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7 septembre 2023 4 07 /09 /septembre /2023 15:54

 

Nous en avons un peu parlé dans un texte d'il y a quelques mois, mais il semble bien que la Chine se dirige vers de grandes difficultés macroéconomiques. Comme nous allons le voir même si cela coïncide avec le conflit entre elle et l'empire américain, le fond du problème était là depuis bien plus longtemps. Il s'agit d'un problème structurel de surproduction . Malheureusement pour nous à cause de la globalisation, une dépression en Chine associée à la déflation pourrait être catastrophique pour l'Europe et plus généralement pour l'économie mondiale. Cela pourra également dégrader fortement les relations entre les BRICS en entraînant des conflits économiques importants. En effet même si l'on parle surtout de la compétition entre la Chine et les USA il ne faut pas oublier que la tendance chinoise au mercantilisme est en soi un problème pour ses partenaires. L'Inde par exemple connaît une dégradation constante de sa balance commerciale avec la Chine, ce qui n'est pas au goût de New Delhi à juste titre.

 

Il faut bien comprendre que la Chine a eu un modèle assez extraverti depuis les années 70. On s'extasie à juste titre sur la vitesse de sa progression qui s'est fait en grande partie sur la destruction volontaire de l'industrie occidentale. Quand je dis volontaire, c'est bien évidemment du côté de l'occident qu'il faut chercher cette volonté. Au départ, la Chine n'avait pas les moyens de négocier quoi que ce soit, et c'est bien l'occident et les USA en particulier qui ont organisé la globalisation dont la Chine a profité. Illustrant ainsi avec entrain les propos de Lénine sur les capitalistes qui finiront par vendre la corde avec laquelle ils seront pendus. Si la stratégie mercantiliste chinoise a été un vrai moteur au début elle se retourne maintenant contre elle . Et en réalité, le retournement ne date pas d'hier puisque la croissance chinoise ralentie en fait depuis son entrée dans l'OMC. Le ralentissement est surtout palpable depuis la crise des subprimes aux USA vers 2007-2008. Même si la Chine a continué depuis à connaître une croissance forte comparativement aux pays développés, il faut bien rappeler que même si elle est déjà la première puissance économique du monde, le PIB par habitant reste notablement plus faible que celui des pays avancés.

 

Ce ralentissement économique est d'ailleurs à associer à la forte baisse de l'inflation et à la hausse des inégalités concomitantes . L'inflation des années 80-90 qui rongeait mécaniquement la rente a été réduite et l'accumulation massive du capital l'a remplacée en augmentant les inégalités comme en Europe à partir des années 80. Si l'inflation n'est pas le seul moyen de lutter contre les effets des taux d'intérêt et de la concentration du capital, cela reste le moyen le plus commode pour en limiter les effets à long terme. La crise chinoise actuelle n'en est pas vraiment une. Ou plutôt il s'agit du fameux phénomène décrit par Keynes dans les années 30, celui de la pauvreté dans l'abondance. En fait, la Chine a fait d'immenses progrès en matière de productivité. Une croissance de la productivité qui a été anormalement boostée par les délocalisations occidentales. La Chine a en quelque sorte fait un rattrapage technologique sans faire le rattrapage organisationnel qui allait avec. Car la course aux gains de productivité en occident n'a pas été de tout repos. La crise de surproduction aux USA à partir de 1929 a entraîné de graves problèmes qui n'ont pu réellement être résolus qu'avec la Seconde Guerre mondiale et les immenses efforts de guerre qui ont relancé la demande. Un exemple de surproduction chinoise, les batteries produites de façon excessive.

 

Rappelons tout d'abord rapidement ce qu'est une crise de surproduction. C'est assez simple, une crise de surproduction advient lorsque les gains de productivité ne sont pas accompagnés d'une croissance de la demande ou d'une réduction du temps de travail. En clair si le travail est de plus en plus efficace cela signifie que pour maintenir la quantité d'emploi il faut soit augmenter la consommation par différents moyens (hausses des salaires, politique d’investissement, etc.), soit réduire le temps de travail pour éviter de détruire des emplois. Car laissé à lui-même, le marché aura tendance à produire du chômage. Ce qui engendrera une réduction de la consommation, qui elle-même entraînera une réduction des investissements. De sorte qu'à terme un circuit économique pessimiste se mettra en place entraînant tous les acteurs économiques à réduire toujours plus leurs investissements, leur consommation et à augmenter l'épargne. À la fin c'est la déflation qui s'installe et quand les prix baissent les consommateurs préfèrent épargner puisque les prix baissent chaque année alors que l'épargne stagne ou même augmente avec les taux d'intérêt. Ajoutons à cela la situation démographique du vieillissement et de la baisse de la population et la dépression peut vraiment devenir chronique.

 

 

La Chine qui a connu longtemps une forte hausse de la productivité, mais une hausse des salaires moindres aurait dû entrer en déflation et en crise il y a très longtemps, sauf que la Chine a pu pendant longtemps compenser sa structure économique déflationniste par ses excédents commerciaux. Tant que l'économie chinoise était relativement petite, les excédents commerciaux pouvaient compenser sa faible demande intérieure. Mais c'est de moins en moins le cas depuis 2007-2008. La Chine est en fait devenue beaucoup trop grosse économiquement pour être tirée par la demande extérieure. Alors le problème n'est pas nouveau surtout quand on regarde l'anomalie énorme de l'économie chinoise en termes d'épargne. Aucun pays développé n'a une épargne qui représente près de 50% du PIB annuel, pas même le Japon qui en est très loin. L'état chinois a longtemps compensé avec des plans de relance à la manière d'un Roosevelt avec son New Deal. Mais la méthode à ses limites, le Japon a fait la même chose pendant des décennies sans arriver à relancer l'inflation et la croissance. En occident, c'est la création de l'état providence et la redistribution ainsi que la hausse des impôts pour les couches sociales aisées et les entreprises qui avaient permis le retour de la croissance après guerre. Le modèle keynésien d'alors était stable et a résolu le problème endémique du retard de la demande sur les gains de productivité. Malheureusement, ce modèle a été démoli comme vous le savez à partir des années 70 pour être remplacé par le modèle néolibéral basé sur l'explosion des dettes privées et publiques appuyée sur l'augmentation de la masse monétaire du dollar à partir de 74.

 

 

Avec la déflation la Chine risque de devenir une super-Allemagne

 

À l'heure actuelle, le seul moyen pour la Chine de ne pas entrer dans une déflation durable et une crise de la croissance serait de motiver les Chinois à moins épargner et à plus consommer. Cela peut passer par la mise en place d'un état providence à la sauce chinoise. Un exemple simple, la Chine a un énorme problème de natalité, une vigoureuse politique familiale d'allocation, de crèches et d'écoles gratuites, pourrait permettre à la fois de relancer l'économie par la consommation, et de résoudre en partie le problème de natalité. En créant un système social plus généreux d'un côté vous relancez directement la consommation parce que la population la moins bien lotie socialement est aussi celle qui a la propension à consommer la plus forte. Et dans le même temps, vous permettez à la population d'avoir moins peur pour l'avenir. En créant un climat de confiance économique, vous allez mécaniquement réduire l'obsession pour l'épargne. On l'a complètement oublié en occident et en particulier en France, la retraite par répartition avait aussi pour objectif de réduire le taux d'épargne et de maintenir une demande vigoureuse. Là où la retraite par capitalisation favorise la thésaurisation et donc la mécanique de déflation.

 

 

L'état chinois pourrait aussi réduire le temps de travail et améliorer les conditions de travail de la population permettant à la société de créer plus d'emplois par point de croissance. C'est une autre manière d'utiliser les énormes gains de productivité. Dans tous les cas, les Chinois sont devenus beaucoup plus riches qu'ils n'étaient, mais ils n'en profitent pas assez. Et c'est bien là le problème, et là que se niche la terrible crise de surproduction. Les imbéciles libéraux qui ne parlent que de réduction des salaires, des dépenses, et de contrition économique, nourrissent en fait largement les crises qu'ils prétendent combattre. Et je crains que la Chine fortement influencée par les écoles économiques américaines ne prenne pas les bonnes décisions macroéconomiques. Le néolibéralisme est la meilleure exportation des USA, après tout elle leur permet de plonger dans des crises les pays qui sont sous leur influence idéologique.

 

Mais quelle serait la conséquence pour l'économie globalisée d'une dépression chinoise prolongée ? Et bien c'est assez facile à imaginer. En effet, le meilleur exemple est l'Union européenne. L'UE est une petite globalisation à son échelle et elle a un énorme pays en son centre l'Allemagne. Or ce pays, qui est la première puissance du continent, s'est mis dans l'idée depuis la fin des années 90 de ne croître que par les exportations. À partir de 2005-2007 les lois Hartz ont conduit à une baisse des salaires pour accroître les excédents commerciaux au détriment des pays voisins. Bien loi du discours sur la solidarité européenne. Et la stratégie a marché puisque l'Allemagne a fait exploser ses excédents et cassé l'industrie de ses voisins. Le résultat est que l'UE est devenue la zone économique du monde avec la plus faible croissance. Il en sera de même avec la Chine, mais à une échelle encore plus grande. En effet l'Allemagne et l'UE pouvaient tout de même compter sur la demande provenant de l'extérieur de la zone euro. Celle des USA en particulier alimentés par leur dette et leurs politiques monétaires très laxistes. Comme le disait très bien Emmanuel Todd, les USA sont devenus l'état keynésien de la planète entière. Ils sont les seuls à comprendre l'importance de la demande. Le gros problème c'est qu'ils sont maintenant beaucoup trop petits pour endiguer les déflations japonaises, européennes et maintenant chinoises.

 

Quels que soient les choix macroéconomiques de la Chine, ce pays et la globalisation arrivent à un tournant. Il n'est plus possible de maintenir le modèle déséquilibré néolibéral qui tient artificiellement depuis les années 70. L'occident est exsangue et la Chine ne peut plus avoir de croissance par ses exportations. Si elle essaie de maintenir son type de croissance mercantiliste avec de nouveaux clients comme l'Inde ou l'Asie du Sud-est comme elle semble vouloir le faire, elle va au-devant de conflits à terme. Car ces pays qui sont encore très en retard ne pourront pas avoir de forte croissance si leur industrie est détruite dans l’œuf par les exportations chinoises. Au minimum il y aura de gros conflits commerciaux. Avec le recul il est clair que les fameuses routes de la soie visaient également à étendre la possibilité d'exportation aux entreprises chinoises. Mais là encore la volonté de croître sans améliorer sa demande intérieure va se heurter à des impossibilités pratiques. La Chine connaît aujourd’hui son 1929, sa crise de surproduction. Il reste à voir si la mentalité locale est capable de sortir par le haut et par l'amélioration des conditions de vie interne plutôt que par le mercantilisme délirant. Il reste aussi la possibilité à ne pas négliger d'une sortie par le militaire. L'état chinois relançant l'économie par de vastes plans d'investissement militaires pour écraser l'OTAN. Il faut espérer que ce ne soit pas cette direction que les élites chinoises prennent à long terme. Car le développement d'une immense capacité militaire, à la hauteur de la puissance de ce pays, pourrait pousser certains à l'utiliser. Surtout avec les provocations géopolitiques régulières de l'establishment anglo-saxon.

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