On commence par une citation latine, ce n'est pas commun sur ce blog. Célèbre locution dont la traduction est très connue « L'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique ». Pourquoi est-ce que je commence mon propos par cette citation, c'est en référence bien évidemment par ce qui vient de se passer en Syrie. Comme à la grande époque des printemps arabes, voilà nos médias qui se gargarisent de la chute du méchant dictateur local en présentant tout cela comme un immense espoir démocratique. Il faut dire que depuis l'élection de Trump, et la mise en déroute de l'armée ukrainienne, les médias atlantistes commençaient à sérieusement broyer du noir. Et ne rajoutons pas dans l'affaire la question de Macron et de ses échecs politiques massifs. L'effondrement du gouvernement Barnier confirmant l'instabilité politique française dont nous avons parlé rapidement dans le dernier texte de ce modeste blog.
L'affaire syrienne est en quelque sorte une aubaine, un moyen de remonter le moral des troupes du globalisme et de l'impérialisme américain qui était très mal-en-point. Nous avons donc à nouveau tous les discours sur la démocratie au Moyen-Orient et toutes les inepties qui furent longtemps ânonnés par nos dirigeants sur cette région du monde que nous aurions bien mieux fait de laisser tranquille ces 20 dernières années. On voit même l'un des grands artisans de l'instabilité géopolitique locale, monsieur François Hollande, nous donner son avis sur les discours encourageants du nouveau futur dictateur islamiste local. On nous ressort les thématiques sur les extrémistes musulmans modérés. On le voit donc, l'engouement autour de la chute du régime syrien ne tient pas tant de la rationalité géopolitique avec l'idée de nuire à l'Iran derrière, que d'un effet de redressement momentané des forces de l'impérialisme américain et de ses vassaux. Au passage, n'oublions pas le rôle majeur de la Turquie et même d'Israël dans l'affaire. Israël, la nation qui peut bombarder tous les pays qu'elle veut parce qu'elle est une gentille démocratie qui est surtout du bon côté, celui de Washington.
Alors le bon sens bien évidemment nous incite bien logiquement à être beaucoup moins enthousiastes que nos dominants sur l'affaire. Car si l'on pouvait douter de l'efficacité de la politique de la canonnière pour créer des régimes démocratiques dès l'intervention US en Irak en 2003, l'expérience montre depuis plus de vingt ans maintenant que la chute des régimes dans les pays musulmans par des puissances extérieures produit surtout de nouveaux régimes bien plus dangereux pour les locaux et pour le monde. Et ce n'est pas le nouveau locataire du pouvoir et son CV dramatiquement islamiste qui vont nous convaincre du contraire. Ce ne sont pas non plus quelques discours qui nous convaincront. Encore une fois, cela s'est passé de la même manière en Libye, en Irak, en Afghanistan, etc. La démocratie ne s'impose pas de l'extérieur et encore moins dans des pays où il y a une faible unité culturelle, linguistique et religieuse. Car la démocratie nécessite une unité collective. Celui qui gagne ou qui perd une élection doit le faire pour l'ensemble de la population et pas seulement sa tribu. Or il s'agit de quelque chose de complexe qui ne peut aboutir qu'au bout d'un long processus d'unification nationale qui bien souvent n'a jamais eu lieu dans ces pays. Un coup d’œil aux ethnies vivant en Syrie montre la fragmentation territoriale. Même chose sur le plan religieux, même si l'hétérogénéité est ici plus faible.
Cette faible hétérogénéité religieuse pouvant d'ailleurs expliquer les montées de l'islamisme dans les sociétés arabes modernes. En effet, quand il n'y a pas d'unité linguistique et ethnique, il ne reste plus que l'unité religieuse pour pourvoir à un semblant de cohérence nationale. On peut ici en conclure que le seul ciment dans la région étant la religion, la « démocratisation » des pays de cette région devient rapidement intolérante sur le plan religieux, les minorités étant considérées comme inassimilables dans le processus national. Nous voyons chez nous la démocratie comme quelque chose de merveilleux alors qu'elle a en elle une forte capacité à l’intolérance, car elle nécessite une adhésion minimale de toutes les composantes de la société aux prémisses qui permettent le vivre ensemble démocratique. Dans une démocratie le perdant de l'élection doit se sentir suffisamment solidaire du gagnant pour obéir aux résultats. Un système monarchique ou féodal peut très bien tolérer les fortes différences et faire des lois différentes pour les différentes strates d'une société. La démocratie égalitaire en est incapable en réalité en dehors de certaines limites. La démocratie française elle-même fut accompagnée d'une chasse méticuleuse et violente de toute forme de différence linguistique par exemple. La république a uniformisé le pays comme il ne l'avait jamais été. Pourquoi? Parce que sans cela certaines identités auraient pu rejeter la démocratie française en appelant à l'indépendance par exemple au nom même des principes démocratiques et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La démocratisation des sociétés du Moyen-Orient fonctionne en faîte avec l'islamisation de ces sociétés, comme un processus qui se nourrissent l'un l'autre. Le Moyen-Orient n'est pas l'Europe où des nations qui étaient très homogènes sur le plan linguistique et culturel s'étaient formées après moult guerres. Et après l' effondrement de beaucoup d'empires, faut-il le rappeler ?
Pourquoi font-ils autant d'erreurs ?
On peut dès lors craindre que cette affaire syrienne ne devienne qu'un nouveau foyer pour l'islamisme radical, une fois les nécessaires mensonges de communication pendant que le nouveau pouvoir s'installe seront finis. La Syrie pourrait alors devenir un énorme problème pour l'Europe puisque ce pays est proche et qu'en plus il sera très vraisemblablement protégé par la Turquie alliée. Une véritable base arrière géante de l'islamisme radical aux portes de l'Europe. La méditerranée n'étant pas vraiment une mer infranchissable. Il est donc assez étonnant de voir cet engouement chez nos prétendues élites, qui, bien au contraire, devraient être extrêmement inquiètes de la situation. La dernière fois que des pays ont été déstabilisés dans la région, ce fut un raz de marée démographique sur l'Europe et une explosion des actes terroristes. Il est donc assez dramatique de voir des gens qui d'un côté se lamentent du terrorisme, et multiplient les processions à base de bougie à chaque événement terroriste en France, se réjouir dans le même temps des causes de ces attentats. On est là en plein délire irrationnel. Un délire qui ne touche pas seulement cette question de géopolitique, mais l'ensemble des sujets politiques.
En effet, l'on a fait de la méthode du « en même temps » macronien la marque de fabrique de l'actuel président de la République. Mais en réalité cette méthode de gouvernance n'est probablement pas qu'une méthode de communication. Je crains qu'elle ne soit en réalité le reflet de l'absence de pensée cohérente chez les couches sociales dominantes en France et plus généralement en occident. La marque d'une incapacité à comprendre le réel dans toutes ses dimensions et dans toute sa complexité. On pourrait appeler cela la pensée Lego. Une pensée ou chaque pièce est vue comme indépendante de l'autre sans aucune interaction possible. On pourrait y voir les effets délétères de l'instruction et de la pensée cartésienne faite de petits raisonnements collés les uns avec les autres sans aucune forme de structure globale qui rassemble le tout et lui donne une cohérence. Dans un monde qui en réalité fonctionne de manière beaucoup plus holiste que cartésienne, cette forme de pensée simpliste devient rapidement une catastrophe. Les erreurs de nos prétendues élites ne sont donc peut-être pas de simples erreurs, mais le produit d'une éducation qui rend en réalité imperméable à ce qui ne se résume pas à une juxtaposition de raisonnements cartésiens.
C'est ce qui donne une réponse , peut-être , à la question que se posait récemment Marcel Gauchet qui était l'invité de la NAR au sujet de son dernier livre « Le nœud démocratique ». Il se demandait pourquoi les élites semblaient devenues incapables de comprendre des problèmes qui n'entraient pas nécessairement dans le cadre de leur raisonnement. Chose que l'on attend pourtant naturellement d'une « élite » ? S'adapter aux changements c'est quand même la marque de l'intelligence par excellence. Or nos élites semblent fossilisées dans des concepts et des idées qui sont marqués du sceau de l'incompatibilité avec le réel sur tout un tas de sujets. Rien que la question de l'euro ou du libre-échange montre leur incapacité à remettre en question des choses pourtant terriblement évidentes. Elles acceptent également des actes totalement contradictoires avec leurs propres principes. Comment en effet ne pas voir l'étrange enthousiasme pour la « démocratisation » dans certains pays, alors que dans le même temps l'UE annule très ouvertement une élection dans un pays comme la Roumanie ? N'est-ce pas légèrement incohérent. On peut bien évidemment y voir d'une hypocrisie construite autour de mensonge, la démocratie étant en réalité le cadet de leurs soucis. La seule chose qui compte étant que leur camp, celui du globalisme impérial, s'impose. Mais on peut aussi y voir cette façon de raisonner en prenant chaque morceau d'information sans le coller dans l'ensemble du grand puzzle de la géopolitique globale.
Car si l'hypocrite et le mensonge sont effectivement une explication, il faut bien voir qu'en réalité tous ces comportements affaiblissent en pratique progressivement le pouvoir des globalistes et des idéologues néolibéraux. Ils jouent un peu contre le camp en réalité. L'élection de Trump fut en fait bien plus la défaite des démocrates globalistes que la victoire du milliardaire. Ce dernier a réussi à se faire passer comme un opposant au globalisme en comprenant très bien que la globalisation n'avait plus la cote chez une grande partie de la population américaine. Reste à savoir si tout ceci n'était pas une entourloupe en réalité. Même chose en France où chaque arc républicain nous rapproche un peu plus d'un RN au pouvoir. Les accumulations de mauvais choix ne résultent donc peut-être pas de simples manipulations, comme beaucoup aiment à le penser, mais d'une véritable bêtise collective structurelle de nos « élites ». Et ce n'est pas forcément beaucoup plus rassurant en réalité.