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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

La fin du travail ?

 

Nous sortons un peu de l'actualité immédiate pour nous poser une question simple. Le progrès technique tend depuis des décennies à faire des gains de productivité et à réduire la quantité de travail humain dans la production pour le remplacer par celui des machines avec l'aide de l'énergie. Il s'agit là d'une évidence, toute l'augmentation du niveau de vie de ces deux derniers siècles est liée en grande partie à ce phénomène. Quel que soit le modèle économique en place c'est bien ce progrès technique et organisationnel produisant des gains de productivité qui ont permis l'ascension économique récente de l'humanité. Mais comme l'avait très bien vu Keynes si l'on prolonge cette tendance arrivera un moment où la productivité sera tellement élevée que le travail humain deviendra inutile. C'est cette logique qui a nourri certains auteurs de science-fiction célèbre à commencer par Isaac Asimov et ses Robots. Une logique poussant ces auteurs à imaginer les avancées et les catastrophes qu'une telle évolution produirait sur nos sociétés et nos mœurs.

 

Les récentes actualités ont mis sous les projecteurs une technologie pourtant assez ancienne, celle des « intelligences » artificielles, qui, avec le progrès dans le domaine de la robotique, renvoie à ces questions et à ces angoisses qui peuvent alimenter souvent le débat public. Il faut dire que les scientifiques et les ingénieurs sont passés maîtres dans la formulation superfétatoire de leur création pour mieux les vendre aux investisseurs. C'est particulièrement vrai des IA actuelles qui sont en réalité des systèmes d'apprentissage. Je n'entrerais pas dans les détails, ayant une formation d'automaticien et ayant fait des réseaux de neurones numériques, il faudra que je m’attelle un de ces jours à en parler dans un texte sérieusement. Quoiqu'il en soit, ces techniques d'automatisation et de robotique ont rallumé en quelque sorte le syndrome de Frankenstein dans l'imaginaire collectif. La peur que la machine ne soit plus un outil, mais qu'elle finisse par simplement nous remplacer. Il faut dire que depuis les écrits d'Asimov la culture populaire a été fortement alimentée par ce type de discours et un imaginaire catastrophiste en la matière. Hollywood, ses Terminator et ses Robocop ayant beaucoup nuit à l'image d'un progrès technique alimentant un progrès tout court.

 

Le tournant néolibéral des années 70 a en effet réussi le prodige de déconnecter progressivement le progrès technique du progrès social. Il n'est dès lors pas très étonnant de voir une réticence massive en occident à ces nouvelles technologies alors qu'il y a un énorme engouement en Asie et particulièrement en Chine. Un pays où il y a toujours cette association entre progrès technologique et social même si la crise de la demande qui commence à gonfler le chômage dont nous avions parlé dans un autre texte risque de gripper la machine dans les années qui viennent. Bref, nous allons dans un premier temps imaginer l'hypothèse que les machines effectivement remplacent l'homme dans toutes ses activités et que le fantasme d'une société sans travail advienne. Une hypothèse qui, nous le verrons ensuite, s’avérera à mon avis irréaliste pour plusieurs raisons.

 

Des conséquences de la fin du travail

 

Nous sommes en 2040, le temps a fait son œuvre et les machines sont devenues entièrement autonomes et capables d'exercer n'importe quel métier de production ou d'activité tertiaire. Elles n'ont pas d'intelligence propre et Skynet n'est jamais parvenu à détruire l'espèce humaine dans un déluge de feu nucléaire. Les hommes vivent avec les machines pour leur quotidien, sans que celles-ci aient pris conscience de leur existence. Elles ne sont que des super-outils un peu comme dans l'univers de Star Wars. Mais que de problèmes cela a engendrés et donc notre société de 2040 peines fortement à se remettre ! Tout d'abord d'un point de vue économique. Les énormes gains de productivité et la disparition progressive du travail salarié a dans un premier temps propulsé les grandes entreprises du secteur dans les stratosphères de la bourse. Les fabricants de robots remplaçant à la tête de l'économie mondiale les anciennes industries . La Chine est bien évidemment le leader incontesté du secteur avec l'Inde qui la suit de près. Les USA et l'Europe ayant disparu économiquement après l'effondrement du dollar et de l'euro dans les années 30.

 

Mais rapidement les conséquences néfastes, de la collusion d'un système économique basé sur le capitalisme avec une automatisation massive se fait sentir. Les taux de chômage explosent, et le phénomène de pauvreté dans l'abondance bien décrit par Keynes se répand. Partout la misère s'empare d'une partie croissante d'une population exclue de plus en plus de la vie sociale normale. Ce phénomène entraîne une récession planétaire sans précédent et bien plus grave que la crise de 1929. En effet la crise de la demande produite par l'extrême automatisation se conjugue au déclin démographique mondial. La Chine particulièrement frappée par le déclin démographique est doublement touchée. En occident le capitalisme fou concentre les richesses à un niveau sans précédent, le tout sur une décroissance du PIB permanent. Il n'y a plus assez de consommateurs pour consommer tout ce qui est produit. Et là la leçon keynésienne apparaît enfin aux yeux de tous. Produire n'a de sens que si quelqu'un est capable d'acheter ce que vous produisez. Le capitalisme explose donc comme le communisme, mais pour la raison inverse. Le communisme consommait sans produire, le capitalisme libéral voulait produire sans consommer. Les gains de productivité lui ont donc été fatals.

 

Partout dans les années 2030 des politiques de relance de la demande se mettent en place non sans difficulté, car les solutions heurtent les réflexes traditionnels. Il faut payer les gens à ne rien faire. Ce qui est totalement contre-intuitif. Malheureusement, les machines étant meilleures en tout, employer des gens n'est plus rentable, donc cette solution devient la seule possible. À long terme on se retrouve donc avec le fameux revenu universel un peu partout sauf dans l'occident décadent coincé dans ses visions individualistes. Ce dernier a produit une société duale avec d'un côté une ploutocratie richissime vivant de ses investissements à l'étranger et l'autre une société régressive revenue à une agriculture vivrière à faible productivité. Ce fut la seule solution de survie pour une population en voie de mort par famine sous les coups de son « élite » dogmatique. L'un des effets pervers de ce revenu universel est bien évidemment une perte totale d'indépendance des populations, mais ce n'est pas grave puisque ce sont des IA qui ont remplacé les humains dans la direction des affaires. Les êtres humains sont devenus totalement égaux et totalement passifs, tous nourris telles les Éloïs dans le célèbre ouvrage d'H.G. Wells, mais sans les Morlocks remplacés par les machines.

 

Mais cette nouvelle société d'abondance totale et de non-travail est-elle un paradis ? Pas vraiment en réalité. Partout dans le nouveau monde développé se développent des comportements autodestructeurs. La jeunesse dorée de cette époque ne trouve plus de sens à sa vie. Comme le disait Keynes, il n'y a guère à chercher loin les effets de l'abondance. Il suffit de regarder la jeunesse des riches de nos époques pour voir que cela ne conduirait probablement pas l'humanité à un paradis sur terre. Car l'être humain comme toutes les créatures sur terre ont évolué dans la lutte pour la survie. Toute sa structure biologique et mentale a été construite pour lutter contre la rareté. L'abondance agit donc de manière anormale sur les êtres que nous sommes. Nous en avons dès aujourd'hui des séquelles, l'obésité et la dépression sont autant de symptômes des effets d'un mode de vie pour lequel nous n'avons pas été conçus à la base. Si la relative abondance actuelle n'a pas produit le bonheur que certains avaient cru, il n'y a guère de doute à penser que cela ne s'arrangera pas avec une abondance totale. Le travail en un sens est l'un des derniers résidus de contrainte qui donne un peu de sens dans la vie. Surtout après la disparition des croyances collectives traditionnelles. À n'en pas douter si par hasard nous arrivions à une abondance totale et à la fin du travail nous devrions alors chercher une véritable révolution anthropologique pour y faire survivre l’humanité.

 

Mais le travail ne disparaîtra probablement pas

 

Évidemment tout ceci n'a de sens que si l'on pense réellement que les machines peuvent remplacer l'homme dans toutes ses activités. Comme je l'ai dit, j'ai quelques doutes sur le sujet. Comme dans tout raisonnement excessif l'idée d'un gain de productivité sans cesse croissant jusqu'à cette extrême limite se cassera la figure face à la limite du monde réel. Le réel n'aime pas l'infini et les exponentielles, il préfère les limites et les logarithmes. On atteindra une limite des gains de productivité possible, construisant une solution intermédiaire avec une productivité plus élevée qu’aujourd’hui, mais pas une disparition totale du travail. D'ailleurs contrairement aux idées reçues, il n'y a pas d’accélération des gains de productivité. Dans les anciens pays développés qui ont traversé toutes les étapes de l'histoire industrielle, les gains de productivité ralentissent dès le milieu des années 60. C'est d'ailleurs en partie ce qui explique la crise du capitalisme occidentale depuis les années 70. La globalisation fut une réponse idiote au problème du ralentissement des gains de productivité. En réalité aujourd'hui aucune « révolution » technique ne serait capable de faire les gains de productivité d'un Henri Ford au début du vingtième siècle. On surestime très largement les gains que pourraient produire les robots actuels. Robots qui nécessitent de l'entretien, des matières premières et de l'énergie, faut-il le préciser ?

 

Et l'énergie, parlons en justement. La grande problématique du 21e siècle n'est pas l'abondance, mais la nouvelle lutte contre la rareté. Il n'est en effet absolument pas certain à l'heure actuelle que cette civilisation industrielle puisse se maintenir telle qu'elle est à l'heure actuelle. L'arrivée de la Chine puis de l'Inde puis du reste du monde sur l'activité industrie-consommation mettant ce modèle de civilisation à rude épreuve. Là est probablement la clef de cette époque incertaine. Mais comme je l'ai dit même si une telle société advenait d'autres problèmes déjà présents en soubassement dans nos sociétés surgiraient . Car dans une société d'abondance absolue, le nihilisme dont parle Emmanuel Todd dans son dernier livre, que je critiquerais bientôt, pourrait devenir maximal.

 

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D
Intéressant.
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