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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 15:31

 

Une information qui a été reprise un peu partout vient de sortir sur les premières mesures commerciales de monsieur Trump. Elles disent plus long qu'un grand discours sur les orientations réelles du nouveau président américain. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'option nationale, dont il se prévaut, recule pendant qu’apparaît en réalité une vision impériale comme la précédente, mais sous une autre forme. En effet loin de faire du protectionnisme un outil au service d'une réindustrialisation nationale, Trump fait du protectionnisme le même usage que Biden à savoir un moyen de pression et une arme à l'encontre de leur principal adversaire stratégique qu'est la Chine. Il vient en effet de menacer les pays qui voudraient rejoindre la proposition des BRICS sur la création d'une unité de compte internationale pour remplacer le dollar dans les échanges internationaux. Cette proposition fut l'une des questions les plus importantes abordées pendant la récente réunion des BRICS qui s'est tenue à Kazan. Vous pouvez lire les documents en anglais qui résume les prises de position des différents partenaires lors de cette importante réunion. Une réunion que l'on pourrait facilement comparer à celle de Yalta à la sortie de la Seconde Guerre mondiale ou à celle de Bretton Woods.

 

Trump compte donc taxer à 100% les pays qui entreraient dans cette logique pourtant nécessaire en réalité de la réorganisation de la structure monétaire du commerce international. Car nul ne peut prétendre de façon rationnelle qu'il est logique qu'un pays en particulier détienne le droit d'émettre de la monnaie internationale. Cette situation pouvait peut-être se justifier en 1945 par le poids des USA sur l'économie mondiale, mais il s'agissait déjà à l'époque d'une justification par le rapport de force et non par la logique de la bonne gouvernance, si je puis dire. Keynes avait d'ailleurs prévenu ses homologues américains des dangers que ce type de privilège pouvait produire à plus longue échéance. L'initiative des BRICS est donc d'un point de vue logique totalement justifiée, et cela même si les BRICS n'avaient pas représenté le poids qu'ils ont désormais. On rappellera d'ailleurs au passage qu'à l'origine le projet de la monnaie européenne avait justement pour but d'échapper au privilège du dollar. Et si l'euro n'avait pas été transformé en outils pour créer un fantasque état fédéral européen peut-être aurait-il pu avoir cette fonction. Les BRICS tentent la même chose, mais de façon beaucoup moins stupide et idéologique.

 

Pour en revenir à notre sujet principal, comme nous l'avions vu dans le cas du protectionnisme sous Biden, l'on voit bien que le nouveau protectionnisme américain ne répond pas vraiment à l'objectif affiché. Officiellement, Trump, tout comme Biden, et avant eux Obama, qui fut le premier à remettre en question le libre-échange en réalité, utilise le protectionnisme pour faire de l'America First comme il dit. Il présente le protectionnisme comme un outil visant à réindustrialiser le pays qui croule sous les déficits commerciaux. Comme je l'ai dit récemment après une remontée partielle, le déficit commercial américain recommence à plonger depuis quelques mois. L'on pourrait dès lors tout à fait abonder dans le sens de Trump et comprendre la nécessité d'un protectionnisme pour redresser la balance commerciale. Le problème n'est pas là, sauf pour les obsédés idéologiques du libre-échange bien entendu. Mais l'on voit bien qu'il y a quelque chose de problématique dans ce nouveau protectionnisme américain. En effet, il cible certains pays en particulier et il est visiblement avant tout une démarche géopolitique plus qu'économique.

 

D'une part, nous avons vu la multiplication des menaces et du protectionnisme anti-chinois. Les USA ont tout fait pour nuire aux industriels chinois et cela ne s'arrête pas à quelques droits de douane. Ils ont par exemple obligé l'entreprise néerlandaise ASLM à couper ses liens avec la Chine, elle qui produit les machines nécessaires à la lithographie des circuits imprimés pour les semi-conducteurs. On n’est pas du tout dans la volonté d'une politique de réindustrialisation ici, mais uniquement dans une stratégie de nuisance vis-à-vis d'un adversaire qui monte en gamme et dont on veut arrêter sa montée en gamme. Du reste comme je l'ai déjà dit taxer un pays en particulier n'a aucun sens si le but était réellement une réindustrialisation. Car dans la globalisation actuelle, il est très simple de déplacer des usines d'assemblage et de faire changer officiellement la nationalité d'une production. Pour éviter les taxes sur les véhicules chinois, les industriels n'ont eu qu'à faire de l'assemblage au Mexique par exemple pour camoufler la réalité de la provenance des productions. Les pièces continuant d'être produites en réalité en Chine. Le seul bénéficiaire de ce protectionnisme tartuffe étant le Mexique et tant mieux pour ce pays. Mais on le voit bien ici, ce protectionnisme de sanction contre un pays n'est pas un outil de réindustrialisation, en aucun cas. Et les électeurs de Trump risquent bien vite d'être déçus en voyant les conséquences concrètes de cette escroquerie de communicant. Si Trump voulait rouvrir des usines automobiles par exemple, il taxerait tous les véhicules importés, quel que soit le pays sans distinction. Il favoriserait les réimplantations des industriels aux USA au lieu de déplacer des usines Apple de la Chine vers l'Inde ou le Vietnam par exemple. Or ce n'est pas du tout ce que font les élites US.

 

Ajoutons à cela que Trump menace maintenant le Mexique et le Canada de taxation à 25% s'ils ne mettent pas fin aux passages de clandestins ou au trafic de drogue concernant les opiacés. C'est assez drôle quand on pense que la crise du Fentanyl est avant tout une crise produite par les laboratoires américains et non par les pays voisins. On se souvient que la société française Publicis avait été condamnée par la justice américaine pour avoir fait la pub de ces produits et pourtant les labos américains qui ont produit et valorisé ces saloperies s'en sortent toujours à l'image des propriétaires de Purdue. On le voit, le système américain tout entier semble pensé pour accuser l'extérieur de ses propres dérives. Faut-il y voir les effets d'un système totalement corrompu, probablement, mais ce n'est pas le sujet du jour. Trump, loin d'être un nationaliste comme certains l'ont présenté, ou d'être un isolationniste, semble surtout vouloir changer de stratégie pour assurer la domination de l’imperium américain. Il veut utiliser le protectionnisme dans ce sens et cela me gêne énormément à titre personnel, car le protectionnisme est justement un outil autrement plus intéressant s'il s'inscrit dans une optique réelle de réindustrialisation.

 

Du bon usage du protectionnisme

 

Alors, maintenant plaçons-nous d'un point de vue patriotique et non impérialiste. Si nous utilisons le protectionnisme non pour forcer le changement commercial d'autres pays, mais pour réellement réindustrialiser le nôtre comment devions-nous faire ? Commençons tout de suite par cette prémisse de Keynes. Il ne s'agit pas d'arracher la plante avec ses racines, mais de l'habituer progressivement à la faire pousser dans une autre direction. Le système économique est quelque chose à la fois d'assez simple à comprendre, mais aussi très complexe. Faire des changements extrêmement brutaux dans un sens ou dans l'autre peut avoir des conséquences imprévisibles, et l'imprévisible peut toujours avoir de graves conséquences. Je vous conseillerai d'éviter les mesures à l'emporte-pièce comme mettre 100% de droit de douane partout d'un seul coup. On peut être stupide lorsqu'on fait du libre-échange sans faire attention, car le marché mondial pourra toujours pourvoir à vos besoins moyennant endettement bien évidemment. Un protectionnisme stupide peut provoquer des pénuries, ce qui est autrement plus grave suivant le secteur concerné. Si vous êtes dépendant à 100% d'importation pour vos médicaments, de très grosses taxes mises en place d'un coup pourraient simplement décourager les producteurs à vendre sur votre marché et vous vous retrouveriez rapidement sans médicament. À un moindre degré, cela nourrirait à court terme une forte augmentation des prix.

 

Tout est donc affaire de timing et de précision. Faire une politique protectionniste demande donc une bonne connaissance des capacités de production de votre propre pays et des prévisions industrielles. Bref, cela demande une certaine planification, contrairement au libre-échange. Peut-être est-ce finalement la masse de travail que cela demande qui a été le rôle prédominant dans la préférence de nos élites pour le libre-échange. Il ne faut jamais négliger la paresse de certains, en particulier dans les hautes sphères de l'état. Ce n'est pas un hasard si les états en parti communiste d'Asie comme la Chine ou le Vietnam sont ceux qui ont le mieux utilisé le protectionnisme, c'est aussi parce que ce courant de pensée leur a légué une véritable tradition de planification si je puis dire. Colbert puis le Gaullisme et le CNR nous en avaient aussi légué une mais on a tout jeté à la poubelle dans les années 80-90. Quoiqu'il en soit, il faut coupler à des politiques de protection une véritable stratégie industrielle nationale.

 

Il s'agirait aussi de minimiser les effets néfastes du protectionnisme à court terme. Le but, il faut se le rappeler, n'est pas de réduire le niveau de vie de la population, mais bien de pousser l'organisation économique à rouvrir des usines en France et à réduire nos dépendances aux importations. In fine il est probable que cela réduise un peu le niveau de vie puisque les productions locales seront sans doute plus cher, mais cela restera dans le domaine du raisonnable. À mon sens mieux vaut être un peu moins riche, mais indépendant que d'être tout entier soumis à des puissances étrangères. Et je pense qu'une grande partie de notre population penserait de même si la question était posée. Cependant, le but n'est pas l'autarcie (probablement impossible à faire dans un pays comme la France) , mais la régulation macroéconomique ainsi qu'une plus grande autonomie sur le plan géostratégique. De fait, il vaut mieux faire du protectionnisme étalé dans le temps et augmentant de façon sectorielle et progressive. Par exemple, on annonce dans un secteur où nous sommes particulièrement dépendants une taxe de 5% dans un premier temps, une taxe qui augmentera officiellement année après année pour atteindre un niveau suffisant pour rendre compétitives sur le marché intérieur les productions nationales. On minimise l'effet sur les prix en premier lieu et l'on donne une perspective aux producteurs pour qu'ils aient le temps de localiser les productions. On peut également imaginer des subventions éventuelles si des problèmes de coûts entrent en jeu pour rapidement rapatrier des productions. C'est au cas par cas si je puis dire.

 

Je rappellerai également que les droits de douane ne sont pas le seul protectionnisme possible. Il y a les quotas par exemple qui ont d'énormes avantages. Un quota en volume permet de limiter les importations sans y être fermé. Si vous consommez trois millions de véhicules par an par exemple et que vous souhaitez qu'au moins 90% des véhicules soient produits en France, vous pouvez mettre un quota de 10% en volume ce qui fait dans ce cas 300K véhicules importables sur le territoire français par an. Cela laisse les innovations externes pénétrer le marché sans pour autant faire sombrer toute l'industrie. L’industrie nationale beaucoup plus petite que celle de la Chine par exemple pourra alors copier ce que font les Chinois sans être pour autant menacés de disparition. On notera que l'immense avantage des quotas en volume est aussi d'être totalement insensible aux variations des taux de change. Seulement les quotas n'ont de sens que s'il y a déjà une production nationale capable de remplir les besoins de la population. Même dans l'automobile, nous n'y sommes plus depuis longtemps. Quoiqu'il en soit, nous avons rapidement abordé ce thème, mais j'espère que les politiques protectionnistes ne seront pas trop dévalorisées par l'usage impérialiste que les USA risquent d'en faire dans les années qui viennent. Le but n'est pas de nourrir le conflit entre nations et empire, mais la régulation, de façon à éviter les trop grands déséquilibres commerciaux producteurs de crises et de conflits graves. Si le commerce entre les peuples doit être doux, il ne l'est pas naturellement contrairement à ce que pensait Montesquieu. Il nécessite une régulation objective et donc des frontières pour éviter les excès de certains.

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