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21 novembre 2024 4 21 /11 /novembre /2024 15:33

 

Alors que les USA viennent de voter pour un nouveau président qui officiellement n'est pas vraiment un libre-échangiste dans l'âme, l'Europe semble s'évertuer à s'enfermer dans son dogme au mépris des changements historiques de l'économie mondiale et du bon sens minimal. Le traité de libre-échange avec le Mercosur va être un désastre non seulement pour les agriculteurs européens, mais aussi pour les industriels. Car contrairement à ce que pensent les Allemands et les autres obsédés du libre-échange croyant à leur propre supériorité, il n'est absolument pas certains que l'industrie européenne en plein effondrement gagne dans cette dérégulation. Comme nous en avons rappelé, les pays d’Amérique du Sud ne sont plus ce qu'ils étaient il y a vingt ou trente ans. Le Brésil pour ne parler que de la première puissance de la région s'est fortement industrialisé derrière de lourdes barrières douanières justement. Et l’Amérique du Sud bénéficie d'une grosse population formée et capable de produire aujourd'hui. Le libre-échange en dehors de quelques produits très spécifiques n'a jamais été une politique positive pour la masse de la population bien qu'elle ait toujours été présentée ainsi, mais aujourd'hui pour les Européens elle est carrément suicidaire. Nous avons plus les avantages dont nous jouissions autrefois alors que nos concurrences bénéficient à la fois de plus faible coût du travail, d'une productivité qui nous rattrape et d'un accès à de l'énergie et à des matières premières bien moins chères qu'en Europe.

 

Nous allons donc dans ce texte rapide rappeler les dégâts que le libre-échange a déjà provoqués en France et en Europe, mais aussi faire comprendre le lien qu'il y a entre la démocratie, la nation, et l'espace économique. Car les tentatives de déstructuration des économies nationales reviennent à détruire progressivement toute capacité d'action politique, et donc in fine à mettre fin à la démocratie. Car le libre-échange n'est pas seulement un choix économique, c'est un choix qui détermine également le modèle social et politique d'un pays. En choisissant le libre-échange, vous abandonnez presque mécaniquement les politiques économiques et sociales. Et c'est d'ailleurs essentiellement pour cette raison que les libéraux économiques l'ont prôné, il fallait faire sortir l'économie de l'orbite politique pour imposer en réalité les choix des plus puissants et des plus riches au détriment du reste de la population. En un sens par nature, la libre circulation des marchandises, et des capitaux, sont des attaques contre la démocratie, ce dont la plupart de nos compatriotes n'ont pas vraiment conscience. Ni même les politiques d'ailleurs. Cela ne signifie pas qu'il faille se barricader et vivre en autarcie, mais s'interdire totalement de réguler le commerce et la circulation monétaire et financière, revient à se couper les deux bras et à se plaindre ensuite de ne pas pouvoir tourner le volant de la voiture.

 

Le libre-échange n'a pas bénéficié au consommateur

 

Commençons tout de même par parler des gains supposés du libre-échange. Rappelons tout de même que les théoriciens du libre-échange vivaient à une époque où l'essentiel de nos pays était encore agraire. Ricardo est mort en 1823, autant dire à la préhistoire de l'industrie et du commerce mondial. Sa thèse sur le commerce international a été faite dans un contexte où il n'y avait ni supertanker ni déplacement des facteurs de production. Comme disait Keynes dans ce contexte où le commerce agricole représentait l'essentiel des échanges commerciaux, on pouvait croire à une nécessaire spécialisation géographique de la production. Il est bien évident qu'il est plus simple de produire des bananes au Brésil qu'en Islande. Mais si ce raisonnement peut éventuellement tenir la route pour certaines productions particulières comme le cacao, le café ou les fruits exotiques, il est en revanche beaucoup plus discutable pour l'industrie. En effet, la production industrielle n'a pas vraiment besoin d'une grosse spécialisation géographique. Si l'accès aux ressources naturelles ou à certains lieux de distribution peut jouer, il y a bon nombre d'autres facteurs comme l'éducation, la situation étatique, les impôts à prendre en compte.

 

La production ne représente plus rien dans le prix d'une chaussure c'est absurde

 

On rappellera d'ailleurs que l'exemple pris par Ricardo sur le commerce entre la Grande-Bretagne et le Portugal montre aussi les limites de sa théorie. En effet grâce au libre-échange, le Portugal s'est spécialisé dans l'exportation de vin laissant son industrie textile disparaître. À l'inverse la Grande-Bretagne d'alors s'était spécialisée dans le textile et grâce aux gains de productivité put acheter de plus en plus de vin tout en fournissant de moins en moins de travail alors que les gains de productivité dans la production de vin étaient alors très faibles. Le résultat, on le connaît, le Portugal qui était un pays très riche a raté l'industrialisation et il est devenu un pays pauvre d'Europe. Pour des gains économiques à très court terme, le Portugal a donc oblitéré son avenir même s'il n'en a pas eu conscience à l'époque. Pour continuer dans l'histoire on pourrait présenter le modèle exactement inverse, celui de la Corée du Sud donc l'histoire économique a été très bien dépeint par l'économiste coréen Ha-Joon Chang. La Corée du Sud est un pays qui a pratiqué fortement le protectionnisme à une période où c'était très mal vu en occident. Et dans les années 90, le FMI réclamait une baisse des taxes aux importations de voitures en particulier.

 

L'Allemagne et le Japon souhaitant exporter leurs véhicules dans ce pays en forte croissance. Le FMI arguait alors que la Corée eut mieux fait de se spécialiser dans la production de bateaux et d'acier où elle avait des avantages et qu'elle laisse tomber l'automobile parce que ses voitures n'étaient pas compétitives. Et bien la Corée a envoyé le FMI se faire foutre, si je puis dire. Le résultat, on le connaît aujourd'hui. Sans ce protectionnisme des entreprises comme Hyundai ou même Samsung n'auraient pas survécu, et la Corée du Sud serait beaucoup moins prospère. Le calcul libre-échangiste ne prenait pas en compte les effets collatéraux d'investissement et de développement entraîné par le maintien de certaines activités même moins productives. Le calcul libre-échangiste surestime en fait les gains et sous-estime très gravement les coûts en termes de créativité et de dynamique industrielle.

 

Les prix vestimentaires, par exemple, n'ont jamais baissé malgrés l'effondrement des prix de production

 

Mais parlons des gains supposés. On a présenté le libre-échange comme une machine à abaisser les prix. En gros grâce à l'esclavage moderne de la sous-rémunération du travail productif à travers l'exploitation de la main-d’œuvre des pays moins avancés, les libéraux ont présenté cette abomination comme un bénéfice pour les consommateurs occidentaux. J’insiste ici sur le caractère prédateur de la démarche, car c'est bien de cela qu'il s'agissait. Car les usines de textile ou d'autres activités qui se délocalisaient dans les pays à bas coût n'étaient pas plus productives que chez nous, c'était même souvent l'inverse. On est loin ici en réalité de la thèse de Ricardo qui lui raisonnait en matière d'efficacité économique. Là l'efficacité comptable ne résultat pas d'une meilleure capacité de production, mais à une meilleure capacité à exploiter sa propre population. Mais ce pacte faustien qui est encore défendu par les libre-échangistes en ce moment même au Brésil pour les accords du Mercosur est un mensonge. Si l'on regarde historiquement parlant les pays occidentaux qui ont libéralisé leur commerce à partir des années 70 n'ont pas connu de baisse des prix, c'est le moins que l'on puisse dire. Lorsque vous achetez une marchandise produite en Chine ou pire au Bangladesh, vous ne payez pas le prix local moyennant le coût du transport. Vous payez vos chaussures toujours très cher, mais la part du travail dans la valeur de cette chaussure s'est simplement effondrée pendant que les activités parasites et la finance ont vu leur part, elles, exploser. C'est ça les vrais effets de la globalisation.

 

En réalité, les prix n'ont jamais baissé pour les consommateurs. C'est avant tout les marges des producteurs et des intermédiaires qui ont explosé. D'un côté, les consommateurs occidentaux, qui sont aussi des travailleurs, ont vu leurs emplois partir, et les salaires se compresser, de l'autre côté ils n'ont en réalité jamais vu les soi-disant bénéfices des délocalisations. Ce fut un transfert net de revenu du travail vers le capital. Alors ici l'on pourrait objecter qu'effectivement cela a fait baisser en réalité le niveau de vie en occident, ou du moins cela l'a empêché de progresser, mais c'était pour la bonne cause puisque grâce à ça les entreprises avaient plus de marges et pouvaient donc investir plus. Et bien cela ne n'est pas passé ainsi, car la fameuse thèse du ruissellement n'est qu'un ramassis d'idioties. S'il est évident que des entreprises qui perdent de l'argent vont avoir tendance à réduire leurs investissements, l'inverse n'est pas systématiquement vrai. Ce n'est pas parce qu'une entreprise a des marges qu'elle investit. Et si l'on regarde les effets de l'augmentation des marges des entreprises depuis la mise en place de la globalisation, cela ne s'est pas traduit par des investissements supplémentaires, bien au contraire. L'état qui n'a de cesse de subventionner les entreprises ou de baisser leurs impôts et leur charge devrait pourtant le savoir. Macron a tout fait pour caresser les grandes entreprises dans le sens du poil sans rien obtenir comme investissement en retour. Par contre, la spéculation a grimpé en flèche. Et jamais les actionnaires n'ont été autant arrosé. Le grand paradoxe de notre temps c'est que l'idéologie libérale qui prétendait lutter contre les monopoles et les rentes les a en fait renforcés comme jamais dans l'histoire humaine.

 

Alors pour quelle raison les entreprises n'ont-elles pas augmenté leurs investissements? Et bien, c'est parce que ce qui pilote l'investissement n'est pas les marges bénéficiaires, mais l'intérêt qu'il y a à investir. C'est la demande qui pilote l'investissement. Une entreprise n'investit pas pour investir, elle investit parce qu'elle pense que ses investissements lui permettront de faire des bénéfices et d’accroître ses parts de marché, ou de créer un nouveau marché lucratif. Or comme nous l'avons vu, la globalisation s'est fait au détriment des salariés et des consommateurs ce qui a provoqué une crise de la demande à partir des années 70. Une crise qui a été seulement partiellement compensée par les dépenses publiques et l'endettement que ce soit aux USA ou en Europe. Le paradoxe, là encore, c'est que la globalisation qui a permis de faire exploser les marges des grandes entreprises est aussi le mécanisme qui a démotivé la nécessité d'investir dans nos pays. En un sens loin d'être un mécanisme de développement, le libre-échange a été une formidable machine à déplacer l'industrialisation de l'occident vers l'Asie et rien d'autre.

 

PS : Nous parlerons des effets sur la politique et la démocratie dans la seconde partie

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commentaires

N
Concernant l'abaissement des prix, il a pu quand même être constaté dans les produits de "haute technologie" qui ont pénétré dans presque tous les foyers dans les pays industrialisés. Qu'on pense à la chute du prix des ordinateurs (portables ou non) par exemple.
Répondre
Y
Oui, mais le problème c'est que cette industrie est apparue pendant la globalisation. Il est bien difficile de savoir si le processus n'aurait pas été le même si nous avions produit nous-mêmes nos semi-conducteurs. Cependant, il est indéniable que la concentration fait faire des économies d'échelle et donc que la globalisation fait baisser effectivement les prix dans une certaine limite. Mais ces gains sont essentiellement ponctionnés par d'autres acteurs que les producteurs ou les consommateurs. Et je ne parle même pas du danger de concentrer certaines productions dans quelques lieux de la planète. La crise du COVID a bien montré que la surconcentration de la production médicale en Inde ou ailleurs pouvait produire quelques graves inconvénients. Sur cette question, il faut également réintroduire des priorités qui ne sont pas seulement comptable. Si le libre-échange peut théoriquement produire quelques gains comptables, il produit aussi de graves problèmes d'interdépendance qui peuvent avoir de graves conséquences. On va d'ailleurs le voir bientôt dans le choc entre Trump, sa politique et la Chine. Comme disait Keynes, le protectionnisme coûte en termes de prix, mais il apporte aussi une sécurité nationale qui elle n'a probablement pas de prix et les Français vont malheureusement le réapprendre dans la souffrance.