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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

L'écologie et le rationnement

 

Jean-Marc Jancovici s'est encore fait remarquer dernièrement dans un interview de Léa Salamé en mettant la question de l'épuisement des ressources sur la table. On peut ne pas être d'accord sur les chiffres de Jancovici et la question des proportions tout en soulignant le fait qu'il est quand même l'un des rares intervenants publics assez connus mettant sur la table cette question essentielle de l'épuisement des ressources. En cela, il est indéniablement précieux au débat public qui ignore de façon assez étrange cette question pour tout ramener au sempiternel réchauffement climatique, qui est pourtant un sujet tout à fait discutable sur le plan scientifique . Tout se passe comme si la transition énergétique dans le débat écologique moderne ne tournait qu'autour de la limitation des gaz à effet de serre alors que la véritable question qui pointe est celle de l'épuisement des ressources que nous utilisons pourtant quotidiennement . Avec bien sûr la question de l'épuisement de l'énergie fossile à sa tête.

 

La production de gaz de schiste et de pétrole non conventionnel aux USA qui a momentanément résolu le problème énergétique aux USA a aussi, semble-t-il, enterré un peu trop vite la question de l'épuisement des ressources. Les USA qui n'ont, semble-t-il, aucune espèce d'inquiétude sur la situation de leur environnement ont vite exploité le filon. Un filon qui a quand même causé des dégâts environnementaux très importants sans vraiment résoudre la question énergétique à long terme, ils ont tout juste gagné quelques années. Pour ce qui est de l'Europe, la question est par contre déjà là, à cause bien évidemment de la rupture avec la Russie. L'effondrement de l'URSS avait en quelque sorte donné du temps supplémentaire à nos sociétés non seulement parce que nous avons eu les ressources russes à disposition une fois le régime communiste tombé. Mais aussi parce que cette chute a cassé l'économie de l'Est et la réduction du niveau de vie local a aussi réduit leur consommation énergétique donnant quelques années de répit sur les questions énergétiques. Le malheur des Russes ayant momentanément fait le bonheur des Européens.

 

Mais pour l'Europe cette période est terminée. La stratégie américaine qui a voulu utiliser l'Ukraine pour séparer l'Allemagne de la Russie a aujourd'hui fonctionné. Et faute de producteur de substitution à la hauteur de la Russie, le continent européen va probablement être la première région du monde à être frappé par la chute du fossile. Il faut cependant bien comprendre que cette crise était inhérente au modèle de développement que nous avons choisi depuis le 19e siècle. De nombreux auteurs se sont demandé depuis longtemps ce qui arriverait à nos sociétés si elles se retrouvaient à court d'énergie fossile, à commencer par le célèbre sociologue Max Weber mort en 1920 qui y voyait un désastre à long terme. J'ai souvent parlé des alternatives potentielles scientifiques et techniques, mais il ne faut pas se leurrer, le pétrole, le gaz et le charbon étaient vraiment des énergies avantageuses. S'en passer sera difficile, long et peut-être à jamais impossible dans la totalité des applications qu'ils avaient rendues possibles. S'il faut évidemment faire d'énormes efforts de recherche et d'investissement dans les alternatives, il faut aussi préparer la population à la problématique. En cela, préparer la question de la réduction de la consommation et des implications que cela exige est d'une très grande importance. Même si cela ne plaît pas, nous aurons peut-être momentanément, espérons-le, à réduire une partie de notre niveau de vie. Et la façon dont nous le ferons dépendra aussi de la vision de la société dans laquelle nous voulons vivre.

 

L'écologie bourgeoise.

 

Jancovici a donc bien mis en avant cet épuisement et a choqué la journaliste lorsqu'il a été question de réduire le transport par avion à seulement quatre fois dans une vie. La journaliste en bonne bourgeoise globaliste s'en est offusqué n'imaginant pas sa voie sans voyage. Je rappellerai ici qu'en fait une bonne partie des Français vivent déjà sans voyager . En réalité, l'avion n'a jamais été aussi démocratisé que la voiture. Moins de la moitié des Français est déjà parti à l'étranger et cela ne va pas s'arranger à long terme. Rappelons comme le montre cette étude de l'Insee que la capacité à voyager est directement proportionnelle à vos revenus, ce qui est tout à fait logique. Ce que Léa Salamé redoute de nombreux français le vit déjà, et certes c'est pas forcément très joyeux, mais ce n'est pas non plus la fin du monde. La grande majorité de nos ancêtres ne voyageait pas et ils n'en étaient pas forcément amoindris ou pauvres en monde. Certains d'entre eux avaient probablement plus d'ouverture d'esprit et d'intérêt pour les cultures étrangères, que bon nombre de jet-setter, fan de fiesta sur les plages d’Acapulco.

Là où le débat devient intéressant, c'est sur la question fondamentale de l'effort d'adaptation à la rareté . Si notre président s'est fait le défenseur de la société de sobriété et de la fin de l'abondance, ce qui est indubitablement vrai, il n'a, semble-t-il, pas bien compris que la fin de l'abondance serait pour tout le monde ou ne serait pas. Car ce n'est pas en serrant la ceinture à ceux qui vivent déjà dans la précarité énergétique et économique qu'on réduira notre consommation énergétique. Et c'est bien là que la société de marché, celle qui ne se régule que par la « loi » de l'offre et de la demande trouve ses limites . Jancovici a bien fait d'attaquer cette question en posant bien le problème de savoir si l'on régule par le prix ou par la quantité. Et il est indéniable que nos écologistes en herbes et leurs soutiens politiques n'ont d'yeux que pour la régulation par le prix qui leur évitera le moindre effort personnel sur le plan énergétique et sur le plan de la consommation.

 

Ne nous y trompons pas, il s'agit bien ici d'une redite de la lutte des classes avec comme fond le partage du fardeau de l'épuisement des ressources énergétiques. Le problème est que cette fois la bourgeoisie aura bien du mal à tout faire porter aux seules classes sociales inférieures, car la bourgeoisie représente la majeure partie de la consommation énergétique du pays . Si l'avion n'est pas nécessairement en lui-même très énergivore au km, les gens qui le prennent vont souvent assez loin. La question n'est pas tant l'efficience des moyens de transport employé que le fait qu'ils sont très souvent utilisés, à l'image des jets privés de nos milliardaires ou des paquebots de luxe. Des études récentes ont montré comme on pouvait s'y attendre que les très riches consomment beaucoup plus d'énergie que les pauvres même si les gens aisés ont accès à des technologies plus efficaces sur le plan énergétique. Les gains liés à l'efficacité énergétique étant largement écrasés par leur mode de vie très dispendieux. Avoir une maison très bien isolée ne compensera jamais le fait que vous partiez de l'autre côté de la planète en avion.

 

Mais face à cette réalité pratique, la bourgeoisie botte en touche et offre des solutions toujours inéquitables. Il s'agit toujours d'une régulation par les prix et le marché. Pour réduire la consommation, augmentons les prix, sous-entendus, réduisons la consommation des plus pauvres, nous on peut payer. Et cela Jancovici l'a bien compris et le dit . Il se fait d'ailleurs traiter de communiste en réclamant plutôt une régulation par les quantités . Pourtant on rappellera qu'après guerre il y eut en France une longue période de pénurie et que celle-ci n'a pas été gérée par le marché (heureusement sinon il y aurait eu beaucoup de morts), mais par les tickets de rationnement. Les tickets de rationnement d'après guerre ont duré de 1945 à 1949, quatre années tout de même. Et si l'on est passé par cette solution ce n'était pas par communisme, mais par simple pragmatisme empirique. Une solution par le marché aurait été inefficace et grandement inégalitaire. Mais il est vrai que la mentalité de la population d'alors était un peu moins gavée à l'idéologie libérale que celle d'aujourd'hui.

 

Cette question du rationnement et de la planification, que cela nous plaise ou non , finira par se poser. Que l'on trouve que cela est une atteinte à la liberté n'a aucune espèce d'importance. Si vous laissez le marché et la « liberté » décider, vous finirez par avoir de grandes injustices qui produiront elles-mêmes de grands conflits. Alors que le FMI commence à menacer la France pour sa gestion économique, et que l'effondrement financier du pays s'approche, cette question reviendra sans doute dans les prochaines années, que ce soit pour les questions énergétiques, ou pour des questions économiques pratiques. Le marché et la loi de l'offre et de la demande sont hautement limités et ne peuvent exister réellement quand dans un monde où la question de la rareté est en fait déjà résolue. Lorsque la misère revient et que la survie même d'une population est en jeu, la question du marché n'a plus de sens. Ce que je vais dire choquera sans doute, mais la liberté individuelle a ses limites. Si la survie du groupe est en jeu, elle passe au second plan.

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