Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Comme je l'ai dit dans mon précédent texte, je feuillette en ce moment même le dernier livre d'Emmanuel Todd qui est sorti à la mi-janvier. Je pense en faire une critique bientôt même si j'ai déjà souvent parlé sur ce blog des œuvres d'Emmanuel Todd. Après tout, c'est grâce à lui si ce blog existe, tout comme il m'avait permis de connaître le blog Horizon vers 2008-09 dont l'auteur qui a disparu de la scène depuis était un grand fan. Emmanuel Todd, qu'on soit d'accord ou non avec ses interprétations, a l'immense qualité d'appuyer ses questionnements et ses théories sur des faits. Chose beaucoup trop rare dans le débat français qui consiste surtout à faire de la métaphysique et de la philosophie sans faire véritablement de science. Dans son dernier livre, Emmanuel Todd construit une explication de l'évolution occidentale qui se base sur une interprétation nihiliste des comportements. Je ne vais pas m'attarder sur le point de vue de Todd sur cette question, mais pour résumer nous serions au stade terminal de l'effondrement de la croyance religieuse.
Si vous êtes des lecteurs habitués de cet auteur, vous savez qu'il s'était déjà appuyé sur la question de l'évolution de la croyance religieuse précédemment. On se souvient de son livre « Qui est Charlie ? » où il utilisait le concept de catholicisme zombi pour décrire, à mon avis un peu trop rapidement, les réactions à l'immonde attentat de Charlie Hebdo en 2015. Ce livre lui a valu des inimitiés et des énervements. Je n'étais moi-même pas totalement convaincu par son analyse à l'époque. Cependant, la question de l'effondrement de la croyance religieuse a toujours été l'une de ses marottes si je puis dire. Donc d'après lui nous arrivons aujourd'hui au stade terminal d'un phénomène qui a décollé avec l'arrivée du protestantisme et la hausse de l'alphabétisation dans la population, à savoir l'effondrement de la croyance religieuse. Après le stade zombi, qui fut caractérisé par un maintient des traditions culturelles, et des automatismes de la religion, sans pour autant que la croyance ne persiste réellement, vient donc ensuite le stade zéro, celui du vide total. Une période que nous vivrions aujourd'hui en occident et qui expliquerait une absence totale de morale sur tous les sujets, un nihilisme absolu.
L'explication est séduisante et tend à expliquer certains étranges comportements, ou propos. Emmanuel Todd qui est de gauche a tendance à prendre en exemple des comportements qu'il juge nihilistes lorsqu'il parle de la droite et de l'extrême droite. Il cite plusieurs fois dans son livre l'extrémisme anglais consistant à signer un accord d’expulsion des immigrés vers le Rwanda par exemple. On peut lui accorder le fait que cette idée en soi est absurde. Mais si cela caractérise en partie le nihilisme qu'il dénote, par la disparition des valeurs traditionnelles chrétiennes qui interdiraient normalement de tels raisonnements. Que dire de son propre camp dont il parle bien peu finalement ? Son ami et coauteur Hervé Le Bras, avec qui il a écrit plusieurs livres, vient à nouveau par exemple de faire l’apologie de l'immigration de masse dans une émission de télévision. Mais la volonté de remplacement des Français par une population immigrée, et celle de réduire la natalité des populations de souche accompagnée de l'immigration de travail. Comme l'a affirmé à nouveau la représentante d'EELV madame Sandrine Rousseau par exemple, n'est-ce pas aussi du nihilisme ? Je critique ici Emmanuel Todd sur sa tendance à ne voir le nihilisme que de l’œil d'un homme de gauche un peu hémiplégique ayant tendance à ne pas voir celui de son propre camp. Que dire de la GPA et des multiples usages purement utilitaristes de l'humain que prône fortement une certaine gauche derrière un paravent humanitaire qui camoufle de plus en plus mal les vraies motivations égocentriques de la bourgeoisie ? Cela aussi c'est du nihilisme si l'on se place du point de vue des valeurs chrétiennes, mais Todd en parle beaucoup moins, il est vrai.
L'occident orphelin du christianisme, mais pas de la religion.
Quoiqu'il en soit, on peut effectivement voir dans le nihilisme une explication facile à ces comportements amoraux qui se multiplient dans un peu tous les aspects de la vie. N'oublions pas non plus la période du COVID où les innombrables absurdités prescrites par les gouvernements et les conseils dits « scientifiques » multipliaient les âneries quand on n’était pas carrément dans la corruption de haut niveau avec l'industrie pharmaceutique. Rappelons quand même les mesures extrêmes prises pour une maladie dont on savait déjà qu'elle n'était guère dangereuse. Nous séparâmes pourtant les familles à cette occasion et nous avons même laissé certains vieux mourir seuls pour soi-disant les protéger du COVID. L'on pourrait effectivement voir cette période comme un nihilisme démonstratif, en tout cas comme une preuve de la disparition totale des valeurs chrétiennes.Todd d'ailleurs s'appuie aussi sur l'exemple du comportement de l'industrie pharmaceutique américaine et de la catastrophe des opioïdes pour montrer l'évolution amorale de la société américaine privée de sa conscience protestante. Ce nihilisme semble effectivement tout emporter, même la science. Rappelons-le, dire la vérité est quand même quelque chose d'extrêmement important pour la méthode scientifique. Des scientifiques qui se mettent à mentir sur leurs données pour y faire avancer quelques intérêts sont hautement dommageables pour la science. Or les valeurs chrétiennes sont porteuses justement d'une aversion au mensonge. On pourrait donc ici se demander si quelque part la disparition du christianisme en tant que matrice idéologique de l'occident n'a pas cassé quelque chose d'essentiel au fonctionnement de sa science et de son organisation économique et sociale.
Cependant, le nihilisme n'explique pas tout un tas de mouvements et des passions modernes. Ne voir dans le mouvement wokiste qu'un mouvement nihiliste est à mon sens un peu court. Car si le nihilisme peut expliquer la disparition de la morale publique traditionnelle, la disparition du sens de l'intérêt général et même la disparition de l'empathie qui est pourtant si importante pour la vie sociale. Le nihilisme ne peut expliquer les passions nouvelles qu'on voit poindre de temps en temps dans les discours publics. Il peut donner des pulsions de mort, mais pas des pulsions créatrices et mobilisatrices aussi absurdes soient-elles. C'est en ce sens que je pense que Todd se trompe un peu. Le christianisme est bien mort, même si certaines de ses valeurs persistent en étant déformées par moment. L'on peut aussi voir poindre simplement de nouvelles religions. C'est donc plutôt vers l'explication d'un Jacques Ellul que j'irai chercher les réponses aux étranges comportements de nos élites et notre population perdue.
Jacques Ellul est connu pour son œuvre majeure avec son célèbre livre « Le bluff technologique ». Il est souvent adulé par les écologistes qui bien souvent n'ont lu qu'une version résumée de son plus célèbre ouvrage. Il critiquait la fétichisation de la technique et la montée du fameux système technicien. Une espèce de machine échappant à la volonté humaine prise dans un engrenage de contraintes visant à produire toujours plus pour consommer toujours plus et permettre l'augmentation permanente du taux de profit. Il est l'un des rares penseurs à avoir vu que le développement technologique à partir de la fin des années 60 devenait de plus en plus superflu. Mais si ce livre reste d'une étonnante actualité, de plus en plus d'ailleurs. L'autre aspect des analyses de Jacques Ellul fut d'avoir vu, avant tout le monde, la défaite finale de l'athéisme. Dans son livre « Les nouveaux possédés » dont j'ai déjà parlé, il ne décrit pas un monde d'athées nihilistes comme le fait Emmanuel Todd, mais plutôt un monde de gens perdus dans d'innombrables croyances païennes. Si l'on pouvait faire une comparaison, on pourrait comparer ça à la période préchrétienne de l'empire romaine, où d’innombrables cultes se côtoyaient, ou à la période chrétienne précèdent le concile de Nicée.
Une période où le christianisme était fragmenté en une myriade de sectes plus ou moins compatibles entre elles des nestoriens à l'arianisme en passant par le donatisme. L'on pourrait dès lors décrire notre monde post-chrétien non comme un monde nihiliste, si ce n'est de façon très passagère, mais comme un monde à la recherche de nouvelles religions en proie à une multitude de cultes s’affrontant. Dès lors, nous pouvons expliquer mieux qu'avec le nihilisme les différentes passions qui entourent les comportements des élites et de la population. En l'absence de croyance collective, les populations cherchent naturellement un liant entre elles. Ce besoin de partager une croyance commune pour créer du lien est à la base en grande partie de la force des religions. Cela crée un langage commun, une communion. Le phénomène est bien connu pour ceux qui s'intéressent aux mouvements sectaires qui ont jalonné l'effondrement des croyances plus classiques. Mais ce phénomène, comme pouvait le décrire Jacques Ellul dans son livre des années 70, peut toucher en réalité toute idée, personne ou organisation. Il dénotait lui-même que les stars musicales de l'époque étaient déjà décrites comme des idoles modernes. Le terme utilisé décrivait parfaitement bien le phénomène. Ce qui intéressait les gens au fond n'était pas la personne, ou les idées, mais bien le fait de retrouver à travers telle idole ou telle idéologie un liant social.
Ce phénomène explique à la fois ce que décrit bien Todd, c'est-à-dire la disparition des valeurs chrétiennes résiduelles qui continuaient il y a peu à structurer nos sociétés, tout en expliquant les débats absurdement passionnés qui peuvent, ici où là, être alimentés par les foules. Ce que le nihilisme et sa pulsion de mort ne sauraient expliquer. Par exemple, les écologistes extrémistes qui s'attaquent à nos agriculteurs, qui collent leurs mains sur du bitume et font d'autres choses encore plus extravagantes n'ont pas une pulsion de mort, ils sont animés par des croyances. Des croyances qui peuvent avoir des conséquences mortifères, mais des croyances quand même. Elles ne sont juste plus du tout chrétiennes. On pourrait en dire autant des transhumanistes, de l'idéologie woke, des débats délirants autour des orientations sexuelles, etc.. Nous voici donc perdus dans ce monde de païens dont les derniers oripeaux chrétiens ont disparu et sans concile de Nicée visible à l'horizon. Le principal problème de cette foison de croyances, c'est qu'elle favorise les conflits et les incompréhensions. Et elle rend également très difficile le discours rationnel. Comment en effet construire un débat scientifique si les idées elles-mêmes deviennent des croyances intouchables sur tel ou tel sujet ? On le voit sur l'Europe ou l'écologie qui sont devenues des totems indomptables par la raison. Cette explication de notre temps me semble donc plus à propos que le nihilisme toddien. Nous ne sommes donc pas nihilistes, mais à nouveau polythéistes, à chacun sa croyance en quelque sorte.