Une information vient de passer subrepticement en provenance du Japon. La ville de Tokyo vient en effet de mettre en place une nouvelle politique visant à redresser la natalité locale. Elle va rendre gratuites les places en crèche. Si cela paraît assez anecdotique comme information, c'est tout de même un changement assez fort pour un pays qui reste terriblement traditionaliste sur les questions familiales. Il ne s'agit bien évidemment que d'une mesure dans une ville, mais quand on connaît le poids de Tokyo au Japon on imagine bien que le reste du pays finira par suivre. Il faut dire que le Japon est désormais au pied du mur. Contrairement aux Européens et à des pays comme l'Allemagne qui n'ont pas voulu affronter le problème, les Japonais ne font pas massivement recours à l'immigration pour compenser leur effondrement démographique. Or à l'heure actuelle le Japon perd 500000 habitants par an et cela va s'accélérer. Et si certains ont longtemps peint le Japon comme un pays avec un problème économique, ce n'est plus vrai. Le Japon a maintenant surtout un problème démographique qui se traduit bien évidemment en problème économique.
En effet, une réduction mécanique de la population fait naturellement décroître la consommation et les activités de production. Difficile d'avoir une croissance économique quand le nombre de consommateurs et de travailleurs potentiel diminuent. Keynes fut un précurseur sur cette question, car il est l'un des premiers économistes à avoir réfléchi aux conséquences d'un déclin démographique sur l'économie d'un pays. Il fut précurseur parce qu'à l'époque où il écrivit ses réflexions sur ce sujet le monde connaissait bien au contraire une croissance démographique importante. Mais Keynes avait bien suivi les évolutions en Grande-Bretagne et il voyait bien la tendance baissière sur le plan de la fécondité. En prolongeant les tendances, il en a vite conclu qu'un jour ou l'autre la fécondité baisserait sous le seuil de renouvellement des générations et donc produirait une baisse de la population à longue échéance. Ce phénomène s'est produit en Europe et aux USA dans les années 70. Une période qui fut réellement charnière, car bon nombre des problèmes que nous connaissions aujourd'hui viennent étrangement pour une très grande part de cette décennie étrange.
Keynes montra sans son essai : « Quelques conséquences d'un déclin de la population » que la croissance de la population avait contribué au moins pour moitié à la croissance économique générale de la Grande-Bretagne au 19e siècle. Le progrès technique et organisationnel qui produisirent les gains de productivité ne fournit donc que la moitié de la croissance économique réelle. Chose qu'il est assez facile d'admettre lorsque l'on connaît l'histoire du déclin relatif français. Alors que la France suivait la Grande-Bretagne sur le plan de l'industrialisation, elle n'était pas aussi dynamique. Et pour cause sa démographie était largement stagnante. Un coup d’œil à l'évolution des populations montre au fond le changement qu'ont connu les rapports de force sur le continent européen. Pendant très longtemps la France était de loin le pays le plus peuplé du continent. Mais à partir de 1750 le pays connaît la première transition démographique de la planète entraînant une perte de poids très rapide. Rendez-vous compte, en 1800, la France est trois fois plus peuplée que la Grande-Bretagne, seule la Russie la dépasse de peu avec 31 millions d'habitants contre 29 en France. Mais en 1900 La France est alors moins peuplée que l'Allemagne, la Grande-Bretagne et beaucoup moins que la Russie.
Donc on le voit bien, cette réalité démographique a bien évidemment un poids énorme sur les évolutions économiques et la croissance générale. La déconnexion que nous avons connue entre l'évolution économique et la démographique est en fait assez récente, c'est la période justement d'industrialisation qui a permis à certains pays précoces comme la Grande-Bretagne puis les autres pays d'Europe de peser bien plus lourd dans l'économie mondiale que ce qu'ils représentaient démographiquement. Mais comme l'a souligné Jacques Sapir dans son dernier livre consacré aux BRICS cette période est terminée. Avec la globalisation, les Occidentaux ont en fait perdu le secret de leur domination. Le savoir technique et scientifique s’est répandu sur toute la planète. La hausse du niveau d'instruction un peu partout accélérant cette transition. Le monde va petit à petit reprendre les équilibres géopolitiques d'avant la révolution industrielle à savoir que le poids de chaque pays correspondra de plus en plus à son poids démographique planétaire.
Un problème qui va devenir planétaire
Le Japon a désormais conscience de son problème démographique et commence enfin à vouloir sortir de sa torpeur en la matière. Rien ne dit que cette politique fonctionnera. Il faut bien admettre que nous ne savons pas nécessairement pourquoi les gens dans leur masse font ou ne font pas d'enfants. Mais créer des conditions de vie plus favorables pour les familles ne pas avoir d'effet négatif sur cette question. Même si dans le cas japonais il reste encore beaucoup à faire pour arriver ne serait-ce qu'au niveau des standards moyens en Europe. L'école coûte cher au Japon et il est très difficile pour les femmes de concilier travail et vie de famille. À tel point que les femmes choisissent généralement le travail ou la famille. Il est assez courant qu'une femme arrête simplement de travailler lorsqu'elle a un enfant. C'est d'ailleurs pour cette raison que les femmes japonaises sont si regardantes sur les revenus de leur futur conjoint. En tout cas de manière bien plus ouverte que dans d'autres pays. Il faut impérativement que le salaire de l'homme seul suffise à subvenir aux besoins d'une famille. Chose qui est de plus en plus rare au Japon, la globalisation et la grande stagnation depuis la bulle des années 80, ayant passablement abîmé le niveau de revenu des salariés japonais.
N'oublions pas que si nous avons l'Allemagne comme concurrent direct, avec l'Europe de l'Est comme usine. Le Japon est entouré de puissance montante. Le Japon a ainsi fortement délocalisé en Chine, et avant cela en Corée du Sud. Sans parler du reste de l'Asie qui monte. Pas de quoi favoriser à long terme le Made in Japan. Ce pays paie en quelque sorte le prix d'avoir été un peu trop précurseur dans la région que ce soit au plan industriel ou démographique. Mais cette évolution, nous le savons, ne fait que préfigurer une évolution plus générale. La Chine est d'ores et déjà soumise aux effets du vieillissement. Les jeunes sont de moins en moins nombreux à rentrer sur le marché du travail. Les derniers chiffres sur la consommation de pétrole montrent également les effets du ralentissement économique chinois dont on avait déjà parlé précédemment. Ce pays ayant construit un modèle exportateur qui n'a plus de sens depuis qu'elle est la première puissance économique du monde. Le Japon montre donc un peu ce que sera la Chine puis le reste de l'Asie dans 20 ou 30 ans. Reste à savoir s'il pourra redresser sa natalité plus ou moins rapidement.
Rappelons que les pays comme la France ou les pays scandinaves ont des politiques familiales assez généreuses. Jusqu'à il y a quelques années, ces pays connaissaient effectivement une natalité moins mauvaise qu'ailleurs, en particulier en France. Mais la baisse très rapide des naissances en France semble mettre cette logique en défaut. Même s'il faut rappeler que les politiciens français, en particulier Hollande, ont cassé en partie ces politiques. En tout cas si la politique peut peut-être redresser la situation il ne faut pas hésiter à faire dans l'original si je puis dire et à tenter des choses nouvelles même si l'on se trompera sûrement quelquefois. Le plus important, je pense, est de construire réellement une société qui rassure les parents et qui leur permet de se projeter dans l'avenir. Il est clair que sur ce plan la seule politique familiale ne pourra pas par exemple compenser les imbécillités macroéconomiques que nos dirigeants ont faites depuis 50 ans. L'instabilité de l'emploi, les logements trop coûteux sont autant de choses délétères pour la natalité et la projection dans l'avenir. D'ailleurs, ne nous étonnons pas si l'effondrement de la natalité en occident a accompagné l'ouverture au commerce international. Les fermetures d'usines dans les années 70-80, ce n'était pas simplement des fermetures d'usines, mais aussi des vies et des familles brisées et donc une baisse des naissances inéluctables.
Le redressement des démographies de nos pays ne pourra pas se faire tant que nous laisserons tant de gens dans l'indigence. Une politique économique qui ne s'inquiète que des rendements pour les actionnaires et des revenus pour les 1% d'en haut ne peut pas se plaindre ensuite des conséquences collectives en matière de démographie. La chimère de l'immigration se fracassant de plus en plus ouvertement sur le mur de l'islam conquérant, il ne reste plus qu'à refaire des bébés. Mais pour ça il faudra inéluctablement remettre le capital sous clef et les entreprises dans le cadre de l'économie nationale. On ne peut plus dissocier la démographie de la question économique comme nous l'avons fait trop longtemps.