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17 octobre 2024 4 17 /10 /octobre /2024 15:21

 

 

Nos médias semblent parler extrêmement peu de la réunion très importante qui aura lieu dans une semaine à Kazan en Russie. Elle réunit pourtant l'essentielle de la planète à l’exception de l'Empire américain et de ses vassaux. L’économiste, probablement bien connu de mes lecteurs, Jacques Sapir, vient de résumer les enjeux de cette réunion dans une courte entrevue à Sud radio. Il s'agit de l'enjeu crucial de la question de la monnaie internationale et il semblerait d'après certaines sources que Vladimir Poutine s’apprêterait à annoncer la création d'une monnaie internationale en remplacement du dollar américain. Une monnaie de remplacement au dollar américain qui a donné tant de pouvoir à la puissance US surtout depuis le décrochage du dollar de l'or à partir de 1971 sous Richard Nixon. À partir de cette date, les USA peuvent acheter le monde avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre, et ils ne vont pas se gêner pour s'en servir de manière abusive.

 

Rappelons cependant brièvement l'histoire économique héritée de la fin de la guerre de 39-45. C'est en 1944 que la célèbre réunion de Bretton-Woods va édicter la structure de l'économie mondiale telle qu'elle s'est dessinée après guerre. Ce fut une réunion entre représentants britannique, et américain, sur fond d'une victoire militaire sur l'Allemagne qui était pour ainsi dire déjà inéluctable. Le représentant anglais n'était autre que John Maynard Keynes qui fut longtemps haut fonctionnaire du trésor britannique. De l'autre côté, il y avait Harry Dexter White le représentant américain. Évidemment le dialogue était fortement déséquilibré puisque la Grande-Bretagne n'était plus la puissance dominante et que les USA étaient devenus surtout avec la guerre la grande puissance industrielle de la planète. Rappelons que les USA fabriquaient à l'époque plus de la moitié de l'acier mondial par exemple. Pour reconstruire le système économique d'après-guerre, les deux protagonistes sont arrivés avec deux projets assez différents dans le fond et la question qu'ils avaient alors abordée ressurgit aujourd'hui avec la montée des BRICS et de cette fameuse monnaie internationale.

 

Le représentant américain voulait simplement imposer le dollar comme monnaie d'échange international remplaçant ainsi la livre sterling comme monnaie internationale. Il s'agissait de garantir également le dollar sur l'or, tout comme l'était la livre sterling autrefois avant les deux grandes guerres qui ont secoué le monde et l'Europe. Ce faisant, cela obligerait les pays voulant acheter n'importe quoi sur le marché mondial de détenir des dollars pour pouvoir le faire, mettant ainsi la banque centrale américaine et le dollar au cœur du pouvoir économique mondial. La garantie pour les pays membres de ce système était la possibilité à tout instant de pouvoir changer leur dollar en or s'ils le souhaitaient. Le plan de Keynes était différent. Ce dernier avait vu pendant la crise des années 30 qui avait durement touché la Grande-Bretagne que la gestion d'une monnaie nationale qui était aussi une monnaie internationale était une véritable quadrature du cercle. En effet, les intérêts nationaux étant souvent contraires aux intérêts de la politique monétaire internationale.Par exemple si votre pays connaît des difficultés sur le commerce extérieur et qu'il vous faut dévaluer c'est très difficile à faire si votre monnaie est aussi une monnaie de réserve internationale. Vous vous attirez les foudres des autres puissances en quelque sorte.

 

Keynes a alors l'absolue certitude qu'aucune nation en particulier ne devrait avoir le droit monétaire internationale. Il proposera alors le projet du Bancor. Celui d'une monnaie internationale basée non pas sur un métal, ce qui pose d'autres problèmes, ou une monnaie de grande puissance, mais sur un panier de devises dont le poids serait au prorata du poids économique de chacun des pays membres. L'avantage est évident, cela crée un système égalitaire et neutre. Un système qui peut aussi s'adapter aux changements souvent rapides des rapports de force économiques. Il suffit pour cela de changer le poids des pays dans la devise en question en fonction des évolutions économiques. Mais si la supériorité de la solution keynésienne était évidente, il était aussi assez évident que le plan américain serait imposé à cause du rapport de force entre les deux parties d'alors. Pourtant à long terme si la solution keynésienne n'aurait pas fait des USA l'hyperpuissance qu'elle a été, elle lui aurait aussi probablement évité bien des déconvenues et la désindustrialisation massive qui l'a frappé à cause justement du privilège du dollar.

 

Vers une restructuration de l'économie mondiale

 

Nous sommes 80 ans après le traité de Bretton-Woods et on est bien obligé de constater qu'effectivement c'était bien Keynes qui avait raison. Le calcul à court terme pour les USA qui ont eu le bénéfice de ce rôle monétaire stratégique surtout à partir des années 70 s'est en réalité retourné contre eux. Dans les années 60, c'est le général De Gaule qui avait prévenu les Américains des dangers qu'ils courraient à garder un système monétaire aussi bancal à long terme. C'était dans sa fameuse conférence sur le dollar et l'or de 1965. Malheureusement à l'époque le général était conseillé par le néolibéral Jacques Rueff qui l'a induit en erreur en lui conseillant un retour à l'or comme étalon international ce qui n'avait aucune chance d'advenir. Il rapatria l'or français contre ses dollars ce qui peut-être sera à l'origine de la rupture de 1971 où les USA décideront alors de rendre le dollar inconvertible, leur assurant ainsi une émission monétaire théoriquement infinie.

 

Rappelons qu'en théorie la valeur des monnaies est associée à l’équilibre de la balance des paiements. Cet équilibre est lié à la capacité d'une nation à pourvoir à ses propres besoins ou du moins à être capable d'échanger à l'échelle internationale des biens, des services et des capitaux à la hauteur de ses importations. Lorsqu’une nation a des déficits, la valeur de sa monnaie décroît parce qu'elle est moins demandée. À l'inverse une monnaie se réévalue lorsqu'un pays accumule des excédents. En règle générale, ce système régule le commerce puisque les dévaluations rendent plus compétitifs et les réévaluations moins compétitifs. Mais cela c'est la théorie, en pratique il y avait aussi des quotas et des droits de douane pour réguler le commerce, mais tout change dans les années 70 sous la pression des USA engluée dans un début de déclin industriel face aux Européens et aux Japonais à l'époque. La dérégulation financière et commerciale à partie des années 70 va considérablement dérégler les systèmes économiques nationaux et l'on va voir apparaître des déséquilibres massifs qui n'existaient pas lorsque la monnaie internationale était encore accolée à l'or. Les USA en particulier vont se mettre à accumuler de façon croissante des déséquilibres extérieurs sans que cela n'ait apparemment d'effet sur la valeur du dollar.

 

Le déficit commercial américain a longtemps été présenté comme un signe de dynamisme, ou de plus grande capacité à consommer, sans que les économistes se questionnent sur sa possibilité existentielle. En effet, n'importe quel autre pays croulant sous les déficits connaît généralement des ajustements monétaires et parfois très violents, entraînant inflation et changement de structure économique interne. Les USA non. Ils sont en déficit depuis les années 60, et leur balance des paiements, elle, est en déficit depuis les années 80. Mais comme nous l'avons vu, le dollar est une monnaie internationale et l'essentiel des dollars circule en dehors des USA, et ce depuis longtemps. C'est cette déconnexion qui permet aux USA de faire des plans de relance sans se soucier vraiment des déficits extérieurs. Toute proportion gardée, la France fait de même avec l'euro même si nous avons aujourd'hui des conséquences. C'est le reste du monde qui paie en réalité l'inflation américaine et cette situation beaucoup de pays ne l'acceptent plus. D'autant que les USA ont depuis quelques années utilisé l'extraterritorialité de leur droit à travers l'usage du dollar contraignant les entreprises étrangères utilisant des dollars à se soumettre à leur droit. Ce qui est clairement un abus du statut monétaire du dollar.

 

C'est pour ces raisons que nous nous retrouvons aujourd'hui avec cette réaction des BRICS qui cherchent une alternative à l'ordre américain qui a aujourd'hui du plomb dans l'aile. D'une part parce que les USA ne sont plus la puissance industrielle qu'ils ont été. Ce qui réduit leur légitimité à détenir la monnaie internationale, mais aussi parce qu'ils ont largement abusé des avantages que cela leur donnait. Ils ne sont pas les premiers à chercher une solution. Les Européens l'avaient fait avant eux dès les années 70. Le SME (système monétaire européen) était une tentative pour sortir de l'imposition du dollar. Malheureusement, cette stratégie a été dévoyée par la suite sous l'influence des européistes dogmatiques, particulièrement français, qui ont voulu faire de la CEE une nation au lieu d'en faire un lieu de coopération interétatique. Le résultat fut l'euro, une erreur stratégique monumentale dont nous payons lourdement le prix aujourd'hui, en particulier en France. Les BRICS ne veulent pas faire la même erreur et il ne s'agit pas pour eux de faire une monnaie unique internationale, mais une monnaie commune. C'est-à-dire ce qu'aurait dû être l'euro si des idéologues n'avaient pas voulu utiliser une monnaie pour fabriquer une nation artificielle. Il s'agit d'un retour à l'idée de Bancor de Keynes, un panier monétaire de plusieurs nations au prorata du poids de chacune des nations. Rien ne dire pour l'instant si l'initiative sera couronnée de succès, mais cela semble aller dans le sens de l'intérêt de la planète, les USA ayant largement failli comme tuteur de l'économie mondiale. Reste à savoir si les Européens auront la sagesse d'abandonner leur atlantisme pour profiter de cette évolution à fin de retrouver leur indépendance.

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commentaires

L
Et puisque l'on est dans le champ monétaire que pensez-vous encore de la proposition de Jean-Claude Werrebrouck d'utiliser la monnaie digitale pour créer un euro parallèle, avec une certaine étanchéité entre les deux monnaies (d'après ce que j'ai compris, JCW est quand même dur à suivre pour les béotiens) ce qui permettrait de ralentir le niveau d'endettement tout en redonnant une marge de manœuvre à la production nationale tout en posant un problème aux intégristes de l'euro (ceux qu'il appelle les faucons) . <br /> <br /> http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/10/trancher-le-noeud-gordien-de-l-euro-pour-reconstruire-la-france.html<br /> <br /> Je trouve aussi sa réflexion finale très intéressante, même si elle me semble vouée à l'échec dans le contexte géopolitique actuel de par les forces qui bloquent toute solution purement économique au marasme européen.<br /> <br /> [... Il est au final la solution à la grande contradiction historique au cœur d’une culture française : celle de l’articulation du fonctionnement des marchés politiques d’une part, à celle des marchés économiques, d’autre part. De façon quasiment pluriséculaire, le fonctionnement des marchés politiques - animé autour de la sacralité de l’Etat- élargit le périmètre de l’Etat-Providence, tandis que celui des marchés économiques tend à le comprimer. Historiquement, la contradiction était levée par la dévaluation externe régulièrement répétée (Quatrième République et une bonne partie de la cinquième, marquée à sa naissance par 2 dévaluations massives). <br /> L’euro vient interdire ce mode de régulation et le fonctionnement contradictoire des deux marchés se solde dans l’attrition de la production, la dégradation des services publics, et la fuite vers une dette à élargissement continu. Le « mode de vie français » - sous le régime de la monnaie unique- débouche mécaniquement sur un étranglement des entreprises et une dette abyssale. La solution de monnaie parallèle numérique réintroduirait le premier type de régulation avec le retour de la « production », la fin de la « dette », et l’acceptation de la « culture française ».]
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Y
« Et puisque l'on est dans le champ monétaire que pensez-vous encore de la proposition de Jean-Claude Werrebrouck d'utiliser la monnaie digitale pour créer un euro parallèle, avec une certaine étanchéité entre les deux monnaies (d'après ce que j'ai compris, JCW est quand même dur à suivre pour les béotiens) ce qui permettrait de ralentir le niveau d'endettement tout en redonnant une marge de manœuvre à la production nationale tout en posant un problème aux intégristes de l'euro (ceux qu'il appelle les faucons) . »<br /> <br /> C'est une réflexion théorique, et en théorie il y a plein de solutions au problème de l'euro. On pourrait même imaginer reconnaître l'erreur de la monnaie unique pour transformer l'euro en monnaie commune. Malheureusement sur le plan politique c'est autre chose. Je pense que politiquement il n'y a rien à attendre de la bureaucratie européenne ou de nos dirigeants. Soit l'euro continue et nous mourrons tous, soit il implose. Les changements sur des bases rationnelles nécessiteraient des élites et des capacités de flexibilité intellectuelles dont nos « élites » sont aujourd'hui totalement dépourvues. On l'a bien vu avec l'affaire ukrainienne, nos dirigeants sont tout sauf pragmatiques et rationnels. On ira, je pense, inéluctablement vers des mouvements violents et des chocs.
L
Je porte à votre attention ce texte très intéressant à plus d'un titre puisqu'il renvoie finalement au vôtre, même si je sais que vous n'aimez pas trop le site qui l'a mis en ligne. <br /> <br /> https://lesakerfrancophone.fr/lunion-europeenne-un-coup-detat-neoliberal<br /> <br /> Il est intéressant car il a été produit par un homme de gauche qui décrit et explique en toute honnêteté pourquoi la majorité de la gauche européenne s'est aveuglée complètement sur l'Union Européenne. <br /> <br /> Principalement, si l'on résume, parce qu'elle a pensé naïvement que le moment était venu de réaliser le saut démocratique de l'échelon national à l'échelon international par le biais purement technique dans leur tête du supranational, ce piège qui a changé les meilleures intentions en monstre antidémocratique.<br /> Car pendant que la gauche rêvait à ses chimères, la caste capitaliste, effrayée par le pouvoir qu'avaient pris les partis et les syndicats au début des années soixante-dix, avançait méticuleusement ses pions au contraire pour faire du graal européen une forteresse étanche contre les démocraties nationales.<br /> <br /> Ce suicide volontaire de la gauche (et ses trahisons) tient à mon avis à son obsession pour la paix et l'on ne rappelera jamais assez combien le projet américain de L'UE s'est nourri au niveau des peuples du traumatisme des deux guerres mondiales. <br /> Toute l'astuce de la propagande européiste a été d'en rejeter l'entière responsabilité sur le fait national et l'on mesure aujourd'hui l'étendue de la supercherie à l'heure où les manœuvres de Mme Von der Leyen et des intérêts qu'elle représente tendent à faire exclusivement de l'UE une machine de guerre américaine contre la Russie.<br /> <br /> Le mécanisme de la métamorphose en est d'ailleurs intéressant (le texte ne le dit pas) puisqu'il consiste en fait à reporter sur la commission européenne (et au détriment du conseil de l'Europe) toutes les anciennes attributions de l'Otan.<br /> Cela au passage pour tous ceux qui s'illusionnent avec les critiques de Donald Trump sur l'Otan, puisque de toute façon celle-ci survivra plus que jamais à la botte des américains à travers l'UE et cela aux frais des Européens de l'ouest (en plus le hiatus créé par la Turquie d'Erdogan au sein de l'Otan sera ainsi réglé).<br /> Ce texte répond en fait à l'ultime interrogation que vous posez à la fin du vôtre.<br /> <br /> "Reste à savoir si les Européens auront la sagesse d'abandonner leur atlantisme pour profiter de cette évolution afin de retrouver leur indépendance."<br /> <br /> À long terme peut-être, mais à court terme il n'est plus question de sagesse mais de rapport de force brute, et il n'est pour l'instant pas favorable aux sages.<br /> <br /> 2)<br /> <br /> Un autre texte pour moi remarquable, toujours sur le même site (c'est vrai qu'il n'en propose pas souvent de cette intérêt) par un témoin et acteur des grandes manœuvres financières (et guerrières) de l'occident sous la Russie d'Eltsine et qui nous renvoie à ce que Jacques Sapir entre autre avait déjà écrit sur le sujet. <br /> <br /> https://lesakerfrancophone.fr/voici-comment-les-neoconservateurs-ont-subverti-la-stabilisation-financiere-de-la-russie-au-debut-des-annees-1990
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Y
« Je porte à votre attention ce texte très intéressant à plus d'un titre puisqu'il renvoie finalement au vôtre, même si je sais que vous n'aimez pas trop le site qui l'a mis en ligne. »<br /> <br /> Je lis même les gens avec qui je ne suis pas d'accord. <br /> <br /> « Ce suicide volontaire de la gauche (et ses trahisons) tient à mon avis à son obsession pour la paix et l'on ne rappelera jamais assez combien le projet américain de L'UE s'est nourri au niveau des peuples du traumatisme des deux guerres mondiales. »<br /> <br /> Il tient aussi au fait que la structure électorale de la gauche a changé. La baisse du poids des ouvriers lié au départ aux gains de productivité pendant les trente glorieuses et l'augmentation des emplois tertiaires a sans doute fortement joué dans ce changement de vision. Le fait que nos élites de droite ou de gauche aient réellement cru à une société sans usine est à mon avis en partie le fruit de cette évolution sociologique. <br /> <br /> « À long terme peut-être, mais à court terme il n'est plus question de sagesse mais de rapport de force brute, et il n'est pour l'instant pas favorable aux sages. »<br /> <br /> Je le crains aussi.