L'économiste David Cayla a soulevé récemment une question, qui pourrait se généraliser à tous les partis politiques en réalité, sur l'absence de projet sur la création de richesse. Il fustige dans ses propos les partis de gauche, en particulier LFI, qui semblent se désintéresser totalement du problème de la production industrielle pour se focaliser uniquement sur les questions de redistribution. On ne peut ici que soutenir une telle analyse même s'il y a des exceptions comme l'ancien ministre Arnaud Montebourg, qui est l'un des très rares politiciens issus du sérail à avoir conscience de l'importance de l'industrie, et plus généralement de la production pour le pays et son avenir. De fait, la remarque de monsieur Cayla tape juste même si en réalité cela concerne tous les grands partis sans exception. On voit d'ailleurs aujourd'hui à quel point notre nouveau gouvernement ne pense la crise qu'en terme purement comptable. On va baisser tel budget, augmenter tels impôts pour afficher un bilan moins négatif. Une politique qui n'a jamais réussi et qui est en grande partie responsable en réalité de la situation française actuelle.
Ne nous y trompons pas, les politiques comptables, à courte vue, ne mènent à rien d'autre qu'à d'autres problèmes découlant de ces mêmes politiques. Les économies à court terme sur les dépenses d'investissement se payent par exemple au centuple des années plus tard. Or la France fait des investissements essentiels, comme l'éducation ou la recherche, les premiers postes d'économie. Cela ne veut pas dire bien évidemment qu'il ne faille pas revoir les dépenses publiques, vous connaissez mon faible amour de l'Adem qui mange maintenant 4 milliards d'euros par an pour rien, ou pour les éoliennes qui sont subventionnées de façon absurde. Ce qui revient à favoriser nos déficits commerciaux puisque ces éoliennes ne sont même pas produites dans notre pays. Sans parler du fait ces énergies intermittentes sont largement inférieures au nucléaire classique en termes d'efficacité de production, et j'ose le dire beaucoup moins écolo. Donc bien évidemment revoir les dépenses de l'état n'est pas en soi critiquable lorsque l'on pense qu'il y a beaucoup d'erreurs d’aiguillage dans les priorités de dépense.
Cependant, ce n'est pas cette logique comptable qui nous sortira des problèmes présents. La France souffre d'une trop faible croissance depuis plus de quarante ans. Et cette situation s'est fortement accélérée avec l'euro. La cause est en réalité assez simple, nous avons abandonné l'industrie et la production pour nous spécialiser dans les services. Ce fut un choix délibéré de nos élites même si elles ne le crient plus sur les toits aujourd’hui. Ce choix découle en réalité d'une croyance un peu idiote concernant l'évolution de l'emploi et des proportions de chaque secteur dans le PIB. En effet, si l'industrie a petit à petit remplacé l'agriculture dans l'emploi et dans la part du PIB. Les services ont fait de même avec l'industrie durant les trente glorieuses. La part de l'industrie et de l'agriculture n'a pas cessé de décroître avec le développement du pays. En gros même si l'industrie et l’agriculture continuaient de progresser, les services ont pris du poids plus rapidement. C'est probablement cette réalité qui a fait croire à nos élites que bientôt nous n'aurions plus vraiment besoin d'industrie à part une industrie de pointe comme l'aviation pour équilibrer les comptes extérieurs.
L'ouverture aux commerces extérieurs par le libre-échange à partir des années 70 sera la grande conséquence de cette croyance qui durera jusqu'à nos jours. On se souvient tous du fantasme de Serge Tchuruk sur l'entreprise sans usine. L'illusion tient à l'importance trop grande que l'on a donnée aux proportions des services dans l'emploi ou le PIB. Si effectivement ce secteur est devenu le premier créateur de « richesse » et d'emploi, c'est oublier bien vite que ce sont l'industrie et l'agriculture qui produisent les biens échangés par les services qui permettent en pratique à tout le reste de la population de subvenir à ses besoins. En gros, nos pays ont créé beaucoup d'emplois de services pour occuper la population pour compenser les énormes gains de productivité produits par le progrès organisationnel et technique. Mais l'inflation colossale des services ne signifie pas pour autant qu'ils étaient le cœur réel de la création de richesse, c'était une illusion comptable en quelque sorte. Si l'on comparait l'économie avec un corps humain, on pourrait ainsi décrire l'agriculture et l'industrie comme des organes vitaux, ce qui n'est pas le cas des services.
Ce faisant en négligeant l'industrie, en abandonnant la régulation commerciale et même la possibilité de dévaluer avec le franc fort puis l'euro, nous avons poussé nos industriels à quitter le pays. Cette désindustrialisation qui s’accompagne d'ailleurs d'une destruction massive de notre agriculture à cause des traités de libre-échange avec des pays très avantagés se traduit par un déclin de la croissance économique. Parce que ce sont justement ces secteurs d'activité qui sont ceux qui produisent les plus gros gains de productivité et donc la plus grosse croissance économique à terme. Le second effet est la destruction de l'autonomie française en matière de production qui la rend totalement dépendante de puissances étrangères. On l'a vu magistralement pendant la crise Covid où la France se battait avec les autres pays d'Europe pour obtenir les productions chinoises de masque. On le voit encore régulièrement avec notre incapacité à fournir suffisamment de médicaments importés pour nos malades. La désindustrialisation c'est simplement l'appauvrissement du pays réel et sa paupérisation progressive. C'est de là que provient les difficultés comptables que le pays accumule depuis des décennies et qui se traduit aujourd'hui par une incapacité à équilibrer les budgets. Mais nous avons déjà longuement parlé de ça dans d'autres textes.
Les effets de l'abandon de la production par les politiques
Comme nous venons de le voir, la question de l'abandon de la production et de l'industrie vient de loin. Cela fait deux générations maintenant que nos politiques se bornent à vouloir faire de la France un simple pays touristique abandonnant aux autres le soin de produire ce que nous consommons. Nous mettant ainsi dans une position de plus en plus inconfortable de pays soumis, et de moins en moins indépendant. Plus grave peut-être, l’abandon de la production, de la création et de l'invention met aussi notre culture et notre identité en danger. En effet, le fait de produire, de créer, de fabriquer, d'inventer, c'est aussi participer à la vivacité d'une culture. Et en abandonnant tout cela, nous avons littéralement transformé notre culture en un musée. Nous ne participons plus à la création du monde et du futur, nous attendons simplement que les autres l'inventent pour nous. C'est une rupture absolue avec l'histoire française. L'américanisation que nous connaissons et l'appel de l'étranger qui sévit chez les jeunes, qui sont plus intéressés par le Japon, les USA ou la Corée du Sud que par la France, viennent aussi en partie de cette évolution. En devenant un simple spectateur de l'évolution du monde, un pays de simple consommateur, nous avons renoncé à nos spécificités et nous finissons par ne plus nous aimer en tant que peuple et nation.
Le désamour de la France par les Français est donc aussi nourri par cet abandon de la production et de la création. Pour gagner quelques sous sur les salaires, et pour avoir des prix légèrement plus bas, et encore cela se discute, sur les biens que nous achetons, nous avons abandonné toutes nos ambitions collectives. Le prix de la globalisation n'est pas seulement un accroissement des inégalités comme le claironne la gauche, c'est carrément l'abandon de ce que nous sommes en tant que peuple. C'est un véritable pacte faustien nous condamnant à une disparition plus ou moins rapide des livres d'histoire. Triste fin pour une nation de plus de mille ans. Ainsi nous voyons que cette question de la production n'est pas simplement une question économique, c'est aussi une question fondamentale sur ce qu'est une société. Et le renoncement de la part des politiques à la question de la production tient au désintérêt qu'ils ont pour l'avenir réel du pays. Un désintérêt qui en réalité est largement partagé par la population quoi qu'on en dise. Le triomphe de l'homo œconomicus en France est malheureusement une triste réalité.
Alors oui comme le dit monsieur Cayla la gauche ne parle pas de production. Mais la droite non plus. Et en réalité la plupart des Français s'en foutent tant qu'ils ont leur petit confort de tous les jours et que la marmite bout encore. Je pense au fond que la majeure partie des Français se fiche de l'avenir du pays et les hommes politiques ne sont finalement que le reflet de cette évolution de la population. Alors effectivement on va crier lorsque l'état fera telle ou telle économie sur tel ou tel secteur. On criera pour défendre son petit lopin de prospérité, mais finalement on n’entrera pas dans le cœur du sujet, et l'on ne remettra pas en question le libre-échange ou l'euro qui sont les vraies causes de la destruction de notre économie. C'est que cette remise en cause pourrait faire augmenter les prix et que le consommateur préfère son rôle de consommateur à celui de citoyen qui sent un peu la naphtaline au pays du jouir sans entraves que nous sommes devenus petit à petit. Comme je l'ai déjà dit, mon pessimisme me pousse à penser que le choc et le réveil ne viendront que de l'extérieur. Mais j'espère bien évidemment me tromper.