Flânant souvent sur les réseaux sociaux, même si je ne suis pas un grand pratiquant, je constate souvent de la part d'économistes américains en particulier, une adulation disproportionnée des pays d'Europe de l'Est. C'est notamment vrai des économistes plutôt de droite, trumpiste même, si l'on veut une référence politique locale. Ils voient l'Europe de l'Est comme étant l'Europe d'autrefois forcément meilleure et surtout débarrassée du « virus » socialiste. Car s'il y a bien un truc très américain, c'est la peur, pour ne pas dire la haine paranoïaque, du socialisme, même si je ne suis pas certain, pour la plupart, qu'ils comprennent vraiment les concepts qu'ils emploient. La faible connaissance qu'ils ont de l'histoire européenne particulièrement moderne explique aussi sans doute ces idées reçues. Il faut aussi comprendre que les USA depuis quelques années, tentent de renverser le centre de gravité de l'UE, leur chose. L'UE qui était centrée essentiellement sur l'Allemagne, la France et l'Italie, pour le faire aller vers l'Est, en particulier la Pologne.
L'affaire s'est d'ailleurs accélérée probablement avec la sortie de la Grande-Bretagne de l'UE. En effet les Britanniques ont toujours été un peu les agents doubles pour les USA. La tournure néolibérale de l'Europe s'est surtout affirmée à partir de la rentrée de la Grande-Bretagne dans le marché commun. La fin du tarif extérieur commun arrive avec les Anglais dans la CEE. Et n'oublions pas que comme disait Churchill lui-même, si les Anglais doivent choisir entre le continent et le grand large, ils choisiront toujours le grand large. La sortie de la Grande-Bretagne de l'UE a donc en un sens affaibli la position des USA et leur influence. Ils se sont donc tournés vers les pays de l'Est et en particulier la Pologne qui est plus américaine que les Américains. Et ce n'est pas le Premier ministre Donald Tusk qui va inverser cette réalité, celui-ci étant ouvertement proaméricain. La Pologne a d'ailleurs multiplié ses actes de soumission à Washington, surtout en matière militaire, les Polonais préférant toujours acheter américain plutôt qu'Européen. Après on peut comprendre par l'histoire ce choix même si à mon avis il est erroné. Les Polonais ont beaucoup souffert de leurs voisins que ce soit avec l'Allemagne ou avec la Russie et leurs alliés historiques comme la France n'ont pas été à la hauteur quand les drames que nous connaissons tous sont advenus.
Si l'on peut très bien comprendre la position polonaise, le problème c'est qu'elle est membre de l'UE et qu'elle a été massivement aidée par l'ouest. Le manque de réciprocité devrait questionner un peu les donateurs. Pour revenir à notre sujet, on voit donc assez facilement l'intérêt pour les USA de favoriser les pays de l'Est au détriment de ses anciens satellites. C'est d'autant plus vrai que jusqu'ici les USA ont essayé avec succès de séparer l'Europe de l'ouest de la Russie leur grand adversaire régional. La guerre en Ukraine est parvenue pour l'instant à cet objectif et l'Allemagne a été la première victime économique de la stratégie américaine. Celle-ci, qui était un peu sortie de la pensée géostratégique, s'est retrouvée fort dépourvue lorsque le gaz russe s'est retrouvé sous sanction. Les USA ne veulent pas d'une Europe indépendante et font tout pour la maintenir sous leur domination comme l'a rappelé Emmanuel Todd qui vient de faire un interview au Figaro pour la sortie d'une BD originale basée sur ses travaux. Donc la passion soudaine des Américains pour l'Europe de l'Est n'est pas innocente, elle découle en grande partie des intérêts US. Il y a aussi bien évidemment l'effet diaspora puisque bon nombre d'Américains sont d'origine polonaise ou d'autres pays de l'Est. Ils sont d'ailleurs assez bien représentés dans les hautes fonctions publiques aux USA.
Mais la passion pour l'Est ne concerne pas que les économistes et géostratèges américains, on la trouve aussi chez nos politiques et penseurs en France. Les droitards du RN ou du zemmourisme voient la Pologne ou la Hongrie comme des paradis perdus pour nous. Sans immigration ces pays paraissent comme la France des années 60, bien moins multiculturelle et moins criminogène. Et il est vrai de ce point de vue que l'Europe de l'Est agit un peu comme un conservatoire, mais il ne faudrait pas croire pour autant qu'ils sont une solution pour l'avenir du continent, car comme nous allons le voir rapidement sur les questions démographique cela ne va pas bien dans ces pays. Il y a aussi parfois ces discours lénifiants sur l'esprit d'entreprises qui serait resté à l'Est ou sur les valeurs chrétiennes qui auraient subsisté dans ces régions expliquant leur meilleure santé économique. Ce genre de discours comme ceux des économistes américains tendent à oublier que ces pays ont largement bénéficié de l'UE tout en évitant soigneusement d'entrer dans la zone euro. Des détails très importants pour expliquer la divergence actuelle entre les économies de l'Est et de l'Ouest.
La réalité des pays de l'Est
Rappelons brièvement que l'UE n'est pas la zone euro. Si tous les membres de la zone euro sont membres de l'UE l'inverse n'est pas vrai. Les pays scandinaves par exemple n'ont pas pu se décider à se suicider avec les autres membres, pas plus que les pays de l'Est à l'exception de la Croatie, de la Slovénie et de la Slovaquie, et des pays baltes, tous anciens membres du bloc de l'Est, mais rentrés dans la zone euro. Cependant, il s'agit là de tout petit pays d'un point de vue démographique, à peine 18 millions d’habitants au total, soit la population des Pays-Bas ou la moitié de la Pologne. Si l'on s'intéresse à l'Europe de l'Est c'est surtout la Pologne, la Hongrie et la République tchèque qui intéresse pour des raisons démographiques évidentes même s'il ne s'agit pas ici de dénigrer qui que ce soit. Si l'on se place du point de vue purement macroéconomique, c'est les pays les plus massifs qui comptent. En l’occurrence ces trois pays représentent pratiquement 60 millions d'habitants, soit l'équivalent de la France ou de l'Italie. Ils ont eu nécessairement plus d'effet sur les salaires et la concurrence en Europe que les quelques ex-pays du bloc soviétique qui ont rejoint la zone euro.
Ces pays ont donc gardé leur monnaie tout en bénéficiant des transferts européens. Certains y verraient le sens même de la construction européenne, la solidarité entre les nations, mais comme nous l'avons vu dans le cas de la Pologne il n'y a pas de réciprocité. C'est donc en soi discutable pour ceux qui ont payé très chèrement l'entrée des pays de l'Est dans le cadre de la construction européenne. Sachant qu'en plus une bonne partie des délocalisations se sont faites dans ces pays, on peut résumer la chose au fait que les pays de l'Ouest ont payé pour détruire leur propre base industrielle. Emmanuel Todd est ici à mon avis un peu à côté de la plaque lorsqu'il décrit la France ou les USA comme des pays qui vivent aux crochets des autres. Car comme je l'ai dit dans un autre texte concernant la Chine et il en va de même ici avec les pays de l'Est, ces derniers ont largement bénéficié de libre-échange, avec en plus dans ce cas là des investissements publics massifs pour leur développement. C'est à se demander qui a exploité qui exactement. Les grands perdants dans l'affaire furent la France, l'Italie et plus généralement le sud de l'UE.
Du point de vue du niveau de vie, il y a un certain rattrapage. Il faut dire que la Pologne par exemple a bénéficié d'une croissance nettement supérieure à la moyenne Européenne ces 20 dernières années. Dans un sens c'est tout à fait normal puisque le pays était en retard, mais comme je l'ai dit elle n'est jamais rentrée dans l'euro ce qui est un avantage certain. Il suffit de regarder les variations du taux de change entre le zloty et l'euro pour voir que la monnaie a largement servi de mécanisme de régulation économique entre les deux zones monétaires. Il n'est pas certain que la Pologne aurait connu la même croissance en étant entrée dans l'euro. Du reste même si les pays l'Est ont gagné en niveau de vie ils restent globalement plus pauvres que l'Ouest. En devenant l'usine de l'Allemagne et d’autres pays de l'ouest, ils se sont probablement fermé des opportunités de développement originales qui leur soient propres. Et si la Pologne s'est industrialisée, c'est surtout grâce à l'Allemagne. Ainsi cette année, le pays a connu un record d'investissement avec 41 milliards d'euros en provenance d'Allemagne. De fait, parler de modèle des pays de l'Est n'a aucun sens, ils parasitent littéralement les économies de l'ouest avec l'aide des dirigeants de ces pays à travers les mécanismes européens. Et contrairement de la Chine, ces pays ne donnent pas l'impression de créer des structures industrielles qui leur sont propres. La différence tenant peut-être au fait que la Chine contrairement aux pays de l'Est a obligé les entreprises occidentales à des transferts de technologie.
Cela met le développement des pays de l'Est en sursis quelque part. En effet, que l'Ouest change son fusil d'épaule que l'UE, que l'euro disparaissent, et la situation pourrait devenir dramatique pour l'Est de du contient, car les industriels occidentaux partiraient aussi vite qu'ils sont venus. Cependant pour l'instant cette situation a permis à ces pays de devenir lourdement excédentaire commercialement parlant. On parle souvent de l'excédent allemand qui est problématique, mais il en va de même pour les pays de l'Est. Si l'on regarde pour les trois principaux pays Pologne, Hongrie, Rep. Tchèque, c'est un gros 77 milliards d'excédent commercial pour l'année 2023 c'est certes moins impressionnant que les 200 milliards d'excédent allemand, mais cela pèse aussi sur le reste de l'UE. D'autant que ces excédents sont structurels et permanents comme ceux de l'Allemagne. Comme nous le voyons ici rapidement, les pays de l'Est ne sont pas un modèle économique contrairement à ce que racontent certains économistes. Leur modèle comme celui de l'Allemagne n'est pas imitable puisqu'il se base avant tout sur un avantage comparatif lié au coût du travail. Du reste si toute l'UE s'alignait sur les salaires de l'Est, qui achèterait leurs produits ? On en revient toujours à cette illusion qu'est l'accumulation d'excédent porteuse de gros problèmes géopolitiques.
Mais il y a un autre facteur qui fait d'eux un non-exemple, celui de la démographie. Là encore, les fantasmes jouent à fond sur cette partie du monde. La Pologne, qui s'affiche très catholique, a moins d'enfants que la France laïque, ou la Suède quasi athée. Bref, il n'y a pas d'exception de l'Europe de l'Est sur le plan démographique. Alors certes il y a des mesures très fortes affichées dans les discours des politiques locaux, mais ces politiques, pour l'instant, ne semblent pas avoir d'incidence démographique sur ces pays contrairement au sabordage de la politique familiale en France malheureusement. Le vieillissement touche donc aussi ces pays et il y a fort à parier que l'immigration de masse les touchera aussi dans les années qui viennent. D'autant que le patronat allemand qui dirige localement y sera très favorable. Leur modèle économique les mettant aux mains d'un patronat étranger, je crains que ces pays ne deviennent un peu comme les terres coloniales d’autrefois, des territoires où on fait venir de la main-d’œuvre étrangère pour produire localement et réexpédier les marchandises ailleurs. Et le gouvernement Tusk vient déjà de simplifier les contraintes pour l'immigration légale par manque de main-d’œuvre. Le paradis de nos chers droitards va vite se transformer démographiquement comme le reste de l'UE sous la pression du capital adulé par ces derniers.