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1 mai 2023 1 01 /05 /mai /2023 16:01

 

S'il y a bien une question que nos hommes politiques ne se posent jamais tant ils sont devenus automates ou robots suivant la définition qu'on en donne, c'est bien celle du sens de leur action. Appliquant des « réformes » dont ils ne connaissent généralement ni les tenants ni les aboutissants, ils ne cherchent même plus à donner du sens à leur action. La crise actuelle provoquée par le Macronisme n'est qu'une conséquence à long terme de cette transformation progressive de l’action publique en un étalage de solutions préconçues essentiellement libérales et jamais réfléchie en fonction des circonstances ou de la réalité de terrain. Au-delà même des questions économiques, il faudrait pourtant sérieusement réfléchir à cette simple question que j'ai mise en titre de ce modeste texte « Dans quelle société voulons-nous vivre ? ». C'est cette question qui devrait précéder toute forme de réforme ou d'action. Car l'action sans le sens ne mène qu'à une voie sans issue. Ce comportement politique digne des chiens de Pavlov conduit inéluctablement notre civilisation et notre nation au désastre.

 

J'en veux pour preuve un simple exemple la Corée du Sud. Voilà une nation au firmament de l'industrie mondiale, un exemple de la réussite dans la globalisation . J'objecterais ici le fait que ce pays a construit sa réussite sous une massive action nationale et protectionniste. La Corée du Sud fut un énième exemple de la réussite d'une économie de marché sous la direction d'un état fort et interventionniste. Mais mon propos n'est pas de parler vraiment de cette réussite, mais plutôt de sa situation sociale et démographique. Alors que ce pays semble tout réussir, voilà que sa natalité tombe au niveau du plus faible de la planète. Une situation qui risque de condamner véritablement ce peuple à l’extinction si la situation ne se redresse pas rapidement. Et dans le même temps, l'on apprend que la Corée du Sud est le pays riche avec le plus fort taux de suicide. N'est-ce pas paradoxal de voir une société objectivement malheureuse alors même que d’après les statistiques économiques elles devraient baigner dans le bonheur matérialiste? Il est évident que les théologies matérialistes, qu'elles soient libérales ou marxistes, ne peuvent en aucun cas expliquer cette situation. On pourrait y voir le fait d'un collectivisme effectivement excessif avec une pression sociale trop forte qui empêche les individus de vraiment choisir leurs vies. Tournés entièrement vers la réussite dès leur plus jeune âge, les jeunes Coréens étouffent peut-être. Mais dès lors on peut se demander s'ils ont bien choisi collectivement la société dans laquelle ils vivent. S'ils détestent à ce point leurs sociétés ne faudrait-il pas la changer de fond en comble ?

 

Et c'est bien là le problème. Nous n'avons pas choisi les politiques et les sociétés dans lesquelles nous vivons contrairement aux discours prétentieux en occident sur la démocratie. Il y a plusieurs facteurs qui guident nos sociétés, mais le désir réel des populations n'a jamais réellement pesé sur ces choix malgré les émeutes, les grèves et parfois les révoltes. Tout au plus a-t-on parfois daigné distribuer du revenu ou faire quelques concessions, mais jamais au grand jamais le sens même de la direction prise par nos sociétés n'a été remis en question. Le facteur principal qui guide nos sociétés est probablement la nécessité compétitive. La compétition entre les nations est un jeu multifactoriel se plaçant à différents niveaux économiques, géopolitiques, scientifiques, techniques, culturels, etc.. La peur du déclassement vient du fait que dans le jeu de la compétition planétaire les plus faibles finissent par se voir imposer les règles et les intérêts du plus fort. Il s'agit là d'un fait historique. L'obsession pour l'efficacité économique, pour la croissance et la technologie n'est pas essentiellement le fruit d'une volonté de progrès pour le plus grand nombre. On le voit bien aujourd'hui en occident où le progrès technique n'est plus synonyme d'un progrès systématique pour le plus grand nombre depuis maintenant près d'un demi-siècle. C'est avant tout la compétition entre puissances qui motive ce mouvement de progrès technique.

 

En Europe l'industrialisation a résulté de l'avantage comparatif de puissance que cette industrialisation produisait sur le plan économique et militaire. La France elle-même qui n'était en réalité guère enthousiaste pour l'industrialisation a fait ce choix un peu par dépit finalement. Le mouvement du romantisme ou les réactions anti-modernes sont en ce sens des preuves de cette réticence à accepter ce monde glacé de la société totalement rationalisée et organisée autour de la machine et de la recherche de la productivité à tout prix. Nous n'avions pas le choix, car c'était ça ou la colonisation par le monde germanique ou anglo-saxon. Le mouvement actuel qui entraîne le monde est toujours motivé par cette même raison. La Chine cherche à devenir très puissante pour échapper à la domination anglo-saxonne, et ce même si cette transformation au final détruit petit à petit la société chinoise et son fondement culturel,démographique et historique. On pourra bientôt dire la même chose pour l'Inde d'ailleurs. Tout se passe comme si la machinerie infernale de la modernité technique emportait toute notion de sens de la mesure, comme si nous étions collectivement prisonniers d'un mécanisme inéluctable qui a fait sortir l'homme de la marche de sa propre histoire. Nos décisions macroéconomiques et politiques ne sont plus le produit de choix raisonnés fondés sur des désirs collectifs, mais le résultat d'une pression constante de la peur de ne plus être dans le coup ou dans le sens de l'histoire tel que nous nous l'imaginons. En c'est en quelque sorte l'hybris qui nous domine, or l'hybris était le péché majeur pour les Grecques de l'antiquité.

 

Arrêtons de subir la technique et les modes techniques du moment.

 

De nombreux auteurs ont déjà longuement fait la critique de la modernité technicienne. Les plus célèbres étant Yvan Illich ou encore Jacques Ellul que je cite souvent. Tout ceci n'a rien de vraiment nouveau. Mais si ces auteurs ont souvent bien décrit les paradoxes de la modernité, il est clair que cette réalité n'a pas encore vraiment eu d'impact chez les penseurs modernes, y compris chez ceux qui s'y réfèrent pourtant souvent comme les mouvements écologistes par exemple. C'est que ces mouvements outrent le fait que leurs motivations réelles sont souvent bien éloignées de la motivation officiellement affichée, ils ne pensent pas souvent à la contrainte dont j'ai parlé précédemment. Si l'hybris est en soi condamnable, il est indéniablement vrai aussi que l'affaiblissement d'une société par des choix non directement productiviste est réel. On le voit très bien aujourd'hui avec la situation européenne dont les choix économiques suicidaires mettent son destin entre les mains d'autres puissances. Cet affaiblissement est donc en soi un problème dans une organisation mondiale qui est toujours mue par les rapports de force. La course actuelle aux IA ,qui est en grande partie le résultat d'un fantasme, mais nous y reviendront dans un autre texte, découle aussi de cette course à l’abîme du toujours plus .

 

Mais est-ce que l'articulation entre une société qui remettrait la technique à sa juste place est véritablement incompatible avec l'autonomie nationale ? Nos choix techniques par le passé motivé par l'imitation des autres puissances en avance techniquement comme les USA étaient-ils véritablement obligatoires ? Quand la France de De Gaulle se lance dans le tout voiture dans les années 50-60, l'histoire semble être écrite d'avance. Les USA étant la société qui écrit l'histoire, il nous fallait suivre le mouvement. Pour alimenter l'industrie automobile, l'état va créer et alimenter les infrastructures qui allaient avec notamment les routes et les autoroutes. Ce fut en apparence une obligation, c'était apparemment le sens de l'histoire. Pourtant à l'époque n'importe qui aurait pu souligner qu'organiser notre société autour de l'automobile, alors que nous n'avions pas de ressources naturelles en quantité suffisante pour alimenter ce mode de déplacement, revenait à nous mettre dans une situation de dépendance vis-à-vis de l'étranger extrêmement dangereuse à long terme pour l'avenir du pays. N'aurions-nous pas pu organiser notre société autour des transports en commun en gardant en même temps une proximité entre les lieux de travail et les lieux d'habitations ? Qu'avons-nous gagné à faire une société entièrement organisée autour d'un mode de transport purement individualiste qui épuise des matières premières rares à trop grande vitesse ? Vous allez me dire que cela a créé de la croissance certes, mais il s'agit là d'une hypothèse comptable. Le pays aurait tout aussi bien pu être très dynamique en choisissant une autre voie. Une voie qui ne nous aurait pas contraints à importer tant de pétrole et d'hydrocarbures.

 

Alors que notre société connaît une nouvelle crise aujourd'hui liée à sa trop grande dépendance vis-à-vis de l'étranger en matière de production et de matières premières, je tenais donc à rappeler ceci, rien n'est inéluctable. Ce qui importe au fond ce n'est pas notre capacité à produire des richesses le plus que possible. C'est de mettre en rapport nos désirs de citoyens avec l'action collective. Les désenchantements de la politique viennent à mon avis de cette déconnexion entre la capacité à choisir collectivement nos politiques et les désirs réels d'une masse importante de notre population, et cela n'est pas vrai que pour la France. Or, pour faire à nouveau des choix collectifs qui correspondent aux désirs de la population, la France doit au préalable redevenir souveraine. Mais il faut bien comprendre que cette souveraineté ne s'obtiendra pas automatiquement par un concours de productivisme ou de technologisme. Elle pourrait aussi s'incarner par certains renoncements. L'on présente par exemple régulièrement l'automobile électrique comme le substitut de la voiture thermique classique. Mais est-ce que c'est vraiment le cas ? Les voitures électriques posent d'autres problèmes en termes de matières premières, et on le sait, la Chine est la maîtresse en matière de terres rares, matériaux pourtant fondamentaux pour la production des batteries. On ne parlera pas non plus des contraintes en termes d'infrastructures ou de la nécessité d'augmenter fortement notre production d'électricité. Il y a pourtant une autre voie qu'on n'ose imaginer, celle de l'abandon progressif des véhicules individuels que l'on remplacerait par un investissement massif dans les transports en commun. Nous avions pourtant déjà connu ça à l'époque des chemins de fer. Est-ce une catastrophe ou une régression ? Peu importe si cela nous permet d'être à nouveau souverains sur notre capacité à nous mouvoir. Cela entraînerait également un changement massif sur le plan de l'organisation urbaine, mais c'est une voie qui n'est à mon sens pas à exclure.

 

Et pour revenir à la grande question que j'ai posée en titre dans quelle société les Français ont-ils envient de vivre ? Veut-on réellement ressembler aux USA à leurs millions de drogués et de prisonniers ? À leurs malheureux incapables de payer des soins parce qu'ils ont eu le malheur d'avoir un cancer et que les prix du système de santé sont devenus totalement délirants. Le français a-t-il envie de vivre comme un chinois ou un coréen à passer sa vie à trimer sans arrêt pour produire toujours plus des objets qu'il n'aurait même pas vraiment le temps d'utiliser ? Plus qu'aucun autre pays en Europe, nous savons qu'il faut travailler pour vivre et non l'inverse. Le mal-être français tient à cette conviction que chaque jour nos dominants nourris aux idéologies issues du monde protestant essaient de nous imposer un mode de vie dont nous ne voulons pas au fond. Il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de la paresse comme certains idiots à gauche, mais plutôt de faire l'économie de notre temps. De relier le lien entre l'action individuelle et collective. Le temps ce n'est pas de l'argent, le temps c'est de la vie. La vie humaine est trop courte pour être passée uniquement à produire et consommer. Il faut cultiver les amitiés, les amours, et les pensées. Et pour cela il faut du temps. C'est de cela que les pauvres coréens manquent et c'est de ça que nous manquerons de plus en plus si nous nous enfermons avec obstination à vouloir être toujours le plus riche possible et le plus rentable possible.

 

Et pour rendre à nouveau possible une société apaisée où les gens ne consacreraient plus tout leur temps à produire et consommer, il nous faut des frontières. Car une société équilibrée ne pourra jamais concurrencer une société dévorée par l'hybris de la rentabilité à court terme. Nous ne gagnerons jamais contre la Chine, l'Inde ou les USA . Il nous faut protéger nos frontières non seulement pour rendre possible à nouveau le travail de production en France, mais aussi pour rendre à nouveau la société technicienne décente. En France nous ne désirons pas être les plus efficaces ou les plus productifs, nous ne voulons simplement pas abandonner nos civilités, notre sens de la vie sociale pour un mirage d'enrichissement à court terme. Je crois que c'est avant tout cela au fond que cherchent aujourd'hui les Français, concilier à nouveau la vie moderne et technique avec leur art de vivre traditionnel. Et cette recherche d'une nouvelle harmonie se heurte violemment à l'hybris de nos dirigeants et aux contraintes du globalisme et de l'UE.

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