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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

Le Japon face à un tournant

 

Il s'agit d'un pays que j'affectionne comme beaucoup de gens de ma génération. C'est probablement l'un des effets du soft power japonais, puisque comme vous le savez le Japon a réussi cet exploit de devenir exportateur de produit culturel dans les années 70, faisant ainsi petit à petit concurrence au maître absolu qu'étaient depuis 1945 les USA. Une concurrence qui a même vu des renversements de rapports de force puisqu'aujourd'hui le manga se vend plus que les Comics aux USA même. Pour ceux qui ont connu les années 80, on se souvient tous d'ailleurs de la peur qu'instillait alors le Japon sur le plan commercial. Certains d'ailleurs se réfèrent à cette époque pour sous-estimer gravement la montée actuelle de la Chine qui est assez différente par son ampleur. Oubliant ainsi au passage que si le japon des années 80 fut une très grande puissance à la pointe de l'innovation, ce n'était jamais qu'un pays relativement petit par rapport aux USA et à peine plus peuplé que l'Allemagne sur un territoire plus exigu que la France. La Chine c'est un pays continent de 1,4 milliard d'habitants.

 

Mais comme vous le savez déjà, le modèle japonais va se fracasser sur deux problèmes. Le premier est que le Japon va entrer dans la globalisation comme tout le monde. Et les entreprises japonaises vont beaucoup délocaliser. Évidemment, vus de France, nous avons l'impression, à juste titre, que le Japon reste un pays industriel, et c'est vrai. Tout comme l'Allemagne il a gardé des industries de pointe. Mais bon nombre d'activités ont quand même été délocalisées et la pression sur les salaires a comme en occident entraîné un décrochage des salaires par rapport aux gains de productivité. Le Japon a échappé en partie au chômage de masse grâce à ses exportations, à sa démographie très faible et à la création de nombreux emplois d'occupation si je puis dire. Mais les effets sont perceptibles depuis, le coefficient de gini, qui indique le niveau d'inégalité plus il est proche de 0 plus la société est égalitaire, est aujourd’hui l'un des plus haut de l'OCDE avec les USA. Alors que le Japon des années 80 avait comme particularité justement d'avoir des niveaux d'inégalité assez faible, en tout cas bien plus faibles que ceux du monde anglo-saxon.

 

Il faut bien comprendre par contre que le Japon est rentré en retard dans la globalisation. Le Japon n'ouvre ses frontières réellement qu'après les accords du Plaza (1985) sous la pression des USA qui voulaient déjà à l'époque rééquilibrer leurs échanges avec l'Allemagne et le Japon. C'était bien avant la prise de poids de la Chine dans le commerce international. Jusque là, le Japon avait gardé un système économique fortement encadré sur les échanges extérieurs avec une politique monétaire de sous-évaluation pour favoriser ses propres exportations. Dans un monde qui était devenu à taux de change flexible, c'était un gros avantage. Le miracle japonais des années 80 tient avant tout à ça. Jusqu'aux années 70, le Japon n'avait pas été plus dynamique qu'un pays comme l'Italie par exemple. La rupture est vraiment le produit d'un retard dans la mise en œuvre du globalisme si je puis dire. Un globalisme qui a été imposé par l'étranger comme ce fut le cas au 19e siècle d'ailleurs. Rappelons pour la petite histoire que le Japon de l'ère des Tokugawa (1603-1868) se caractérisait par une grande fermeture vis-à-vis de l'étranger. Et particulièrement après la rébellion de Shimbara qui était d'origine religieuse puisque le christianisme avait eu un certain succès au pays du soleil levant à la fin du 16e siècle.

 

Mais les chrétiens finirent persécutés, car remettant en question l'ordre social japonais et l'autorité de l'empereur. On estime qu'à l'époque 40 000 chrétiens furent tués au Japon et le pays se ferma comme une huitre pour éviter les influences étrangères. C'est sans compter la violence de certains pays occidentaux, en particulier des USA. Ces derniers obligeront le Japon en 1853 à l'ouverture après un bombardement qui effraya les autorités locales. Le Japon prit conscience alors de son retard dramatique face aux Occidentaux et de la faiblesse géopolitique que cela engendrait. Vous connaissez la suite avec l'ère meiji avec une modernisation incroyablement rapide, l'empire, puis la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. On peut dire que le rapport entre le Japon et les USA ont été d'une importance cruciale ces deux cents dernières années. C'est ce rapport en bien ou en mal qui a façonné en quelque sorte le Japon moderne. Pourtant nous arrivons aujourd'hui, je pense, à un peu de ruptures.

 

Le Japon va devoir changer de modèle de société

 

Si le Japon a pu pendant un temps construire sa prospérité à travers la globalisation américaine, il en a payé un lourd tribut depuis. Tokyo détient énormément de titres de dette US. Et la très faible croissance engendrée par la dérégulation financière et économique transformant l'épargne japonaise en investissement aux USA n'a pas été innocente dans l'effondrement de la croissance japonaise depuis 40 ans. Mais comme dans le cas de l'Allemagne et de l'UE en général, les Japonais se sont soumis sans vraiment réagir. Mais les temps changent et les rapports de force aussi. Si le Japon comme l'Allemagne ont pu depuis une trentaine d'années tirer leur épingle du jeu grâce à leur avance technologique et à leur spécialité de production, c'est aujourd'hui terminé. L'arrivée de la Chine commence à sérieusement toucher l'industrie japonaise. On le voit en particulier dans le recul des exportations de voitures, mais aussi sur les biens d'équipement industriel.

 

On voit bien la rutpure consécutive aux accords du Plaza en 1985

 

D'ailleurs, cette concurrence se voit dans la balance commerciale du pays. Le Japon a connu entre 2011 et 2015 puis entre 2022 et 2023 des périodes de déficits commerciaux, ce qui n'était jamais arrivé depuis les années 70. Pour illustrer cela, Nissan va licencier 9000 personnes, car les ventes reculent en partie à cause de la concurrence chinoise. Et maintenant, le Japon doit affronter le retour du protectionnisme aux USA. Les Américains veulent que les usines japonaises localisent leurs activités aux USA. Entre la concurrence chinoise de plus en plus féroce et contre laquelle le Japon n'a aucune chance malgré la qualité éducative de sa population. Car le nombre est ici une force, la Chine peut faire des économies d'échelle monstrueuse grâce à son marché intérieur de 1,4 milliard d'habitants. Le Japon ne le peut pas. C'est d'autant plus vrai que ce pays est le premier à rentrer dans l'hiver démographique puisque maintenant le japon perd près de 800K habitants par an, soit l'équivalent de la population marseillaise qui disparaît chaque année. Autant vous dire qu'avoir un PIB en croissance dans ces conditions est extrêmement difficile à moins d'avoir de très forts gains de productivité et des très fortes hausses de salaire pour compenser la baisse de la consommation engendrée.

 

La domination commerciale japonaise est terminée

 

Comme dans le cas européen et allemand en particulier, maintenir un modèle économique mercantiliste extraverti n'est plus possible avec la montée en puissance de la Chine. Et dites-vous bien qu'après la Chine il y aura le Vietnam, l'Inde, l'Indonésie, etc.. Que des pays immenses avec une population encore jeune et bien instruite. Il est donc assez vain de croire que nos vieux pays industrialisés pourront suivre à armes égales la concurrence nouvelle. Le Japon tout comme les pays européens devront tôt ou tard remettre en question la globalisation et se focaliser sur leur marché intérieur. Les exportations tireront de moins en moins la croissance. Au contraire même, la concurrence chinoise finira par envahir même le marché intérieur. Ce recentrage sur lui-même pourrait aussi être l'occasion pour le Japon de repenser sa société. Car la question démographique devient aujourd'hui cruciale, et ne peut plus être camouflée derrière des calculs sur les exportations ou autres choses. Cette question est d'ailleurs la même chez nous, et se posera à plus long terme chez les nouveaux pays industrialisés.

 

Cela veut-il dire que le Japon connaîtra à terme une nouvelle période de fermeture comme il en a souvent connu dans son histoire ? Peut-être, mais s'il s'agit de reconstruire une société plus équilibrée, pourquoi pas. La seule certitude c'est que la direction actuelle ne pourra mener le pays nulle part. La crise actuelle sur le prix du riz ou encore sur la dette n’est que des indices sur la non-viabilité du modèle actuel qui a fait son temps.

 

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