L'on voit poindre ces derniers temps des textes qui lient la faiblesse de la croissance à la seule question démographique. C'est particulièrement vrai sur le site lesakerfrancophone.fr que personnellement je n'apprécie guère pour plusieurs raisons. Il n'est pas ici question de faire le procès de ce site qui après tout ne fait que donner son opinion sur divers sujets qui concernent les questions économiques ou politiques comme je le fais moi même. Mais il faut cependant bien voir que ce site tire ses analyses de la version américaine, qui elle-même est une représentante du courant libertarien américain. Un courant de pensée pour lequel je n'ai guère d’appétence et qui par certains côtés s'avère encore plus dogmatique et réactionnaire que les néolibéraux . Il faut bien voir que le courant libertarien voue par exemple un culte à l'écrivaine Ayn Rand qui était quasi explicitement une darwiniste sociale. Les pauvres sont pauvres parce qu'ils le méritent et il est anormal de faire une politique d'éducation publique. L'éducation devant être réservée aux gens supérieurs qui ont les bons gènes. Je crois important de rappeler ce qu'est le courant libertarien tant je vois l'influence qu'il commence à exercer chez certains de mes compatriotes surtout chez les prétendus nationalistes. Le darwinisme social ou l'eugénisme sont, je crois, particulièrement étrangers à la culture française et j'aimerais bien que cela le reste à titre personnel. Le mythe du marché totalement dérégulé qui fonctionne tout seul comme par magie grâce à la sainte loi de l'offre et de la demande atteint chez les libertariens des sommets d'absurdité.
Il arrive bien sûr aux libertariens de dire des choses raisonnables et vraies parfois bien évidemment, mais c'est souvent pour de mauvaises raisons. Il paraît que cela arrive même à Macron de temps en temps. Je me bornerais donc ici rapidement de répondre à la question que ce texte des Saker sur le lien entre la croissance et la démographie. Pour l'auteur de ce texte, Chris Hamilton, la fin du monde arrive donc en 2020. Pardon, je voulais dire la fin de la croissance de la population chez les pays qui consomment le plus et donc la fin de la croissance économique tout court. C'est ma foi aller un peu vite en besogne et grandement simplifier le rapport entre la démographie et le développement économique qui n'est pas si simple qu'un produit en croix puisse le résoudre. Tout d'abord, le premier économiste moderne à vraiment avoir abordé le sujet de façon sérieuse fut Keynes, grand ennemi des libertariens et des apôtres du libéralisme. Il faut relire sa Lettre à nos petits-enfants qui résume ce lien entre la démographie et le progrès économique. Si la croissance économique est effectivement en partie le fruit de la croissance de la population, elle est aussi le fruit des gains de productivité et de la hausse du revenu qu'ils permettent. Au demeurant, monsieur Hamilton fait dans son texte une preuve de son adhésion à l'idéologie libertarienne par cette formule : « Penser qu’une plus grande productivité ou l’innovation peut créer une plus grande activité économique n’a pas de sens dans un contexte de dépeuplement. Les diminutions indéfinies du nombre de consommateurs par opposition aux augmentations indéfinies de la capacité ne font que créer une surcapacité et une déflation toujours plus grandes. » En lisant cette phrase, je me suis demandé si l'auteur comprenait bien le sujet dont il traite.
Ce monsieur nous explique en gros que le progrès technique n'améliore pas la richesse globale. C'est d'une bêtise sidérante si je puis me permettre. En réalité, c'est seulement la hausse de la productivité du travail qui permet l'amélioration du niveau de vie. Il y a ici une confusion entre la croissance globale qui inclut l'effet croissance démographique et l'effet hausse des salaires avec celle de la productivité et le seul effet de la croissance démographique. Or comprenons-nous bien, la seule croissance intéressante c'est la croissance produite par la hausse de la productivité et le progrès technique. Doubler le PIB du pays en doublant sa population ne fait pas de votre pays un pays plus riche par tête . Le niveau de vie reste exactement le même. Certes, vous êtes plus gros et vous pouvez jouer les gros bras avec vos voisins, mais vous n'êtes pas plus riche. Par contre, maintenez donc votre PIB en diminuant de 20 % votre population et votre PIB par tête aura augmenté de 25 % CQFD. Évidemment tout ceci n'est pas aussi simple. Il est vrai que les investisseurs anticipent l'évolution du marché pour faire leurs investissements. Et dans un pays avec une tendance déclinante sur le plan démographique, ils auront naturellement tendance à diminuer leurs investissements. Mais c'est là qu'il faut bien comprendre la Macroéconomie et les propos de Keynes sur la question qui reste toujours infiniment plus intéressante que les divagations libérales sur le marché libre.
Quand Keynes écrit son texte « Quelques conséquences d'un déclin de la population », il s'intéressait sur les effets à long terme d'une baisse de la population sur le comportement macroéconomique général. Loin de faire un mauvais procès à Malthus, il en a fait un certain éloge rappelant d'ailleurs que Malthus n'avait pas seulement critiqué la croissance trop rapide de la population, il a également à la fin de sa vie reconnu qu'un déclin démographique pouvait être tout aussi redoutable. Comme beaucoup de choses en ce bas monde il vaut mieux choisir la voie de la modération, ce n'est pas un hasard si mon blog s'appelle le bon dosage après tout. Pour Keynes la croissance démographique ce n'était pas forcément quelque chose de souhaitable. Il pensait même qu'une légère baisse pouvait permettre d'améliorer plus rapidement les conditions de vie de la population sans pour autant tomber sur des natalités extrêmes comme certains fous nous le proposent chez les écologistes extrémistes. Mais cette amélioration du niveau de vie par la légère baisse de la population n'est possible que si certaines conditions sont réunies. Et ces conditions ne sont justement pas remplies dans le cadre du laissez-faire libéral justement. D'où probablement l'inquiétude de notre ami libertarien qui vient de s’apercevoir que le déclin démographique condamne définitivement le libre marché et ses dogmes.
En effet la croissance économique produite par la hausse permanente de la population permet au marché libre de se réguler d'une certaine façon par le simple effet de redressement que constitue l'augmentation permanente de la demande par la hausse de la population. Dans ce cadre optimiste sur le plan démographique même si le marché fait n'importe quoi comme à son habitude ses craquements seront finalement corrigés par la hausse de la demande produite par l'effet démographique. Même si les salaires et les investissements baissent sur une période postérieure à un craquement de bulle l'effet démographique permettra au marché de se redresser naturellement. Bien sûr, on ignore ici la catastrophe que représente pour des millions de personnes le fait de perdre leurs emplois et de mourir de faim, mais l'on se place du côté de l'idéologue libéral et darwiniste. L'important c'est que finalement le marché se remet à fonctionner grâce à la béquille démographique. Or que se passe-t-il si cette béquille disparaît ? C'est simple, le marché ne remonte jamais. Pire que ça, les entrepreneurs nourrissent la dépression en réduisant leurs investissements et en licenciant. C'est la fameuse formule de Keynes "Demain nous serons tous morts". On notera tout de même que même avec sa béquille démographique le marché fonctionne extrêmement mal en produisant d'énormes gaspillages, des inégalités, sans parler du chômage structurel. Les USA des années 30 avaient beau avoir une forte croissance de la population, l'économie n'a réellement redémarré qu'avec le New Deal, puis la guerre qui permit politiquement à Roosevelt de faire des plans de relance à la mesure de la crise de surproduction.
Plus la démographique chancelle, moins il faut d'inégalités.
L'on voit donc que la croissance démographique n'est pas la panacée universelle que décrit notre économiste libertarien ici. Et puis rappelons que l'Afrique a une croissance économique relativement faible alors que sa démographie est galopante ce qui explique d'ailleurs en grande partie la situation déplorable du continent. La Croissance par tête n'augmente pas assez vite pour sortir le continent du sous-développement. J'avais parlé du lien entre développement et croissance démographique dans un texte en 2017 d'ailleurs. Pour en revenir à notre sujet, l'on voit bien que le déclin démographique est un problème pour une économie fondée sur le marché libre et dérégulé. Enfin si tant est que l'on puisse penser qu'un tel modèle économique fonctionne réellement . Je rappelle comme je l'ai dit dans un précédent texte que le monde magique de l'économie autorégulé n'a fonctionné en apparence depuis quarante ans que grâce aux endettements publics, privés et à l'accumulation de dettes extérieures de certains pays. Si de tels endettements n'avaient pas existé, la crise des années 70 aurait fabriqué la plus longue dépression de l'histoire. La situation actuelle est donc un retour à ce tournant des années 70 qui n'avait en fait aucun rapport apparent avec la démographie puisque les pays développés de cette époque étaient encore avec une croissance démographique importante. C'est avant tout par idéologie que l'occident s'est suicidé pour le dogme du marché libre.
Quoi qu'il en soit l'effet dépressionnaire du déclin démographique est évident, mais comment le combattre ? Et bien c'est simple, pour éviter de voir la demande s'effondrer il faut augmenter la consommation par tête pour compenser la baisse du nombre d'habitants. Et pour augmenter la consommation par tête, il faut augmenter en partie les salaires. C'est-ce qu'avait bien compris Keynes, lorsqu'il prévoyait qu'à terme, le déclin démographique couplé à l'économie régulée d'après-guerre, condamnerait à mort les rentiers. Et c'est probablement ce changement dans le rapport de force entre salariés et rentiers provoqué par le changement démographique qui a favorisé en partie la globalisation. L’occident utilisant l’expansion démographique du reste du monde pour empêcher une redistribution trop favorable aux salariés contre les intérêts des rentiers. On a là peut-être le motif principal de la globalisation des années 80-90 dont on paie le prix aujourd'hui. Alors vous allez me dire pourquoi donc seulement augmenter les salaires? En augmentant les revenus des plus riches, on augmente aussi la demande non ? Et bien l'expérience montre que la propension à consommer est d'autant plus forte que vous êtes pauvres. Plus vous êtes riches et plus vous épargnez une part importante de vos revenus. Au point que distribuer de l'argent aux milliardaires revient directement à augmenter l'épargne du pays, ou l'évasion fiscale dans un régime de libre circulation des capitaux . D'où ce que l'on doit penser des imbéciles qui croient relancer la demande en diminuant les impôts des plus riches n'est-ce pas Emmanuel ? Évidemment cette nouvelle épargne n'est pas investie puisque la demande est faible. Comme la demande pilote l'investissement, croire qu'on va relancer la croissance en augmentant l'épargne des plus riches est simplement stupide. Il faudrait être idiot pour investir quand on ne voit pas comment cet investissement pourrait nous rapporter de l'argent. Donc ce lien entre le niveau de consommation et le niveau de richesse est assez logique en fait. Même en supposant que les appétits des humains puissent être sans fin un riche ne mangera jamais deux steaks lorsqu'un seul lui suffit à se rassasier même si ce steak est d'extrême qualité et très coûteux.
L'on voit donc que d'un point de vue technique pour compenser la baisse de la demande provoquée par la contraction de la population il faut augmenter les bas salaires et réduire les inégalités du pays. Faire une politique de grands travaux pourrait aussi être imaginable, mais ce n'est valable que pour les pays moins avancés et ayant un gros besoin d'infrastructures, pas pour les pays avancés. C'est formidable non ? Pour résoudre notre problème économique, il faut donc faire en sorte que nos pays soient moins durs avec les plus faibles. C'est formidable, mais c'est aussi terrifiant à la fois. Parce que ces quarante dernières années l'occident et les pays développés on fait exactement le choix inverse avec la mondialisation. L'exemple le plus frappant est le Japon qui a continué à participer à la globalisation en tirant ses salaires vers le bas ce qui explique en grande partie sa faible demande et sa déflation aggravant par la même sa situation démographique. En effet, les jeunes Japonais n'ont pas les moyens de fonder une famille pour une grande partie d'entre eux. Beaucoup de jeunes très diplômés ont des salaires de misère à 800 euros par mois. Et cela en travaillant très dur avec des heures invraisemblables. Le Japon est l'un des pays de l'OCDE où le coefficient de Gini s'est le plus dégradé depuis les années 90 . Il n'y a pas de mystère dans la faiblesse de la natalité nippone. C'est d'autant plus grave que le pays a un système scolaire totalement privé et très coûteux.
Le seul moyen d'affronter la crise démographique sera donc de mettre fin à l'idéologie du libre marché . Le libre-échange qui tire les salaires vers le bas aggrave considérablement la crise en empêchant justement une redistribution de la rente vers le travail. En prenant un tournant franchement inégalitaire, l'occident ne s'est absolument pas préparé à la crise démographique. Bien au contraire, il a optimisé ses chances de fabriquer une très grande récession et une déprésession en ce sens je rejoins l'auteur libertarien sur les conséquences. Mais des solutions existent. Bien évidemment l'on ne saurait également ignorer que la méthode keynésienne n'a de sens que pour une démographie raisonnablement en baisse. Une natalité comme celle de Hong Kong à 1 enfant par femme rend impossible tout politique économique raisonnable. Comme je l'ai dit précédemment, il faut garder à l'esprit qu'il faut un certain sens de la mesure. Un pays connaissant un tel déclin démographique doit tout mettre en œuvre pour relancer sa natalité et revenir au moins à 1,7 1,8 enfant par femme. Limite basse d'une gestion économique raisonnable à terme. Une démographie à un enfant par femme ou moins condamne à la disparition pure et simple du pays en quelques générations seulement. On est plus là sur une question économique.