Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
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Comme l'a souligné une série de propos de Jacques Sapir sur la plateforme X, il semble qu'enfin quelques langues se délient sur la question de l'euro dans les grands médias. Il serait grand temps, me direz-vous, avec raison. C'est que le projet européiste aujourd'hui vieillissant n'a tout simplement jamais été analysé de façon rationnelle par nos dirigeants pour savoir si en fin de compte le jeu en valait la chandelle. Il n'y a eu aucune estimation sérieuse de faite sur les effets de l'Acte Unique européen qui date de 1986, sur les effets du franc fort pour préparer justement la monnaie unique, ou en encore sur l'ancien système monétaire européen, le SME. Et bien évidemment encore moins d'estimation des effets de l'euro. Alors il y a eu des études faites par des économistes indépendants bien évidemment.
La plus récente est l'estimation de l'économiste Alexandre Lohmann qui donne un coût pour la France de l'euro de 40000€ par français environ. Il fait une estimation de la progression du PIB français si la France n'avait pas été dans l'euro en se référent à l'évolution d'autres pays similaire. Alors on pourrait remarquer que le problème pour la France ne commence pas avec l'euro. En effet comme j'ai coutume de le rappeler, le franc fort avait déjà bien cassé notre économie. Et le Franc fort ce n'était rien d'autre que l'alignement du taux de change français sur celui de l'Allemagne. Autant dire qu'il s'agissait de casser la possibilité pour les industriels français de profiter d'un taux de change plus favorable. C'est d'ailleurs cette incongruité macroéconomique et monétaire qui permettra la célèbre attaque monétaire contre les monnaies européennes du début des années 90. Un événement aujourd'hui oublié, mais qui a défrayé la chronique à l'époque.
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En effet, la banque de France et la bundesbank dépensèrent des milliards pour maintenir le SME et la parité entre le franc et le deutsche mark. Les marchés furent dubitatifs, mais ils s'inclinèrent devant la déraison des hommes politiques français qui préféraient voir l'industrie française couler plutôt que de dévaluer leur monnaie ce que firent par contre la Grande-Bretagne et l'Italie qui connurent d'ailleurs des taux de croissance largement supérieure aux nôtres les deux années qui suivirent. De cet événement absurde qui prédisait déjà le futur désastre de l'euro pour la France, ne sont restées que peu de choses si ce n'est l'immense fortune d'un énergumène nuisible en la personne de George Soros. Oui, la fortune de Georges Soros fut faite en grande partie grâce à la spéculation de l'époque provoquée par les imbécillités monétaires des dirigeants français et européens.
Ce que nos dirigeants n'avaient pas compris à l'époque, et n'ont d'ailleurs probablement toujours pas compris aujourd'hui, c'est que la variation monétaire était en réalité une nécessité dans un régime économique qui libéralisait à la fois, les frontières commerciales et financières. La nature fortement disparate des économies, des démographies, de la géographie des peuples de la planète ne pouvait en aucun cas fonctionner sans des mécanismes de rééquilibrage des balances commerciales et des balances des paiements. Au sortir du système monétaire du dollar basé sur l'or en 1971, la décision de déréguler la finance et le commerce mondial a été accompagnée d'une décision de régulation par les taux de change, eux même produits par le marché des changes. Ce fut un choix éminemment politique fait sous la pression des USA. En réalité, rien ne nous obligeait réellement à suivre le train néolibéral de la dérégulation, mais c'était à la mode économique. La France de Giscard était puissante et très indépendante sur le plan militaire contrairement à nos voisins. Ce fut vraiment le choix de nos politiciens, un choix idéologique avant tout. D'autant que les économistes français étaient passablement représentés dans la cohorte des idéologues néolibéraux de l'époque.
Le néolibéralisme fut autant français qu'anglais ou américain en réalité, même si certains pensent encore que la France est rongée par son horrible intelligentsia communiste. Le tournant libéral des socialistes français fut en réalité bien préparé et je pense personnellement que c'était le véritable but de Mitterrand dès le départ. Il n'y a pas eu d'accident, mais une stratégie délibérée visant à mettre en place le tournant libéral en décrédibilisant toute autre forme de politique économique. Et cela pour faire l'Europe qui était le grand projet de nos élites de plus en plus apatrides. Quoiqu'il en soit, le fait est que dans un système où les capitaux et les marchandises peuvent se déplacer sans limites le seul mécanisme qui permet encore de réguler le commerce c'est la variation des taux de change. Évidemment c'est une régulation plus violente, et moins maîtrisable que les droits de douane ou les quotas, mais c'est mieux que rien du tout.
La contradiction des élites françaises et européennes fut à la fois de vouloir le cadre néolibéral, celui qui consiste à déréguler la circulation des capitaux et des marchandises, tout en voulant conserver la stabilité monétaire qui pouvait exister dans l'ancien système de Bretton Woods qui avait régulé l'économie de 1945 à 1971. On peut dire en quelque sorte que la création de l'euro fut finalement l'aboutissement de cette contradiction logique. Voilà une monnaie artificielle qui colle ensemble des pays avec d'immenses différences en matière d'inflation, de croissance démographique ou simplement de fonctionnement sociaux, mais qui interdit également toute possibilité de régulation du commerce par les frontières. Ce faisant la seule solution pour chaque pays devient l'attrition interne. C'est ce dont nous parlions dans un texte précédent. L'UE ayant structurellement bloqué toute possibilité d'adaptation macroéconomique aux changements dans les rapports de force commerciaux, il ne reste plus que le chômage et la baisse de la demande interne comme mécanisme d'adaptation.
Ce faisant, on explique ainsi facilement la très faible croissance européenne depuis 40 ans et particulièrement depuis l'euro. Chaque pays est obligé de restreindre sa demande interne pour ne pas se retrouver en déficit. On notera d'ailleurs que les pays de l'UE qui s'en sortent le mieux sont comme par hasard ceux qui ont le moins de contraintes macroéconomiques à commencer par ceux qui ne sont pas dans l'euro comme la Suède ou la Pologne. Si nos élites avaient réellement réfléchi à la question d'une monnaie unique, elles auraient dû remettre justement en question la libre circulation des capitaux et des marchandises. Pour que l'euro fût fonctionnel, il aurait au moins fallu réguler le commerce interne de la zone et empêcher la concurrence fiscale. Mais le projet européen ayant dès le départ des objectifs contradictoires et étant en pratique soutenu par des puissances d'argent aux intérêts essentiellement privés, le projet ne pouvait que finir ainsi en produisant une paralysie généralisée du continent.
Cependant si la sortie de l'euro nous fera échapper à une paralysie générale de l'économie française, cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faille pas chercher à échapper au cadre néolibéral construit depuis les années 70. La dévaluation est une nécessité dans ce cadre là et à court terme. Mais chercher à rétablir des frontières commerciales et des frontières sur les capitaux devrait être l'étape suivante. Tout comme la reconstruction d'un système financier purement national. Détricoter le néolibéralisme prendra de toute manière au moins une génération, plus vite nous commencerons, et plus vite ce sera fait.