/image%2F1492474%2F20240311%2Fob_c5af69_assfir3qe4p2qb1jr.jpg)
Nous avons précédemment surtout parlé du RN. Il me semble tout de même approprié de parler rapidement de son ersatz Eric Zemmour. À dire vrai depuis le début, j'ai bien du mal à comprendre l'intérêt de ce mouvement au sein du système politique français. Eric Zemmour n'apporte absolument rien au débat et en réalité ne donne pas vraiment de véritable alternative à la France. Certains ont imaginé qu'il était en quelque sorte un machin fabriqué par les médias pour nuire au RN. Il est certain que son espace médiatique a été très large dès le début, ce qui peut effectivement donner cette impression. Mais l'on peut tout aussi bien expliquer ça par les réseaux de relations que possède le personnage. Son apparition est probablement due à une collusion d'intérêt. Et peut-être est-il sincère dans sa démarche. J'ai quelques doutes sur la question, vu le milieu dont il vient, mais passons. Personnellement, je ne me lancerai pas dans une recherche de stratégie médiatique et de coup tordu pour le contrer. Je n'utiliserai que des arguments rationnels et fondés, comme j'essaie de le faire le plus possible sur ce blog dans la limite de mes maigres capacités.
Alors, commençons tout de même rapidement par répondre au discours qu'il a tenu sur ses opposants souverainistes qui lui reproche à juste titre d'être incohérent en voulant rester dans l'UE. Des opposants qu'il décrit comme Frexiteur. Son propos est rapide, mais son argument ne visait probablement pas à convaincre ses opposants à mon avis, mais plutôt ceux de ses partisans qui commencent un peu à douter. Voici le court passage en question. Il fait quelque chose que j’exècre au plus haut point, il fait de la volonté de sortie de l'UE le résultat d'une colère ou d'un mouvement produit par l'émotion. Il joue les hommes compréhensifs, à l'égard de pauvres pommés qui cherchent à sortir de l'UE. Je grossis le trait volontairement, il n'a pas été aussi outrageux ouvertement, mais c'est très clairement ce qui ressort de son court propos. Nous lui répondrons simplement que c'est bien la raison qui nous pousse à vouloir sortir de l'UE et non la colère ou je ne sais quelle émotion qui nous dominerait. On voit ici à mon humble avis toute la limite du zemmourisme coincé dans son propre piège électoral à vouloir ménager la chèvre et le chou.
L’incohérence zemmourienne
Zemmour a voulu construire une alternative au RN, mais pas l'alternative que l'on pouvait attendre ou espérer, celle d'une rupture avec la construction européenne mère d'une grande partie de nos malheurs, en particulier l'euro. Au contraire, Zemmour a fait une stratégie de droitisation par rapport au RN. Depuis quelques années, ce parti a produit une impression de donner du lest d'un point de vue économique, et de se s'orienter moins à droite sur le plan économique. Entendez, par là, moins libéral et plus interventionniste. En un sens, le RN était un peu obligé de le faire étant donné son électorat populaire. Zemmour en a sans doute conclu qu'une image plus à droite lui permettrait de piquer des voix dans les couches sociales de l'ancien Front National, celles des bourgeois de droite en quelque sorte. Le retour à l'obsession sur l'immigration et l'islam, le tout enrobé d'un discours libéral digne des années 80 a été en quelque sorte le programme de Zemmour depuis qu'il est apparu comme homme politique et plus comme le pamphlétaire médiatique qu'il était jusqu'alors.
On pourrait d'ailleurs ici souligner que le Zemmour de 2024 aurait quelques problèmes à s'entendre par exemple avec le Zemmour de 2005 ou 2010 qui était alors beaucoup plus critique sur la construction européenne autant que je sache, et pour le peu dont je me souviens. Cette évolution en soi est très étrange. Alors on pourrait ici y voir une stratégie pour prendre du poids électoral, mais c'est une stratégie très discutable. En effet si le RN en devenant « raisonnable » sur le plan européen on peut à la limite le comprendre puisqu'il a un électorat en grande partie captif. Changer de cap peut donc élargir sans doute son marché électoral même si cela conduira nécessairement ce parti à l'échec s'il arrive un jour au pouvoir. Mais Zemmour est un nouveau en politique. Il lui fallait donc créer une véritable identité qui lui soit propre et différente du RN. Je me base ici sur une réflexion purement électorale. Mais au lieu de s'appuyer sur une certaine cohérence en appelant à la sortie de l'UE, il a préféré faire du Le Pen version 1988 à coup de « dehors les Arabes ». Heureusement, il y a peu de chance qu'il dénie l'existence des chambres à gaz contrairement à son modèle programmatique.
Même si l'on se place du point de vue strictement électoral, on ne voit pas vraiment où son parti veut en venir. L'offre proeuropéenne et anti-immigration existe déjà, c'est celle du RN ou à la limite la droite plus classique. Ce parti fait donc doublon avec une offre politique qui n'a d'autre intérêt que la personne de Zemmour et la pancarte commerciale blonde qui l'accompagne. Le RN et Zemmour c'est deux fois la même chose, et la même impasse d'ailleurs. À dire vrai, je ne vois plus ceci que comme une espèce de lutte d'ego entre des personnalités qui visent le pouvoir simplement pour avoir le pouvoir. Ils ne cherchent pas réellement à résoudre les problèmes du pays. Le manque de sérieux des programmes est d'ailleurs là pour en attester. La France est vraiment le pays d'Iznogoud où tout le monde veut être président à la place du président sans vraiment savoir pourquoi.
En un sens, Zemmour est devenu peut-être sans le vouloir, et par la force des choses de son positionnement et de ses alliés, le candidat des « identitaires ». C'est d'ailleurs assez drôle quand on y pense de voir des identitaires soutenir un type qui n'est pas français sur le plan biologique, la France n'est pas à un paradoxe près. D'ailleurs, le courant identitaire m’a toujours paru suspect, comme une importation idéologique étrangère à la France et à son histoire. Leur obsession pour la race est vraiment quelque chose d'étranger à l'histoire de notre pays. J'y vois ici les effets de l'américanisation du pays plus qu'un produit de la réaction française à une immigration effectivement excessive et produisant de nombreux problèmes.
Pour en revenir aux contradictions, parlons un peu des propositions de Zemmour. Vous pouvez retrouver des résumés de leurs propositions politiques sur leur site. Sur l'Europe par exemple, monsieur Zemmour affirme « Reprendre le contrôle de nos frontières », et il continue en précisant qu'il faudrait modifier les traités européens si nécessaire. Cela confirme en premier lieu qu'il a bien conscience que ces politiques sont contraires au droit européen. Ouf, il n'est pas totalement inculte. Mais par ailleurs, il se fiche un peu de son électorat. D'une part, modifier les traités nécessite la majorité de l’approbation des membres dans certains cas, et même l'unanimité dans beaucoup d'autres. Qui peut affirmer ici qu'il est possible de mettre tous les membres de l'UE d'accord sur le fait par exemple de réduire l'immigration ? Est-ce que vous croyez sincèrement que l'Allemagne par exemple dont le patronat veut toujours plus d'immigrés va arrêter ces politiques d'un seul coup parce que monsieur Zemmour l'exige ? Ensuite, le laissez-faire n'est pas là par hasard. Le libéralisme est structurel à l'UE parce que lorsqu'il y a trop de monde avec des intérêts divergents, le laissez-faire et l'ouverture sont la solution la plus simple à mettre en œuvre. Les concepteurs de l'UE, qui étaient des gens anti-démocrates, mais intelligents, savaient très bien ce qu'ils faisaient en créant leur grand machin. Une structure qui allait mécaniquement affaiblir les états et créer un grand marché dérégulé par la force des choses et des contradictions entre les intérêts nationaux. Ce qu'ils n'avaient pas prévu c'est que loin d'apporter la prospérité, la disparition des états nations apporte la misère, l'impuissance générale, et le déclin très rapide du continent européen.
/image%2F1492474%2F20240311%2Fob_d1ae04_05-04-solde-commercial-france-avec-zon.jpg)
Autre exemple. Zemmour propose de protéger nos entreprises de la concurrence déloyale. Mais c'est totalement incompatible avec tout l'ADN de l'UE qui ne veut ni taxe interne ni déformation du commerce par intervention des états. Pour l'UE avoir des salaires très bas n'est pas une concurrence déloyale, les Français n'ont qu'à être moins payés, c'est tout. Là encore, il faudrait fortement modifier les traités et c'est impossible. Et que dire de l'euro dont monsieur Zemmour ne parle pas. La zone euro une zone monétaire non optimale. Cela signifie que c'est une zone où le capital est libre, les marchandises aussi, mais pas vraiment les personnes. C'est aussi une zone où en réalité il n'y a pas de solidarité. Les flux monétaires d'aide sont en réalité très faibles par rapport aux PIB européens. Les zones riches n'aident pas vraiment les zones pauvres qui coulent indéfiniment contrairement aux régions à l'intérieur des nations qui bénéficient de transfert très important entre elles. Or la France fait l'essentiel de son déficit commercial avec le reste de la zone euro. Après le fort déficit avec les Pays-Bas doit cacher des importations d'autres pays et zones. Il s'agit probablement d'importations chinoises et asiatiques camouflées par le fait que la France importe à travers les ports néerlandais et belges. Mais on voit bien que l'euro est un véritable boulet pour notre économie. Et un problème monétaire de cette envergure nécessiterait pour être compensé des quotas et des droits de douane totalement incompatibles encore une fois avec les traités européens.
On le voit rapidement sur ces sujets. Tout changement réel en France ne peut être réalisé qu'accompagné d'un retour à la souveraineté nationale. La sortie de l'UE et de l'euro n'est pas une condition suffisante pour résoudre nos problèmes, mais c'est une condition nécessaire. Il faudra aussi rompre avec l'idéologie néolibérale. Et sur ce plan Zemmour, et son parti, sont très mal placés pour le faire, tout englués qu'ils sont dans l'idéologie thatchérienne des années 70-80. J'ajouterai ici une petite réaction à un argument grossier souvent utilisé par les partisans de Zemmour, celui de la dette publique. Nous serions incapables de sortir de l'UE et de l'euro à cause de la dette publique. C'est un argument qui n'a pas de sens. Tout d'abord, la dette publique française était beaucoup plus forte en 1945 et ça n'a pas empêché la France de se redresser toute seule alors que le pays était dans un état catastrophique. Ensuite, cette dette est le produit justement de la construction européenne qui nous est défavorable. En désindustrialisant le pays, on a détruit la source de la richesse et des gains de productivité. Tout ce qui concourt à ramener l'industrie en France permettra justement de réduire la dette à terme. C'est surtout le déficit extérieur et la dette extérieure qui posent problème et cela ne peut pas être comblé sans dévaluation et politique protectionniste.
Du reste, rappelons que dans le pire des cas on peut monétiser ou répudier une dette. Si monsieur Zemmour est aussi passionné d'histoire qu'il le prétend comment peut-il ignorer le nombre de fois où la royauté française s'est assise sur les dettes contractées au nom de l'intérêt national ? Ce ne serait pas la première fois très franchement. Et une petite inflation à 4% pendant quelques années accompagnées d'une dévaluation et d'une indexation des salaires sur l'inflation réglerait mécaniquement bon nombre de nos problèmes. Et cela ne nécessite pas de politique très complexe à mettre en œuvre. Évidemment cela ne plairait probablement pas à l'électorat, rentier et bourgeois qui vote Zemmour. Un électorat dont le patriotisme ne dépasse sûrement pas les intérêts du portefeuille.