Cette question peut sembler saugrenue à quiconque observerait que ce n'est pas un gouvernement de droite qui dirige, mais bien un gouvernement de gauche. C'est que les étiquettes droite gauche continuent malheureusement à servir d’aiguillon à toute réflexion politique en France. Avec la sempiternelle question qui revient sur la table « Mais cette politique est-elle de gauche ? » Avec en arrière-plan, l'idée que la gauche c'est la raison progressiste, et que la droite c'est l'irrationnel conservateur. Même notre pauvre Emmanuel Todd ne cesse de ramener toutes ses réflexions à la question droite-gauche. Quoi qu'il en soit en matière d'éducation la gauche ne saurait historiquement se faire l'avocate de la privatisation de l'éducation nationale. L'instruction pour tous étant théoriquement l'un des mamelons du progressisme moderne. Du moins, c'est ce que la charte définissant ce qu'est une politique de gauche stipule. On pourrait ici se moquer gentiment d'un tel présupposé en rappelant que l'église et le christianisme ne furent pas les derniers à défendre l'éducation et que bon nombre d'élèves et de penseurs de la gauche furent formés par des hommes d'Église, mais peu importe. Dans l'imaginaire actuel l'éducation c'est un truc de gauche. À droite c'est Sarkozy la quintessence de la débilité anti-éducative.
Cependant le problème c'est que la population française depuis quelques décennies semble de plus en plus préférer l'éducation du secteur privé à celle du secteur public. C'est un phénomène qui était passablement courant dans les pays anglo-saxons, mais qui semble connaître une véritable force dans notre pays. Ainsi dans mon humble ville de Montpellier bon nombre d'établissements privés catholiques sont obligés de sélectionner leurs élèves dès le primaire faute de place pour répondre à l'ensemble de la demande. Alors que dans le même temps des établissements publics se vident et sont en sous-effectifs surtout au niveau du collège qui est un moment crucial pour l'évolution des élèves.
Source latribune.fr
Je ne parlerais pas ici de l'explosion de l'enseignement du type acadomia, ou d'autres services sortant du cadre de l'école a proprement parlé. Bien qu'il s'agisse là d'un phénomène, qui en dit long sur l'évolution actuelle de la société à ce niveau. Le fait est que les Français semblent de moins en moins satisfaits de l'éducation nationale et que loin des discours de comptoirs sur le statut des profs, les parents français détournent volontairement leurs chérubins de l'enseignement public. Dès lors même si la gauche se dit pour l'enseignement public, et qu'elle est théoriquement volontariste sur le sujet. La privatisation se fait de facto par le comportement des parents. Si demain la majorité de la population décide de mettre ses enfants dans le privé, la notion même d'éducation nationale deviendra caduque. À cela l'on pourrait cependant objecter que les programmes restent entre les mains du ministère de l'Éducation et que la plupart des établissements privés sont sous contrat les enseignants étant en fait payés et formés par l'état. En réalité, seule la gestion est privée dans ce système.
Une privatisation par résignation
Cependant même si le raisonnement précédent peut rassurer en se disant que même les établissements privés sont en partie publics, l'on devrait tout de même s'inquiéter devant cette déconvenue. Je suis toujours étonné devant l'inlassable pratique consistant notamment à gauche à nier un problème pour éviter d'avoir à s'y frotter. Cette peur du réel, on la retrouve dans de nombreux domaines comme l'économie, l'immigration, l'Europe, etc. À chaque fois la gauche botte en touche laissant le champ libre parfois aux pires crétins que l'on puisse imaginer. Cette fuite vers le privé semble conforter l'idée que l'enseignement public est un échec. À savoir qu'il est incapable d'instruire correctement les élèves qui s'y soumettent. Et cette idée d'une baisse du niveau que Todd ou d'autres penseurs rejetteraient en parlant de démagogie vient pourtant d'être à nouveau démontrée dans une étude récente sur le niveau des élèves de collège en histoire et géographie. L'étude en question a été relayé, pas seulement par la presse de droite habituée à haïr tout ce qui est public, mais aussi par les médias de gauche comme Le Monde. Entre les comparatifs internationaux tous mauvais pour la France et les études comparatives nationales, le doute n'est plus vraiment permis, à moins d'être d'une mauvaise foi sans bornes.
Cette étude n'est pas la première, elles se sont accumulées depuis plus d'une décennie. Certains enseignants ont même fait leur beurre et leur succès sur ce déclin à l'image de Jean-Paul Brighelli ou de Natacha Polony. Il ne faut donc pas voir dans cette évolution un mécanisme produit par le « c'était mieux avant » illusoire issue de la psyché d'un peuple vieillissant, mais bien d'une certaine réalité. Si les pouvoirs publics ne prennent pas acte de cette réalité qu'ils continuent à la fuir comme ils le font depuis trente ans sur bien d'autres sujets. Nous assisterons dans les décennies qui viennent à une privatisation par la résignation des parents qui se tourneront de plus en plus vers l'enseignement privé. Un enseignement privé qui d'ailleurs ne sera pas meilleur pour autant contrairement aux idées reçues. Il est ainsi facile de faire du chiffre sur plan des résultats scolaires lorsque l'on ne reçoit que les meilleurs élèves.
Un déclin aux origines multiples
Bien évidemment certains professionnels des idées reçues vont nous ressortir les éternels problèmes de moyens. Je vais être très clair là dessus, les moyens l'éducation nationale les a déjà. Nous n'avons absolument pas à rougir en terme de budget éducatif, sauf pour l'enseignement supérieur. Il suffit de regarder l'évolution du nombre d'élèves par classe ou la part du budget de l'éducation nationale par rapport à d'autres pays pour voir que l'argumentation budgétaire ne tient pas la route.
Les graphiques proviennent du site de l'éducation nationales et sont consultables ici.
On remarquera également que les pays de l'Est largement moins bien dotés que nous obtiennent des résultats scolaires souvent meilleurs, sans parler des pays asiatiques. L'on pourrait ici éventuellement soulever le problème migratoire, qui n'est sans doute pas pour rien dans le phénomène. Ce n'est, en effet, pas faire insulte à l'intelligence que de souligner qu'avoir une part importante de population originaire de pays à faible niveau scolaire signifie inéluctablement avoir des cultures familiales moins riches sur le plan éducatif. Car une bonne part de l'éducation se fait à la maison. L'on sait qu'un enfant issu d'une famille favoriser aura un langage plus riche qu'un enfant issu d'une famille à faible niveau scolaire. L'éducation peut pallier en partie à cela, mais elle ne peut pas inverser complètement cette inégalité. En tout cas pas sur une seule génération. Le retard scolaire des enfants d'origine immigre en trop forte proportion, fait donc dès lors baisser le niveau moyen du pays. Les études de l'éducation nationale évitant soigneusement ce sujet explosif préférant mettre en avant le fait que le niveau se dégrade plus dans les lieux dits « défavorisé ». Bien sûr, on ne parle pas de la Creuse ou de la Lozère. L'absence d'immigration dans des pays comme le Japon, la Corée ou la République tchèque faciliterait leur score sur le plan scolaire, comparativement à des pays comme la France, la Grande-Bretagne, ou aux USA. C'est une hypothèse tout à fait valable, mais le tabou fondamental sur l'immigration empêche d'avoir des chiffres sérieux sur la question. Faute de chiffre nous ne pouvons donc conclure sur cette hypothèse.
La dernière hypothèse plus philosophique serait un désintérêt général pour l'instruction. Un phénomène qui peut se mesurer par la baisse des ventes de livre et par la grande appétence de notre population pour la facilité intellectuelle. J'en avais déjà un peu parlé dans ce texte. L'esprit utilitariste de l'époque actuelle réduit même l'instruction à un moyen d'obtenir un diplôme et un travail. Naguère nous instruisions les enfants pour en faire des citoyens capables de faire vivre la démocratie en votant, les diplômes étant là pour parachever un parcours d'effort et de passion pour les plus hauts niveaux. Aujourd'hui les diplômes ne sont plus vus que comme un vulgaire permis de conduire, rien de plus. Pour avoir enseigné quelque temps dans le domaine scientifique. Une question des élèves revenait sans cesse : « À quoi ça sert ? » Nul curiosité, ou intérêt autre que la visée de l'obtention des précieux sésames et des notes. En côtoyant des enseignants dans le supérieur, on remarque les mêmes propos tenus pourtant par des élèves censées avoir un intérêt certain pour leurs matières. Mais est-ce vraiment surprenant qu'une société à ce point matérialiste, et éconocentrique produise des individus à son image ? Car après tout, ces élèves, ne sont-ils pas mieux adaptés que nous, pauvres idéalistes à cette société individualiste et libérale. L'intérêt général, les sciences, les arts, l'histoire autant de choses inutiles pour le monde libéral et utilitariste. Au fond en accusant l'éducation nationale de tout les maux, les français ne se défaussent-ils pas leur propre responsabilité ?
Il est ainsi plus aisé de faire croire que tout arrive par la force des choses, par le marché, par l'état, par l'Europe. Nous oublions tout de même facilement à quel point notre peuple a été complice en mettant au pouvoir les dirigeants qui nous ont conduits au désastre. Nos dirigeants n'arrivent tout de même pas par hasard au pouvoir. Et les Français peuvent continuer à déplorer le peu de succès des chaînes de télévision moins bêtes comme Arte, cela ne sert à rien s'ils continuent à regarder TF1. La passivité de la population est en réalité mère de tous les vices. Les Français critiquent, mais ne font rien pour que les choses changent. C'est probablement aussi le cas dans le domaine éducatif. L'on pourra toujours crier sur les toits à quel point l'éducation nationale ne fait plus son boulot. Quand des enfants arrivent en classe sans même connaître les rudiments de la politesse et du savoir-vivre et qu'ils ne portent aucun intérêt au savoir, ce n'est guère la faute de l'éducation nationale.