Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Des élections viennent d'avoir lieu dans le land de Thuringe. Rappelons que l'Allemagne contrairement à la France est un état fortement décentralisé avec des länder qui sont l'équivalent de nos régions, mais beaucoup plus autonome. On ne va pas ici faire un gros retour sur l'histoire allemande, mais disons que pendant longtemps le monde germanique fut très fragmenté. Le Saint Empire Romain Germanique, qui a été créé par Otton Ier en 962, était une structure faiblement centralisée qui gérera jusqu'au 19e siècle cette partie de l'Europe ainsi que le nord de l'Italie et une partie de la France ainsi que de l'actuelle République tchèque anciennement nommé Bohême. Cette très faible centralisation entraînera le maintien de fortes identités locales et l'existence d'un très grand nombre de petits pays parfois de la taille d'une ville à l'exemple des cités libre de Hambourg ou Lübeck qui faisaient partie de la célèbre ligue hanséatique. L'unification allemande qui se fera aux forceps sous la direction d'Otto Von Bismarck et de la Prusse le plus puissant des états allemands de l'époque avec l'Autriche-Hongrie.
De fait, l'Allemagne a gardé à cause de cette histoire une structure fédérale qui lui est pour ainsi dire naturelle. Après tout, le Saint Empire romain germanique qui l'avait précédé était lui aussi fortement décentralisé. Cela explique aussi probablement en partie la facilité avec laquelle ce pays a su utiliser la construction européenne à son profit. Étant structurellement et culturellement, girondine si je puis dire, les élites allemandes comprennent beaucoup mieux le fonctionnement de ce genre de structure organisationnelle que les pauvres Français habitués au centralisme depuis des siècles, avant même l'influence des jacobins. Donc la structure fédérale de l'Allemagne se voit aujourd'hui dans le système électoral. Mais revenons à l'élection qui vient d'avoir lieu. Pour la première fois, le parti dit d'extrême droite l'AFD (Alternative für Deutschland) arrive en tête dans une élection importante. À dire vrai ce n'est pas vraiment une surprise puisque l'AFD grimpe depuis quelques années déjà particulièrement en Allemagne de l'Est dont nous parlerons par la suite.
L'autre montée tout aussi significative fut celle du nouveau parti de gauche dirigé par une femme,Sahra Wagenknecht, le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht - Für Vernunft und Gerechtigkeit) . C'est une nouvelle importante parce que le BSW est beaucoup plus eurosceptique que les autres partis de gauche, tous pro-européens militants. On voit donc en Thuringe les partis dits extrémistes avoir la majorité à eux seuls s'ils voulaient s'allier pour diriger l'état . C'est une véritable première même si l'on voit ce type d'évolution un peu partout en Europe. La grande différence avec la France c'est que ces partis sont finalement beaucoup plus cohérents que nos propres partis antisystèmes. En effet, l'AFD veut par exemple dissoudre les institutions européennes, rien que ça. Loin de la stupidité du RN qui est devenu plus centriste que les centristes sur la question européenne, l'AFD, qui veut mettre fin à l'immigration, pense d'abord redonner à l'Allemagne son indépendance, ce qui est logique après tout. Il n'y a que les partis en France pour croire qu'on peut faire ce que l'on veut même en restant dans l'UE et dans l'euro. De l'autre côté, le BSW lui est défavorable à l'immigration de masse. Voulant améliorer le sort des travailleurs, le BSW, qui veut augmenter les salaires, entend également mettre fin à la pression qu'exercent les immigrés sur le marché du travail. On est loin ici aussi de la schizophrénie de LFI sur la question.
Contrairement aux discours convenus sur l'effroyable montée de l'extrême droite allemande, on devrait plutôt se réjouir de la montée de l'AFD comme du BSW. L'AFD n'est pas nazi et le BSW n'est pas un retour au communisme. Toutes ces dénominations péjoratives ne visent, comme à chaque fois, qu'à créer le barrage des castors centristes que nous avons nous même subit récemment pendant l'élection législative. Le but étant bien évidemment de faire en sorte que l'extrême centre européiste et libéral ne perd pas le contrôle du pays. La stratégie finalement est toujours la même, quel que soit le pays , l'accusation d'extrémisme permettant d'évacuer le débat de fond sur les sujets sérieux. L'autre curiosité de ces partis « extrémistes » allemands est leur attachement à la paix notamment avec la Russie. Là encore, il est étrange de dire de l'AFD que c'est un parti nazi quand il prône la paix avec la Russie. Le parti le plus extrémiste en la matière est en fait les verts allemands, le recul progressif de ce parti en Allemagne est d'ailleurs une très bonne nouvelle pour les Allemands, mais aussi pour l'Europe en général. On leur doit quand même en partie les politiques énergétiques suicidaires du leader de l'économie européenne. Les Allemands commencent à comprendre que les politiques « vertes » n'étaient en réalité pas réalistes du point de vue technique et scientifique, fortement coûteux sur le plan économique. Et en réalité catastrophique sur le plan environnemental, l'Allemagne ayant relancé fortement le charbon pour contre-balancer l’intermittence du solaire et de l'éolien.
L'échec de la réunification
L'un des facteurs qui expliquent la forte montée de l'AFD et du BSW est bien évidemment la dégradation de la situation économique en Allemagne. La production allemande se porte mal. Alors bien sûr on fait le lien avec la crise énergétique et les révélations récentes sur l'origine de la destruction du pipeline de Nord Stream font jaser en Allemagne. D'autant plus que les réactions du chancelier allemand furent pour le moins modérées, les autorités allemandes parlant seulement de réduire l'aide à l'Ukraine alors même que le pays a été victime d'un acte de guerre de la part de ce pays. En d'autres temps, l'Allemagne aurait déclaré la guerre pour beaucoup moins que ça. Je ne vais pas ici polémiquer sur la véracité ou non du coupable ukrainien, je soupçonne personnellement les USA de se servir de l'Ukraine comme un bouc émissaire facile. Rappelons que Biden lui-même avait annoncé, qu'il ferait sauter Nord Stream en cas de conflit entre la Russie et l'Ukraine... Quoiqu'il en soit, les Allemands ont bien vu les effets sur leur économie de l'explosion du prix du gaz. Bon nombre d'industriels quittent le pays en particulier pour les USA, comme par hasard. Le gaz que nous vendent les Américains étant largement plus cher que celui de Russes ou le prix de vente sur le marché US.
Cependant, il faut relativiser l'influence du gaz sur la situation économique allemande comme nous l'avons vu dans un précédent texte. En effet lorsque l'on regarde les statistiques on voit vite que la crise de l'industrie allemande commence en fait avant l'explosion du prix de l'énergie ou la crise COVID. L'industrie allemande commence à patiner dès 2017 en réalité. Le pays a donc un problème de fond et la crise de l'énergie n'a fait qu'accroître les problèmes. À trop se focaliser sur la question énergétique, les Allemands risquent de passer à côté du fond du problème. Je pense à titre personnel que le pays fait face à une concurrence chinoise de plus en plus forte. La Chine monte en gamme et prend de plus en plus la place des Allemands. C'est la vision même d'une Allemagne ne vivant que de ses exportations qui est problématique.
L'autre instruction de ces élections est l’aggravation de la partition germanique entre l'Est et l'Ouest. On le savait depuis longtemps, c'est avant tout à l'Est que les partis antisystèmes progressent. L'explication est simple, l'unification a été un échec économique. L'Allemagne qui a dépensé de très fortes sommes d'argent dans les années 90 à l'Est n'a pas réussi à véritablement compenser les effets dramatiques de l'unification monétaire. Car c'est bien là que fut le problème. La Pologne voisine, que certains présentent comme un nouveau modèle, a certes rejoint l'UE, mais n'a jamais rejoint l'euro. Alors que l'Allemagne de l'Est et la Pologne n'avaient pas un gros écart de développement au moment de la chute du mur, mais la Pologne a réussi à décoller économiquement pendant que l'Allemagne de l'Est n'a servi finalement que de fournisseur de main-d’œuvre à l'ouest, dépeuplant ainsi le territoire. Comme je le dis souvent l'histoire économique et monétaire allemande est pleine de leçons en matière de bonne ou de mauvaise politique monétaire. L'unification monétaire trop rapide entre deux zones au développement économique très différent n'a fait que nuire une zone au bénéfice de la plus avantagée au départ. Une leçon qui est valable pour la totalité de la zone euro entre parenthèses.
Cette rupture entre l'Est et l'Ouest se voit désormais fortement politiquement. L'ouest, qui pour l'instant souffre moins que l'Est de la crise continue de faire comme si tout allait bien. Mais l'Est est plus réactif, car souffrant déjà d'une forte pauvreté et d'un chômage plus élevé que le reste du pays. C'est d'autant plus vrai qu'on peut considérer quelque part que l'élargissement de l'UE aux pays de l'Est et l'euro ont d'abord nui aux habitants de l'ex-RDA. Car sans cela, et si la RDA avait gardé sa monnaie tout en changeant de modèle économique, ce n'est pas en Pologne ou en République tchèque les industriels allemands auraient délocalisé en premier, mais en RDA par facilité linguistique. En unifiant le pays sans attendre une uniformisation du niveau de vie l'Allemagne a fait une énorme erreur. Reste à savoir si l'aggravation de la crise économique en Europe et en Allemagne ne va pas généraliser le vote pour les extrêmes, même si à titre personnel je pense que les extrémistes sont en réalité les gens déjà au pouvoir que ce soit en Allemagne ou en France. L'existence et la progression de ces partis alternatifs sont en tout cas une bonne nouvelle. Ils laissent ainsi un petit espoir à tous ceux qui comme moi pensent que l'UE n'est pas la solution, mais bien le problème.