Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Nous avons rapidement parlé des véritables urgences pour la société française dernièrement, et il est bien évident, je pense que le réarmement face au danger russe n'est qu'une astuce macroniste assez grossière pour camoufler les errements de sa propre politique. La France n'a rien à craindre de la Russie, ni rien à craindre une invasion militaire immédiate. Le véritable danger pour la France est dans son effondrement économique et démographique, mais cela n'est que le produit des politiques néolibérales menées inlassablement depuis les années 70. Le mal est en nous en réalité et c'est finalement beaucoup plus grave et beaucoup plus dangereux qu'une invasion. Les conflits extérieurs nourrissent généralement l'unité nationale comme ce fut le cas avec les conflits contre l'Allemagne. Mais cette fois l'ennemi c'est une partie des Français eux-mêmes qui s'engraissent sur la destruction de leur propre pays, et là c'est beaucoup plus compliqué à combattre. D'autant que les principaux intéressés qui profitent de la destruction du pays ne sont bien souvent pas véritablement responsables au sens où ils n'ont souvent pas conscience du mal qu'ils font à part chez certains décisionnaires.
Comme je l'ai déjà expliqué dans un autre texte, la France est désormais une économie de rente. Emmanuel Todd, dans sa dernière intervention que je vous recommande puisqu'il a longuement parlé de la France pour une fois, a mis en exergue le poids du logement dans la baisse de la fécondité. Et l'explosion des prix du logement c'est la grande marque du tournant rentier de l'économie française. Une évolution qui était tendancielle depuis les années 70 et qui s'est fortement accélérée avec la mise en place de l'euro. L'euro ayant permis des taux d'intérêt très bas dans l'immobilier, le capital français s'est gaspillé massivement dans la construction créant une bulle massive dont nous sommes loin d'être sorti, malgré les baisses récentes. En réalité, c'est la résultante logique de l'orientation néolibérale prise par notre pays à l'époque de Giscard et même un peu avant si l'on regarde certaines décisions qui ont été prises alors que de Gaulle était encore au pouvoir. Ainsi comme j'aime le rappeler, la fin du circuit du trésor date de 1967. Rappelons que le circuit du trésor était un système qui permettait à l'état d'emprunter à la banque de France à des taux évidemment très bas. Un système qui permettait de financer les projets nationaux sur le territoire.
Il s'agit là de quelque chose d'extrêmement important à comprendre parce que tout l'endettement dans les pays occidentaux vient justement de l'emprunt sur les marchés financiers dont étrangement personne aujourd'hui, pas même la « gauche », ne remet en question la validité. On l'a oublié pourtant pendant toute la période d'après-guerre, les bourses et la finance n'avaient que des rôles extrêmement secondaires dans nos économies. Les acteurs c'était l'état et les grandes banques avec des banques dont les métiers avaient été fortement spécialisés. La crise de 1929 avait effectivement fait comprendre le grand danger que représentaient les banques universelles, et qu'il était extrêmement important de séparer les activités bancaires. En particulier celles des affaires et celles qui géraient les dépôts pour éviter que les crises dans les banques d'affaires n'affectent la confiance dans l'épargne, et ne produisent des paniques bancaires. En plus de cela l'état français après-guerre n’empruntait plus qu'à la banque de France pour les investissements nationaux. Comprenez bien qu'il n'y a aucune raison pour un état d'emprunter sur des marchés financiers.
Au risque de choquer la monnaie, cela se fabrique, et aujourd'hui ce n'est qu'une inscription monétaire numérique. Toute la politique qui vise à favoriser les capitaux étrangers et les investisseurs part d'un biais cognitif produit par une incompréhension radicale du fonctionnement du système monétaire et économique. En réalité, ce biais est en grande partie le produit de l'idéologie libérale et des idées néoclassiques. Comme je l'avais déjà dit dans un autre texte, il n'y a pas quelque part sur terre une mine à capitaux dont il faudrait extraire les ressources pour s'enrichir. Le capital on en produit autant qu'on veut, ce qui compte ce sont les capacités physiques de production et de consommation. Une nation libre peut produire autant de capital et de monnaie qu'elle veut selon ses besoins. La seule exception est lorsqu'elle est obligée d'acquérir des biens et des matières premières provenant de l'étranger. Là elle est obligée d'acquérir de la monnaie étrangère et donc de s'endetter vis-à-vis du pays avec lequel elle a un déficit. C'est pour cela que la question de la balance des paiements est aussi importante d'ailleurs, car c'est sur ce point que la souveraineté nationale peut réellement être mise en péril.
Reconstruire un système financier national
Il n'y a donc aucune raison rationnelle à s’endetter sur les marchés financiers pour financer des projets en France. La seule raison est idéologique. Les gens qui ont décidé d'imposer les marchés financiers à l'état furent ceux qui pensaient que par nature la possibilité pour l'état d'émettre autant de monnaie qu'il voulait en théorie provoquerait naturellement une hyperinflation. Pourtant l'histoire française d'après-guerre montre largement que l'état a été plus que raisonnable sur ses projets. L'émission monétaire n'a jamais servi à financer les dépenses courantes, mais uniquement les dépenses d'investissement. Et il est quand même particulièrement antidémocratique de dire que les marchés doivent réguler les états nations dont pourtant les dirigeants ont été élus au suffrage universel. Cela dit quelque chose sur la nature du néolibéralisme, cette méfiance à l’égard de la démocratie. On ne saurait mieux ici décrire l'incompatibilité fondamentale entre le libéralisme économique et le libéralisme politique que dans cette dissension sur le rôle des marchés, de l'état et de la monnaie.
Nous sommes là au cœur du problème français et plus généralement européen. Les créateurs de l'Europe ont la même idéologie que les gens qui ont imposé aux états l'emprunt sur les marchés financiers. Ces gens veulent discipliner les peuples, les mettre sous une tutelle supposée supérieurement intelligente et mue par les mouvements spéculatifs des marchés financiers. Le projet néolibéral, et le projet européen qui fut son camouflage derrière laquelle il se cachait, avait pour but de limiter la démocratie en pratique et de mettre au pouvoir les seules puissances d'argent. Et c'est très exactement ce qui s'est produit. Les trois grandes libertés économiques, la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes ont ensuite accompagné le détricotage des états sociaux et régulés d’après guerre. Vous comprenez bien que la concurrence ne se fait que sur l'abaissement des impôts et des charges et pour financer cela il faut réduire les dépenses publiques. Certains aujourd'hui s'étonnent des dysfonctionnements de nos services publics, mais ce fut le but initial de ces politiques. L'objectif final est la privatisation de tous les services publics et nos dirigeants sont prêts à tout pour y parvenir.
Les difficultés budgétaires de la France ne sont donc pas seulement un accident, mais le résultat d'une accumulation de choix qui ne pouvaient conduire qu'à cette situation. Malheureusement pour les néolibéraux ils pensaient très sérieusement que la destruction des états sociaux et la transformation des états en machine à soutenir les entreprises produiraient plus de croissance à terme, mais ce ne fut pas le cas. Loin d'avoir permis une forte croissance en Europe, le continent coule de plus en plus vite sous le poids de ses propres politiques malthusiennes et néolibérales. Il semblerait qu’appauvrir la population et réduire les salaires n'aient pas été si bénéfique que ça à l'économie, qui aurait pu prévoir ça ?
La question à laquelle sera confronté un état français qui voudrait sérieusement redresser l'économie française ne s'arrête donc pas à la question de la seule sortie de l'euro. Si cette camisole de force est évidemment un boulet absolu pour notre économie, il faut également repenser complètement notre système financier et monétaire. Nous devons revenir à un système de financement public des dépenses d'investissement. Dans le même ordre d'idée, il n'est pas sain de laisser aux seuls spéculateurs financiers le soin de diriger les orientations économiques, mais nous y reviendrons dans la seconde partie de ce texte.