Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Alors que la campagne électorale précipitée bat son plein et que les démagogues de la politique s'en donnent à cœur joie en multipliant les promesses intenables en restant dans l'euro et la construction européenne, il me semble opportun de prendre un peu de hauteur sur le débat. Si nous avons souvent abordé des questions comme le libre-échange ou l'euro, nous avons finalement moins parlé de ce qui fait le cœur de nos sociétés modernes, la finance et le marché. Il s'agit là pourtant de sujets cruciaux que l'on ne saurait traités sans prendre garde à leur importance. Ce que nous trouvons aujourd'hui normal comme organisation de la société ou de l'économie aurait très probablement choqué un homme du moyen-âge ou de la renaissance. Il ne faut pas croire que nos organisations sont là pour l'éternité des siècles ni même qu'elles sont l'apologie de l'organisation humaine sur terre. La montée en puissance de la Chine montre assez clairement que le modèle anglo-saxon qui s'est imposé à nous par la force n'est pas le seul modèle possible ni même probablement le meilleur. Les Français auraient dû y penser avant de s'imposer à eux même un modèle qui n'était pas le leur jusqu'aux années 70.
Dans son livre « L'avenir du capitalisme », l'économiste Jean-Luc Gréau se demandait à juste titre si à l'avenir les états n'allaient pas être obligés de refaire des productions publiques pour compenser l'abandon progressif de toutes les activités qui ne sont pas assez rentables pour le capital. La situation actuelle dans le domaine des médicaments nous apporte une preuve pratique que l'intuition que Gréau a eue dans son livre de 2005 s'avère de plus en plus probable. Les libéraux rétorqueront que les prix des médicaments n'ont qu'à augmenter pour résoudre le problème, mais est-il bien normal de faire grimper les prix artificiellement alors que les activités de production pourraient déjà être rentables en l'état simplement parce que le capital a tellement concentré les activités de production que nous nous retrouvons aux prises avec des entreprises qui sont dans des situations de quasi-monopole ou au mieux d'oligopole privé ? Et ce dont je parle ne concerne pas seulement les pays de l'UE. La Suisse qui est toujours citée en exemple a elle aussi des problèmes de pénurie de médicaments.
Nous acceptons avec un peu trop de facilité le mode de financement de nos économies tournées entièrement autour du système financier et de la spéculation. Ce ne fut pourtant pas le cas après guerre. En effet pendant les trente glorieuses la bourse de Paris ne pesait pas grand-chose sur l'économie française. Le système économique français tout comme celui des autres grands pays européens était essentiellement organisé autour d'un système bancaire puissant et d'un état qui a régulé l'économie avec des investissements publics financés par le circuit du trésor et la banque de France. Donc sans des intérêts forts pour nourrir toute une ribambelle de parasites économiques comme c'est le cas aujourd'hui. Car le terme parasite qui est si souvent employé pour décrire les chômeurs ou les personnes touchant les aides sociales s'avère en réalité bien plus pertinente pour décrire notre système actionnarial et boursier actuel. Un certain Sébastien Tixier vient de faire un très intéressant graphique qui montre le caractère extrêmement parasitaire du système financier français. On y voit ce que la bourse apporte aux entreprises et ce qu'elles reversent comme dividende. On voit clairement que la bourse ne finance pas les entreprises, c'est exactement l'inverse. Ce sont les entreprises qui financent la bourse et l’actionnariat. Une réalité bien éloignée de l'image d’Épinal forgée par la propagande anglo-saxonne de ces 80 dernières années. Monsieur Tixier n'est pas le premier à le souligner, c'était déjà le cas de Bernard Maris par exemple, qui nous a quittés bien trop tôt, dans son Antimanuel d’Économie datant de 2003.
La bourse n'est pas un système qui prend des risques, risques qui justifieraient les énormes rémunérations par la suite. C'est aujourd'hui un système de prédation et de rente qui ponctionne une forme d’impôt privé sur les entreprises et donc indirectement sur les travailleurs et les citoyens. Et cette nuisance ne s'arrête pas là, puisque la nature même du système boursier force parfois les entreprises à se cannibaliser pour maintenir leur cours. Loin d'être un système qui favorise la fameuse gestion en bon père de famille, la bourse favorise la vision à court terme et l'absence de stratégie profonde. L'important étant d'aller dans le sens du vent des cours boursiers. Keynes qui lui même a fait fortune à la bourse le disait par expérience. Mieux avoir tort avec la foule que raison contre elle. En clair même si les mouvements de foule qui touchent très souvent le système boursier produisent des catastrophes, il est irrationnel d’essayer d'aller contre en tant qu'investisseur. L'important étant de savoir quand les bulles risquent d'exploser. Croire qu'un tel système de financement des entreprises est un bon système relève plus de la foi religieuse que d'un raisonnement rationnel. D'un point de vue collectif, c'est une catastrophe.
Comme je l'ai dit précédemment, ce système n'arrive même plus à financer les activités les plus essentielles comme la production de médicament. L'industrie pharmaceutique qui est l'une des plus rémunératrices pour les actionnaires est sans doute l'un des secteurs les plus abîmés par ce système. Les délocalisations absurdes qui ont rendu nos pays totalement dépendants d'importations, dans un secteur aussi important pour la qualité de vie de nos concitoyens, sont une preuve de cette nuisance. Il faut rappeler que si l’appât du gain est un puissant outil de motivation et qu'il est au cœur du système capitaliste, sans garde-fou ce moteur peut aussi nous détruire. Les garde-fous étaient dans la limitation de la fluidité du capital par de multiples frontières . Les frontières nationales sur les capitaux tout d'abord qui obligeaient le capital à rester dans le pays et donc soumettaient ce dernier à l'impôt. Le capital avait aussi des limites grâce aux séparations des activités bancaires. Séparation qui a été progressivement détruite dans les années 70-80 en particulier après la mise en place du marché unique en Europe.
Durant toutes les années 80-90, les élites françaises et occidentales ont tout fait pour faire renaître le monstre qui avait produit la crise de 1929. Le mélange entre les banques de dépôt et les banques d'investissement étant l'erreur la plus grossière de ces années folles nouvelle version. Le fait de favoriser la fluidité du capital en limitant le lien qu'il pouvait y avoir entre l'actionnaire et l'entreprise a transformé le système capitalistique à visage relativement humain en une machinerie de production de dividende. Hélas pour nos dirigeants, loin de produire un accroissement de l'investissement réel ou une amélioration de l'appareil productif, ce système a fortement participé à la destruction du tissu économique réel favorisant comme je l'ai dit le court terme et les délocalisations massives. En gros en faisant de la finance un système de casino, on a déresponsabilisé les actionnaires et créé un système de servage sous une nouvelle forme. Un système qui ressemble fortement au système féodal à la grande différence que les seigneurs d'alors avaient des richesses limitées par les terres qu'ils possédaient et donc limitées par les lois de la physique elle-même. Le système de servage actuel n'a pour ainsi dire aucune limite puisqu'il ne s'agit que de chiffres sur les banques de données numériques.
Redresser notre économie ne demandera donc pas seulement un retour à des politiques économiques nationales rationnelles comme le protectionnisme visant à rééquilibrer les balances commerciales. Il s'agira également de reconstruire un système de financement des entreprises dont l'unique but ne soit pas la maximisation des dividendes pour les actionnaires. La limitation de ces derniers pourrait d'ailleurs être une action d'assainissement du système financier. En plafonnant les revenus possibles de l'actionnariat, on pourrait passablement limiter la course à l'échalote du dividende maximal, et ainsi limiter la démolition des entreprises au résultat moins mirifiques que les secteurs qui ont les plus fortes croissances. Si un système économique viable doit bien évidemment faire en sorte que les activités ne soient pas à perte, cela va de soi. Il doit également faire en sorte que tous les besoins de la population soient remplis, c'est la condition même pour que la civilisation subsiste à long terme d'ailleurs. Le mauvais génie de la finance doit être remis dans sa bouteille au contour bien délimité par l'intérêt général. Un système vicié qui ne promeut que les activités les plus rémunératrices ne pourra que provoquer notre extinction à long terme et là on se demande bien à quoi pourront bien servir alors les fameux dividendes.