Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 22:02

      Il y a un argument qui est souvent employé sur la question du chômage de masse et sur lequel, il est, je crois, important de revenir c'est la question des gains de productivité et du progrès technologique.  C'est une question qui revient sans cesse et qui est souvent employée pour justifier un certain fatalisme concernant le chômage de masse. Car faire appel aux gains de productivité pour expliquer le sous-emploi est aussi un moyen commode d'ignorer la question du libre-échange, ainsi que celle de la répartition des richesses et du rapport entre le capital et le travail. La réalité triviale c'est que le sous-emploi est fabriqué par les choix économiques et non par les gains de productivité eux-mêmes.  Ces derniers ne sont en fait qu'une contrainte, si je puis dire, ils peuvent être bénéfiques ou nuisibles suivant l'usage que l'on en fait. Accuser le progrès technique aujourd'hui d'être responsable de la misère est tout simplement stupide puisqu'en réalité le progrès technique est constant depuis deux siècles. Les gains de productivité étaient même nettement plus rapides après guerre grâce à la généralisation du modèle fordiste. Mais il faut aussi se méfier de ce que l'on nomme la productivité comme je l'explique par la suite ce terme est abusivement utilisé par les économistes.

 

L'évolution industrielle française 

 

  Si l'on regarde l'évolution de la production française depuis 1955 on constate bien qu'il y a deux périodes l'une avant 1974 et l'autre située après. On voit bien le phénomène des trente glorieuses ainsi appelé par Jean Fourastié, économiste français qui avait mis en avant le fait que seuls les gains de productivité créaient une vraie hausse du niveau de vie le reste n'étant qu'affaire de répartition et d'intendance.

 

Production industrielle

      La production industrielle française n'a eu de cesse de gonfler entre 1955 et 1974 passants de 24% à 70% de l'indice de base de 2005. C'est presque une multiplication par trois de la production industrielle sur une période de seulement 19 ans, or à l'heure actuelle l'indice est tombé à 88.6% de l'indice de 2005, ce qui veut dire qu'entre 1974 et 2010 la production industrielle n'a augmenté que de 18.6%, la période a pourtant duré 36 ans... Bien évidemment, la population française entre temps a ralenti fortement sa progression, limitant la demande, on peut également considérer qu'il y a au bout d'un moment saturation d'un marché faisant frein à l'augmentation de la production. Cependant si l'on regarde le taux de chômage français et la progression de la misère dans le pays, on constate qu'il y a un problème puisque manifestement les besoins de toute la population ne sont pas remplis. Le ralentissement de la production est donc probablement plus dû à une trop faible demande provenant d'un manque de rémunération et d'emploi que d'un problème de saturation du marché intérieur. Le marché serait saturé si tous les besoins étaient remplis et si la misère n'existait plus ce n'est pas le cas que je sache. 

 

Venons en maintenant à la question de l'emploi industriel qui est au coeur de notre sujet du jour. On voit ici aussi la rupture de 1974, elle est même bien nette ici, le nombre d'emplois industriels  baisse à partir de 1974. Je n'ai pas mis les chiffres ici, mais si l'on parle en pourcentage la chute est encore plus spectaculaire puisque la France avait plus d'un tiers de sa main-d'oeuvre dans l'industrie dans les années 70 alors qu'elle en représente moins de 14% aujourd'hui. 

 

Evolution_emploi_industriel1.jpg

 

      Alors on peut se poser effectivement la question fatale : n'est-ce pas la hausse des gains de productivité qui explique cette baisse du taux d'emploi dans l'industrie? Eh bien oui et non, en fait les gains de productivité font que la même quantité d'emploi peut produire plus de choses, en moins de temps. Maintenant, on peut utiliser ces gains de productivité de différentes manières soit on travail moins en produisant autant de choses, ce qui au globale fait que la quantité d'emploi reste la même. Soit l'on augmente la production ce qui permet de maintenir le même nombre d'emplois malgré la hausse de la productivité. Soit enfin, on ne fait rien, et de plus en plus de salariés sont mis au chômage.  On entre alors dans un cycle infernal conduisant à une hausse du chômage qui grandit et nourrit un sous-investissement qui s'autoalimente c'est la fameuse dépression. L'Europe et la France y sont en plein dedans depuis trente ans, mais font semblant d'en être sortie, il est vrai que l'endettement privé et public ont pu un temps faire illusion.

 

  On comprendra facilement en juxtaposant le premier graphique avec le second que le choix fait par la France depuis trente ans est de maintenir un niveau de production stagnant ce qui mécaniquement produit une baisse de la quantité d'emplois industriels chaque année.  C'est la faible demande qui explique le chômage et non les gains de productivité, ces derniers sont une chance ou une malédiction suivant l'usage que l'on en fait. Ce sont bien les politiques restrictives sur la demande qui produisent le chômage. Par la contrition salariale, par le libre-échange et les politiques malthusiennes nous condamnons une part de plus en plus grande de notre population au chômage et à la précarité.

 

L'illusion comptable de la productivité

 

    Il faut maintenant éviter une erreur courante, celle qui donne à la situation actuelle son côté brumeux en matière de compréhension du réel. Les gains de productivités que nous affichons dans les  calculs économétriques sont le résultat de plusieurs données discutables. Tout d'abord les économistes calculent souvent la productivité en divisant la valeur produite par le nombre d'heures de travail nécessaire à la production de cette valeur. Ainsi souvent lorsque l'on parle de productivité du travail, on se retrouve avec un calcul économétrique du type PIB divisé par le nombre d'heure travaillée. Cependant, on voit tout de suite l'absurdité de la chose, ce calcul inclut les services et les bulles immobilières par exemple. On ne peut pas comparer la productivité d'un ouvrier avec celle d'un coiffeur par exemple cela n'a aucun sens c'est pourtant ce que signifie ce calcul de productivité globale. Tout ceci n'a pas grand-chose avoir avec la productivité réelle du travail, celle qui est produite par l'amélioration technique et qui a permis l'élévation du niveau de vie depuis la guerre.  De toute façon, la notion de productivité est une notion industriel et technique l'appliqué ailleurs que dans ce cadre relève plus de l'idéologie que d'une pratique rationnelle. Quelle est donc la productivité d'un médecin ou d'un pompier? Ou d'un énarque?

 

    Plus grave encore la mondialisation a complètement faussé les données en matière de productivité. En effet, là où malgré les approximations on avait un calcul de la productivité relativement proche du réel quand nos économies étaient  autosuffisantes,  on a désormais un échange de productivité comptable. Car en important des marchandises d'un autre pays vous importez aussi quelque part sa productivité, c'est un point important qui est malheureusement totalement ignoré de la plupart des économistes qui manipulent des chiffres sans vraiment remettre en question ce qu'ils signifient réellement. Certes, des critiques se font sur le PIB, mais rares sont ceux qui vont plus loin. Les mesures économétriques que nous utilisons couramment ont d'ailleurs été conçues à une époque ou les nations étaient beaucoup moins impriquées et où les monnaies étaient relativement stables à cause de l'étalon or. Ce n'est plus du tout le cas de nos jours. Un pays qui voit son PIB s'effondrer par rapport à une baisse monétaire a-t-il pour autant vu sa productivité physique baisser? La réponse est non, rien n'a changé, si ce n'est sont rapport aux autres nations en matière commerciale. En 2009 le PIB du Japon a fortement reculé, cela signifie-t-il pour autant que la productivité des japonais a alors baissé? Est-ce que les ouvriers japonais  se sont mis à travailler au ralenti ou que les robots ont roullié? Il faut bien voir les limites de la représentation du réel que ce sont les chiffres économiques, sinon on passe à côté de l'essentiel et l'on se retrouve à dire que la France est l'un des pays les plus productifs du monde alors qu'elle se vide de ses usines, ce qui est un paradoxe. En effet pourquoi un pays aussi productif perd-il des usines?  C'est valable aussi pour les USA.

 

  Cet état de fait rend difficile la mesure de la productivité réelle, par productivité réelle j'entends celle qui améliore physiquement la vitesse ou l'efficacité de la production, et non celle qui sort d'un calcul de comptabilité. Car la productivité comptable inclus automatique le fruit du travail importé. D'ailleurs n'est-il pas étonnant de voir que la productivité française n'a fait que croitre depuis vingt ans alors que dans le même temps des usines étaient délocalisées et les importations ont explosé en valeur et en volume. Si l'on se fit aux chiffres de la productivité le Luxembourg est le pays le plus productif d'Europe. Mais que produit donc  le Luxembourg? Le mot même de productivité est un piège qui cache en réalité des rapports de force entre nations, la valeur du travail de certains étant largement sous-évaluée pendant que d'autres au contraire voient leur valeur de production surestimée pour des raisons plus géopolitiques ou historiques qu'économiques. Une bonne part des gains de productivité enregistrés en France en Europe et aux USA depuis les débuts  de la mondialisation néolibérales ne sont ainsi que le fruit de la productivité importé de Chine, là où on produit des choses. La sous-rémunération d travail chinois a ainsi depuis quelques décennies fait croire aux occidentaux qu'ils connaissaient une croissance de leur productivité plus rapide qu'en réalité. La vérité c'est que nos nations ont fermé beaucoup de lieux de production et qu'il est maintenant bien difficile d'acheter un ordinateur, une télévision ou une machine à laver fabriquée en France ou même en Allemagne. Il suffit de faire ses courses pour s'en rendre compte. 

 

  Le mot productivité quand il est employé par des économistes est donc fortement teinté d'approximations et de mensonges.  Et même les déficits commerciaux que nos nations enregistrent sous-estiment le degré de notre dépendance à l'égard de la production asiatique. Nous ne prendrons vraiment la mesure de notre déclin que lorsque nous ne pourrons plus importer, soit parce que notre monnaie s'effondrera, soit parce qu'il y aura un effort pour réindustrialiser notre pays à travers des politiques protectionnistes,ce qui est de toute façon inéluctable  à long terme.

 

Balance-comm.png

 

graphique1_t.jpgDonc comme nous l'avons vue les gains de productivités, mêmes lorsqu'ils sont réelles, ne sont pas directement à l'orgine du chômage. Ils le deviennent parce que les pouvoirs publics laissent faire le marché. On sait que les deux seules solutions au problème du sous-emploi produit par les gains de productivité sont la baisse du temps de travail ou la hausse de la consommation. Dans les deux cas les pouvoirs publics français n'ont pas réellement agi pour freiner les effets des gains de productivité. Et là où il aurait fallu augmenter notre rythme de croissance nous l'avons au contraire freiné. Mais il y a un deuxième facteur bien plus  grave à prendre en compte, nous avons détruit notre tissu industriel. L'indice de la production que j'ai mis en premier graphique est d'ailleurs trompeur, parce qu'il se base sur la valeur des marchandises et cache l'effondrement quantitatif. L'industrie la plus emblématique en la matière est l'industre automobile, car malgré les gains de productivité les usines sont délocalisées. On voit bien dans le cas de l'automobile que ce ne sont pas les gains de productivité qui sont responsable de la perte d'emploi en réalité c'est même l'inverse. Ce sont les industries qui ont connu les plus forts gains de productivité qui partent en dernier du territoire national. Il est donc complètement faux de présenter la productivité comme responsable du chômage à l'heure actuelle en France.

 

  Le seul moyen de rétablir le taux de chômage à son niveau normal c'est-à-dire en dessous de 2% est de relocaliser les activités tout en relançant la demande de façon à ce que le niveau de consommation permette un plein usage des capacités de production. Certains objecteront à cela les limites physique de notre monde pour des raisons énergétiques et de matières premières, mais c'est un autre débat. Chaque chose en sont temps, la priorité de la France actuelle devrait être de se doter à nouveau d'une industrie seule chose qui puisse permettre à notre économie de reprendre des couleurs et une certaines autonomie. Il faut cesser aussi de taper sur le progrès technique systématiquement, il a bon dos et c'est un bouc émissaire facile qui évite de parler des responsables bien humains qui adoptent des politiques idiotes en matière slariale ou de dépense d'investissement. La rpoductivité n'y est pour rien si nous préférons laisser des gens mendier plutôt que de leur donner l'occasion de réussir leur vie, et par là d'enrichir la notre et celle de la société tout entière.

Partager cet article
Repost0

commentaires

R
<br /> <br /> @ Yann<br /> <br /> <br /> Merci pour ces rappels tout à fait salutaires …<br /> <br /> <br /> Néanmoins, je reste un peu sur ma faim car il me semble que l’on ne se pose pas assez la question de ce qu’on entend par "emploi" et "travail" et même production et croissance. Le mot "emploi"<br /> renferme tout un tas de choses complètement différentes qui vont de caissier chez Prisunic à Trader chez BNP Paribas en passant par tout un de postes dont la diversité n’a rien à envier à celle<br /> de la nature. Comment peut-on vraiment raisonner en mélangeant dans un même concept, autant de choses différentes ?  Lorsque l’on cherche à développer l’emploi, que<br /> cherche-t-on à faire ? Augmenter le nombre de caissier ou de traders ? De même, si j’ai bien compris, nous avons vu se développer une catégorie de gens que l’on appelle les travailleurs<br /> pauvres. Et il y a aussi toutes les activités qui, officiellement ne créent pas d’emplois salariés, mais qui sont pourtant indispensables au bon fonctionnement de nos sociétés.<br /> <br /> <br /> Ce que j’essaye de dire c’est qu’il faudrait vraiment que le concept d’emploi soit complété par le type d’emploi incluant une notion de qualité afin que l’on puisse affiner l’analyse.<br /> <br /> <br /> Même si je partage ton point de vue sur le fait que la notion de productivité est tout à fait relative, on ne peut nier que le progrès technique, en automatisant un certain nombre de tâches, a<br /> supprimé un certain nombre de métiers et d’emplois. Il n’ y a plus de poinçonneur aux Lilas !   Certes, d’autres métiers sont apparus mais au final, y<br /> –a-t-il eu une augmentation des emplois ?<br /> <br /> <br /> Bref, je ne suis pas sûr d’être très clair et il y aurait beaucoup de choses à dire. Pour conclure, je pense pour tout un tas de raisons  que, comme l’a écrit A.J. Holbecq dans<br /> son dernier bouquin, « l’emploi tel qu’il est considéré aujourd’hui , a un avenir très compromis » et qu’il faut vraiment que nous pensions hors du cadre pour imaginer le monde de<br /> demain.  <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
V
<br /> <br /> pour la question de la productivité des énarques, j'ai la réponse : zéro absolu !<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> @samuel_<br /> <br /> <br /> Je n'ai pas été assez précis votre remarque me le fait comprendre. En vérité si la production des marchandises importées n'entre évidement pas dans le calcul de notre PIB, il ne faut pas oulbier<br /> les intermédiaires. Ces derniers peuvent représenter jusqu'à 90% du prix final d'une marchandise, or ces intermédiaires sont souvent en France magasin de vente, marketing,  embalage et les<br /> multiples transports ou site internet pour commander etc... Un produit importé à donc un effet de stimulation de la croissance qui entre dans les comptes du PIB national. Il y a donc bien au<br /> final une importation de la productivité du pays qui a produit ces marchandises à travers les gains que les intermédiaires ont gagné au passage. C'est d'ailleurs le bas côut de ces marchandises<br /> importées qui permet la survit de ces intermédiaires en surnombre dans nos pays.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> @ A-J Holbecq<br /> <br /> <br /> Merci je l'avais déjà lu.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Maurice Allais note la rupture de 1974 et l'explique ainsi<br /> <br /> <br /> En fait, une seule cause peut et doit être considérée comme le facteur majeur et déterminant des différences constatées entre les deux périodes 1950-1974 et<br /> 1974-1996 : la politique à partir de 1974 de libéralisation mondialiste des échanges extérieurs de l’Organisation de Bruxelles dont les effets ont été aggravés par la dislocation du<br /> système monétaire international et l’instauration généralisée du système des taux de change flottants.<br /> <br /> <br /> http://osonsallais.wordpress.com/2010/10/13/allais-la-rupture-de-1974/<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
S
<br /> <br />  Dans votre texte je lis encore des choses très justes, auxquelles je n'avais pas pensé, mais pour une fois je décèle aussi une petite erreur de raisonnement, donc je me fais le plaisir de<br /> vous la signaler .<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  Vous dites que la hausse de la productivité est parfois importée, car le PIB incluerait les importations, or vous savez bien que le PIB est une mesure de la production d'un pays, et non de<br /> sa consommation, il inclut les exportations mais pas les importations.<br /> <br /> <br />   Par contre vous avez raison de dire que la valeur du PIB est perturbée, tant que par PIB vous entendez PIB en valeur, c'est à dire valeur marchande de la production. Car la valeur<br /> marchande de la production, mesurée dans une unité de mesure internationale comme le dollar, dépend des taux de change, qui eux-mêmes dépendent des rapports de force entre nations, ou de leurs<br /> choix de politique monétaire. La productivité en valeur, celle mesurée à partir du PIB en valeur, dépend donc aussi de ces rapports de force entre nations.<br /> <br /> <br />  Par contre encore, si par PIB, vous entendez le PIB en volume, c'est à dire le volume réel de la production (dont le FMI donne une mesure pour chaque nation), alors celui-ci ne<br /> dépend plus des rapports de force entre nations, ni de leurs choix de politique monétaire. La productivité en volume, mesurée à partir du PIB en volume, ne dépend donc pas non plus de ces choses<br /> là.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  Ensuite pareil pour les balances commerciales, si vous mesurez la valeur des biens échangés alors votre balance commerciale dépend des rapports de force entre nations et de leurs politiques<br /> monétaires. Et si vous mesurez le volume des biens échangés alors votre résultat ne dépend plus des rapports de force entre nations ni de leurs politques monétaires.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre