La destruction de la démocratie
Nous avons vu rapidement les effets du libre-échange sur nos économies. Loin d'avoir favorisé la croissance économique, on voit clairement un fort ralentissement en occident à partir de la mise en place des principes de la dérégulation commerciale et financière. La globalisation si elle a permis une plus forte rémunération du capital et de plus gros bénéfices pour les entreprises jouant à fond la carte de l'exploitation des bas salaires des pays moins avancés, elle n'a pas fait exploser les investissements concomitamment. C'est là à mon sens le cœur de la catastrophe de l'idéologie libérale. Car toute leur stratégie partait du principe que les gains produits par l'abaissement du coût du travail productif conduiraient à plus d'investissement et donc à plus de croissance, il n'en a à rien été. La globalisation s'est donc traduite en occident par une forte polarisation économique, les classes moyennes disparaissant progressivement. La plupart des pays d'occident se caractérisant de plus en plus par une dualité sociale entre les très riches et les très pauvres. Cette situation est particulièrement radicale dans le monde anglo-saxon et aux USA en particulier.
Cette disparition progressive des classes moyennes explique en grande partie la dégradation des processus politique et démocratique en occident. Les gagnants de la globalisation persuadés de leur supériorité supportent de moins en moins les processus démocratiques. À l'inverse les populations victimes de la globalisation rejettent de plus en plus ouvertement ses « élites » considérées simplement comme des traîtres à leurs propres intérêts. Comme le disait Jaurès, la nation est le seul bien des pauvres. Il est donc assez logique que le dernier résidu du patriotisme n'existe plus que chez les couches populaires pendant que l'élite financière enterre avec allégresse cette horrible nation qui les taxe et les empêche de libérer toute leur « énergie créatrice ». Ceux qui gagnent dans le globalisme cherchent naturellement à s'extraire des solidarités nationales qui autrefois étaient nécessaires à leur propre prospérité. En un sens, c'est ici que la globalisation économique a eu les effets les plus délétères sur nos sociétés, elle les a fragmentés et a détruit la nécessaire solidarité nationale qui permettait une cohésion minimale de nos nations.
La démocratie en occident n'est plus en réalité qu'une énorme farce où les puissances d'argent se disputent le pouvoir en utilisant tous les stratagèmes possibles. Je sais bien que beaucoup espèrent dans l'élection de Trump le retour à un certain patriotisme, je crains que ceux qui pensent cela ne se heurtent rapidement à des déconvenues. Ce qui ne signifie pas pour autant que l'élection de Trump n'a pas des effets positifs par ailleurs, mais pour d'autres raisons indirectes. De fait, la globalisation par nature a déconnecté le processus économique de la nation, et elle a permis aux classes possédantes de se désolidariser du reste de la nation jusque dans son verbiage quotidien. L'invasion du globish n'est qu'un des multiples effets de cette déconstruction des économies nationales. La France a maintenant des candidats politiques qui se sentent plus chez eux à New York ou à Berlin, que dans la Creuse. C'est extrêmement problématique politiquement, puisque la masse de la population, qui elle n'est pas vraiment dans la globalisation, mais victime d'elle, ne peut adhérer à de telles orientations politiques.
Dans leur masse, les Français restent français, mais ils sont en quelque sorte prisonnier de ce bout de terre que les puissances politiques nationales par idéologie, corruption et intérêt personnel, ont supprimé les possibilités politiques. La question de la souveraineté est intimement liée à cette question du libre-échange et de la libre circulation des capitaux et des personnes. En libérant le commerce, vous ne faites pas que libérer le commerce, vous cassez mécaniquement les liens sociaux d'une nation, et in fine la démocratie. Car vous ôtez toute possibilité d'action politique et économique réelle. Encore une fois, il ne s'agit pas ici de prôner la fermeture totale, si le libre-échange peut se permettre d'être stupide, le protectionnisme ne le peut pas, il doit être adapté aux conditions réelles d'une nation. Mais en rendant le protectionnisme impossible, en rendant impossible toute régulation du commerce même par la monnaie puisque nos élites ont rajouté aux contraintes du libre-échange l'impossibilité de dévaluer. Vous rendez impossible la politique avec un grand P. Il ne reste dès lors plus que les sujets secondaires et les faits divers pour faire semblant d'encore faire des choix politiques.
Ce n'est donc pas un hasard si la démocratie s'effondre depuis le milieu des années 70. Cela coïncide très exactement avec le projet néolibéral cherchant justement à faire sortir la question économique de l'action politique et donc de la démocratie. Peut-on réellement se plaindre du fait qu'une idéologie antidémocratique finisse par produire un système non démocratique ? Non bien évidemment. Alors bien sûr la globalisation a produit des paradoxes, car ce que je viens de dire n'est valable que pour l'occident sous domination américaine. Et c'est d'ailleurs pour cela que l'histoire n'est pas terminée et que nous ne vivrons jamais dans un monde d'individus sans nation. La Chine a par exemple très bien su utiliser la bêtise des capitalistes occidentaux pour elle-même faire une industrialisation à une vitesse invraisemblable. Et elle utilise maintenant cette puissance nouvelle pour faire avancer son propre agenda selon ses propres conceptions politiques et économiques très éloignées du libéralisme débilitant occidental. De fait, les élites occidentales ont tellement affaibli leurs propres nations que la question même de la protection de leurs propres intérêts commence à se faire jour. Peut-être est-ce là que se situe le trumpisme. Dans une prise de conscience que les élites sont allées trop loin dans la démolition nationale, au point de se mettre en danger face aux nouvelles puissances montantes qui elles sont bien nationales.
Les super-monopoles planétaires
Si le libre-échange est présenté depuis le début comme une machine à nourrir la concurrence, il s'agit là d'un aspect qui a beaucoup changé depuis le début dans les années 70. En effet, les marchés sont par nature éphémères, c'est d'ailleurs un aspect dont on parle rarement. En effet par la mécanique même de la concurrence couplé à la mécanique du capitalisme financiarisé, vous avez une machine à concentrer massivement les activités. De fait, les marchés finissent souvent par se réduire à quelques acteurs quand il n'y a pas carrément des monopoles privés qui se forment. Cette tendance grégaire des marchés capitalistes à concentrer les activités a d'ailleurs été prise en compte par les ordolibéraux allemands. Ces derniers pensant que l'état devait intervenir pour faire revenir la concurrence lorsque les activités sur un marché étaient trop concentrées. Aux USA cela avait donné les lois antitrust, mais elles sont rarement appliquées, et de manière très parcellaire. Il suffit souvent à ces grosses entreprises de verser des amendes pour s'en sortir. Quoiqu'il en soit, la concurrence aujourd’hui à l'échelle de la planète n'est pas une concurrence entre des entreprises, mais entre des mains-d’œuvre et des systèmes sociaux. Le pays qui martyrise le mieux sa population étant le gagnant de la course à l’attraction des investissements économiques. Car le but de la concurrence actuel n'est pas la véritable concurrence entre les entreprises, cela réduirait les rentes du capital. Le but de la concurrence est toujours d'amoindrir le poids des salaires distribués, et rien d'autre.
Si ces théories visant à remettre de la concurrence par l'intervention de l'état peuvent sembler être du bon sens en pratique, c'est autre chose. Les grandes entreprises peuvent corrompre le personnel politique et faire en sorte que leurs intérêts ne soient jamais réellement remis en cause sauf pour dans la communication officielle. Et là où cela se corse, c'est avec les effets de la globalisation. En effet, si les états français ou américains pouvaient bien mettre au pas leurs grandes entreprises lorsqu'elles étaient enfermées dans le marché national c'est beaucoup moins vrai maintenant qu'elles se sont globalisées. Le dernier effet malsain de la globalisation, et non des moindres, est donc la fabrication de monopoles et de cartels globaux à l'échelle de la planète. Des groupes tellement puissants que même les états nations les plus imposants ne peuvent plus contrôler. C'est là probablement le point le plus antidémocratique des effets de la globalisation. Ces grands groupes sont en fait dans le cadre du système actuel de véritables entités politiques agissant dans leurs propres intérêts, mais non géolocalisable si je puis dire. Ce sont des empires sans territoire, mais dont les possessions sont des capitaux, des brevets et des rentes diverses. La plus emblématique de ces monstruosités étant probablement Blackrock.
Le système postnational occidental a fini par revenir en réalité aux origines du système capitaliste, le féodalisme. Mais un féodalisme où la puissance n'est plus dans la possession d'immenses terres et serfs, mais dans le contrôle des capitaux et des rentes sous toutes leurs formes. Heureusement, ce nouveau féodalisme ne tient que par la puissance de la domination américaine sur le monde. On peut penser que la remise en cause du système américain et le retour des frontières nationales un peu partout sur la planète y mettra fin. Mais l'on peut se demander vers quoi ce système aurait pu aller à long terme. Il manquait aux conglomérats géants et privés la force militaire pour véritablement asseoir leur puissance. On peut donc se demander si finalement le globalisme américain s'il n'avait été entravé par les puissances montantes n'aurait pas fini par produire des seigneurs féodaux privés avec des entreprises globales imposant militairement à des peuples telle ou telle politique.