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Pour ce dernier texte de l'année, nous reprenons brièvement notre analyse des propositions de Jacques Sapir pour sortir la France de crise. Même si nous allons le voir se cantonner à l'économie risque d'être insuffisant parce que notre pays et l'occident en général traverse une crise qui n'est pas économique en réalité, mais bien plus profonde que ça. Nous avons vu que Jacques Sapir propose en réalité le programme de l'autre Europe même s'il ne l'appelle pas comme ça. Il ne parle pas d'une sortie directe de l'UE et propose juste une sortie de l'euro. Comme je l'ai expliqué, je ne crois pas du tout à ce scénario. Cependant, je suis parfaitement d'accord avec Sapir sur la nécessité d'une forte dévaluation par la sortie de l'euro. Il a très bien expliqué les avantages et les inconvénients que cela aurait. Et nous avons vu que certains pays comme l'Islande ont traversé des turpitudes bien pire que celle qui nous attend tout en se redressant assez rapidement grâce aux dévaluations. Voilà de quoi rassurer concrètement les plus inquiets sur cette question. Évidemment dans l'histoire, il y aura des gagnants et des perdants.
Car l'objectif même des dévaluations est un choc de compétitivité. Il s'agit de favoriser les producteurs au détriment des rentes en particulier. Là je serais par contre en léger désaccord avec notre économiste puisqu'il dit que les rentes foncières, par exemple, pourraient échapper à l'effet de l'inflation causé par la dévaluation. Je dirais plutôt que les effets de la dévaluation dépendent totalement des politiques publiques. Il est par exemple évident qu'il faudra réindexer les salaires sur l'inflation, ce qui effraie les économistes néoclassiques embrumés par leurs idées reçues. Ils craignent en effet que ce mécanisme nourrisse l'inflation. Or en pratique les pays qui font cela comme la Belgique depuis un siècle n'ont pas eu plus d'inflation que la France. Du reste, la France elle-même l'a longtemps pratiqué. En utilisant cette astuce couplée à l'inflation, on peut réduire mécaniquement les inégalités massives qui se sont accumulées en France en particulier sur le patrimoine. Car de l'autre côté, nous pourrions également geler les loyers et les prix immobiliers pendant un certain temps et laisser l'inflation réduire les rentes.
J'insiste sur cette question parce qu'il faut en parler, les rentes sont mauvaises par nature. Qu'elles soient financières, foncières ou techniques, elles finissent toujours par entraîner une paralysie de la société en empêchant la juste rétribution des efforts et du travail, tout en valorisant les rentiers. La France l'UE et les USA sont d'ailleurs en grande partie devenus d'immenses sociétés de rentiers ou ce n'est plus l'effort l'intelligence ou le travail qui paie, mais votre capacité à user de vos rentes et à les investir. Ce qui est drôle c'est que le passage d'une société de production qui était encore la nôtre en 1970 à celle de la rente fut le résultat de l'application des solutions libérales. C'est drôle parce que le libéralisme à l'origine était justement une théorie qui voulait lutter contre les rentes. Du moins, c'était l'objectif affiché. La concurrence par exemple était un mécanisme qui assurait la lutte contre les rentes. Sauf que la concurrence n'a qu'un temps et qu'à la fin le marché se réduit à quelques entreprises qui profitent vite de leur rente de situation.
Les immenses fortunes de la technologie aux USA ne sont en réalité qu'une collection d'entreprises rentières qui ont formé des monopoles mondiaux ou des cartels. Le plus gros exemple de ça étant Microsoft qui dort sur son Windows monopolistique. Si les libéraux se sont trompés sur les solutions, ils avaient en revanche raison sur le fond de l'affaire, les rentes sont mauvaises surtout si elles durent trop longtemps. Dès lors, une politique qui rebat les cartes sera toujours une bonne chose et l'inflation est en elle-même un mécanisme qui permet justement de rebattre les cartes si on l'utilise dans cette optique. Une indexation des salaires sur l'inflation couplée à une inflation importante et à un gel des augmentations sur tout un secteur comme l'immobilier permettrait en quelques années de réduire le trop grand écart qui s'est creusé depuis 25 ans entre les prix de l'immobilier et les revenus disponibles. Et ce ne serait que justice très franchement. Nous devons par la même rappeler que l'immobilier n'est pas un investissement productif pour une nation et que l'épargne serait mieux employée à être investi dans l'industrie et les capacités de production nationale.
Cela ne nous épargnera pas bien évidemment la nécessité d'une politique massive d'investissement dans le logement pour permettre aux jeunes de se loger à des prix raisonnables. Car il s'agit là sans doute d'une des grandes causes de la baisse des naissances. Avant d'avoir des enfants, il faut déjà pouvoir se loger correctement. Et plutôt que de nourrir les rentes foncières des boomers, il vaudrait favoriser l'intérêt des plus jeunes. D'ailleurs; une vaste politique familiale pour revenir au moins à deux enfants par femme me paraît être l'une des grandes priorités d'un redressement national. Donc comme nous le voyons, le simple fait de reprendre notre monnaie permet déjà de refaire de la véritable politique, pas du baratin destiner à plaire à la télévision comme le font nos politiques à l'heure actuelle. Mais la simple dévaluation ne suffira pas à elle seule à redresser l'économie du pays. Jacques Sapir se perd à mon sens dans son discours sur les simplifications administratives. C'est effectivement quelque chose que l'on devrait faire, mais à l'heure de l'informatique et d'internet il ne faut pas exagérément aggraver l'importance du problème.
Redonner du sens au collectif
Il aurait mieux valu qu'il parle du protectionnisme nécessaire à notre réindustrialisation à long terme, ce qu'il n'a pas fait. En réalité, il n'a pas vraiment abordé les questions de fond, en particulier la question du sens de notre société et notre avenir. Pour l'instant la France et l'occident en général sous domination américaine se laissent flotter sur le modèle imposer par l'empire américain particulièrement depuis les années 70. L'effondrement de l'URSS a rendu l'occident pauvre en idée. C'est-à-dire que la disparition de l'URSS qui était un modèle théoriquement opposé à celui de l'occident a fait également disparaître l'altérité et la possibilité de penser le monde et l'organisation autrement que par le capitalisme néolibéral américain. Pour l'Europe ce fut une catastrophe parce que l'Europe avait globalement choisi une voie originale entre le capitalisme dérégulé anglo-saxon et le modèle soviétique. Depuis l'effondrement de l'URSS, nos élites n'ont eu de cesse de vouloir nous imposer un modèle anglo-saxon jugé supérieur à tous les autres. Ce qui est hautement discutable en réalité même si l'on regarde sur les simples critères économiques.
Aujourd’hui, l'occident se retrouve en quelque sorte avec la gueule de bois produite par ce modèle néolibéral. Les USA se réveillent et affaiblit, ils se pensaient maîtres du monde et modèles absolus et ils découvrent avec stupeur que la Chine les dépasse même sur les technologies qu'ils pensaient être leur avantage pour éternité grâce à leur rente de situation et à l'écrasement de leurs vassaux. En fait pendant que l'occident dormait dans son univers feutré fait de dérégulation brutale, et de financiarisation, garantissant des rentes immenses à des milliardaires, le reste monde a inventé ses propres modèles. Et la Chine en particulier a trouvé à son tour une voie qui n'est plus communisme, mais qui n'est pas non plus du néolibéralisme. On peut même difficilement décrire la Chine comme une entité capitaliste tant l'état pèse sur l'organisation économique. Si aux USA on met les milliardaires au pouvoir parce qu'ils achètent littéralement les élections, en Chine on les met en prison quand ils agissent contre l’intérêt national. Une véritable leçon de vie si je puis dire.
Mais en réalité, il n'y a pas qu'un ou deux modèles possibles, mais une infinité de variantes imaginables. Cependant, l'univers de l'occident s'est fortement rétréci depuis qu'on a laissé l'Oncle Sam écrire notre propre histoire à notre place. Pour nous sortir de notre morosité et notre déclin, nous devons en tant que peuple réapprendre à penser par nous même, créer par nous même, produire par nous-mêmes. Ce n'est qu'à cette condition que nous sortirons réellement de notre marasme et de notre effondrement. Que les USA aient peur d'autres modèles de société qui réussissent sans être le leur parce qu'ils pensent qu'ils ont une destinée manifeste, cela les regarde. Nous français, nous pouvons accepter d'être ce que nous sommes, dans la voie que nous avons choisie, sans avoir peur des peuples qui choisissent d'autres voies. Plus qu'une question économique, il s'agit de reprendre notre destin en main en sortant de l'UE, mais aussi en rompant avec l'américanisme débilitant qui ronge notre société. Désaméraniser la France sera l'une des grandes nécessités pour le redressement.
Pour revenir au sujet plus trivial de l'économie, la politique de réindustrialisation devra accompagner une stratégie visant à une plus grande autosuffisance sur tous les secteurs. Je dis bien tous les secteurs. Il s'agit là d'un objectif à très long terme , au moins une génération. Il faudra non seulement réduire nos dépendances pour les matières premières en investissant dans des alternatives françaises par exemple. Notre pays a d'immenses ressources sous-marines et terrestres totalement non exploitées. Ou développer des technologies nous permettant de nous passer des importations le plus que possible. L'objectif à mon sens est de dépendre le moins possible de technologie ou de matière première étrangère. C'était la stratégie de de Gaulle au fond. Le nucléaire par exemple était un moyen de moins dépendre des pays pétroliers. Nous aurions dû accélérer dans cette voie, mais la trop longue parenthèse libérale nous a fait dévier de ce juste chemin. Plus profondément, il faut expliquer aux Français que le but de cette autonomisation de notre économie n'est pas juste une question économique et d'indépendance. Il s'agit de permettre aux Français de véritablement choisir la société dans laquelle ils vivent.
Voulons-nous une société très inégalitaire, mais très compétitive ? Super innovante, mais très injuste, comme en rêve beaucoup de libéraux qui ressemble de plus en plus aux nazis quand on écoute des « penseurs » comme Yuval Noah Harari. L'accumulation de technologie et d'objet donne peut-être un sens à la vie de certains, mais est-ce vraiment ce que nous voulons ? L'idée prépondérante qui doit être la nôtre c'est que rendre la souveraineté nationale au français va d'abord leur permettre de construire une société à leur image. L'une des causes du malheur des peuples d'occident vient du fait qu'on leur a imposé d'en haut un modèle qu'en réalité ils n'ont pas choisi. Le libre-échange, la globalisation a imposé à nos sociétés des choix économiques et politiques sans choix démocratique. C'est cela qui a produit cette impression d'impuissance et cette rage qui aujourd'hui s'enflamme un peu partout. La souveraineté nationale loin d'être simplement une orientation économique est aussi et surtout la prémisse naturelle de la démocratie. Une fois souverains, les Français créeront la société qu'ils voudront. Et peu importe si elle est moins efficace économiquement ou scientifiquement que celle des autres, ce sera la leur et c'est tout ce qui importe en réalité. Si les Français préfèrent travailler pour vivre que vivre pour travailler ce n'est pas aux Américains ou aux Chinois de nous imposer ce choix. Or la globalisation a justement imposé le choix par l'effet de concurrence des systèmes sociaux politiques. La limitation de la concurrence internationale et le retour des frontières sont à mon avis les seules choses qui puissent en réalité permettre à autant de peuples aux envies et aux traditions si différentes de coexister. Et c'est à long terme le seul moyen pour réellement redresser le pays, en faisant en sorte que nos citoyens se sentent à nouveau chez eux en France.