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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

Désaméricaniser la France

 

 

Le temps passe et nous fêterons bientôt les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce sera l'année prochaine bien évidemment. Alors que le temps passe, on a pourtant l'impression que l'influence américaine en Europe n'a cessé de croître depuis, surtout ces vingt dernières années. Il s'agit d'un phénomène propre à l'Europe occidentale comme l'avait d'ailleurs très bien souligné Emmanuel Todd dans son dernier livre sur notre décadence. En effet, dans le reste du monde, on assiste plutôt à un fort recul de l'influence américaine. C'est vrai sur le plan des relations internationales, mais aussi sur le plan culturel. À dire vrai c'est tout à fait normal puisque même si les USA sont un grand pays il ne représente qu'une très faible partie de la population mondiale. Une part qui décroît comme celle des pays occidentaux en général. La généralisation de l'instruction et le développement d'une partie grandissante de la planète, enlevant le seul avantage qui restait aux anciennes puissances d'occident, les USA en tête.

 

L'évolution actuelle n'est donc pas un drame, c'est la conséquence d'un simple retour à la normale. C'est le monde du 19e et 20e siècle qui fut anormal. La puissance de la vapeur de l'industrie et de la science moderne ayant donné un pouvoir disproportionné aux nations d'occident. Ce n'est probablement pas la première fois qu'un tel phénomène se produit, les grandes invasions ou les grands empires dans l'histoire ayant souvent eu à la base quelques innovations leur donnant l'avantage contre les autres civilisations permettant des extensions très rapides. L'effondrement de ces empires est du coup souvent très rapide aussi, une fois que ces avantages techniques ou organisationnels sont transmis aux autres peuples justement en partie à cause de la domination impériale. Nous vivons la fin de l'époque impériale héritée de l’industrialisation précoce de l'occident et dont l'empire américain est le dernier représentant. En soumettant le monde à sa domination, l'Europe puis les USA ont transmis leurs idées et leur science au reste du monde, et désormais la roue a tourné et le centre du monde s'est déplacé naturellement vers la zone la plus peuplée et aussi la mieux instruite de la planète, l'Asie.

 

La désaméricainisation du monde a donc largement commencé, elle avait été précédée par l'affaiblissement de l'influence européenne et la décolonisation. Ce processus n'est pas lié vraiment à un déclin à proprement parler de nos pays. La décolonisation s'est faite dans une période de grande prospérité en Europe en réalité. C'est simplement que les autres peuples ont pris conscience d'eux même, se sont modernisés d'abord sur le plan mental et ont chassé des empires européens qui ne tenaient en fait que par le faible sentiment national local. Si les Anglais ont tenu si longtemps les Indes bien plus peuplées, ce n'est pas tant par la qualité de leurs armes que par la mentalité encore féodale de la majeure partie de ces populations. Sans quoi les quelque dix mille Britanniques qui géraient alors les Indes auraient eux bien du mal à contrôler des terres déjà peuplées de plus de 150 millions d'âmes. J’insiste ici sur ce point psychologique, car il est très important pour la situation de l'Europe et de la France actuelle.

 

Le monde s'est donc débarrassé de la tutelle européenne en copiant ses concepts, ses idées et sa science. En ce sens, on peut dire que finalement la colonisation a quand même eu quelques aspects positifs puisqu'elle a poussé des peuples encore assez arriérés à se moderniser. Ce processus d’interaction parfois violent a bien évidemment des effets dramatiques humainement parlant et certains peuples ne se sont jamais remis de la colonisation. On pense bien sûr aux Amérindiens par exemple qui eurent le malheur aussi d'être victimes de vicissitudes de la virologie, les habitants du Nouveau Monde ayant été décimé en grande partie par les épidémies venues du vieux monde. On ne se saurait donc décrire la colonisation uniquement comme un phénomène sympa qui a transmis les savoirs occidentaux au reste du monde. Mais cela a aussi existé. Cette double face avec d'un côté quelque chose de dramatique et de l'autre quelque chose de positif est en quelque sorte vieille comme le monde. La France elle-même n'aurait jamais été la France s'il n'y avait pas eu Rome et son empire, puis sa religion et enfin les Francs.

Le progrès humain avance très souvent de cette manière avec des acteurs différents allant dans un sens ou dans l'autre, mais transmettant aussi les progrès techniques et organisationnels. Même l'Empire mongol qui fut extrêmement brutal, et fit des millions de morts à l'image de Bagdad, alors la ville la plus peuplée du monde, qui fut rasée, eut des effets bénéfiques. La poudre à canon est arrivée jusque chez nous grâce à la Pax Mongolica et Marco Polo aurait eu le plus grand mal à voyager en Chine sans la présence de l'empire mongol. On le voit dans l'histoire tout n'est pas blanc ou noir, mais une nuance de gris loin des discours manichéens des baratineurs de salon télévisuel qui nous sert de politiques ou de journalistes. Il en fut donc de même pour la domination occidentale et celle des USA ou d'autres puissances demain.

 

L'anomalie américaine en Europe

 

La fin de la domination occidentale n'est donc pas une catastrophe, mais une normalisation des rapports de force mondiaux par un rattrapage rapide des anciens pays dominés. Le poids des nations demain correspondra beaucoup plus à leur poids démographique que ce que nous avons connu depuis deux siècles. Et étant donné la faible natalité en Europe, et même maintenant aux USA, notre poids ne peut que très fortement diminuer. Il faut s'y faire, le centre du monde est désormais en Asie. C'est déjà largement le cas en science comme nous l'avons vu récemment les dépôts de brevet en Asie représentant maintenant 68% de la production mondiale. Si l'on regarde en nombre de chercheurs et de chercheuse, l'Asie prend petit à petit l'ascendant sur l'Europe et les USA. Encore une fois, c'est tout à fait normal étant donné les rapports de force démographiques. Il ne fait guère de doute qu'en 2050 l'essentielle des découvertes et de l'innovation scientifique viendra de Chine et d'Inde pour des raisons évidentes.

 

 

 

Cependant si je viens d'expliquer assez clairement pourquoi les USA n'arrivent plus à dominer les pays les moins avancés comme ils pouvaient encore le faire il y a 40 ans cela n'explique pas l'étrange bizarrerie que nous connaissons en Europe. En effet, l'Europe elle-même a connu un processus de colonisation depuis 1945. En effet suite à la Seconde Guerre mondiale, on peut considérer que les USA ont instauré un ordre colonial à l'Europe de l'Ouest. La grande force de cet impérialisme c'est qu'il a su avancer de manière très camouflée en jouant les libérateurs du moins en apparence. Il ne s'agit pas ici de défendre l'Allemagne Nazi. Ce régime fut une atrocité et nous pouvons être contents d'en avoir été débarrassés d'abord par l'URSS puis par les Anglais et les Américains. Mais c'est un constat tout à fait réaliste de dire que l'Europe de l'Ouest a été colonisée par les USA exactement comme l'Europe de l'Est fut colonisée par l'URSS. Il n'y a pas de différence entre les deux à ceci près que la domination de l'Est était beaucoup plus assumée par Moscou et beaucoup plus explicite.

 

En Europe de l'Ouest, les USA n'ont jamais voulu l'affirmer ouvertement. Cela s'est passé en sous-main en utilisant en particulier les réseaux d'influence, la corruption et la culture comme moyen de domination plus que la force directe. Ce fut une méthode très britannique en réalité. L'Europe comme l'Inde d'autrefois étant sous la domination plus ou moins affirmées d'une puissance anglo-saxonne. Washington ne s'est permis d'utiliser la force directe qu'à partir des années 90 pour élargir son espace de domination à l'ancien espace dominé par l'URSS. La colonisation de l'Europe fut parfois explicite. On se souvient du plan de l'Amgot qui visait notamment à faire de la France une colonie directe utilisant le dollar comme monnaie. Un épisode rarement rappelé à nos concitoyens à qui on préfère faire croire que les USA sont venus en Europe pour nous libérer alors qu'il s'agissait surtout d’empêcher l'URSS de contrôler tout le continent, les nazi ayant échoué à casser les communistes. Les USA seraient-ils intervenus si les nazis avaient détruit l'URSS ? Une question impertinente qui évidemment n'aura jamais de réponse absolue, mais qui mériterait d'être parfois posée tant le comportement des USA fut très trouble dans cette histoire. En tout cas beaucoup plus trouble que ce que l'histoire officielle raconte un peu trop souvent.

 

Il est donc évident à mes yeux que l'Europe n'est qu'une colonie des USA depuis près de 80 ans. La seule exception fut la période gaulliste qui permit à la France d'un peu s'affranchir de la tutelle US, du moins pendant un temps. Mais cette domination aujourd'hui est un peu étrange, car les USA n'ont plus en réalité les moyens de maintenir l'Europe sous leur tutelle. La domination américaine n'est pas le fruit de pression ou d'une domination commerciale et industrielle. Au contraire, les USA ont des déficits commerciaux depuis longtemps avec l'Europe occidentale. Si les USA dominent dans le logiciel et l'informatique, ou le cinéma, ce sont bien là les rares domaines où ils dominent en réalité. La domination de l'Europe et de la France se fait avant tout par la domination des élites locales. C'est là qu'on pourrait faire le lien avec la colonisation de l'Inde par exemple. Il s'agit avant tout d'une domination voulue par les dominés eux-mêmes. Chose que l'URSS n'était pas parvenue à faire elle qui a dû intervenir militairement assez fréquemment sur vassaux en particulier en Hongrie.

 

Les USA dominent les Européens dans leur tête avant tout, c'est à l'image de la célèbre phrase de la Boétie, la servitude volontaire. L'obsession européenne de l’Amérique qui en retour est en réalité extrêmement europhobe a quelque chose d'étrange dans un monde qui en a fini avec le colonialisme. Tout se passe comme si les Français, les Allemands et les autres peuples d'Europe ne voulaient plus être eux même. La crise que connaît notre continent est avant tout liée à cette crise identitaire produite par la dénégation de la domination américaine. Non, nous ne sommes pas des Américains. Les USA se fichent pas mal des intérêts du continent et s'ils peuvent le couler et l’entraîner dans des guerres autodestructrices, ils le feront avec plaisir. Nous devons déjà accepter le fait que nous sommes français, allemands ou italiens avant tout. C'est en désaméricanisant nos identités, en récupérant nos esprits nationaux que nous pourrons alors nous préparer correctement au monde qui vient. Quant à l'UE est l'expression de cette domination tout comme le pathétique concours de l'eurovision ou l'OTAN. C'est en prenant conscience de cela uniquement que nous pourrons rebondir et non en nous lançant à corps perdu dans la création d'un ersatz des USA en Europe à travers une hypothétique Europe fédérale. La force de notre continent c'est sa diversité de petites nations avec leurs traditions et leur originalité. Tout projet visant à les effacer et à les américaniser n'est qu'une œuvre anti-européenne par nature.

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D
mais l'Europe c'est quoi ? Personne n'est capable d'en donner une définition. Je vois qu'il existe une culture méditarranéenne mais je ne vois pas en quoi un Finlandais à quelque chose de commun avec un Portugais ou un Grec avec un Suédois. En revanche un Grec et un Arabe oui, un Français et un Algérien oui, un Italien et un Tunisien oui.
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Y
C'est juste un ensemble géographique. A la limite on peut parler de l'influence chrétienne, mais d'autre régions du monde sont aussi chrétiennes aujourd'hui. Mais en réalité ce n'est pas le cœur du problème. Ce que l'on appel l'occident et par ricochet l'Europe à l'heure actuelle c'est surtout ce qui est soumis à l'Empire américain.
L
L'hégémonie culturelle américaine en Europe et particulièrement en France a longtemps été faite d'échanges réciproques dans un mouvement quasi dialectique. <br /> La grande littérature américaine de la première moitié du vingtième siècle, de Jack London aux maîtres du roman "noir" comme Chandler, en passant par les Hemingway, Steinbeck, Faulkner, etc. admiraient la littérature française de dix-neuvième siècle plus que tout autre. Idem pour le mouvement "beatnik" et même des chanteurs plus modernes de rock comme Dylan ou Patti Smith se réclamaient volontiers de Rimbaud. <br /> Dans le cinéma, certains réalisateurs comme Jules Dassin, Jean-Pierre Melville ou Alain Corneau, très influencés par l'esthétique des films noirs américains, n'en ont pas moins donnés des chefs d'œuvre du cinéma national tout en étant célébrés outre-atlantique (surtout Melville).<br /> On sait aussi l'influence des philosophes français dans le mouvement déconstructiviste, même si celui-ci a tendance à produire de fâcheux effets en retour. Ce mouvement a d'ailleurs marqué un changement de paradigme dans la culture américaine, laquelle depuis un demi-siècle s'est brusquement transformée en bras armé d'un hégémonisme nihiliste et surtout esthétiquement régressif où il est braillé et martelé que tout se vaut.<br /> Il est symptomatique qu'une forme d'expression musicale originale comme le blues a fini par donner une anti-musique au sens militant du terme comme le rap.<br /> Mais il semble aussi que les choses changent et qu'une partie de la jeunesse américaine manifeste une certaine nostalgie des formes musicales plus mélodieuse du siècle dernier (voir le stupéfiant succés du chanteur folk Oliver Anthony). <br /> En France, j'ai l'impression que l'on en est encore loin et ce ne sont pas les autorités politico-médiatiques qui vont l'aider. Le temps où un chanteur de rock comme Scott Walker reprenait des chansons de Brel comme Amsterdam ou Jackie n'est pas près de revenir.
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Y
Vous parlez ici d’interaction culturelle. Il est normal qu'il y est des influences entre des nations en matière de création culturelle. La France subit aussi l'influence japonaise et la France finit par produire des mangakas à son tour. Le vrai problème dont le parle est plus ici un problème de capacité à l'autonomie nationale. Nous ne nous pensons même plus nous même comme français avec notre voix propre et notre façon de voir le monde. Il y a une différence entre s'inspirer de création étrangère et être influencé par des mouvements qui viennent de l'étranger et la négation de sa propre identité. Nos élites ne sont même plus capable de décrire leur propre pays sans en référer à une vision américaniste de la réalité. On le voit avec les délires wokistes importés sans aucune nuance sur le territoire français comme si la France c'était les USA. Pendant les évènements de black lives matter Paris était selon nos élites, surtout à gauche, une extension territoriale des USA.
A
Bruno Bertez écrit souvent là dessus...nos banques et nos élites sont dollarisés...<br /> <br /> extrait : " , la Suisse est tenue par les couilles ! Idem pour l’Allemagne, idem pour la France "<br /> <br /> "Vous avez été vendus aux américains par votre kleptocratie, votre ploutocratie et votre bourgeoisie financière." <br /> <br /> <br /> https://brunobertez.com/2023/03/16/editorial-la-militarisation-de-la-surveillance-bancaire-la-finance-la-monnaie-la-guerre-sous-une-autre-forme/<br /> <br /> https://brunobertez.com/2023/01/17/le-colonialisme-est-depasse-la-dependance-a-la-monnaie-cest-a-dire-au-dollar-le-remplace/
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