Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
La France se retrouve aujourd'hui dans une situation très difficile avec Mayotte. L'opération Wuambushu qui vise à expulser un grand nombre de clandestins provenant des Comores provoque un tollé chez les adorateurs de la libre circulation des personnes. Mais en même temps l'explosion de la délinquance et ce qu'il faut bien appeler l'invasion démographique de l’île par les Comoriens, engendre une colère et des inquiétudes légitimes chez les Mahorais. Je ne vais pas ici discourir sur la question de Mayotte. Je ne suis guère au fait de toutes les complexités du problème. Il faut quand même admettre que de faire de ce territoire un département français était probablement une belle bêtise. D'autant que d'après l'ONU, Mayotte appartient bien aux Comores. Mais c'est un débat qui est hors de propos par rapport au sujet de ce petit texte. Concernant la crise à Mayotte à proprement parler, je vous invite à voir cette courte vidéo de Jean Michel Salomon sur la situation, c'est assez bien résumé. La question de mon texte est de comprendre rapidement pourquoi ce territoire, ainsi que ceux des autres territoires d'outremer, est à ce point sous-développé bien qu'étant théoriquement français. Certes depuis quelques années l'état fait des efforts pour développer le territoire, mais cela donne une vague impression d'une répétition des politiques économiques coloniale tel qu'elles ont pu exister autrefois. Loin de valoriser un développement autonome et une vraie croissance, la France a créé sans vraiment le vouloir un rapport de dépendance entre le territoire de Mayotte et la métropole.
Et cette question ne concerne d'ailleurs pas que Mayotte, ni même uniquement les DOM-TOM si l'on y réfléchit bien. C'est un problème qui est lié à la fois aux croyances françaises, à un certain manque de pragmatisme. Les Français sont un peuple profondément attaché à l'idée d'égalité. Cette idée est si profondément encrée dans la tête des Français. Cet attachement est d'ordre anthropologique si l'on adhère aux théories d'Emmanuel Todd qui a quand même bien démontré la chose dans ses nombreuses œuvres. Et en de nombreux domaines, l'égalité est une bonne chose. Vouloir que les enfants aient tous les mêmes chances à l'école est une bonne chose. Vouloir limiter l'explosion des inégalités économiques est à mon sens aussi une bonne chose. Mais bien souvent cette appétence pour l'égalité va conduire les Français à faire des bêtises et même à mal appliquer leurs propres principes. Et le cas des DOM-TOM est à ce sens tout à fait parlant. Nous avons ici des territoires très disparates, aux besoins et aux capacités variées. Les DOM-TOM ont des contraintes, des géographies et même parfois des démographiques très différentes du reste du territoire national. L'on conviendra alors assez facilement que le fait de les traiter de la même manière avec les mêmes lois et les mêmes contraintes que le reste du pays produisent des effets parfois très délétères.
Car l'esprit d'égalité des Français a en réalité souvent accru la divergence économique entre ces territoires et la métropole. C'est l'un des paradoxes dont nous parlerons ensuite sur les questions monétaires. Un système fortement égalitaire dans une situation de fortes inégalités peut produire en réalité un creusement profond des inégalités. Et c'est particulièrement vrai dans la situation française elle-même engoncé dans l'euro, l'UE et la globalisation. En entrant dans la globalisation, la France a détruit en quelque sorte la spécialisation de ces régions. Elles pourraient fournir nombre de produits exotiques, mais notre choix macro-économique en a décidé autrement. Nous préférons importer des bananes de la République dominicaine et nous importons l'essentiel de notre café alors que nous pourrions le produire dans les DOM-TOM. De fait si la globalisation a fortement détruit le tissu économique de la métropole dans les territoires d'outremer, ce fut l'hécatombe. Alors l'état a évidemment compensé par les aides comme à son habitude, esprit égalitaire oblige. Mais c'est un coût déraisonnable et ce n'est à mon avis pas très gratifiant pour les habitants de ces territoires qui préféreraient certainement vivre de leurs activités économiques. Leurs territoires étant simplement transformés en lieu de consommation financé par le contribuable. Il suffit de regarder rapidement la différence de chômage entre la métropole et les DOM pour voir l'énorme problème. Alors vous me direz qu’ils n'ont qu'à s'installer en métropole, mais je vous répondrais alors à quoi sert donc le fait de détenir ces territoires si nous n'en faisons rien.
Les effets des unifications monétaires
Il y a de nombreux problèmes liés à ces territoires. Le fait d'être une île par exemple augmente mécaniquement les prix locaux des importations. Les infrastructures coûtent plus cher, etc. Mais le principal handicap est le fonctionnement monétaire. Les DOM-TOM jadis utilisaient le franc ce qui en soi était déjà en partie un problème, mais maintenant ils utilisent l'euro. Or s'il est déjà absolument absurde de donner la même monnaie à un parisien, et à un allemand, ou à un grec, cela devient rocambolesque avec les habitants des DOM-TOM. Vous mettez des territoires sans industrie vivant essentiellement de l'exportation de produits exotiques et du tourisme avec la même monnaie que la première puissance industrielle de l'Europe de l'ouest. Et tout cela sans aucune protection aux frontières et avec une libre circulation des capitaux. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin le désastre économique de l'outremer. Rajoutons à cela le fait que la transition démographique dans ces territoires a été plus tardive, ce qui veut dire que la population est plus jeune et qu'elle aurait besoin d'une politique monétaire extensive, plus que la métropole, et, beaucoup beaucoup plus que le reste de la zone euro en état de mort démographique. En l'état, avoir une démographie plus dynamique est structurellement un handicap quand on partage la même monnaie qu'un continent de vieillards. C'est déjà le cas pour la métropole, mais cela devient encore plus criant dans les territoires d'outremer.
Alors évidemment les étatistes français vous diront qu'on peut corriger avec de gros investissements publics. Mais l'expérience montre qu'en générale les unifications monétaires de territoire très disparates ont toujours tendance à concentrer les richesses là où c'est plus commode de produire ou de vendre. Et la zone euro ne fait pas exception, pas plus que le franc avant elle. Ces unifications font des territoires gagnants et des territoires perdants. L'exemple le plus simple est celui de l'Italie. Ce pays n'a été unifié qu'en 1870 après un périple d'une dizaine d'années. Avant l'unification la plupart des républiques indépendantes de la péninsule avaient leurs propres monnaies. L'unification politique va être complétée par une unification monétaire de l'Italie et les dégâts vont rapidement se faire sentir. Le sud moins industriel va rapidement péricliter au profit du nord et va devenir le fameux mezzogiorno italien. Un territoire nettement plus pauvre que le nord. L'Allemagne qui s'est unifiée un peu à la même époque va choisir une voie différente et faire converger les économies des länder avant de faire l'unification monétaire, ce qui donnera une richesse mieux répartie. Cette réalité allemande va cependant être cassée par la coupure d'après-guerre. Et les Allemands qui avaient réussi une unification monétaire harmonieuse ont malheureusement fait la même erreur que l'Italie avec l'Allemagne de l'Est qui sera économiquement lessivée par l'unification monétaire. La région ne s'en est toujours pas remise.
On le voit dans ces quelques exemples, la monnaie est quelque chose d'extrêmement important pour le développement d'un territoire. Avant l'euro les territoires des DOM-TOM avaient déjà une monnaie inadaptée à leurs besoins avec le franc. Mais la préférence nationale et une politique protectionniste auraient pu compenser cela. Avec l'euro cumulé au libre-échange total, c'est la catastrophe. Acheter et produire localement devient impossible et les territoires d'outremer deviennent de simple lieu de consommation nourri à la dette française. Ils ne peuvent même pas profiter du tourisme, car les territoires locaux non affiliés à la France a et à l'euro s'avèrent bien moins chère grâce à des monnaies moins fortes. La question des territoires d'outremer, si elle peut paraître détachée des questions économiques du pays en général, est donc en fait totalement liée aux problèmes de notre pays. En renonçant à sa souveraineté politique, économique et monétaire, la France a également rendu impossible la gestion de ces territoires en voie de perdition. Ils sont en quelque sorte un miroir grossissant de tous les dégâts que l'eurolibéralisme a produit depuis quarante ans sur notre territoire. Et indubitablement, le destin des DOM-TOM est lié au nôtre, on pourrait même dire que par certains aspects il préfigure celui de la métropole en voie de devenir les DOM-TOM de l'Allemagne.