Bretton-Woods et l'Empire américain

Comme vous le savez sûrement, il y a une nouvelle réunion des BRICS qui se passe à l'heure où j'écris ces lignes au Brésil cette fois. On se souvient de l'impact important du dernier sommet à Kazan, même si les médias français ont peu parlé de l'évènement. Plus l'empire américain donne des signes de faiblesse et plus les vassaux de l'empire s'enferment dans le déni et l'autoaveuglement. Il faut probablement mettre ce peu d'intérêt des médias français pour les BRICS, dans le cadre de cette évolution socioculturelle d'une élite qui préfère se couper du monde, que d'assumer la réalité. Cependant, comme toujours, ignorer la réalité autant que vous le voulez, elle finira quand même par s'imposer à vous. Il en va dans la vie politique et économique comme dans la vie courante. On voit d'ailleurs enfin le discours officiel changer vis-à-vis du conflit ukrainien par exemple, puisque les médias français reconnaissent enfin qu'il y avait bien des mouvements extrémistes en Ukraine. Ce que tout le monde savait pertinemment avant même le déclenchement du conflit entre la Russie et ce pays.

Évidemment, nos journalistes, et nos politiques le savaient très bien. Mais pour justifier les immenses sommes d'argent injecté inutilement dans ce conflit il fallait une Ukraine bien propre, démocratique et en face une méchante Russie à la limite de l'impérialisme germanique d'autrefois. Comme la guerre est très visiblement perdue, le système commence à véritablement lâcher l'Ukraine. Le moment de vérité après avoir touché les USA en provoquant l'élection de Trump, pourraient bien cette fois toucher l'UE et la France. Comme l'a rappelé régulièrement Emmanuel Todd, la défaite est un moment dangereux pour des élites. Surtout lorsque cette défaite était présentée comme impossible. C'est toutes les élites européennes qui vont être complètement désavouées par cet effondrement ukrainien. Tout le narratif qui a été imposé à la population va exploser, et ses conteurs avec. Reste à voir quelles conséquences politiques cela pourrait produire et comment les alternatifs pourraient en profiter pour renverser ce système complètement corrompu qui dirige notre pauvre pays depuis des décennies.

Les réunions des BRICS sont un peu semblables à ces moments de vérité, mais sur le plan purement économique cette fois. Le centre du monde a changé de place. Mais l'occident, enfin surtout l'Europe, continue de feindre comme si rien n'avait changé depuis 20 ans. L'extrême difficulté de Trump à mettre en place son protectionnisme et sa panique face aux propositions des BRICS montre que les USA ont eux par contre bien conscience de ce qu'ils risquent à plus ou moins court terme. En effet, on a appris il y a peu de temps que Trump a à nouveau menacé les pays qui oseraient participer aux nouvelles actions des BRICS de taxes supplémentaires de 10% sur les importations vers les USA. Ces derniers ont annoncé la mise en place d'un nouveau système de garantie pour les prêts des nations qui feront appel à la New Development Bank. En gros, on le savait déjà, mais les BRICS remplacent maintenant très officiellement la banque mondiale, qui ,elle, est aux ordres des USA. Rappelons que le FMI et la banque mondiale sont deux des instruments américains qui leur ont permis d'imposer le néolibéralisme à travers la planète. On vous prête de l'argent pour vous développer, mais vous faites des « réformes » structurelles. Et bien avec la NDB c'est terminé ce type d'ingérence, enfin pour l'instant. Nous ne sommes pas à l'abri d'une Chine qui s'ingérerait dans les affaires des pays qui feraient des emprunts à ce système. Mais pour l'instant, les BRICS ont effectivement le beau rôle.

Pour les BRICS la New Development Bank est beaucoup plus représentative et équilibrée que la banque mondiale. Cette dernière étant outrageusement dominée par les USA. Ces derniers se sont assurés d'avoir toujours la majorité absolue s'ils agissent avec leurs vassaux. Ces derniers étant toujours obéissant, cela revient à leur donner toujours le dernier mot. Rappelons, comme le fait souvent Jacques Sapir, que Dominique Strauss-Kahn juste avant sa pathétique affaire voulait réformer justement le FMI et la banque mondiale pour donner beaucoup plus de poids aux nouveaux pays développés en particulier la Chine. Il voulait que le poids des pays soit proportionnel à leur poids dans le commerce international. Ce qui de facto aurait mis la Chine au centre, les USA et leurs sbires étant largement en déclin. Cela a bien évidemment été refusé. La poussée des BRICS vient de ce refus de l'occident et en particulier des USA de reconnaître le changement des rapports de force et de l'inclure dans les instances pourtant théoriquement internationales. Ce faisant, les Occidentaux ont en quelque sorte tué ces instances qui ne sont plus que des instances occidentales ou vues comme telles par les autres pays.

La fin définitive de Bretton-Woods

Il faut cependant bien comprendre que les instances de Bretton-Woods depuis le début sont en quelque sorte l'expression de l'ordre américain. Un ordre créé à une époque où les USA étaient effectivement tout puissants. Rappelons qu'en 1945 les USA c'est 50% du PIB mondial et que les USA sont la puissance industrielle de la planète, un peu comme la Chine aujourd'hui. Il n'était donc pas possible pour les autres pays de refuser cet ordre en particulier pour la délégation britannique dirigée par Keynes à l'époque. Ce dernier a essayé de convaincre les Américains de créer le Bancor, un moyen de paiement international qui ne dépendait d'aucune nation en particulier et qui était une unité de compte basée sur le poids des monnaies des différents pays membres. Cette solution qui ressemblait un peu à l'écu européen à l'époque de la CEE, avait les avantages de l'or, indépendance de toute nation, sans les inconvénients comme l'augmentation de production dépendant des capacités de production physique.

Malheureusement, les USA n'ont pas voulu de cette solution et ils ont imposé le dollar garanti sur l'or comme monnaie internationale. Vous connaissez la suite. Le système a fonctionné un temps, mais rapidement les pays européens et le Japon ont rattrapé industriellement les USA. Ces derniers commencent à avoir des déficits commerciaux dans les années 60. La guerre du Vietnam va finir par provoquer de graves problèmes de compétitivité pour les USA. Mais ces derniers parce qu'ils avaient indexé leur monnaie sur l'or ne pouvaient pas dévaluer. C'est pour cela que Nixon désindexa le dollar de l'or en 1971. Dans le même temps, les USA imposèrent une dérégulation financière et commerciale à travers les pays de l'OCDE. Certains pays comme le Japon ne rentrèrent pas dans ce jeu ce qui permit à ce pays de connaître une très forte croissance comparativement jusqu'aux accords du Plaza en 85. Cette dérégulation financière couplée à la possibilité pour les USA d'émettre autant de monnaie internationale qu'ils le voulaient leur donna une puissance colossale.

En effet, désormais, les USA et son capital pouvaient racheter le monde, littéralement. On le voit encore aujourd’hui en France, les entreprises de notre pays lorsqu'elles sont rachetées le sont presque toujours par du capital américain. Pourtant, le taux d'épargne aux USA est extrêmement faible. Tout se passe comme si à travers le système financier international, et grâce au statut du dollar, les USA absorbent l'épargne européenne, Japonaise et autre pour ensuite racheter en quelque sorte les entreprises, les brevets et tout ce qui peut intéresser le capital US. C'est en quelque sorte du super colonialisme monétaire. Vous comprenez dès lors pourquoi les USA ne tiennent absolument pas à perdre ce privilège. D'autant plus que cela les obligerait à rééquilibrer brutalement leur balance des paiements. Ne pouvant pas vraiment le faire en augmentant la production nationale. Ce que Trump cherche évidemment à faire avec son protectionnisme, mais pour l'instant cela va lentement. Il ne leur resterait que l'austérité massive et le chômage de masse pour rééquilibrer leur commerce extérieur. Provoquant au passage un effondrement aussi chez les grands pays exportateurs.

La réunion actuelle des BRICS et leur annonce d'un système de garantie pour les prêts internationaux montrent qu'ils ont compris qu'ils ne pouvaient plus attendre grand-chose des USA. Les instances qu'ils contrôlent ne se rééquilibreront pas même s'ils continuent à faire des propositions comme celle sur la réforme du FMI. Elle restera à nouveau très probablement comme lettre morte. Cette affaire montre aussi que comme le pensait Keynes, aucun pays ne devrait avoir la tâche de fournir la monnaie internationale. C'est un poids trop lourd et cela donne beaucoup trop de pouvoir à ce pays. Dans le cas des USA ils en ont usé et abusé de façon grotesque même si leurs victimes européennes ou japonaises font semblant de ne rien voir. Il ne nous reste plus qu'à observer dans les années qui viennent la décomposition du système américain et du dollar. Il est bien difficile de savoir s'il y aura une chute brutale ou un lent pourrissement. Trump par ses actions brutales pourrait en réalité provoquer rapidement ce qu'il cherche pourtant ouvertement à éviter. Son style et son agressivité ne servent pas ses desseins. Et si la réindustrialisation des USA est évidemment le bon chemin, cela prend du temps et cela ne peut pas se faire dans la précipitation.