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23 février 2014 7 23 /02 /février /2014 17:19

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Notre ministre du déboulonnement productif monsieur Montebourg s'est fait remarqué il y a peu pour ses impertinences sur l'euro. Des impertinences qui par ailleurs soulèvent grandement la question du positionnement politique d'Arnaud Montebourg. Car le bougre n'ignore nullement le rôle qu'a joué le parti socialiste dans la construction européenne. Un parti socialiste que notre ministre n'a visiblement toujours pas l'intention de quitter. Et cela malgré les multiplications de propos en contradiction avec la ligne directrice toujours plus libérale de son groupe politique de tutelle. Mais cette contradiction entre son appartenance à un parti ultralibérale et européiste ne l'empêche pourtant pas de tenir des propos critiquant la surévaluation de l'euro. Montebourg déclara ainsi récemment que la hausse de l'euro« annihile les efforts de compétitivité » de la France. Entendre ainsi parler un homme de gauche peut paraître surprenant. Mais l'on ne m’ôterapas l'idée que Montebourg fait en réalité preuve de peu de conviction et qu'il est là pour jouer un rôle bien calculé dans le parti socialiste. Car si le propos en lui même n'est pas faux, il convient tout de même de recadrer un peu les choses et de montrer que l'analyse de Montebourg ne va pas assez loin pour être honnête. Et l'accumulation de contradiction suffit à mon sens à décrédibiliser l'homme pour le restant de ses jours. En un sens Montebourg, c'est un peu le Mélenchon du PS. On critique l'euro et le libéralisme, mais on ne va pas au bout des choses pour éviter de compromettre sa propre carrière.

 

Balance des paiements et variation monétaire

 

Avant d'expliquer pourquoi la simple dévaluation de l'euro ne saurait résoudre nos problèmes. Il faut d'abord expliquer brièvement le lien entre la monnaie et la balance des paiements. Théoriquement la valeur de la monnaie d'une nation est intimement liée à ses échanges extérieurs. Dans l'hypothèse farfelue d'un pays totalement autosuffisant et vivant en vase clos, il n'y aura d'ailleurs aucun taux de change puisque personne n'aurait besoin d'échanger la monnaie locale avec la monnaie d'un autre pays. La notion de taux de change est donc le résultat du rapport économique qu'entretient un pays avec d'autres. Toujours en théorie plus une monnaie nationale est demandée ailleurs sans un accroissement de sa production monétaire et plus cette monnaie va voir sa valeur s’accroître. À l'inverse une monnaie peu demandée ailleurs verra sa valeur décroître si sa masse en circulation reste constante. La valeur de la monnaie nationale dépendra donc essentiellement de l'évolution de la balance des paiements du pays, celle-ci incluant à la fois la balance commerciale (biens et services)et celle des flux monétairesdivers et variés. Théoriquement si cette balance est déficitaire la monnaie se dévalue, et inversement la valeur de la monnaie nationale s’accroît si elle est excédentaire.

 

482px-John_Connally.jpgS'ensuit une remarque sur le système monétaire mondial actuel. Depuis 1971 et l'abrogation pratique du traité de Bretton Woods par Richard Nixon, la monnaie de réserve internationale qu'est le dollar n'est plus basée sur une contrepartie d'or. Depuis cette époque et la vague idéologique libérale qui lui a succédé, nous vivons dans un monde dérégulésur le plan commercial et financier. Le seul mode de régulation du commerce accepté étant la variation du taux de change. L'un des gros problèmes de l'économie mondiale actuelle résulte d'ailleurs de cette problématique, car il est bien difficile de réguler le commerce extérieur d'un pays quand on ne possède comme seul outil que la dévaluation. En effetles capitaux et les flux financiers peuvent eux aussi passer les frontières sans problème. Comme nous l'avons vu, la valeur de la monnaie dépend bien évidemment de la balance commerciale, mais aussi de celle des capitaux.

 

De sorte qu'un pays peut bien avoir de gros déficits commerciaux tout en ayant une monnaie qui s'apprécie. Certains pays comme l'Argentine en savent quelque chose. Plus proche de nous la Suisse se voit régulièrement obligée d'intervenir sur sa monnaie pour éviter que le franc suisse n'apprécie trop ce qui risquerait de détruire l'industrie locale. De fait, les libéraux par leur obsession à ne mettre aucune régulation étatique d'aucune sorte ont créé une contradiction fondamentale dans l'économie mondiale. Car la régulation commerciale par la monnaie est impossible dans un monde où les capitaux traversent aussi les frontières.


Cependant même en imaginant un système parfait dans lequel les monnaies nationales ne varieraient qu'en fonction des balances commercial il n'est pas certain qu'un équilibre puisse être trouvé sans l’intervention des états. Car il existe aussi d'autres contraintes que la contrainte purement commerciale. Un pays peut avoir envie de maintenir un chômage bas contrairement aux Européens actuels auquel cas il faudra faire des injections monétaires pour relancer régulièrement la demande intérieure à l'image de ce que font régulièrementles USA. Même si dans le cas de ce pays l'injection monétaire consiste surtout à soutenir les détenteurs de capitaux plus qu'à financer des projets productifs et d'intérêt général. Cependant, ces interventions peuvent fausser elles aussi l'évolution des taux de change. De sorte que là encore même en bloquant les capitaux l'évolution du seul taux de change ne pourrait garantir un équilibre des balances commerciales. Dans tous les cas, il faut faire appel à d'autres mécanismes pour stabiliser le système.

 

Monnaie unique = balance des paiements unique

 

Maintenant que l'on a résumé un peu comment tout cela marche quelle est donc la conséquence pour la zone euro ? La zone euro est composée de plusieurs peuples qui ont chacun leurs spécificités, leurs cultures, leurs systèmes économiques et leurs propres spécificités sociales et démographiques. C'est un fait que personne ne viendra infirmer à moins d'une grande mauvaise foi. Cette diversité se traduit d'ailleurs par une grande diversité de politiques fiscales et de traditions politiques adaptée à la population locale. C'est l'oublie de cette simple réalité qui conditionne l'échec actuel de l'UE. Un échec qui est imputable à la fascination des élites d'après-guerre pour les USA. En se calquant sur ce pays d'une grande homogénéité culturelle pour en faire un modèle pour l'Europe nos élites se sont elles-mêmes condamnées à l'échec. Dans le domaine monétaire, c'est l'euro qui traduit l'impasse dans laquelle nous sommes. En effet comme on l'a vu la monnaie va varier en fonction de l'évolution de la balance des paiements. À l'échelle de la zone euro, cela signifie que l'euro va varier en fonction de la balance des paiements de la zone euro entière et pas en fonction des balances de chacun des membres. Il est normal que la balance commerciale de la zone euro varie surtout par rapport à sa composante la plus forte à savoir l'Allemagne puisque ce pays est aussi le plus gros pays de la zone euro. Tous comme la valeur du franc autrefois étaient plus influencés par le bassin parisien que par le Languedoc Roussillon.

21-balance-paiements-ez.jpg

L'euro divergence dans toute sa splendeur

 

Quoi qu'il en soit la valeur de l'euro est donc le résultat de la valeur de la balance des paiements globale de celle-ci. Évidemment, la hausse de l'euro est liée à l'excédent de la balance des paiements de la zone soit 116 milliards d'euros en 2012 (source Banque de France). Évidemmentc'est l'énorme excédent de l'Allemagne quicache les déficits des autres pays et c'est bien tout le problème de l'euro. Car l'euro protège les pays forts et détruit les pays faibles. En effet en temps normal, l'excédent allemand se serait traduit soit par une forte hausse du Mark soit par une dévaluation des pays voisins. De sorte que la politique mercantiliste allemande aurait été tuée dans l'oeuf. Mais l'euro agit comme une dérivée en mathématique, elle accentue les variations au lieu de les lisser. Car si l'euro est surévalué pour la France, ou pire, pour l'Italie, l'Espagne et la Grèce, il est encore sous-évalué pour l'Allemagne. La zone euro permet à l'Allemagne d'avoir une zone tampon qui la protège des conséquences monétaires de ses pratiques commerciales. Elle empêche aussi les Allemands de réaliser qu'ils accumulent comme les autres des déficits commerciaux avec l'Asie ce que leur cache leur commerce asymétrique d'avec les autres puissances développées. Il est possible que l'Allemagne change d'avis sur le libre-échange si celle-ci faisait face à cette réalité. Au lieu de croire qu'elle tire sa croissance de ses exportations vers l'Asie comme certains semblent encore le croire. Pourtant comme l'avait très bien montré le blogueur Criseua l'Allemagne doit surtout son dynamisme commercial aux anciennes zones développées. Ce qui confirme par ailleurs l’intuition de Todd dans la vidéo que j'ai récemment mise sur le blog.

Asie4-1024x723.jpg

Graphique provenant du blog Criseusa

 

Pour Montebourg l'euro c'est notre monnaie et c'est le problème des autres.

 

J'ai paraphrasé John Bowden Connaly dont l'un des conseillers fut Richard Nixon, et qui eut la célèbre formule « Le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème. ». C'est un peu la même analyse que l'on peut faire à l'encontre de ceux qui prônentcomme Montebourg la dévaluation de l'euro. Objectivement, l'euro est même sous-évalué puisque notre balance des paiementss'apprécie. Sauf que bien évidemment cela cache une forte dégradation dans certains pays et une bonne situation apparente dans d'autres. On notera aussi que cet excédent est surtout dû à l'effondrement de la demande dans le sud de l'Europe. Les pauvres vont donc pouvoir mourir guéris. . Mais quel serait l'effet d'une dévaluation concrètement sur la France et l'Europe ? En France cela permettrait d'améliorer notre compétitivité face à l'extérieur de la zone euro. Mais premier petit problème, le premier déficit commercial de la France c'est l'Allemagne. Une dévaluation de l'euro n'aura donc aucun effet sur celui-ci. Soit. Mais est-ce que cela aura de l'effet sur le déficit avec la Chine ? Il y a peu de chance eu égard à l'avantage comparatif de la Chine. À moins d'imaginer une dévaluation de 50 %, ou plus, je ne vois guère comment compenser l'écart compétitivité-coût avec la Chine.

L'Allemagne n'est par exemple pas excédentaire avec la Chine malgré la sous-évaluation de l'euro pour elle. Il y a donc peu de chance que la dévaluation de l'euro suffise à la France pour rééquilibrer sa balance avec la Chine. Il faut le dire avec ce pays seul des mesures de quota et de droit de douane fonctionneront. D'ailleurs, les Chinois n'hésiteront pas à dévaluer s'il trouve le taux de change de l'euro trop en leur défaveur. Ils l'ont déjà fait et recommenceront. Ils ne comprendront que les mesures coercitives plus brutales. Il faut les forcer à se concentrer sur leur demande intérieure, car ils ne le feront pas tous seuls. Ce n'est pas dans l'intérêt de leur classe dominante comme de la nôtre d'ailleurs, mais bien dans celui de leurs salariés et des nôtres.

 


Balance-des-paiement-UE.png

Balance des paiement de la zone euro largement positive

 

Maintenant la dévaluation permettra à la France et aux pays latins d'améliorer leur situation avec d'autres zones. L'Amérique, l'Océanie et l'Afrique notamment. Des régions avec lesquelles nous avons le plus souvent déjà des excédents ou des équilibres commerciaux. Donc en clair en dévaluant l'euro nous punirons les pays qui sont les plus loyaux commercialement avec nous. Voilà en quoi consiste la dévaluation de l'euro pour sauver les pays latins. C'est exactement le raisonnement de Connaly une exportation impériale des problèmes que nous n'arrivons pas à affronter parce que nous sommes trop lâchespour avouer que l'euro fut une idée idiote. Les USA n'arrivent pas à rompre avec le libre-échange. Ils continuent d'injecter de la monnaie dans leur système en exportant leur inflation monétaire. Nous européens, nous exportons notre déflation en priant pour que cela suffise pour sauver le saint euro. Le monde est vraiment aux mains des fous. Si Montebourg cherche réellement à sauver l'industrie du pays, ce dont je doute, ce n'est pas en prônant une autre Europe que l'on n'y arrivera. Et certainement pas par une dévaluation de l'euro qui ne fera qu'externaliser nos problèmes en entraînant des peuples extérieurs dans la tourmente. L'UE et la zone euro sont mortes, nos élites mettent trop de temps à s'en rendre compte poussant le continent à accumuler les déséquilibres jusqu'à ce que le point de rupture soit atteint. N’entraînons pas d'autres zones du monde dans nos délires en dévaluant l'euro.

 

 

 

 

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commentaires

O
<br /> http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140228trib000817690/l-europe-sans-fard.html<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=rfObt0BVT0M#t=32<br /> <br /> <br />  <br />
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Y
<br /> @red2<br /> <br /> <br /> Il y a une différence. Le Canada est un pays qui peut redistribuer<br /> par l'impôt, ce n'est pas le cas de la zone euro. En France il y a aussi de grosses disparités, mais elles sont compensées par le transfert financier public. Maintenant il se peut que le Québec<br /> soit considéré comme moins canadien que les autres par les autorités locales, mais c'est un autre débat. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sinon l'autre problème du Canada ce sont effectivement les matières<br /> premières qui faussent en quelque sorte la valeur de la monnaie. C'est un problème récurant chez les nations grosses productrices de matières premières. Il suffit de voir l'incapacité des pays<br /> pétroliers du proche orient à développer une base industrielle. Les Russes ont le même problème d'ailleurs. Avoir des matières premières en trop grande quantité peut nuire au final au<br /> développement industriel local en rendant trop dépendant de ce type d'exportation. Pourquoi fabriqués soient même des objets quand nos matières premières nous permettent de tout acheter à<br /> l'étranger. On sait comment ce genre d'histoires finissent. Il suffit de voir la pauvre ile de Nauru. <br />
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R
<br /> Merci de votre retour, ca fait du bien de lire comme toujours sur ce blog des articles aussi reflechis et<br /> interressants !<br /> <br /> <br /> Un truc que je trouve marrant sur le sujet c'est que globalement nos amis francophones d'Amerique sont dans la meme situation que nous! Ils ont la même monnaie que l'Alberta qui multiplie ses<br /> excedents commerciaux grace a son petrole, ce qui fait monter le dollard canadien, puisque la balance des payements du Canada est du coup tres excedentaire. Dans le même temps les vieilles<br /> industries du Quebec et de l'Ontario a de plus en plus de mal a supporter cette monnaie trop chere pour leur économie de production...<br /> <br /> <br /> http://www.lactualite.com/wp-content/uploads/2013/10/Capture-d%E2%80%99%C3%A9cran-2013-10-14-%C3%A0-16.09.43.png<br /> <br /> <br /> http://www.lactualite.com/wp-content/uploads/2013/10/Capture-d%E2%80%99%C3%A9cran-2013-10-14-%C3%A0-19.19.14.png<br /> <br /> <br /> Et ce qui est marrant c'est que du coup certains economiste quebecqois veulent sortir de l'union monétaire canadienne pour équilibrer leur deficit commercial et relancer leur industrie, comme<br /> nous avec l'euro!<br /> <br /> <br /> http://jeanneemard.wordpress.com/2011/05/25/le-quebec-et-lunion-monetaire-avec-le-canada/<br />
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