La nouvelle année commence et les inquiétudes sont grandes dans la plupart des sociétés de la planète. Car ne croyez pas que la crise du système économique n'est une crise qu'en France ou en Europe. Si les imbécillités européennes ont donné un caractère particulier à la crise européenne, la réalité c'est que l'économie mondiale se craquelle un peu partout sur la planète. Et l'affaire n'est pas nouvelle, on peut voir qu'en réalité l'économie mondiale ne s'est jamais vraiment remise de la crise de 2008, celle des subprimes qui déstabilisa alors l'organisation financière planétaire. Comme le souligne très justement Jacques Sapir dans son dernier livre consacré aux BRICS, c'est à cette époque qu'une véritable brisure se fit dans la globalisation américaine qui avait jusqu'alors réussi à s'imposer à la planète entière.
Les raisons sont multiples, mais il est important de resituer l'origine du système économique mondial actuel pour montrer son inéluctable chute produite par ses contradictions internes. Car le capitalisme n'est pas un système viable en lui-même, et les illusions qui ont accompagné la disparition de l'URSS sur les performances du système capitaliste ont fait oublier aux Occidentaux ses nombreuses tares, et le danger qu'il peut représenter s'il est laissé sans limite à ses propres débordements. Las, les Occidentaux ont oublié la crise de 1929 et les leçons de l'histoire, au point de reconstruire toutes les conditions pour des crises encore plus graves que celle-ci. Mais commençons par le commencement. Le système économique global que nous connaissons et qui arrive en bout de course est avant tout le produit de la fin de la Seconde Guerre mondiale et du traité de Bretton Woods. Celui-ci a mis au cœur du système économique mondial l'économie américaine et le dollar. À l'époque les Britanniques qui négociaient avec les Américains pour réorganiser l'économie mondiale n'avaient pas la possibilité de faire changer d'avis les USA. Ces derniers voyaient après tout dans cette orientation une évidence puisqu’effectivement les USA étaient alors la première puissance économique du monde et pesaient à eux seuls plus de la moitié du PIB mondial. Leurs adversaires s'étant suicidés en quelque sorte.
Mais au départ, le dollar était indexé sur l'or. Ce qui garantissait théoriquement un juste échange aux autres nations qui pouvaient à tout moment changer leurs dollars accumulés par le commerce en or. Dans le même temps, les USA qui avaient accumulé d'immenses excédents commerciaux comprirent que ces excédents ne servaient à rien. Il fallait pouvoir vendre les produits US, mais pour cela il fallait une demande solvable chez les clients. Les USA qui furent le pays le plus protectionniste de l'histoire entre la fin de la guerre de Sécession et 1945, se mirent à faire du libre-échange. Le plan Marshall qui fut un coup de maître pour asseoir la domination US sur le continent européen avait aussi une utilité économique pratique. Il donnait des débouchés à une industrie US qui avait des problèmes de transition liés au changement de régime économique en passant d'une économie de guerre à une économie de paix. Petit à petit, ce libre-échange permit aux Européens et aux Japonais de rééquilibrer leur balance extérieure et de connaître des excédents avec les USA. Dès la fin des années 60, les USA commencent à accumuler des déficits commerciaux. Mais c'est surtout avec la guerre du Vietnam que la situation se dégrade franchement pour des raisons évidentes, la guerre coûte cher et pas seulement en vie humaine.
Cette période qui va de 1945 à 1971 est la première globalisation américaine. Elle se passe essentiellement entre pays déjà développés liant l'Europe de l'ouest, le Japon et la Corée du Sud aux USA. Elle fut assez efficace parce que les niveaux de vie vont rapidement s’aligner sur les standards US et que le capitalisme d'alors était relativement contrôlé. Les capitaux ne pouvaient pas circuler librement et le libre-échange était relatif. La communauté européenne a par exemple pratiqué le tarif extérieur commun aux alentours de 30% de droit de douane aux produits importé de l'extérieur de l'Europe des six. De la même manière, le Japon de l'ère Showa (1926-1988) était assez protectionniste. Seuls les USA pratiquaient réellement le libre-échange , mais ils avaient accumulé d'énormes avantages technologiques qui leur permettaient de tenir la distance, du moins jusqu'aux années 70. Tout se dégrade rapidement avec la guerre vietnamienne et Richard Nixon prit alors une immense décision dont nous subissons aujourd'hui les effets à long terme. Le dollar fut désindexé de l'or pour permettre simplement aux USA de financer la guerre en faisant tourner la planche à billets.
Si la crise inflationniste des années 70 fut souvent associée au choc pétrolier, c'est oublier un peu vite que les prix du pétrole sont vite retombés, bien plus vite que l'inflation. Au contraire on peut tout à penser que l'inflation de l'époque fut une inflation exportée par les USA à travers le dollar pour financer leur guerre et leur compétition militaire avec l'URSS. C'est tout le sens de la célèbre phrase de John Connally « le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ». Mais face à l'inflation d'alors, le capitalisme et les rentiers paniquent. Il faut une réponse à cette inflation qui réalisait la fameuse euthanasie des rentiers dont Keynes avait fait la prévision quelques décennies plus tôt. C'est d'autant plus grave que la croissance ralentit parce que le progrès technique ne permet plus des gains de productivité aussi rapide qu'après guerre. C'est dans ce contexte que le néolibéralisme va s'installer durablement en occident des USA en Grande-Bretagne en passant par la France. Et l'arme des néolibéraux pour casser l'inflation sera la grande dérégulation économique.
La libération de la circulation des capitaux qui permettra d'échapper à l'impôt et donc de limiter les hausses d'impôt dans les pays qui le pratiquent sous peine de souffrir d'une fuite de capitaux. La concurrence fiscale fut un outil essentiel pour la destruction de l'état providence détesté par les idéologues libéraux. La libre circulation des marchandises qui vont mettre les systèmes sociaux en concurrence et donc tirer vers le bas les salaires en permettant à n'importe quelle entreprise de produire où elle veut et de vendre où elle veut. Et enfin la libre circulation des personnes qui permet de lutter encore une fois contre la hausse des salaires, mais cette fois également dans les emplois qui ne sont pas délocalisables. Cette triple camisole permet de casser la masse salariale et de faire exploser les taux de profit des entreprises. C'est à cette même époque que les bourses prennent une ampleur sans précédent à l'échelle planétaire. À la même époque, en 1972, pour favoriser la baisse des salaires et des prix, Richard Nixon trouvera un compris avec la Chine de Mao Zedong. L'ouverture des échanges commerciaux va permettre à la Chine de bénéficier des savoir-faire occidentaux, et le coût très bas de la main-d’œuvre chinoise va permettre de casser les prix de production et de mettre au chômage des millions d'Occidentaux.
Un capitalisme sans régulation n'est pas viable
Évidemment cela va avoir rapidement des effets néfastes sur la croissance occidentale. Les années 70 sont caractérisées par une forte hausse du chômage et par la baisse de la croissance économique un peu partout. La compression de la masse salariale distribuée provoquant une baisse concomitante de la demande. On constate en pratique que la dette en occident augmente à partir justement de cette époque. Car pour maintenir une certaine croissance économique, il va falloir que les états compensent la baisse tendancielle de la demande provoquée par la compression salariale et la hausse du chômage. Ce sera les années 80-90. Les USA s'endetteront à travers des programmes militaires et des subventions massives à certains secteurs. En Europe, on préférera le traitement social du chômage et de la misère consécutive au système dérégulé. Les inégalités augmentent surtout dans le monde anglo-saxon. Et les déséquilibres commerciaux commencent à vraiment fortement augmenter.
On peut dire que la seconde phase de la globalisation américaine a donc commencé en 1971 quand les USA abandonnent l'étalon or du dollar. Cette seconde phase s'accompagne également d'un élargissement puisque presque toute la planète va rentrer dans ce système économique qui devient réellement global avec la Chine qui se transforme petit à petit en usine du monde. Mais sans une intervention extérieure au marché et au capitalisme, ce système n'aurait jamais pu fonctionner. L'insuffisance de la demande globale liée à la compression des salaires distribuée en regard des gains de productivité aurait fait s'effondrer le système comme la crise de 1929 le fit du système de l'époque. C'est l'interventionnisme des états occidentaux et particulièrement celui des USA qui permit au système de continuer à croître. C'est l'endettement massif de l'état américain qui permit à la demande de se maintenir et aux Chinois, Japonais et Allemands de trouver des débouchés pour leurs exportations. Il est assez drôle d'entendre des libéraux hurler sur l'endettement des états lorsque l'on sait quand sans cela le système économique dérégulé aurait probablement rendu l'âme dès les années 80 dans une dépression massive.
Nous arrivons maintenant à la troisième et dernière phase de la globalisation américaine, celle qui signe sa fin. Cette troisième phase est le produit d'un libre-échange de très longue durée et qui a considérablement transformé les pays jadis industriels comme les USA ou la France. En effet, ces pays se sont massivement désindustrialisés et ont créé tout un système d'emploi d'occupation dans de multiples services à l'utilité douteuse en réalité. La crise du COVID a montré d'ailleurs la très faible utilité de l'emploi en occident. 80% des salariés pouvaient s'arrêter de travailler, mais les magasins étaient toujours remplis de victuailles provenant d'ailleurs. Preuve que l'emploi en occident est surtout une occupation sociale et de distribution de revenu avant d'être un emploi de production réel. Et à ce stade il ne s'agit pas de la productivité, mais bien de l'exploitation d'autres pays producteurs. Car il a suffi que la Chine ferme ses frontières quelque temps pour que tout le système globalisé craque et fasse vite remonter l'inflation.
La montée des BRICS est une réaction à un système de domination qui n'a plus de raison d'être. En créant la globalisation, les USA et les Occidentaux ont eux-mêmes fabriqué leurs remplaçants. La Chine n'a aujourd'hui plus besoin des technologies occidentales. On peut même dire qu'aujourd'hui le rapport de force scientifique et technique s'est inversé. La seule chose qui permet encore aux USA de dominer est la finance et encore leur dollar qui sert de monnaie de réserve internationale. Mais il y a un énorme problème dont nous avons souvent parlé sur ce blog. La Chine a construit un système fondé sur les exportations et non sur un équilibre entre la production et la demande intérieure. La crise globale actuelle tient donc à deux gros facteurs. D'un côté les USA ne maîtrisent plus la globalisation, croulent sous les déficits commerciaux malgré leur nouvelle production énergétique, et paniquent face à la nouvelle puissance industrielle dominante. Ils essaient donc de rapatrier des productions sur des terres qu'ils contrôlent. Cependant, ils craignent les effets inflationnistes que cela pourrait engendrer. Donc ils ne réindustrialisent pas aux USA directement, mais sur des pays dominés comme le Mexique. Le protectionnisme actuel des USA s'explique ainsi. Il s'agit de nuire à la Chine et de favoriser les délocalisations vers les pays dominés ou « amis ».
Mais de l'autre côté, la Chine entre en déflation à cause de sa surproduction et de l'incapacité de la planète à absorber sa production. La Chine se retrouve un peu dans la situation des USA en 1945, mais sans en avoir conscience. Elle cherche malheureusement toujours à compenser sa surproduction par des exportations, ce qui mécaniquement entraînera des réactions d'hostilité des pays qui ne peuvent accepter d'accumuler indéfiniment des déficits avec eux. Et au milieu de tout ça, on voit l'Europe sans tête qui fait des politiques économiques coincer dans les illusions du modèle libéral des années 70-80 avec en plus des idioties en matière de politiques énergétiques qui aggrave encore la situation du continent.