Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

La France malade des services ?

La série « Emily in Paris » symbole d'une France devenue un musée touristique pour riches étrangers.

 

Nous revenons aujourd'hui sur la question économique nationale. Nous avons souvent parlé sur ce blog de la question de l'industrie et de la situation dramatique de la production industrielle française. C'est d'ailleurs l'une des marottes préférées d'Emmanuel Todd, notre penseur français moderne préféré même s'il m'arrive d'avoir des désaccords importants avec lui, en particulier sur les questions migratoires. Il reste un homme de gauche après tout. Quoiqu'il en soit Emmanuel Todd comme d'ailleurs beaucoup de penseurs et d'économistes s'inquiètent à juste titre sur les déficits commerciaux français. Car ces déficits expriment l'incapacité croissante du pays à pourvoir à ses propres besoins et produisent une dépendance croissante de notre économie à l'égard de produits fabriqués à l'étranger. Je n'apprendrais pas à mes lecteurs que même dans le domaine agricole, jadis point fort de l'économie française, cela se dégrade très vite. La France devenant petit à petit à l’importateur net de nourriture.

 

Pour la petite histoire achetant souvent des champignons de Paris, j'ai bien vu la disparition progressive des productions françaises remplacées par des champignons polonais sans aucune influence sur le prix de vente au passage. Ces changements n'ayant pour seul but que d’accroître les marges des distributeurs, la concurrence faisant baisser les prix n'étant généralement qu'un fantasme qui n'existe que dans la tête de nos amis libéraux. La plupart des « marchés » se concentrant rapidement pour produire soit des monopoles privés comme dans l'informatique, soit des cartels comme dans la grande distribution. Mais revenons à notre propos du jour, le fait est que le déficit de la balance commerciale est effectivement un marqueur déterminant de la destruction de la base productive du pays. D'autres indices le montrent comme la baisse de la production en volume et en valeur. On peut également parler de la baisse de la part de l'industrie dans le PIB. N'oublions pas non plus la très faible part de la population active travaillant dans les secteurs de production. Si les gains de productivité peuvent déformer cette mesure, le fait que la France soit très en dessous de la plupart des pays développés montre dans quelle direction nous sommes allés en particulier depuis la mise en place de la monnaie unique.

 

 

Quelle que soit la façon dont on mesure cette situation de l'industrie, la France est désormais un pays du sud, elle se situe entre la Grèce et l'Espagne en termes de capacité de production industrielle. Cette situation n'est pas le fruit d'un hasard ou d'une incapacité de la France à produire comme on peut l'entendre parfois avec des discours lénifiants sur la fainéantise française. C'est avant tout le produit d'une politique macroéconomique constante depuis les années 70. Une politique qui a visé très exactement à cet objectif pour diverses raisons souvent idéologiques. Et étonnamment cette idée n'est pas un échec total. Car si la France a effectivement un problème de déficit commercial qui traduit une désindustrialisation massive. La balance des paiements, elle n'est pas fortement déficitaire. C'est important à noter, car on a tendance, moi y compris, à parler trop fortement de la balance commerciale alors que dans les échanges internationaux c'est bien la balance des paiements qui compte. Et cette balance des paiements inclut évidemment la balance sur les biens, mais aussi celle des services. Lorsque l'on regarde l'ensemble, la balance des paiements est beaucoup moins déficitaire qu'on ne le croit. Les services en France compensent bien le déficit de la balance commerciale. Donc dans un certain sens le modèle que nos élites ont conçu fonctionne, d'une certaine manière et d'un certain point de vue. D'un point de vue purement comptable, cela peut continuer. En effet sur les 12 derniers moins jusqu'au mois de février 2025 la France avait une balance des paiements positive à 6 milliards d'euros selon les données de la banque de France. Le pays est donc bien loin de la banqueroute que certains prévoient.

 

 

Une spécialisation qui appauvrit la population

 

 

Le problème en réalité se situe ailleurs dans les conséquences macroéconomiques de cette spécialisation dans les services et le tourisme. Ces secteurs produisent aujourd'hui l'essentiel de l'emploi en France et c'est bien le problème. Il n'y a pas ou très peu de gains de productivité dans les secteurs des services, même si certains croient à une rupture avec les récents progrès de l'IA. Je doute un peu de cette hypothèse, mais passons. Jusqu'à maintenant en tout cas les services ont un faible potentiel de gains de productivité contrairement à l'industrie ou à l'agriculture. Je rappelle ici que l'agriculture depuis 1945 fut par exemple le secteur d’activité qui a connu les plus forts gains de productivité. C'est d'ailleurs dans un premier temps ce phénomène qui a vidé les campagnes à une époque où l'emploi agricole fut remplacé de plus en plus massivement par la mécanisation.

 

On a tendance à ignorer ce fait, car on associe souvent le progrès d'après guerre par le seul fait des progrès de l'industrie, c'est faux. Si cette dernière a bien évidemment beaucoup progressé grâce à l'automatisation et à toute sorte de progrès techniques et organisationnels, l'agriculture fit encore mieux. Dans le cas français d'un pays qui fut le premier à connaître la transition démographique, ces gains de productivité furent une aubaine dans les années 60, car ils permirent d'orienter sans trop de douleur sociale une forte main-d’œuvre agricole alors en surabondance vers l'industrie et les services. On voit souvent la baisse du nombre d'agriculteurs comme un drame, et aujourd'hui alors que c'est le fruit de la concurrence internationale et de normes absurdes non appliquées aux importations, c'est le cas. Mais pendant longtemps la baisse du nombre d'agriculteurs fut d'abord le produit de l'amélioration des techniques de production qui ont rendu ces métiers quand même plus faciles et productifs qu'avant. Donc comme nous le voyions, ce qui caractérise l'industrie et l'agriculture c'est la capacité à faire des gains de productivité. Ce qui produit une hausse du niveau de vie mécaniquement puisque vous produisez soit autant en travaillant moins, soit plus en travaillant autant.

 

Ces gains de productivité, vous pouvez ensuite les transformer soit en consommation supplémentaire soit en réduction du temps de travail au choix, c'est à la société de décider. Mais dans tous les cas, il y a enrichissement collectif. Encore faut-il bien sûr en profiter sans fabriquer du chômage, mais c'est un autre sujet. Cependant en choisissant une spécialisation dans les services comme l'a fait la France, c'est-à-dire dans un secteur qui ne produit pas de gains de productivité, que se passe-t-il ? Et bien, c'est simple, il n'y a plus d'enrichissement. Pire que cela, comme les autres pays eux continuent à faire des gains de productivité, ils pourront acheter de plus en plus de service français avec de moins en moins de travail. Ainsi verrons-nous les riches étrangers acheter plein de choses en France tout en ayant de moins en moins de français capable de se payer des vacances à l'étranger. Si l'on reprend l'exemple historique erroné du commerce entre la Grande-Bretagne et le Portugal dont s'était servi David Ricardo pour justifier le libre-échange. Les gains de productivité de la Grande-Bretagne spécialisés dans l'industrie textile lui permirent d'acheter du vin portugais avec de moins en moins de travail quand les Portugais trimaient toujours autant pour produire du vin. Les gains de productivité à l'époque dans la viticulture étant assez faible. Le résultat fut l'appauvrissement relatif du Portugal par rapport à la Grande-Bretagne.

 

On est exactement dans la même situation avec les services en France par rapport au reste du monde. Pire que cela, le fait de ne plus produire rend la recherche et l'innovation inutile. Les discours de Macron sur l'accueil de chercheurs américains sont tout simplement risibles quand on connaît la faiblesse des efforts de recherche en France. Une nation qui vit de service n'a que faire en réalité d'un instrument de recherche puisque cette dernière ne trouvera pas d'application dans un pays qui est dépourvu d'industrie. La recherche scientifique efficace va de pair avec un système industriel performant. On n'est plus au 18e siècle où quelques individus isolés pouvaient créer une rupture scientifique majeure. Aujourd'hui, l'industrie et la recherche fonctionnent ensemble. Ce qui explique désormais le poids de la science chinoise dans le monde d'ailleurs. Plus globalement, cette orientation vers les services d'un pays comme la France, qui fut pourtant très innovante dans l'industrie, ressemble à un laisser-aller général. Comme si le pays avait baissé les bras, et qu'il se contentait de vivre de ce que les autres inventent et produisent. C'est assez lamentable comme fin pour un pays jadis si créatif.

 

Elle est belle la startup nation avec ses dépenses en baisse dans la recherche

 

Et la conséquence n'est pas qu'économique. Au déclassement économique de la population française s'ajoute également la dégradation des services publics puisque le pays désindustrialisé aura de moins en moins les moyens de se les payer. Le manque de créativité française découlant de ce modèle économique engendre également un désintérêt pour la France elle-même. La jeunesse s'intéressant beaucoup plus aux autres cultures qui fabriquent et produisent ce qu'elle consomme comme produits manufacturés ou comme science et savoir. L'effondrement économique et le déclassement du pays engendrent donc aussi une déperdition de l'intérêt pour la France et sa culture. C'est à cela sans doute que l'on doit en partie l'explosion des anglicismes. Nous n'avons pas encore mesuré tous les effets négatifs de cette orientation vers les services à long terme. Mais réconfortons-nous un peu en nous disant que les changements dans les rapports de force commerciaux qui se jouent à l'heure actuelle entre les USA, la Chine et l'Allemagne n'auront finalement que peu d'effets sur un pays qui a déjà disparu de la carte industrielle mondiale. Nous sommes un pays qui a décidé de ne plus exister.

 

Cependant, il faut bien voir aussi que si l'on souhaitait redresser la barre en sortant de l'euro, la France finalement aurait beaucoup moins de difficulté qu'on ne le croit généralement. Puisque la balance des paiements est à l'équilibre comme on l'a vu. Il n'y a donc finalement pas de raison de désespérer totalement. Il ne dépend que de nous de changer notre modèle économique même si cela passera par de gros changement dans la structure de l'emploi et par une forte inflation à court terme. Encore faut-il que la population et les élites le veuillent. Le laisser-aller actuel semble pour l'instant trop confortable pour que nous voulions réellement en sortir.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article