payer pour ce modèle aberrant et le rôle du dollar pourrait être remis en question dans les années qui viennent. Mettant ainsi ce modèle absurde face à ses contradictions.

 

Nous aborderons les conclusions de Todd dans une troisième et dernière partie consacrée à ce livre.

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29 janvier 2024 1 29 /01 /janvier /2024 15:16

 

Il paraît que les Chinois et les Japonais ont le même mot pour crise et opportunité. Et effectivement, les crises sont souvent l'occasion de repenser une situation et des choix. La révolte actuelle du milieu agricole a plusieurs origines. La première est évidemment européenne. On en a déjà longuement parlé dans le précédent texte. La construction européenne d'essence libérale a mis nos agriculteurs dans une situation de concurrence totalement invraisemblable. À cela se sont ajoutées les innombrables normes pour protéger en théorie l'environnement et les consommateurs. Des normes qui bien souvent ne s'appliquent pas aux produits importés créant une aggravation de la concurrence déloyale. Tout ceci est connu et il s'agit d'un des gros points d'achoppement actuels. C'est d'autant plus problématique que ce ne sont plus les hommes politiques français qui détiennent le pouvoir, surtout en matière agricole, puisque c'est de la compétence de l'UE. Et comme vous le savez, le libre-échange est non seulement structurel au sein de cette institution, mais la remise en cause du libéralisme économique n'est propre qu'à la population française. Le reste de l'UE adhère totalement au concept de laissez-faire. Nous serons donc toujours minoritaires sur cette question.

 

Tout changement en la matière ne peut donc qu'être précédé d'une rupture avec l'UE. Et cette rupture, nos élites n'en veulent pas. Cette question est donc totalement imbriquée dans la question de la souveraineté nationale. Et il est intéressant de voir que par la problématique de l'agriculture la question européenne commence à se poser dans les médias même si nos élites sortent comme d'habitude des contre-feux pour arrêter la critique de la construction européenne. Cependant, il ne faut pas s'arrêter uniquement à la question de la construction européenne et des problèmes qu'elle pose. L'agriculture mérite mieux que ça. Elle est le cœur de la civilisation, c'est d'ailleurs cette activité qui lui a donné naissance, faut-il vraiment le rappeler ? Et les Français sont particulièrement attachés à cette activité comme une sorte de réminiscence des activités de leurs ancêtres qui l'ont pratiqué massivement pendant des siècles. S'il ne s'agit pas ici de tomber dans le passéisme de certains écologistes pour la production d’antan, il est indubitable que nous devrons repenser notre agriculture pour la rendre plus conforme au désir de la population tout en maintenant tout de même en grande partie ce que l'amélioration des gains de productivité a permis depuis 1945.

 

 

Un petit rappel ne fait pas de mal en la matière. L'agriculture est en effet le secteur qui a connu les plus forts gains de productivité après guerre. On croit généralement qu'il s'agit de l'industrie, mais non . L'agriculture française a permis de nourrir la population du pays malgré un effondrement du nombre de travailleurs dans le secteur. Et c'est en grande partie cet énorme gain de productivité qui a permis, à un pays qui avait déjà un gros problème démographique, d'alimenter en main-d’œuvre la reconstruction industrielle d'après-guerre. Alors ces énormes gains de productivité ont effectivement profondément changé l’agriculture. Certains aspects ont eu des effets dommageables sur notre environnement. Et cette question reste toujours d'actualité. Mais cela a permis aussi d'améliorer le niveau de vie de la population ainsi qu'une amélioration globale de la santé de la population. Car quoiqu'on en dise l'espérance de vie dans nos pays a bien augmenté depuis la guerre et on le doit en partie à une meilleure nutrition et à l'agriculture productive. L'agriculture productiviste a mauvaise presse alors qu'on devrait bien plus souvent lui tresser des louanges. Qu'il faille engager des efforts pour rendre la forte productivité la moins dommageable qu'il soit possible pour l'environnement, soit. Qu'on enterre la volonté de gain de productivité au nom d'un écologisme plus fantasmatique que scientifiques nous serions bien avisé d'y renoncer à moins de vouloir le retour des famines.

 

C'est d'autant plus vrai que l'amélioration de l'automatisation pourrait résoudre en partie dans les années qui viennent les problèmes de manque de main-d’œuvre dans ce secteur d'activité durement touché par le vieillissement et la dépopulation des campagnes. Si les Français sont moins nombreux à travailler aux récoltes saisonnières, ce n'est pas seulement une histoire de coût du travail et de conditions, même si cela joue bien évidemment, c'est surtout parce qu'on assiste aux effets à long terme de la sous-natalité. Et pour de nombreuses raisons, l'immigration n'est qu'une mauvaise idée pour résoudre le problème. Cette contrainte de la baisse de la population active obligera d'ailleurs certainement à un besoin d'augmenter la taille moyenne des exploitations agricoles pour rendre possible des investissements massifs en termes d'automatisation. Cela va à l'encontre de l'image d'une agriculture plus proche de la nature, mais ce qui compte au fond c'est d'arriver à ménager un prix raisonnable pour le producteur et le consommateur, le tout sans nuire à l'environnement. Nous n'y arriverons pas en faisant sans cesse appel à notre imaginaire de paysan traditionnel, plutôt qu'à la raison.

 

 

Nourrir la nation ou se spécialiser à l'international ?

 

Commençons par un constat, la France n'est pas un pays surpeuplé. On pourrait même dire l'inverse. La stagnation démographique du pays depuis plus de deux siècles a fait de la France un pays à densité de population relativement basse si on compare avec d'autres nations. L'Allemagne par exemple a une densité de population de 236 hab/km² contre 107 pour la France. On ne parlera pas de pays encore plus extrêmes comme le Japon ou les Pays-Bas, ces derniers étant pourtant un gros exportateur agricole. Bref, le discours sur une France surpeuplée qu'on peut entendre parfois n'a aucun sens. C'est encore plus vrai si l'on regarde la couverture de forêt du pays. Nous n'en avions jamais eu autant avec un tiers du territoire recouvert. La France bénéficie en plus de territoires d'outremer qui peuvent produire aussi des fruits, et légumes exotiques, ne poussant pas facilement sous nos latitudes.

 

Il n'y a donc aucune raison pratique pour que la France devienne comme elle le devient petit à petit un pays importateur de nourriture. Nous ne reviendrons pas sur la principale cause explicitée précédemment. Mais en supposant que le pays redevienne indépendant et ne soit plus sous la mainmise de l'UE, quel choix devrions-nous faire à long terme ? Nous avons deux possibilités avec des conséquences très grandes sur l'organisation agricole à terme. D'un côté nous pouvons continuer le choix « libéral » de la spécialisation dans l'économie mondiale en faisant de la production agricole française une agriculture spécialisée dans l'exportation de certaines productions où nous avons des avantages. Ou alors, revenir plutôt à une agriculture d'autosuffisance visant d'abord à nourrir les Français. Le second choix implique probablement des prix un peu plus élevés, mais a l'immense avantage de mieux nous mettre à l’abri des catastrophes à l'étranger et des variations des marchés mondiaux.

 

C'est bien évidemment de la seconde suggestion que nous parlerons maintenant. La France pourrait assez facilement pourvoir à tous ses besoins. Un coup d’œil au tableau suivant montre que la France fournit déjà plus que ce qu'elle consomme en théorie. Mais beaucoup de notre production est exportée et par ailleurs nous importons aussi beaucoup. Il s'agit là des effets étranges de la dérégulation commerciale des années 70-80. Le marché raisonne désormais à l'échelle européenne et mondiale. Or dans ces cas-là, les vendeurs vendent là où c'est le plus rentable pour eux. Je rappelle toujours cette anecdote historique très importante de la grande famine en Irlande. La Grande-Bretagne pouvait nourrir la population, mais elle a laissé le marché s'autoréguler en produisant la plus grande famine que l’Europe ait connue au 19e. Elle conduisit ainsi au dépeuplement de l'île. Il en va de même ici. Si demain les prix sont beaucoup plus élevés en Chine qu'en France pour le blé, le lait et d'autres produits, les producteurs n'hésiteront pas longtemps à vider les stocks français pour alimenter l'empire du Milieu. Une partie de l'inflation alimentaire en France a probablement été produite par ce phénomène d'ailleurs. Qui dit prix mondiaux, dit déconnexion entre le marché local, ses besoins et la production. On peut dès lors connaître les effets de la pauvreté dans l'abondance pour reprendre l'expression de Keynes. Un pays peut produire largement plus qu'il ne consomme et voir pourtant sa population mourir de faim.

 

 

Il est important de comprendre que la dépendance au marché mondial ne découle pas seulement des importations, mais aussi des exportations. Il s'agit d'une dépendance au niveau de la formation des prix résultant de la suppression des frontières voulue par l'idéologie néolibérale depuis les années 70 qui a pris des dimensions absurdes dans le domaine agricole. Si nous voulons avoir de nouveau une agriculture nationale, il ne faudra pas seulement limiter les importations, mais aussi les exportations de telle façon que le marché redevienne national et que les prix soient adaptés aux besoins du pays. Certaines activités comme la production de vin s'en trouveraient réduites fortement puisque les Français en boivent beaucoup moins pendant que d'autres devraient s’accroître en fonction de la consommation nationale. Je pense qu'une bonne part du mal-être des agriculteurs vient de cette déconnexion entre la production et la consommation produite par la globalisation.

 

Ajoutons à cette nécessité de limiter aussi les exportations, un besoin d'autonomie en matière de production d’intrants chimique. En effet si la France peut produire beaucoup en matière agricole, elle s'est rendu dépendante d'engrais chimiques et de pesticides qui eux sont souvent importés ou produit à partir de produits importés. En particulier les hydrocarbures qui rentrent dans la composition de bon nombre de produits chimiques. On l'a vu depuis la rupture avec la Russie, nous avons un grave problème de dépendance aux importations d'engrais. Vouloir une plus grande souveraineté en matière de production agricole réclame donc aussi une réflexion sur nos capacités à substituer par des produits français les importations de matières premières nécessaires à la production agricole. C'est ici que les écologistes raisonnables pourraient faire valoir leurs arguments. Comment se passer d'engrais chimiques et de pesticides importés ? Ou comment les substituer ?

 

On le voit, la question agricole est complexe, mais elle est aussi le produit de choix de fond. Pour l'instant, la France et ses « élites » se laissent flotter sur les eaux du calcul égoïste à court terme. Mais les dégâts de la logique du laissez-faire commencent à se faire sentir. Le temps est revenu pour l'action collective et la stratégie nationale même si beaucoup ne s'en sont pas encore aperçus. Je plaide à titre personnel pour une stratégie d'autosuffisance alimentaire. D'une part parce qu'à long terme c'est beaucoup plus sûr que de dépendre des aléas des marchés mondiaux. Ensuite parce que je pense que cela correspondra beaucoup mieux aux aspirations réelles des Français en matière agricole. Nous ne reviendrons pas à l'agriculture de nos glorieux ancêtres, mais nous n’aspirons pas non plus à manger des steaks imprimés en 3D. Si nous ne voulons pas que d'autres nous imposent par l'intermédiaire des marchés internationaux dérégulés leurs propres choix, il nous faut réhabiliter les frontières et l'action collective. En un sens la problématique de l'agriculture c'est la problématique générale de la civilisation dans laquelle nous voulons vivre. Et c'est bien naturel en fin de compte puisque c'est cette activité qui lui donna naissance.

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8 janvier 2024 1 08 /01 /janvier /2024 15:57

 

On vient d'apprendre en cette nouvelle année que la République tchèque et sa banque centrale refusent de faire entrer leur pays dans la zone euro. Si cette nouvelle n'a en apparence rien de révolutionnaire, elle pourrait être en réalité bien plus importante encore que le Brexit pour entraîner le démantèlement de cette zone économique absurde. Comme on dit, qui n'avance pas recule. La construction européenne depuis les années 70 est devenue une espèce de machine à s'élargir sans cesse. Nous l'avons déjà rapidement vu dans mon texte récent consacré à l'élargissement de la construction européenne. Comme nous l'avions expliqué rapidement, ces élargissements ont en réalité détraqué la mécanique d'horloger qui a permis aux six fondateurs de fonctionner à peu près pendant les trente glorieuses. Loin d'avoir renforcé la construction européenne, les élargissements ont été, à chaque fois, une dilution supplémentaire de l'homogénéité économique pourtant nécessaire à une action de politique économique réellement efficiente.

 

Le Brexit, dont les mauvais perdants ne cessent de clamer la catastrophe plus fantasmagorique qu'autre chose, l'économie britannique n'allant pas plus mal que celle du reste du continent, c'est même globalement l'inverse, a été un coup de semonce. Mais le refus de rentrer dans la zone euro montre cette fois que la séduction de l'Union européenne qui est comme tout jeu de séduction souvent basé sur une grosse part de mensonge commence à l'affadir. L'UE dont on dit que plus on en est éloigné plus elle plaît, commence à apparaître pour ce qu'elle est, à savoir une zone économiquement morte. C'est que les mauvaises nouvelles s’amoncellent. La part de l'euro dans les échanges mondiaux n'a jamais été aussi faible. C'est bien simple, les monnaies des pays européens combinaient et pesaient bien plus avant l'euro qu'aujourd'hui. Pour la bonne et simple raison que le poids du PIB européen était nettement plus fort à l'époque. La longue stagnation des PIB européens depuis le début du siècle entraîne naturellement son déclin également sur le plan monétaire.

 

Evolution du PIB en % annuel France, Allemagne, Italie (source : OCDE)

Alors évidemment les problèmes économiques de l'UE et de la zone euro sont multiples. Il est évident que la démographie explique aussi en partie le déclin relatif du continent. Tous les problèmes ne viennent pas que de la construction européenne, mais elle y contribue énormément. En particulier, il y a eu une véritable cassure économique lors de la mise en place de l'euro avec une Europe, celle du sud, qui a beaucoup plus décliné que l'autre depuis l'unification monétaire. L'Italie en particulier qui a été littéralement détruite par l'unification monétaire. Rappelons que pourtant l'Italie était avec la France le pays le plus dynamique de la CEE jusqu'aux années 80. Ce pays pratiquait régulièrement des dévaluations comme la France qui lui permettait d'adapter sa sociologie faiblement ordonnée au commerce mondial. À partir du moment où les italiens se sont retrouvés avec une monnaie rigide, ils ont coulé de manière dramatique. Il est aujourd'hui notable que l'inflation à mauvaise presse. Il suffit de voir les réactions à la période d'inflation que l'on vient de connaître pour s'en convaincre. Mais pendant longtemps la France avait une inflation à 4 ou 5% . Un coup d’œil sur les chiffres de l'inflation durant la période 1950-1974 vous montre qu'il y avait déjà une inflation importante avant même la période dite de la stagflation postérieure au choc pétrolier et à la dérégulation financière du milieu des années 70 qui va détraquer les économies occidentales.

 

Historique de l'inflation Italie France Allemagne (source : OCDE)

 

En réalité, la forte baisse de l'inflation est fortement corrélée à la forte baisse de la croissance économique. Et les augmentations d'inégalités ont suivi. En effet, l'inflation est un mécanisme qui peut ronger les rentes sous certaines conditions. Il est d'ailleurs extrêmement dommageable que la période d'inflation que nous connaissons ne soit pas utilisée dans ce but. En effet en indexant par exemple les salaires sur l'inflation en période d'inflation, vous faites mécaniquement baisser la part des rentes dans l'économie par rapport aux alaires si ces rentes ont des taux de croissance inférieurs à l'inflation, ce qui est par exemple le cas pour le logement. Les pays latins que sont la France et l'Italie sont des pays qui ont un besoin d'inflation plus importante que l'Allemagne. On le voit, même pendant les trente glorieuses, il y avait un fort écart entre l'inflation de la France, de l'Italie et de l'Allemagne. Et c'est pour ça que les dévaluations régulières étaient nécessaires. Il y a probablement un lien entre l'inflation et la capacité d'organisation d'une nation. Plus une société est "ordonnée", moins l'inflation est nécessaire. L'inflation par exemple facilite la gestion des salaires dans les entreprises. Il est plus facile d'augmenter les salaires quand l'inflation est à 5%, que lorsque les prix stagnent. Pour les pays latins, l'inflation est en quelque sorte un lubrifiant qui permet à l'économie de fonctionner dans une société relativement individualiste et bordélique si je puis dire. Cette différence n'avait pourtant pas gêné le développement de ces deux pays. Au contraire même puisque la France et l'Italie avaient fini par rattraper l'Allemagne en termes de niveau de vie. L’unification monétaire a donc eu surtout comme effet de casser la croissance dans les pays du sud et cette réalité se voit désormais assez bien.

 

Déclin allemand et fin de l'attrait européen.

 

Cette perte d'attrait pour la construction européenne est tout de même bien tardive. Les effets de l'euro se font sentir depuis un moment, mais ce sont les crises à répétition et le fait que l'UE n'arrive plus à sortir de la dépression qui commence à faire changer son image. En particulier tant que la crise provoquée par la structure de la construction européenne se concentrait sur le sud de l'Europe, les pays extérieurs ne voyaient pas le problème. L'explication simpliste de pays fainéants et mal gérés semblait tout expliquer. Si la France, l'Italie, ou la Grèce coulaient, c'était parce qu'ils étaient nuls et médiocres. Le racisme anti-sud s'était d'ailleurs fortement exprimé pendant la crise grecque des années 2010. On se souvient tous des unes de certains journaux allemands à l'époque . On avait même dénommé les pays du sud les PIGS. À l'époque cela n'incluait pas encore la France, mais nous rejoignons le club désormais. D'un problème macroéconomique lié à l'euro, on a fait un concours de racisme légitime qui explique tout. Un racisme auquel même la presse même des pays concernés participait.

 

Tant que cela ne concernait que le sud, le problème n'était pas perçu comme étant l'UE et l'euro, mais les mauvais élèves. Seulement, voilà après 25 ans passés à piller et à détruire les pays du sud, l'Allemagne est rattrapée à son tour par la crise, surtout depuis que les USA ont cassé leur modèle économique en les privant de gaz russe. Là étrangement, personne ne parle de mauvaise gestion ou de fainéantise germanique. Les critiques sont d'un seul coup beaucoup plus respectueuses même si certains parlent d'elle comme de l'homme malade de l’Europe. Chose idiote puisque l'UE et l'euro ont collé ensemble tous les pays membres, notre destin est malheureusement collectif. Si l’Allemagne coule, nous coulons avec elle à l'heure actuelle. C'est le sens même de cette construction absurde. Pour l'instant, les analyses parcellaires vont probablement essayer de continuer à donner des explications locales aux crises. Car la véritable peur des élites européennes c'est que finalement tout le monde comprenne que le problème n'est pas l'Allemagne, l'Italie, la France ou la Grèce, mais bien la construction européenne elle-même. Et c'est là que cette nouvelle d'un refus d'entrer dans la zone euro de la part d'un pays qui est économiquement un satellite de l'Allemagne est en quelque sorte une petite révolution.

 

On peut espérer que la République tchèque ne soit pas la dernière à donner un coup d'arrêt à l'expansion absurde de la construction européenne. Une expansion qui n'est qu'une fuite en avant pour ne pas avoir à faire le bilan de sa propre existence. Un bilan qui s'il était réellement fait pousserait les pays membres à détricoter l'UE et l'euro. Il est possible cependant que cet arrêt ne soit que momentané. On l'a vue en Pologne avec l'arrivée de Tusk au pouvoir, un européiste qui risque de faire beaucoup de mal à son pays. La Pologne avait joué bien jouée en restant en dehors de la zone euro tout en profitant des énormes subventions européennes. Nous avons littéralement payé un pays pour y délocaliser notre industrie. C'est valable aussi pour les autres pays de l'Est. En gardant sa monnaie, la Pologne peut toujours réguler son commerce en fonction de ses besoins. Il suffit de voir l'évolution du taux de change entre l'euro et le zloty pour comprendre l'importance de la flexibilité monétaire en cas de crise économique. Il faut espérer que malgré la présence d'un européiste au pouvoir, les Polonais ne fassent pas l'erreur d'entrer dans la zone euro. Même si cela pourrait encore accélérer un peu la nécessaire chute de la construction européenne à terme.

 

Evolution du taux de change euro/zloty

 

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25 décembre 2023 1 25 /12 /décembre /2023 15:19

 

Je vois de nombreuses personnes s'inquiéter de la possibilité d'un nouvel élargissement de l'UE à des pays qui ne sont pas censés pouvoir y rentrer. On parle bien évidemment ici de la Moldavie et de l'Ukraine en particulier. On notera aussi il y a peu le vote pour l'ouverture d'un dossier de candidature pour la Géorgie à l'entrée dans l'UE. Je précise tout d'abord que je n'ai absolument rien contre ces pays. L'Ukraine en particulier me fait plus pitié qu'autre chose. Une nation qui avait tout pour elle et qui par la corruption de ses élites sous influence américaine et occidentale s'est suicidée dans un conflit absurde avec la Russie. Il s'agit vraiment d'un peuple et d'une nation à plaindre plus qu'autre chose. Et le meilleur moyen de l'aider serait de vite pousser à la négociation avec Moscou pour arrêter l’hémorragie de la jeunesse qui hypothèque vraiment l'avenir de ce pays. Le plus étonnant est en fait l'attrait que peut avoir l'UE pour ces pays. Les statistiques sont pourtant formelles, la zone euro est la zone économique avec la plus faible croissance mondiale depuis 20 ans. Une zone économique en déclin, et qui s'affaiblit d'année en année. Il est possible bien évidemment que l'attrait de l'UE tienne aux diverses aides, mais l'entrée de pays aussi pauvre n'aura comme seul effet qu'une dilution encore plus grande d'aides de plus en plus difficiles à pomper puisque les pays les plus  « riches » du continent le sont de moins en moins à l'image de la France ou de l'Italie.

 

Il est donc sans doute probable que la seule véritable motivation soit d'ordre militaire. Et c'est là que la réalité du projet « Européen » apparaît à savoir que l'UE n'est plus que l'extension économique de l'OTAN. En effet, l'entrée dans le camp occidental, c'est-à-dire sous la coupe de l'empire américain, se fait par l'OTAN et l'UE qui vont de pair. Cet élargissement comme tous les précédents caractérise en réalité l'étalage de l'influence impérial américain. Il n'y a rien d'européen dans le processus. C'est sans doute parce que cela rend visible cette réalité que même certains européistes convaincus ont peur de ces nouveaux élargissements. Ils ne veulent peut-être pas que le poteau rose soit trop voyant. Le fait est que l'UE s'étendra autant que l'OTAN, et que le souhaitent les USA. Je ne serais même pas étonné d'une adhésion d'Israël à l'UE en plus de la Turquie ou des pays du Maghreb tant qu'on y est. Au moins, la réalité de la construction européenne va enfin apparaître même aux yeux des plus aveugles.

 

Alors évidemment cet élargissement va être catastrophique pour les actuels membres de l'UE . Je ne parle évidemment pas de la Moldavie qui au-delà du fait qu'il s'agisse d'un pays corrompu ne pèse pas grand-chose avec à peine 2,6 millions d'habitants. Cette région aurait d'ailleurs très bien pu faire partie de la Roumanie, qui elle est déjà dans l'UE. C'est surtout l'Ukraine qui va encore aggraver les déséquilibres internes de l'UE. L'obsession d'avoir une main-d’œuvre toujours moins chère va ici prendre toutes ses aises. En effet, les salaires en Ukraine sont bien plus faibles que dans le reste de l'Europe. Le salaire en Ukraine c'est 370€ par mois (avant le conflit), autant vous dire que les Polonais ou les Hongrois ne feront plus le poids. On devrait donc avoir des délocalisations vers l'Ukraine à partir de ces pays. Pour la France vous me direz que cela ne changera plus grand-chose puisque l'industrie est déjà partie en Europe de l'Est, en Asie et même au Maroc. Par contre, cela aura un effet sur les derniers agriculteurs du pays. Si cet élargissement se fait, on devrait donc assister à la totale destruction de tout ce qui reste de production dans notre pays, c'est-à-dire plus grand-chose. Notre vertigineux déficit commercial ne devrait donc pas s'améliorer avec cette entrée à moins que la banqueroute nationale ne produise un effondrement de la demande interne, mais c'est une autre histoire.

 

L'élargissement qui pourrait enfin tuer l'UE

 

Les élargissements précédents de la construction européenne ont toujours agi comme un mécanisme d'affaiblissement collectif. C'est d'ailleurs assez surprenant de voir que leurs promoteurs ont toujours cru que cela serait l'inverse. À l'origine il n'y avait que six pays dans la construction européenne, la France, l'Allemagne de l'Ouest, L'Italie et le Benelux. C'était un peu l'empire carolingien sur le plan des frontières avec une certaine cohérence macroéconomique, le niveau de vie étant assez homogène. Une telle structure à cette échelle pouvait paraître raisonnable à l'époque même si pour le plus grand malheur de cette construction le ver atlantiste était dans le fruit dès le départ. Rappelons que les fondateurs de la construction européenne (Schuman et Monnet) étaient de notoires agents de l'Empire américain et ne s'en cachaient pas d'ailleurs . Mais cette première construction européenne basée à l'origine sur l'acier et le charbon va relativement bien fonctionner. Elle avait aussi, il faut le rappeler, un tarif extérieur commun de plus de 30% qui favorisait le commerce entre les membres plutôt qu'avec les pays extérieurs. Et chaque pays conservait sa monnaie, ce qui permettait des ajustements en cas de déséquilibre commercial. Cette première Europe, sur laquelle en fait se sont faites toutes les véritables avancées de la construction européenne, a duré de 1957 à 1973. C'était les trente glorieuses et la période keynésienne de l'économie avec une forte régulation macroéconomique sur le plan financier et commercial.

 

Le premier élargissement va déjà être fatal à cette construction puisqu'il se fait par l'introduction de la Grande-Bretagne, de l'Irlande et du Danemark. Au passage, les pays scandinaves qui n'avaient pas été membre de l'UE jusque là ne s'en portaient pas plus mal. L'évolution du niveau de vie fut comparable à celle des membres de l'UE de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à leur entrée dans la CEE. Preuve, s'il en est, qu'il ne faut pas trop surestimer les effets de la construction européenne sur la dynamique économique même pendant cette période de forte croissance. On peut le dire, cette entrée de la Grande-Bretagne va seller l'idée d'une Europe puissance politique. Et c'était sans doute la volonté des Anglais, nuire à une potentielle union politique. C'est d'ailleurs une tradition anglaise depuis longtemps celui d’empêcher la naissance d'une très grande puissance sur le continent. À partir de là on peut dire que tous les élargissements successifs vont petit à petit diluer les capacités politiques de la construction européenne qui va devenir un simple marché aux principes néolibéraux.

 

Ce qui va véritablement mettre fin à une véritable cohérence européenne n'est pas seulement l'élargissement constant qui va par nature diluer l'autorité et engendrer une cacophonie politique, c'est aussi l'obsession pour la dilution de toute forme de régulation par les frontières. L'UE ne veut pas protéger ses membres de la concurrence étrangère. Elle n'a donc pas comme définition la création d'une organisation de solidarité entre membres contrairement à ce qu'elle affirme, elle est au contraire une structure de dilution des nations membre sans substitution à une solidarité supérieure. Ce que l'on a vu de la construction européenne depuis son élargissement de 73, c'est la transmutation d'une structure qui organisait la solidarité à une plus grande échelle en une structure qui empêche toute forme de solidarité réelle. La seule solidarité qui existe dans l'UE est en fait très secondaire, ce sont les transferts directs par les aides européennes, mais qui ne représentent rien par rapport aux PIB du continent. L'UE s'est muée en une machine à imposer la globalisation néolibérale dont les populations européennes dans leur ensemble ne voulaient pas. Elle favorise le dumping fiscal et salarial. Elle fait de la richesse de la diversité des nations un mécanisme d'abaissement général des conditions de travail tout en favorisant les rentes et le capital. Ce n'est guère étonnant de voir l'état dans lequel elle est aujourd’hui sur le plan macroéconomique.

 

Alors lorsque l'on a compris cette évolution et la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, il est bien évident qu'un nouvel élargissement n'est qu'une goutte d'eau dans un système qui de toute façon était condamné dès 1973. À partir du moment où l'UE est devenue une machine à globaliser et à vider toute forme de solidarité réelle, elle se condamne à disparaître à terme. On peut même voir dans l'élargissement sans fin qui s'accélère un moyen pour rapidement en finir avec cette structure qui n'a plus de sens depuis longtemps. Les risques conflits avec la Russie qu'engendre notamment l'entrée de l'Ukraine dans l'UE pourraient sérieusement envenimer les choses entre les états membres. Et certains pourraient simplement dire que l'UE n'a plus aucun intérêt pour eux, à part engendrer des risques géopolitiques pour eux. C'est notamment le cas pour les pays de l'Est. De plus, rappelons que la situation économique de l'Allemagne est aujourd'hui catastrophique. On pourrait très bien voir émerger de véritable mouvement anti-UE en son sein avec la dégradation rapide du pays. L'élargissement absurde est donc peut-être la ruse de l'histoire pour mettre fin à ce truc qui n'aurait probablement jamais dû exister et qu'on appelle construction européenne.

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15 décembre 2023 5 15 /12 /décembre /2023 15:39

 

La situation économique russe

 

Comme vous le savez déjà l'occident a très largement sous-estimé l'économie de la Russie. Il s'agit très probablement des effets d'une mécanisation excessive de l'esprit économique qui réduit de plus en plus la réalité d'une nation à deux ou trois paramètres au maximum. Le taux de chômage, le PIB et l'inflation en grande partie. Or l'économie est quelque chose de complexe et comme on l'a vu en comparant les USA et la Chine dans ce texte, le PIB exprimé en dollar est un très mauvais indicateur de la réalité d'une économie. Après guerre on comparait surtout les pays en parlant de production réelle, c'était infiniment plus précis, et cela n'avait pas l'inconvénient de varier en fonction des taux de change. Quoiqu'il en soit, cette sous-estimation a été fatale à la stratégie américaine qui pensait que les simples mesures de rétorsion économiques permettraient de mettre la Russie à genou. Loin d'y être arrivés, les USA et l'UE ont poussé la Russie à se réadapter et à faire les mêmes des politiques contraires à l'idéologie économique dominante au Kremlin.

 

En effet même si Poutine a l'image d'un immonde dictateur anti-occidental et antilibéral, rien n'est plus faux en réalité. Sur le plan économique en tout cas, Poutine est en réalité plutôt libérale et loin d'être un interventionniste. Il n'est pas keynésien et encore moins communiste. Et la banque centrale de Russie pratique plutôt des politiques de rigueur très germanique sur le plan monétaire. La Russie est d'ailleurs encore aujourd'hui un pays très inégalitaire sur le plan économique, bien plus que la moyenne européenne. Mais comme je l'ai déjà dit, nécessité fait loi. C'est vrai en politique comme en économie. Et les mesures anti-russes de l'occident ont poussé ce pays à revoir sa copie sur le plan économique. Les premiers changements ont eu lieu lors des premières mesures de rétorsion suite à l'annexion de la Crimée en 2014. Les pays européens ont cessé d'exporter leurs fruits et légumes en Russie par exemple. La réponse russe fut rapide avec une mise en production locale pour pallier au manque des importations. Et bien les mesures encore plus draconiennes prises lors de ce second conflit avec l'Ukraine ont eu exactement le même effet. Si la Russie a fait un changement de fournisseur en préférant l'Asie à l'Europe, et surtout la Chine. Elle a aussi fait un immense effort de substitution par des productions nationales.

 

Données provenant de Jacques Sapir

Un peu comme lors des conflits franco-anglais de la période napoléonienne où les embargos avaient surtout poussé la France a favorisé une production locale, c'est à cette occasion que le sucre de betterave a remplacé le sucre de canne. La Russie a bénéficié d'une politique protectionniste à son insu en quelque sorte. Et comme c'était prévisible, la croissance est beaucoup plus forte lorsque la production est relocalisée que lorsque l'on favorise surtout les importations. La croissance russe cette année atteint près de 5.5% en rythme annuel, très loin au-dessus de l'UE ou des USA. Alors il est pour l'instant trop tôt pour voir si cette orientation durera après la guerre ou si la Russie va réinventer l'économie monétaire de production qui a été abandonnée en Europe dans les années 70. Mais les effets économiques sont là. La croissance du pays est maintenant très forte nettement plus que celles des pays qui lui ont imposé ces sanctions étrangement. C'est en tout cas ce que nous apprend Jacques Sapir sur cet excellent fil de commentaires sur twitter. Si l'accroissement des dépenses militaires a eu un effet keynésien en tirant l'investissement et les dépenses de consommation vers le haut c'est aussi en grande partie l'investissement industriel, pour combler le manque de produits à l'importation, qui a conduit à cette plus forte croissance.

 

L'anomalie de l'excédent commercial Russe

 

La Russie va-t-elle devenir un modèle pour les Européens ?

 

Avec ces multiples mesures de contraintes économiques externes, la Russie s'est donc retrouvée à devoir produire en partie elle-même ce qu'elle consomme. Et comme je l'ai dit, ce n'était pas vraiment un choix des élites plutôt libérales sur le plan économique. Et en régime libéral un pays comme la Russie doit se spécialiser dans l'économie mondiale comme fournisseur de matière première. En effet, le pays est faiblement peuplé pour sa taille et possède d'immenses ressources qui lui permettent de tout acheter ou presque sans rien produire lui-même en théorie. C'est d'ailleurs en général le gros problème des pays producteurs de matière première en grande quantité. Pourquoi produire quand il suffit de vendre ses matières premières pour acheter les produits finis ? On pense tout de suite à des pays comme l'Arabie Saoudite, mais des pays comme l'Australie ou le Canada ne sont pas en reste. La Russie fait bien partie de ces pays aux ressources immenses et sa spécialisation naturelle dans un marché libéral est donc celle de producteur de ressources. Cependant, il est aussi évident qu'il est impossible d'avoir une nation puissante si vous ne faites que du commerce de vos matières premières. À la fin vous êtes quand même dépendant des puissances étrangères. Or si certains pays depuis longtemps se contentent d'être des nations de seconde zone et non des acteurs indépendants à l'image du Canada qui suit les USA. La Russie a montré qu'elle avait d'autres ambitions. Surtout depuis qu'elle a retrouvé des couleurs sur le plan économique après le désastre des années 90.

 

C'est cette volonté de puissance et surtout d'indépendance qui a poussé les USA à utiliser l'Ukraine pour faire plier ce pays. Et les mesures coercitives poussent maintenant la Russie à devoir reconstruire un véritable appareil industriel pour ne plus dépendre que de ses matières premières. Si la Russie a commencé à ne plus vouloir trop dépendre de l'Europe et de l'occident dès 2008-2010 suite à la crise financière, c'est véritablement le conflit en Ukraine qui a donné un coup d'accélérateur comme on peut le voir sur le graphique concernant la réorientation du commerce extérieur russe. (Le graphique provient de cette lettre du CPEII concernant la Russie) La Chine et l'Asie deviennent les principaux clients et fournisseurs de l'économie russe. C'est un double avantage pour la Russie, d'une part elle est beaucoup moins susceptible de souffrir en cas de nouvelles sanctions occidentales. Et l'histoire récente montre que les orientations russophobes de l’occident sous influence américaine ne sont pas près de changer même si la lutte contre la Russie commence à faire grincer des dents chez les satellites européens. Le second avantage est d'arrimer la Russe au nouveau centre du monde qu'est l'Asie. En effet si l'Asie est déjà le cœur de l'économie mondiale, cette situation ne va faire que s'accélérer avec l'entrée de l'Asie du Sud, de l'Indonésie ou encore de l'Inde dans un processus de développement économique.

 

 

Alors la Russie pourrait-elle devenir le pays du retour de la régulation économique et un nouveau modèle ? La tendance à un dynamisme de production nationale est récente et elle est le produit de choix imposés de l'extérieur. Rien ne dit que ces orientations persisteront après la guerre en Ukraine. La Russie comme tous les autres pays a des luttes sociales internes et les intérêts des bourgeois russes comme celui des Occidentaux n'est pas forcément dans une limitation des importations pour favoriser les productions locales forcément plus chères. Pour l'instant le sursaut patriotique semble plus fort que les intérêts de classe, mais cela pourrait ne pas durer. Ensuite même si la Russie commence à plus produire, ce pays reste encore très dépendant des matières premières, c'est encore la moitié de ses exportations par exemple. Cependant il est effectivement possible que constatant une meilleure efficacité économique produite par un régime relativement protectionniste, les Russes décident de persister dans cette direction. On peut donc faire assez raisonnablement l'hypothèse d'une Russie abandonnant le libéralisme économique pour essayer la voie keynésienne d'une économie monétaire de production. Rappelons d'ailleurs qu'il s'agissait en grande partie du fonctionnement des économies occidentales d'après-guerre, et cela jusqu'aux années 70. On peut d'ailleurs décrire le changement économique d’après guerre par rapport à la période libérale qui l'avait précédé d'un des effets secondaires de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque les générations qui ont vécu la guerre ont vu l'importance de la planification collective et de l'interventionnisme étatique dans l'économie nationale. À l'inverse ce sont les années de paix qui ont ramené l'idéologie libérale au pouvoir, de là à dire qu'elle ramène la guerre par son inefficacité.

 

Cette orientation économique pourrait d'ailleurs trouver une autre justification de la pression de l'empire américain. En effet si pour l'instant la Chine est un allié de circonstance, ce pays pourrait devenir problématique pour la Russie dans les années qui viennent. Devenir trop dépendant économiquement de la Chine pourrait à terme devenir tout aussi problématique que de trop dépendre de l'Europe et de leur suzerain américain. On le voit en raisonnant ici rapidement, la Russie se retrouve en fait dans une situation géopolitique qui risque de la contraindre à avoir un politique plus souverain en matière économique, et donc ne dépendant pas entièrement de ses matières premières. En clair, la Russie va peut-être être obligée de faire du Gaullisme au moins sur le plan économique. Et je pense qu'il s'agit là d'une très bonne chose pour le peuple russe et peut-être d'un espoir pour les pauvres européens englués dans un libéralisme autodestructeur depuis trop longtemps. Si les Européens ont sous le nez l'exemple d'un pays qui régule son commerce extérieur et connaît des taux de croissance largement supérieurs, ils finiront peut-être par se poser des questions sur leur propre modèle économique eurolibéral. Et d’ailleurs la simple peur de la Russie pourrait pousser les élites européennes à revoir leur copie et à abandonner leur modèle économique autodestructeur. Un peu comme la peur de l'URSS a poussé le patronat européen à être un peu moins égocentrique et idiot pendant la période d'après-guerre pour ne pas nourrir le communisme. Mais il ne s'agit évidemment là que d'hypothèses. Et même si la Russie a un modèle économique plus dynamique, il aura du mal à le rester avec le vieillissement de la population. Car comme on l'a vu dans la première partie, la natalité russe n'est pas bonne tout comme celle de l'Europe en général. Et c'est peut-être là qu'on verra si la Russie peut devenir un modèle ou pas. Si les Russes arrivent dans les dix ans qui viennent à redresser la situation sur ce plan et à revenir à deux enfants par femme on pourra peut-être alors parler d'un nouveau modèle économique et politique viable pour l'Europe.

 

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