Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
C'est donc lancé, les USA reviennent à leur traditionnelle politique protectionniste. Je dis traditionnel, parce que j'aime bien rappeler que les USA ont été le pays le plus protectionniste du monde sur le plan des droits de douane entre la fin de la guerre de Sécession et 1945. Un protectionnisme tarifaire qui s'ajoutait au protectionnisme naturel dont bénéficiait le pays. En effet, l'éloignement géographique au 19e siècle augmentait significativement le coût de l'import-export. Et c'est sous ce protectionnisme que les USA eurent en définitive leur âge d'or puisque c'est cette époque qui fit leur immense fortune et leur développement ultrarapide. Il faut dire qu'à côté de ça les USA bénéficiaient d'investissements massifs venant d'Europe ainsi que d'une croissance démographique naturelle la plus forte d'occident. Le suicide collectif du continent européen avec les deux guerres mondiales finira par asseoir leur domination dont nous sortons aujourd'hui même si l'Europe continue à faire comme si rien ne changeait à l'échelle mondiale.
Le protectionnisme n'est donc pas une rupture avec l'histoire américaine, mais plutôt un retour aux sources. Le problème c'est que les USA de 2025 ne sont plus les USA de 1850, et le monde non plus. Il n'y a plus la riche Europe en pleine croissance démographique qui pouvait alimenter la machinerie de la croissance US par ses capitaux et ses hommes. Les USA ne peuvent plus maintenant compter que sur eux même pour alimenter leur développement et leur natalité est devenue dramatiquement basse. Mais ce retour du protectionnisme américain aussi maladroit soit il a au moins le mérite de relégitimer un outil qui a longtemps été utilisé par les pays occidentaux. Ils l'ont simplement oublié plus ou moins volontairement. Nous l'utilisions encore il n'y a pas si longtemps pourtant que ce soit le tarif extérieur commun européen qui était à 30% ou que ce soit par d'innombrables quotas en volume qui limitaient les importations venant d'en dehors de la CEE de l'époque.
Le retour de la politique en économie
En fait ce que traduit ce retour du protectionnisme c'est avant tout l'échec de la dérégulation macroéconomique qui a commencé dans les années 70. Les problèmes provoqués par cette dérégulation en grande partie idéologique ont longtemps été camouflés sous les immenses accroissements des déséquilibres mondiaux et la dette des nations qui enflait en parallèle. Car ce n'est pas un hasard si les dettes dans les pays développés ont explosé à partir justement de cette dérégulation. Cela traduisait l'impossibilité du système déréguler à consommer tout ce qui était produit. Cette insuffisance de la demande chronique ne fut compensée que par les inventions, et interventions, comptables de plus en plus délirantes de l'occident et en particulier des USA. Et il est plus que symbolique de voir que le retour « officiel » des politiques protectionnistes aux USA coïncide avec les excédents commerciaux record de la Chine qui se montent maintenant à 1000Md$. Les deux phénomènes sont bien évidemment liés, rappelons d'ailleurs que la Chine elle même a un immense problème de déflation interne. La globalisation ne fonctionne plus, ou plutôt elle n'a jamais vraiment fonctionné, mais on n'a plus les moyens de faire semblant de la faire fonctionner. Telle est la véritable raison de la montée du protectionnisme aux USA.
Le protectionnisme contraire au libre-échange n'est pas une politique qui peut vivre sa vie toute seule. En gros, si l'on peut être stupidement libre-échangiste, on ne peut pas être stupidement pour le protectionnisme. Le protectionnisme nécessite une connaissance de la réalité pratique de l'économie nationale. Une connaissance des capacités de production, des contraintes naturelles, humaines et techniques. En gros pour faire du protectionnisme il faut sortir des positions grotesquement caricaturales propres aux communicants actuels qui font semblant de faire de la politique à coup de buzz, et commencer à mettre les mains dans le cambouis et à ouvrir des livres techniques et scientifiques laborieux. Il y a d'ailleurs sans doute dans la complexité des politiques industrielles volontaire l'un des fondements du succès du libéralisme moderne chez nos élites. C'est en effet beaucoup moins fatigant de pratiquer le laissez-faire que de produire une politique industrielle interventionniste à la De Gaulle avec des quotas, des subventions et tout un tas de politique s’imbriquant les unes dans les autres. On peut aussi voir la période néolibérale qui a commencé dans les années 70 comme un avachissement des élites tant sur le plan intellectuel que sur le plan politique. En laissant faire l'économie semblait marcher toute seule moyennant quelques dettes supplémentaires. Pourquoi donc se casser la tête à faire de vraies politiques économiques ?
Je ne peux m’empêcher de penser que le « jouir sans entrave » des années 70 à un lien quelque part avec cet avachissement de nos élites. Et leur libéralisme n'était sans doute en partie que la justification de cette jouissance sans contrainte. On voulait le pouvoir, les avantages qu'il donnait en termes de qualité de vie, mais certainement pas les responsabilités qui allaient avec. Quelque part, le libre-échange, le laissez-faire et même l'UE étaient un peu la continuité de l'esprit 68 et du « après moi, le déluge ». Quoiqu'il en soit nous arrivons à la fin de cette période puisque les temps difficiles nous ont rattrapés, conséquence de ce laissez-faire maintenant quinquagénaire.
On ne fait pas n'importe quoi avec le protectionnisme
Comme je l'ai dit, faire du protectionnisme nécessite d'avoir des objectifs clairs. Il est d'ailleurs à mon avis contre-productif de vouloir tout faire en même temps. Et certains secteurs doivent avoir la priorité en fonction des objectifs que l'on se donne. Les effets secondaires du protectionnisme doivent aussi être pris en compte, ce dont semble prendre conscience Trump qui a admis que les Américains devraient payer un certain prix à ce protectionnisme nouveau. Les droits de douane directement mis à haut niveau sans précaution dans des secteurs où l'on est très dépendant des importations se traduisent inéluctablement par de l'inflation. Dans les secteurs où l'on est fortement dépendant des importations, il est donc important de prendre son temps. Ainsi plutôt que de monter les droits de douane à 25% d'un seul coup, mieux vaut les faire progresser par tranche annuelle. Par exemple en augmentant les droits de douane de 5% par an pendant 5 ans. Cela minimise l'impact du protectionnisme sur les prix à court terme tout en obligeant les industriels à relocaliser leurs productions avant que les droits de douane ne soient trop forts pour être compétitifs sur leur marché.
Une fois une production nationale en place, il serait à mon avis plus intéressant de remplacer progressivement ces droits de douane par des quotas en volume totalement insensibles aux variations du taux de change contrairement aux droits de douane. C'est d'ailleurs ce que préconisait notre ancien prix Nobel d'économie Maurice Allais. Les quotas sont faciles à contrôler et très simples à mettre en place pour peu que l'on ait le personnel douanier pour le faire bien évidemment. On pourrait ainsi considérer que dans chaque domaine de production, la France doit au moins couvrir 80% de sa consommation, laissant 20% pour la concurrence étrangère. Cela laisse le pays ouvert aux innovations étrangères tout en permettant quand même aux producteurs nationaux de vivre et de s'adapter. Comme le disait Keynes, il est important de prendre le temps de réorienter une économie. C'est quelque chose de difficile, et qui nécessite du temps. Du temps pour investir dans les modes de production. Il faut aussi du temps pour former le personnel. Et il faut aussi du temps pour simplement que les acteurs économiques se réorganisent dans l'ensemble. Toute précipitation ne peut que produire des phénomènes de forte inflation sur certains produits ou tout simplement de pénurie. La crise du COVID que nous avons connu il y a peu à montrer comment les ruptures brutales dans les chaînes d’approvisionnement pouvaient produire comme mécanisme de pénurie et d'inflation.La période COVID fut comme une immense mise en place momentanée de barrière douanière et de quotas anarchiques. Si nous voulons éviter des drames, il est donc impératif de prendre en compte la temporalité d'une réindustrialisation sous peine d'avoir des contrecoups politiques violents.