C'est une thématique que nous avons souvent abordée, mais comme nous nous dirigeons vers des législatives très précoces, il me semblait important de rappeler toute la contradiction qu'il y a à prétendre résoudre les problèmes de la France tout en restant dans la construction européenne. Je sais que vous allez me dire que les Français ont bien voté contre la souveraineté nationale puisque les partis souverainistes ont fait un score ridicule aux Européennes. Et je l'admets bien volontiers. Mais ce n'est pas pour autant que la réalité va changer. Les Français vont vite s’apercevoir que les prétendus partis extrémistes se coucheront très vite une fois au pouvoir, justement à cause de leur absence de réflexion et de politique visant à retrouver notre souveraineté. C'est que les faits sont têtus et la réalité âpre et difficile. Il est beau de rêver avec des programmes révolutionnaires vendant des hausses de salaire d'un côté ou la fin de l'immigration et le retour de l'état de l'autre, mais sans s'attaquer aux causes profondes de notre situation tout ceci ne servira à rien.
Un coup d’œil rapide sur les programmes des deux grandes listes favorites pour cette élection surprise montre l’absence de conscience de la réalité du monde dans lequel nous vivons. Il faut bien le dire, c'est particulièrement vrai à gauche, le RN commençant d'ores et déjà à annoncer ses renoncements ultérieurs sans trop le dire. Il est certain que les dirigeants du RN ont plus conscience des contraintes qui seront les leurs en ne voulant pas sortir de l'UE que le Front de Gauche. C'est en tout cas ce que les programmes affichés semblent indiquer . Après il est évident que ma confiance dans les programmes affichée est très faible. On connaît les politiciens français et leur capacité à ne jamais faire ce qu'ils prétendent réaliser. S'il y a un aspect dont je ne vais pas trop parler ici qui me ferait plus voter RN, c'est sur le nucléaire. Certes, la gauche semble pour l'instant discrète sur cette question affichant le fait qu'elle ne touchera pas au parc nucléaire actuel. Sauf que dans le même temps le Front de gauche a ressorti de la naphtaline Dominique Voynet à qui nous devons l'abandon de Superphoenix, et une grande partie du recul français sur le nucléaire de ces vingt dernières années. Admettez quand même que le doute s'insinue sur cette question pourtant cruciale de la production d'électricité. Ajoutons à cela que EELV, un parti que je juge extrêmement dangereux pour le pays, est dans le groupe du Front de Gauche justement. Mais parlons un peu des programmes puisque le but est quand même de mettre en avant leur caractère contradictoire avec le fait de rester dans la construction européenne.
Le programme du Front de Gauche
Vous pouvez trouver le programme du Front de Gauche à cette adresse. C'est sur le site de LFI, mais je suppose que c'est le vrai programme. Étant donné la vitesse de l'arrivée des législatives, ils n'ont certainement pas eu le temps, et les moyens, de faire un site Front de Gauche, je présume. Je vais me concentrer rapidement sur les questions économiques. Au contraire de beaucoup de commentateurs je ne suis pas certain que les questions géopolitiques par exemple aient un gros poids sur une telle élection, même s'il est vrai qu'avec les délires guerriers de Macron sur l'Ukraine la question pourrait se poser. En lisant ce programme, la première chose qui me vient à l'esprit est de savoir si leur programme n'a pas été écrit sous l'effet de substances illégales. Entendons nous bien, je suis keynésien, pas libéral ou communiste. Et je suis le premier à dire que les salaires en France sont trop faibles et qu'il faudrait revaloriser tout ça. Même chose pour les services publics. Je suis le premier à vouloir les défendre. Mais on ne dit pas n'importe quoi et on ne fait pas ça n'importe comment. Et le comment c'est justement le mot qui manque lorsque l'on regarde le programme du Front de Gauche.
Comment financer de telles mesures dans un pays qui croule déjà sous les dettes et dont le déficit public bat des records ? L'une des mesures consiste par exemple à fortement augmenter le SMIC. Et je voyais, monsieur Bompard, qui nous expliquait de façon presque keynésienne que l'augmentation des revenus des plus pauvres allait relancer l'économie par la consommation. Et il est vrai qu'appauvrir la population n'a jamais été très bon pour l'économie. C'est ce que disait déjà Keynes en fustigeant les politiques de l'offre chère aux libéraux et qui ont coulé de nombreux pays. Rappelons-nous de la pauvre Grèce il y a à peine plus de dix ans , le pays ne s'est toujours pas remis de la crise alors que l'Islande par exemple qui a dévalué et laissez filer l'inflation se porte aujourd'hui comme un charme. Cependant ce que Bombard semble ignorer, probablement volontairement, ce sont les effets sur les importations et le commerce. Le modèle keynésien n'est pas un modèle pensé pour une économie ouverte et qui a laissé tomber ses industries pour devenir une société du tertiaire vivant d'importation. Pour qu'une politique keynésienne soit valable, il y a des conditions d'application. Il faut par exemple que le pays contrôle son commerce extérieur par des droits de douane et des dévaluations. Sans quoi les relances se transforment en relance des pays qui exportent chez vous. Vous créez des emplois dans les services, certes. Mais tout ceci se fait avec des déficits commerciaux croissants qui mettent en péril votre économie à terme. D'ailleurs au risque de choquer les gauchistes c'est très exactement ce qu'a fait Macron depuis 7 ans.
Alors évidemment il n'a pas endetté le pays pour verser des salaires aux pauvres, il a endetté le pays pour baisser les impôts des riches et subventionner les entreprises. On ne souligne d'ailleurs pas assez l'explosion des subventions pour les entreprises depuis 10 ans. C'est pourtant l'une des causes principales des déficits publics. L'état compense les effets de l'euro et l'impossibilité de dévaluer par des subventions, ce qui coût très cher, et n'est pas très efficace sur le plan macroéconomique. Sans parler des effets de corruption que cela peut engendrer. Mais le principe des politiques de Macron était le même. C'était du pseudokeynésianisme. C'est un peu comme la bière sans alcool, ça sent Keynes, cela ressemble à du Keynes, mais cela n'en est pas du tout. Les plans d'investissement et de dépense du Front de Gauche créeront probablement quelques emplois de service en France, mais ils creuseront encore plus les déficits commerciaux, déjà passablement élevés, faut-il le rappeler ? On est ici face à une ignorance crasse des réalités économiques. Et c'est d'autant plus grave que la gauche a déjà fait plusieurs fois ce genre d'erreurs en particulier avec le programme commun de 1981. À l'époque elle aurait pu redresser la situation en mettant en place des politiques protectionnistes et en dévaluant. Mais à l'époque la gauche et en particulier François Mitterrand ont préféré choisir l'Europe. Nous nous retrouvons un peu dans la même situation ici en plus grave parce que la France de 1981 était encore un pays très industrialisé avec de vraies capacités de production. La France de 2024 ne produit même plus de Javel puisque la dernière usine Lacroix vient de fermer.
Évidemment tout ce que je viens de dire n'est vrai que si le Front populaire applique son programme or nous savons déjà que l'UE prépare des sanctions contre la France pour déficit excessif. Mais rassurons-nous, la gauche a tout prévu, en effet en deux phrases elle expédie la question centrale de l'UE :
« Mettre à l’ordre du jour des changements en Europe
• Refuser les contraintes austéritaires du pacte budgétaire
• Proposer une réforme de la Politique agricole commune (PAC) »
Je veux bien, mais là encore la question du comment se pose. Qui aujourd’hui détient la monnaie française et la produit ? C'est la banque centrale européenne. Vous croyez sérieusement qu'une « région » de l'état pseudofédéral européen peut se rebiffer contre sa banque centrale ? La BCE peut assécher très rapidement l'économie française en devise et c'est particulièrement facile puisque la France est un pays fortement déficitaire sur sa balance des paiements. Et ne parlons pas de la situation sur les obligations françaises et les taux qui flamberaient. Avec ces deux phrases, la gauche ne fait qu'éluder une question européenne qu'elle sait centrale, mais qu'elle sait aussi fortement clivante au sein de son très artificiel Front de gauche. Comme on ne veut pas soulever cette question, on la met sous le tapis avec deux phrases grotesques. Je passe rapidement sur l'idée de contrôle des prix, c'est tout simplement artificiel tel que c'est présenté. Encore une fois le problème de la France c'est qu'elle est insérée dans un système d'économie globalisée. Vous ne pouvez pas d'un côté ouvrir toutes les frontières, laissez le pays se désindustrialiser et de l'autre vouloir tout contrôler y compris les prix. Cela n'a aucun sens si ce n'est fabriquer des pénuries comme dans le cas des médicaments.
La réindustrialisation est abordée rapidement à la fin des propositions, ce qui à mon sens est problématique puisque la réindustrialisation devrait être la priorité des priorités. D'ailleurs, des propositions sur l'Europe arrivent aussi à la fin. Drôle de sens des priorités chez le Front de Gauche. Et là encore on navigue en essayant de trouver un chemin entre le communisme, le keynésianisme et le libéralisme en probant des mesurettes et des formules creuses. Ménager la carpe et le lapin c'est vraiment ce qui ressort du programme des extrêmes si je puis dire. Ne voulant pas rompre avec l'UE et l'euro, la gauche est donc obligée de faire du Biden et de promettre des subventions aux industrielles en guise de politique protectionniste. Cependant, il faut préciser que même ça, c'est interdit par les traités, la concurrence ne saurait être distordue par des mesures particulières chez certains états. Il n'y a que l'UE qui peut faire des politiques de subvention ce que le Front de Gauche ne s'avise pas de dire dans son programme. Là encore, la question européenne est éludée pour camoufler à la contradiction politique entre l'extrême gauche et le centre gauche. Je rappellerai enfin que les subventions sont un protectionnisme extrêmement coûteux et peu efficace. Mais les USA ne connaissent pas un ras de marée industrielle avec les subventions de Biden contrairement à ce que racontent trop souvent les grands médias. Par contre, la dette, elle, enfle très vite tout comme les déficits commerciaux. Et la France n'a pas le dollar ou la taille des USA.
Le programme de la gauche peut se résumer en un plan qui ne s'inscrit dans aucune cohérence globale. C'est vraiment un patchwork visant à plaire à différents courants sans articulation fondamentale . Plus grave il n'y a pas de prise de conscience des contraintes qui sont sur notre pays et c'est là une faute grave qui est une pratique malheureusement trop courante à gauche. Encore une fois, je ne suis pas pour l'austérité ou une politique de contrition économique, cela ne mène à rien. Mais cela ne veut pas dire que demain on peut raser gratis si je puis dire. Un programme doit prendre en compte les contraintes en particulier européennes. Mais la façon de faire de la gauche consiste à dire que nous n'obéirons pas. Sauf que la France a signé des traités et qu'elle s'est volontairement soumise à une banque centrale dirigée par des étrangers. Faire comme si de rien n'était, et comme si nous étions encore souverains, relève de l'escroquerie. Soit vous faites un vrai programme de rupture qui s'inscrit dans un objectif de rupture avec la construction européenne et à un retour au franc et à la banque de France, soit vous faites un programme qui prend en compte les contraintes européennes et effectivement dans ce cas il faut se plier à la « discipline » de l'ordolibéralisme allemand. Le problème c'est que la gauche veut faire les deux en même temps, ce n'est simplement pas possible. Si le Front de Gauche arrive au pouvoir, on aura donc très certainement une rupture rapide avec les promesses. Je ne crois guère à la rupture avec l'UE dans ce cas puisqu'une bonne partie de leur électorat potentiel viendra du centre gauche.
Comme j'ai été un peu long, j'analyserai le programme du RN dans mon prochain texte.