Donald Trump vient donc d'être officiellement déclaré 47e président des USA. Pour certains c'est un moment historique en bien ou en mal. Je dois dire que l'on est là dans une des grandes illusions des modernes, celle qui consiste à donner beaucoup trop d'importance aux individus dans les mouvements historiques. Ce qu'Emmanuel Todd rappelle d'ailleurs dans sa dernière émission sur Fréquence populaire que je ne peux que vous conseiller de regarder. D'autant qu'il s'agira d'intervention régulière de Todd sur l'actualité. Pour revenir sur Trump, je ne crois guère aux ruptures structurelles. Trump va devoir gérer la défaite de l'OTAN et donc des USA en Ukraine et contrairement aux nombreux discours claironnés par nos médias il ne va pas forcer la Russie à négocier. Car c'est la Russie qui est en position de force. Sur le terrain c'est elle qui gagne et cela malgré le soutien de l'ensemble de l'OTAN. C'est donc une cuisante défaite et tout ce que Trump pourra faire consistera à camoufler cette défaite en jouant sur la communication.
Alors vous allez me dire que les USA feront comme d'habitude, ils ignoreront simplement cet état de fait pour passer rapidement à la prochaine crise. Après tout, ce n'est pas la première défaite militaire des USA, ils en ont collectionné un paquet depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Américains ont même perdu en Afghanistan contre des ennemis faiblement armés, mais bien déterminés. Cependant, cette guerre en Ukraine était d'une autre importance. Comme certains l'ont souligné, l'incapacité de l'OTAN à fournir du matériel militaire a été observée par tout le monde, en particulier par la Russie et la Chine. On peut dire en quelque sorte que le roi est nu. Jusque là si la désindustrialisation avancée des USA et de leurs larbins était déjà actée, la plupart des nations du monde y compris les Occidentaux eux-mêmes pensaient que l'Empire maintenait quand même ses capacités de production militaire au moins à un niveau de capacité lui permettant d'affronter n'importe quelle puissance sur la planète. Mais l'Ukraine fut une énorme surprise finalement puisque les Occidentaux ont même été assez bêtes pour démolir leurs propres capacités de production militaire. Et l'on ne parlera pas ici du fait que même les matériels de pointe américains dépendent maintenant de certaines productions d'autres pays, en particulier de la Chine.
On pouvait se douter que les capitalistes sont stupides et à courte vue, mais observer cela en vrai à quelque chose de stupéfiant. Trump aura beau hurler America Great Again, et Elon Musk envoyer des fusées sur Mars, cela ne pourra plus camoufler la réalité américaine. L'enthousiasme pour le phénomène Trump est en soi extrêmement étrange tout comme la croyance dans le dynamisme économique américain. Certains soulignent régulièrement la technologie américaine comme source de ce dynamisme. Beaucoup comparent les USA et leurs investissements dans l'IA à la nullité européenne en la matière. C'est oublier bien vite que dans le monde réel c'est l'UE qui accumule des excédents avec les USA et non l'inverse. Les USA font de l'investissement spectaculaire, mais qui en réalité n'a guère d'impact sur la réalité de leur commerce extérieur. Ce n'est pas en envoyant des hommes sur Mars ou avec des IA que les USA combleront leurs trous commerciaux, mais en répondant aux besoins de base de sa population. Chose que le capitalisme dérégulé et financiarisé américain semble incapable de faire aujourd'hui.
C'est l'économiste Jean Luc Gréau qui nous avait prévenus il y a deux décennies déjà dans son livre « L'avenir du capitalisme ». Laissez à lui-même, le capitalisme financiarisé à la recherche de taux de croissance de plus en plus déconnectés des réalités triviales de l'économie, finira par ne plus financer les productions de base. À tel point que l'état finira par devoir les produire à la place du système privé. L'afflux délirant de capitaux dans l'IA alors même qu'on n’a aujourd'hui aucune preuve de la réalité tangible des gains de productivité que cela pourrait hypothétiquement produire . Cette focalisation de l'investissement sur quelques secteurs certes potentiellement intéressant, mais n'ayant en réalité pas besoin de tels niveaux d'investissement est l'une des marques du capitalisme décadent de ces dernières décennies. On se rappelle tous de la bulle internet et de ses conséquences. L'IA suivra très vraisemblablement le même chemin en pire. Et à côté de ça des pans entiers de l'économie US qui aurait besoin d'investissement, mais qui ne pourrait prétendre faire des retours sur investissement au niveau que le désirerait la finance globalisée se voit privés de financement.
S'il y a un échec du capitalisme dérégulé, c'est bien celui-là. Laisser tout le monde investir dans n'importe quoi n'importe comment finit par concentrer tous les capitaux sur certains secteurs très rentables provoquant la mort par asphyxie de tous les autres. On a peut-être ici l'une des explications de l'étrange déclin américain qui d'un côté brille de mille feux sur des secteurs à la mode, mais coule complètement sur les activités pourtant primordiales dans tous les autres secteurs. Cela explique aussi pourquoi les milliers de milliards de capitaux étrangers engloutis dans les illusions du moment n'arrivent pas à faire redémarrer la production industrielle des USA, qui s'embourbent dans des déficits commerciaux malgré le retour du protectionnisme. Cela s'ajoute bien évidemment aussi aux effets du dollar et de l'incapacité des USA à former des ingénieurs et des techniciens en nombre suffisant. Rajoutons à cela que l'attrait global pour les investissements à la mode américaine, engendre des rentrées de capitaux qui font grimper le dollar, et aggrave encore un peu plus la situation des producteurs aux USA. Décidément, la dérégulation financière est tout autant problématique que le libre-échange. Or là-dessus Trump n'a rigoureusement aucune volonté de remettre des frontières, et de toute façon son milieu ne le lui pardonnerait pas.
La déglobalisation est une nécessité
Il reste que la situation américaine n'est simplement plus tenable. Les déséquilibres commerciaux atteignent des niveaux absurdes que ce soit par les déficits commerciaux aux USA ou par les excédents en Chine. Car c'est désormais officiel, la Chine qui accumule maintenant près de 1000 milliards de dollars d'excédent commercial est bien en situation de déflation. Si le chômage des jeunes semble légèrement reculer, il n'en demeure pas moins que la première puissance économique du monde se lance dans une expérimentation mercantiliste extrêmement dangereuse, y compris pour sa stratégie géopolitique. En effet la Chine connaît également des excédents importants avec les autres membres des BRICS. L'inde par exemple accumule des déficits avec la Chine, près de 85Md de dollars en 2024. Combien de temps cela pourra-t-il continuer sans que cela ne remette en cause les apparentes bonnes relations entre ces nations ? On le vit ici, Trump et son protectionnisme ne sont finalement que la conséquence de la globalisation. L'évolution protectionniste avait d'ailleurs déjà commencé sous Obama et Biden. Tant que les USA et l'occident en général étaient suffisamment gros par rapport au reste du monde pour soutenir la demande mondiale par l'endettement relatif de leur pays et par des déficits commerciaux, la Chine et les autres puissances montantes pouvaient croître par l'excédent commercial.
Mais ces pays ont rattrapé l'occident en termes de poids sans pour autant modifier leur rapport économique avec l'occident. Il en va de même d'ailleurs à l'intérieur de l'occident avec une UE qui attend toujours des relances américaines, une relance de sa propre croissance par les exportations. Ne comprenant pas qu'elle est aussi trop grosse pour ça. Comme les nations du monde n'arriveront pas à s'entendre sur une politique macroéconomique globale, les Européens n'y arrivent déjà pas à leur échelle. Il faudrait pour cela que les pays en excédent relancent leur demande intérieure par diverses méthodes tirant ainsi la croissance globale et réduisant leurs excédents avec les autres. Il ne reste plus que la fermeture commerciale et le protectionnisme. Trump n'est sans doute que la première vague d'un courant de déglobalisation qui va toucher ensuite toute la planète, y compris les BRICS progressivement. Il est loin d'être acquis que Trump arrive aux objectifs qu'il se donne, c'est même probable qu'il n'y arrive pas. Cependant, le courant large qu'il représente à savoir une rupture avec la globalisation a de l'avenir, simplement parce que les gens doivent continuer à vivre, et qu'ils ne voudront pas se laisser mourir au nom de la globalisation. Il reste à voir quelle forme ce courant prendra dans la vieille Europe avec l'UE comme machine à interdire tout changement macroéconomique et politique.