Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Nous avons abordé dans la partie précédente la nécessité pour la France de revenir à un système de financement public des investissements à travers un mécanisme comme celui du circuit de trésor. Les emprunts à l'étranger et sur les marchés financiers devant être limité aux besoins de devises pour financer les échanges extérieurs. Dans ce cadre, il est bien évident que nous avons besoin, le plus que possible, d'équilibrer notre balance des paiements, et donc de maintenir ou de créer sur notre sol les productions pour nourrir notre consommation. La question du fonctionnement de l'emprunt national est très importante puisque ce sont en partie les choix faits depuis la fin des années 60 qui nous ont conduits à la dette actuelle. Et cela sans même parler de la question des dépenses exceptionnelles fortement discutable qu'on put fait à nos dirigeants que ce soit la sauvegarde des banques privées après la crise des subprimes, de l'endettement pour la crise du Covid ou des dépenses délirantes pour la guerre en Ukraine. Il est bien évident que toutes ces dépenses n'étaient pas des investissements et ont donc coûté très cher au français.
Mais les mécanismes mêmes de l'emprunt sur les marchés financier sont créateur de problème par nature. Et l'idée que les marchés doivent juger ou non d'une politique à travers les taux d'intérêt est en soi antidémocratique et problématique même d'un point de vue purement économique. Car les marchés ont prouvé à de larges reprises leurs incapacités à se projeter dans l'avenir ou à faire des investissements opportuns. C'est encore plus vrai dans un capitalisme qui ressemble plus à un casino qu'à un cabinet d'investissement rationnel. D'ailleurs, le sens de la finance et de la bourse a totalement changé depuis 50 ans sans que les acteurs en aient réellement pris conscience. En effet loin d'être un lieu de prise de risque et d'investissement la bourse, l'actionnariat et la finance sont devenus petit à petit des machines à ponctionner des rentes sur le dos des entreprises et de la société. Il s'agit là probablement de l'un des facteurs primordiaux dans le déclin des économies occidentales particulièrement celle des USA, mais la France est tout aussi concernée par cette évolution. Il s'agit bien évidemment du second sujet primordial dont nous allons parler rapidement dans cette seconde partie.
Remettre l'actionnariat à sa place
La question du financement de l'économie n'est plus vraiment discutée de nos jours. Si l'on remet de plus en plus souvent en cause le libre-échange et l'euro ou même la libre circulation des capitaux, et heureusement que ces questions sont moins tabous aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a vingt ans, il est par contre devenu beaucoup plus rare de remettre en cause l'utilité de la bourse ou de la finance actuelle. Pourtant comme on va le voir l'utilité des mécanismes de la bourse et de la finance devient maintenant hautement problématique. En effet, nous avons oublié l'origine de la justification des dividendes pour les actionnaires qui se sont pourtant transformés au fil du temps en simple mécanisme de rente sans risque. Loin de favoriser l'investissement pour les entreprises et le développement de leurs activités, la finance actuelle vampirise les forces des entreprises et les pousse même à l'endettement pour soutenir leur cours en bourse. Ce qui est un contresens absolu par rapport à la justification originelle des systèmes de financement actionnarial.
Cette question avait été longuement abordée par Jean-Luc Gréau dans son livre de 2005 « L'avenir du capitalisme » qui a été un livre assez prophétique sur bien des choses en particulier sur la crise des subprimes, puisque Gréau fut l'un des rares économistes à tirer la sonnette d'alarme avant la crise de 2007. Il soulignait déjà dans son livre les dérives du capitalisme financiarisé et dérégulé qui ne finançait plus les besoins réels, mais faisait tout pour gonfler des bulles spéculatives très lucratives pour les petits malins qui savaient s'en servir, mais fortement dommageable pour la majorité de la population et les nations. Il soulignait lui-même le paradoxe moderne, que le capitalisme, intéressé uniquement par les activités les plus rentables, finirait par asphyxier les activités plus courantes qui n'aurait plus de possibilité pour se financer. Non parce que ces activités ne sont pas rentables, mais parce qu'elles ne sont pas rentables au niveau des activités les plus lucratives du marché.
Il prophétisait ce grand paradoxe qu'à terme il était possible que les états soient obligés de finir par créer des activités de production publique pour résoudre des pénuries structurelles, le capital ne finançant plus certaines activités pourtant essentielles à la vie courante. Les pénuries massives de médicaments, en particulier des médicaments de base, montrent que cette logique commence à apparaître dans les économies avancées. Rappelons que le mécanisme qui motive le capital n'est pas l'amour du travail ou de la production, ce n'est même pas la gloire de la réussite, sa seule motivation est l'accroissement permanent du taux de profit. En soi il s'agit d'un mécanisme extrêmement dangereux, car dénuer de tout sens des limites. Des limites qui sont pourtant dans la nature même du monde dans lequel nous vivons, tout à des limites, même l'univers lui-même finira par atteindre ses limites et mourir. Il est donc étrange de fonder l'organisation d'une société sur cet unique concept d'accumulation infinie de profit.
Sur la question des pénuries de médicaments, la DREES vient de sortir une étude statistique sur la question et l'on voit bien que depuis la crise du Covid en particulier les phénomènes de pénurie ont explosé. Et pour l'instant, le système ne revient pas à l'équilibre et il n'est pas certain qu'il y revienne un jour. Alors face à ce phénomène, certains diront qu'il faut juste augmenter les prix pour que le capital revienne sur ces activités. Mais réfléchissons bien à la question. Les activités en question sont rentables aux prix actuels. Il s'agirait donc ici d'augmenter les prix non pour une justification de rentabilité ou d'investissement, mais simplement pour donner plus d'argent aux actionnaires qui en réclament plus. Il fut un temps où ce genre de système avait un nom, mais ce n'était pas celui du capitalisme. On est plutôt sur de la rapine, du servage et du féodalisme. L'on voit donc ici rapidement que, dénué de toute limite, et dérégulé, le capitalisme commence à revenir au fonctionnement de son ancêtre qui était le système féodal. À la différence près que celui-ci avait au moins la limite que représentait la surface des terres exploitées et le nombre de paysans.
Il ne faut pas aller dans le sens de l'actionnariat, mais bien au contraire remettre l'actionnariat à sa place. À l'origine l'on ne traitait pas les actions comme des mouchoirs que l'on jette après usage. Autrefois, l'actionnaire était associé au développement d'une entreprise. On gardait les actions longtemps et on était en quelque sorte associé à long terme au développement de l'entreprise. Tout cet aspect humain de l'actionnariat a disparu en même temps que l'on a fluidifié les marchés financiers dans les années 80-90. Et aujourd'hui la bourse utilise les entreprises comme de simples vaches à lait qu'elle trait puis qu'elle abat lorsque les quotas sont insuffisants. L'argent ponctionné des entreprises par la bourse dépasse ainsi largement les apports que la bourse fournit aux entreprises et c'est un véritable problème. Pour mettre fin à cela et remettre le capital au service de l'investissement et du développement, il est urgent de limiter les dividendes pour les actionnaires, mais aussi d'obliger les actionnaires à garder leurs actions plus longtemps. La limite aux dividendes visant à permettre même aux activités moins profitables d'accéder au financement.
Loin de favoriser la spéculation qui est nuisible à l'économie, nous devons favoriser des comportements d'investissement à long terme. Ces derniers ne découlent pas naturellement du comportement spontané des acteurs, comme le pensent les libéraux, mais des contraintes qui imposent des comportements économiques sains. La finance doit redevenir un secteur sérieux où l'on ne gagne pas de l'argent à des taux largement supérieurs au taux de croissance réelle de l'économie. Sans cela le système financier français et occidental continuera sa dérive improductive qui cannibalisera la totalité des derniers restes d'activité productive de nos nations.