Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Une fois n'est pas coutume, j'ai eu le malheur pour une fois de regarder la télévision. Pour tout dire, cela fait plus de vingt ans que je ne regarde plus la petite lucarne. Je vois juste quelques extraits d'émissions lorsque certaines personnes les mettent en avant sur le web et les réseaux sociaux. Mais depuis quelque temps j'aide ma mère, qui est enfin sortie de l'hôpital, dans ses tâches quotidiennes. Elle est pour l'instant handicapée suite à sa réanimation et à son mois et demi allongé sur un lit. Mais contrairement à moi ma pauvre mère, assez âgée, regarde encore la télévision. Alors que je triais longuement sa liste interminable de médicaments, voilà que j’eus le malheur d'entendre un imbécile de journaliste parler d'économie dans l'émission Télématin. Et comme à chaque fois que l'on connaît un peu un sujet, je me suis extasié des idioties ânonnées par ce triste individu transformé subrepticement en prompteur européiste compulsionnel. Pour les plus jeunes, il fut un temps où cette émission avait quand même quelques personnes moins ouvertement idéologues qu'à l'heure actuelle. Je me souviens qu'autrefois nous avions par exemple Philippe Sassier qui parlait souvent d'économie. C'était globalement d'un autre niveau, mais les temps ont changé comme on dit.
Notre économiste journaliste nous parlait donc du Brexit. L’événement que nos pseudoélites surpayées n'ont jamais vraiment digéré . Le Brexit serait donc totalement responsable de la situation « catastrophique » de la Grande-Bretagne. C'est affreux, il y a des grèves en Grande-Bretagne maintenant, signe probable de la fin des temps. Et il y a aussi de l'inflation, parce qu'ailleurs il n'y en a pas bien évidemment. Les marchés financiers s'attaquent à la Grande-Bretagne également, nous raconte encore notre européiste boursouflé d'orgueil et de certitudes avec une phrase magique « Si la GB avait été dans l'UE elle aurait été protégée comme la France ». Notre comique de service semblant ignorer que les Anglais n'ont jamais été dans l'euro donc on se demande bien en quoi l'UE aurait pu les protéger d'une attaque spéculative sur la monnaie. Des pays pourtant bien plus petits que la Grande-Bretagne. Rappelons ensuite que d'autres pays sont dans l'UE sans être dans l'euro comme la Suède et qu'il y a même encore des pays libres qui ne sont ni dans l'UE ni dans l'euro et qui n'ont pourtant jamais eu d'attaques spéculatives contre eux à l'image de la Suisse ou de la Norvège. Enfin, rappelons à ce pitre que la pauvre Grèce montre que l'euro ne protège de rien du tout et surtout pas des faillites nationales, le PIB/habitant est aujourd'hui inférieur d'un tiers dans ce pays à ce qu'il était il y a dix ans. En attendant la pluie de sauterelles, nous allons voir la situation réelle de l'économie britannique. Une situation qui n'est certes pas reluisante, mais qui est en réalité globalement moins dramatique que la situation française pourtant membre de la zone euro. Si la Grande-Bretagne a des problèmes, elle le doit avant tout à elle-même et à ses propres politiques. L'appartenance à l'UE n'aurait rien changé à l'affaire, et non le Brexit n'est pour rien dans cette affaire. C'est avant tout l'idéologie libre-échangiste et les dogmes du laissez-faire qui ont conduit ce pays comme l’ensemble de l'UE dans le mur.
Situation économique anglaise
Comme nous allons le voir, le principal problème de la Grande-Bretagne est son déficit commercial structurel. C'était déjà un problème lorsque les Anglais étaient dans l'UE et ça l'est toujours aujourd'hui . On constate que depuis la crise du COVID la balance commerciale britannique s'est fortement dégradée exactement comme dans le cas de la France. Là encore, des mesures massives de soutien couplé à une absence de protectionnisme et de dévaluation ont entraîné une dégradation de la situation commerciale. On peut rajouter à cela l'énorme poids du problème énergétique. Les Anglais ont une organisation énergétique qui était adaptée au gaz et aux hydrocarbures, car grâce aux gisements de la mer du Nord qui s'étaient développés dans les années 70-80 la Grande-Bretagne avait pu bénéficier d'une manne qui a permis au passage des délires thatchériens du néolibéralisme. Malheureusement pour les Britanniques et les Norvégiens, cette manne s'épuise depuis un moment. Mais les installations sont restées . Résultat, la dépendance anglaise aux importations de gaz a rendu les mesures contre la Russie particulièrement coûteuses pour eux. Et cela se voit dans la forte dégradation de la balance commerciale sur les hydrocarbures. Le coût pour les particuliers est dramatique, mais comme pour la France c'est surtout pour les entreprises que ces augmentations sont fatales.
Encore une fois, cette situation n'a aucun rapport avec l'appartenance ou non de la Grande-Bretagne à l'UE ou à l'euro. La France a exactement les mêmes problèmes en beaucoup moins graves parce que nous jouissons encore un peu de notre rente nucléaire. Imaginez la situation de la France sans cela alors que nous avons déjà d'énormes difficultés. Dans notre cas, la sortie du marché européen de l'énergie arrangerait immédiatement la situation, pour les Anglais c'est plus compliqué, car ils ont un problème structurel lié à des choix qui se font à long terme. Nul doute que la Grande-Bretagne va changer son fusil d'épaule et qu'elle va s'orienter vers le nucléaire, mais cela ne se fera pas instantanément. Ils ont d'ailleurs signé avec EDF récemment un contrat pour développer le nucléaire dans leur pays et remplacer des centrales en fin de vie. Preuve au passage qu'on peut ne plus faire partie de l'UE et continuer à travailler avec les autres pays européens tout comme le font la Suisse ou la Norvège.
Pour ce qui est de la croissance, la Grande-Bretagne affiche cette année encore une très forte croissance à 4% sur l'année 2022 après une croissance à 7,1% l'année d'avant. Évidemment, ces chiffres sont le résultat d'un rattrapage suite à l'effondrement pendant la crise COVID. Il y a peu de chance pour que ce rythme se conserve surtout avec la dégradation de la balance commerciale. Cependant contrairement à la France dont la part de l'industrie s'est effondrée totalement avec un taux maintenant similaire à celui de la Grèce avec 9% du PIB, la Grande-Bretagne conserve un peu plus d'industrie avec 14% du PIB . Le fait de n'avoir jamais appartenu à la zone euro a probablement mieux protégé les activités industrielles de la Grande-Bretagne. Le fait que l'industrie pétrolière et gazière y a été aussi présente en mer du nord a probablement participé à une moindre désindustrialisation que la France. Il s'agit là d'un point très important parce que la fin de la mondialisation qui arrive petit à petit verra les pays qui ont encore quelques capacités industrielles se redresser plus rapidement que les autres. En cela c'est la France qui est extrêmement inquiétante comme nous avons pu le voir précédemment avec les effets des dévaluations sur notre tissu économique sans capacité industrielle.
Concernant l'emploi même s'il faut modérer l'utilisation des statistiques officielles, on sait d'expérience qu'elles sont trompeuses particulièrement en France ou aux USA, le taux de chômage britannique est assez faible à 3,6% de la population active. Officiellement, 75% de la population en âge de travailler a un travail contre 73% en France, vous voyez pourquoi il faut prendre les chiffres officiels du chômage avec des pincettes. Le pays a cependant bénéficié d'une croissance légèrement supérieure à celle de la zone euro depuis 10 ans, comme les autres pays de l'UE qui n'étaient pas membre de la zone euro. Encore une preuve du caractère assez néfaste de la monnaie unique dont nos chantres de l'européisme ne parlent jamais. Sur les dix dernières années, la croissance annuelle moyenne de la zone euro fut d'un médiocre 1,3% du PIB contre 1,6% pour la Grande-Bretagne. Ce n'est pas très reluisant, mais significatif tout de même. D'autant que le marasme de la zone euro agit sur tous les pays non membres avec une demande moindre, moins d'investissement et donc moins de croissance en général. L'obsession allemande pour les excédents commerciaux au prix d'une demande interne comprimée aura fait du mal à l'ensemble du continent et pas seulement aux membres de l'UE et de la zone euro.
Comme nous l'avons vu rapidement dans les statistiques officielles, rien n'indique un effet Brexit particulier. La vérité c'est qu'être membre ou non de l'UE ne change rien si vous continuez de toute manière à pratiquer le libre-échange. Et la grosse faiblesse de la Grande-Bretagne c'est son libéralisme quasi identitaire et consubstantiel à son organisation économique. Le pays qui fut le berceau de l'industrie, mais aussi du protectionnisme précoce a complètement absorbé l'idée que sa prospérité de jadis fut le fruit du laissez-faire d'Adam Smith. Alors que l'histoire économique du pays nous dit en fait le contraire. Jusqu'à la célèbre abrogation des Corn Laws en 1846, le Royaume-Uni fut un pays terriblement protectionniste et il fit le décollage industriel en grande partie grâce à ça. Les USA firent d'ailleurs la même chose après la guerre de Sécession. Les difficultés économiques actuelles de la Grande-Bretagne sont plus le lègue du néolibéralisme des années 70-80, que celle d'un Brexit mal fagoté, n'en déplaise aux eurolatres. Mais c'est bien là qu'est le problème, comment admettre que ce qui est l'idéologie de fond de l'Union européenne est également ce qui a met par terre l'économie britannique ? Il est plus simple d'accuser le Brexit.
La situation anglaise montre aussi que comme nous l'avons vu dans mon texte précédent la sortie de l'UE ne suffira pas à redresser la barre. Il faut une vraie politique industrielle et protectionniste avec une véritable planification par secteur. Sortir de l'UE pour faire la même chose, c'est-à-dire signer des traités de libre-échange et ne pas faire de réindustrialisation volontaire, c'est se mettre à la merci des marchés financiers. Ensuite, il faut bien admettre qu'une telle politique nécessitera un consensus national et c'est là quelque chose qui va être très difficile à obtenir surtout chez les couches sociales aisées qui se sont enrichies grâce à la globalisation et au pillage de leur propre pays. Il faudra également repenser la question de la libre circulation des capitaux et l'emprunt public auprès de la banque centrale. Car si les commentateurs utilisent souvent l'argument fallacieux de la question de la menace des marchés financiers c'est bien souvent pour oublier qu'il y a une solution très simple qui consiste à faire des emprunts nationaux publics comme nous le faisions régulièrement avant les années 70 ! Notre parc nucléaire fut par exemple financé ainsi, et nous bénéficions encore aujourd'hui de cet investissement public des années 70.