Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
On est donc fixé. Trump va lancer la guerre commerciale avec l'UE en taxant les importations européennes à 25% . Reste à savoir si cette politique conduira bien les USA dans la direction que cherche à obtenir Trump à savoir une réindustrialisation des USA. Le doute est permis à plus d'un titre puisque comme vous le savez si vous suivez ce blog, la principale raison de la désindustrialisation aux USA est d'abord le dollar. Le libre-échange en lui-même est évidemment problématique, mais le fait d'avoir une monnaie qui n'a plus aucun rapport avec les capacités économiques d'un pays l'est tout autant. Nous sommes bien placés en France pour le savoir puisque notre balance commerciale s'est surtout dégradée à partir de la mise en place de l'euro, la France maintenait jusque là sa balance même avec les traités de libre-échange. L'euro a littéralement coulé notre industrie. C'est un peu la même chose pour les USA même s'ils ont officiellement gardé leur monnaie. Le fait est que son taux de change n'est plus du tout en relation avec la balance commerciale et la situation réelle de l'économie américaine.
L'explication est simple, en devenant une monnaie de réserve internationale, le dollar est acheté par toute la planète pour divers échanges. Dès lors qu'il circule internationalement et qu'il sert pour les matières premières, sa valeur n'a plus de rapport avec la balance des paiements américaine. C'est là qu'est le fameux modèle américain qui constitue une énigme si l'on ne prend pas ce rôle en compte. En effet, un pays aussi endetté avec de tels déficits commerciaux devrait voir sa monnaie se dévaluer pour ne pas dire s'effondrer dans la situation actuelle. Pourtant le dollar se maintient, voire s'apprécie face à d'autres monnaies du monde. Mais ce miracle américain qui permet aux USA de maintenir leur croissance en ne tenant aucun compte de leurs dettes est aussi ce qui explique la désindustrialisation. En effet, le travail importé coûtera toujours moins cher que le travail local puisque les USA peuvent acheter « gratuitement » des marchandises du monde entier avec des dollars qu'il ne tient qu'à eux d'émettre comme disait de Gaulle. Il faut bien comprendre cette réalité avant de parler de modèle américain, ou de puissance de l'économie américaine. Les USA sont en quelque sorte le banquier central de la planète tenant le rôle d'émetteur monétaire planétaire.
Si le premier pilier de cette « puissance » est le dollar, le second est la consommation. Grâce à son rôle monétaire, les USA depuis 1971 et le décrochage du dollar avec l'or ont pu accroître leur consommation bien au-delà de ce que leur permettaient en réalité leurs capacités de production. Ils sont ainsi devenus le consommateur en dernier ressort à partir des années 70. Et ce d'autant plus fortement que les autres zones économiques développées se sont lancé dans les politiques de l'offre en comprit leur demande intérieure à partir du choc inflationniste. La domination américaine n'est plus depuis le fruit de leur productivité ou de leur technologie, mais celui de leur consommation et de l'autosabordement des autres économies européennes et asiatiques qui attendent que les USA relancent l'économie régulièrement à coup d'endettement supplémentaire. Cette description était celle d'Emmanuel Todd dans son livre « Après l'Empire » et elle n'a pas du tout pris une ride, bien au contraire, plus que jamais, les USA dominent par la monnaie et leur rôle central de demande planétaire.
Le fait que l'Europe aujourd'hui supplie Trump de ne pas taxer ses exportations rappelle ouvertement cette réalité du rapport économique. Les Européens supplient de pouvoir continuer à exporter gratuitement des marchandises vers les USA qu'ils paient littéralement en monnaie de singe. Mais ce protectionnisme balourd de Trump montre aussi qu'il n'a pas vraiment compris le problème américain. Car il veut réindustrialiser sans remettre en compte le statut du dollar américain. Il est pourtant évident qu'il y a là une contradiction fondamentale qui va nécessairement faire échouer la stratégie de Trump. Si Trump veut réussir, il devrait remettre en question le statut du dollar en réalité. Il y aurait d'ailleurs une méthode tout à fait responsable qui consisterait à discuter avec les autres régions du monde pour mettre en place un nouveau moyen de paiement international. Il rendrait ainsi caduques les BRICS en organisant un nouveau Bretton Woods entre les grandes puissances économiques de la planète. Il pourrait se mettre d'accord avec la Chine l'Europe, la Russie et les pays producteurs de matières premières pour mettre en place ce nouveau système tout en gérant en douceur le changement du statut du dollar. Et cela pour éviter un effondrement brutal. Malheureusement, les USA ne semblent pas disposés à faire ce changement malgré leur discours apparent sur la multipolarité nouvelle. Trump semble simplement faire de l'impérialisme autrement, les problèmes de fonds vont rester.
L'Europe allemande est dans une impasse
Mais pour les Européens le choc est brutal. Surtout pour les Allemands qui ont organisé tout leur modèle économique autour de l'illusion chimérique d'une exportation sans fin. C'est que l'Allemagne depuis l'arrivée de l'euro a pris le contrôle du continent grâce à l'élimination des concurrents français et italiens. Ne pouvant plus dévaluer les deux autres ont coulé même si la France a maintenu un semblant de croissance pendant 20 ans en laissant filer les déficits commerciaux. Le but de l'Allemagne n’a pas été de faire de l'UE un marché pour ses produits, mais plutôt un système à exploiter pour exporter en dehors de l'UE. Les Allemands avaient une stratégie simple. Pour eux l'Europe c'était un marché condamné à cause de la démographie déclinante. Il fallait se tourner vers le grand large. Elle a utilisé l'euro comme un boulier à son commerce extérieur, car cette monnaie était sous-évaluée par rapport aux excédents allemands. En temps normal le deutsche mark se serait effectivement apprécié avec les excédents du commerce allemands. Annulant de facto les fameux excédents.
Mais grâce à l'euro cela ne s'est pas produit, du moins pas au niveau auquel aurait pu aller l'ancienne monnaie allemande. Les déficits commerciaux des autres membres de la zone euro ont en quelque sorte protégé l'Allemagne d'une réévaluation monétaire permettant au pays d'engranger toujours plus d'excédents commerciaux. Dans le même temps, l'obsession allemande pour les excédents a poussé tous les autres membres à faire des concours d'austérité économique, particulièrement après la crise de 2008. On se souvient tous du traitement immonde de l'économie grecque, qui aurait très bien pu récupérer rapidement en sortant simplement de l'euro et en dévaluant. Mais les Allemands ont eu une vision économique totalement pensée sur le court terme en réalité et c'est tout le problème. Il s'agit là probablement d'un des effets de la société machine dont parle Emmanuel Todd. Une société capable de réaliser un plan collectif de façon très efficace, mais qui ne se pose pas trop la question de savoir si le plan en question est vraiment une bonne idée, car on obéit au chef sans trop poser de question. De fait, il y avait deux énormes problèmes dans le plan allemand.
Le premier était d'imaginer que les excédents ne poseraient pas de problèmes aux autres. À croire que les Allemands ont pensé qu'il pourrait faire croître les déficits commerciaux d'autres pays comme ils l'ont fait pour la France. Et bien les USA ne sont pas la France, et il semble qu'ils aient atteint leur limite. Un système commercial mondial ne peut fonctionner durablement qu'avec des comptes extérieurs à peu près à l'équilibre sur une certaine période. Les pays mercantilistes qui accumulent des excédents à l'image de l'Allemagne ou de la Chine de plus en plus déstabilisent l'économie mondiale et poussent certains pays dans de grandes difficultés. Il est donc normal que des pays réagissent, ce qui est anormal est la passivité de certains à l'image de notre pauvre pays. Le protectionnisme américain frappe l'UE, car nous sommes malheureusement solidaires de l'Allemagne par monnaie interposée, mais en réalité c'est bien cette dernière qui est visée par Trump.
La seconde erreur allemande, plus globalement la plus grosse erreur des politiques de l'offre, est d'imaginer que l'occident et l'Europe allaient continuer à dominer le commerce international. Comme le disait très justement Jean-Luc Gréau, il y a derrière le libre-échange un parfum de racisme à peine camouflé. Avec l'idée que les blancs contrôleraient les technologies à forte valeur ajoutée pendant que les jaunes produiraient les biens bas de gamme. On savait pourtant d'expérience avec le Japon puis la Corée du Sud que c'était complètement idiot comme raisonnement, en plus d'être raciste, mais c'est pourtant très clairement ce qu'une grande partie des élites occidentales ont pensé en faisant la globalisation. Hélas maintenant ce n'est plus le Japon et ses 127 millions d'habitants qui sont en face de nous, et qui étaient gérables, mais c'est la Chine avec une masse humaine de 1,4 milliard d'habitants. Autant dire que la Chine va nous écraser pas seulement sur la quantité, mais aussi sur la qualité, car elle a bien plus d'ingénieurs et de scientifiques que nous. Elle vient d'ailleurs de devenir exportatrice nette de machines-outils, un secteur qui était pourtant le point fort de l'Allemagne. On voit très bien que le déclin allemand correspond à la montée en gamme de la Chine et cela ne fait que commencer. Il n'y aura bientôt plus aucun domaine où l'Allemagne pourra faire valoir des compétences supérieures, il faut l'accepter et s'y adapter au lieu de s'enfermer dans des mirages.
En analysant ces deux points, on voit bien que la politique de l'offre et l'obsession pour les exportations sont une impasse pour l'Europe. D'un côté les pays déficitaires commencent à se protéger même si dans le cas des USA il n'est pas certain que cela réindustrialise réellement le pays. Mais de l'autre les géants du sud arrivent et seront à l'avenir non seulement moins chers, mais aussi beaucoup plus innovants et dynamiques pour des raisons démographiques évidentes. À partir de là il faut bien admettre que l'idée de vivre en rentier du commerce international était une idée à la con si je puis dire. Alors je ne vais pas charger inutilement les Allemands, cette idéologie était partagée par tous les imbéciles qui nous dirigent depuis 50 ans que ce soit en France ou ailleurs en Europe. Les Allemands ont juste mieux mis en pratique ce délire que les autres. Le problème c'est qu'il faut aujourd'hui en sortir et le plus rapidement possible. Si nous pensons continuer à exporter et à faire concurrence aux Chinois, on va aller vers de très grandes déconvenues. Je pense que le protectionnisme américain a du bon dans le sens où il va pousser les Européens à repenser l'économie. Le but d'une économie n'est pas d'exporter, mais avant tout de répondre aux besoins d'une population. Exporter vers les USA en réduisant les salaires et les niveaux de vie en Europe pour accumuler des dollars n'avait en réalité aucun sens et faisait de nous les esclaves pratiques de l'Oncle Sam.