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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

Emmanuel Todd chez Harper's magazine

Notre démographe préféré a été très prolixe en matière de conférence vidéo cette année. Après une conférence très intéressante dans ma bonne ville de Montpellier consacré à ses travaux sur les structures familiales et une conférence donnée sur l'euro au Cera. Le voici maintenant en bonne compagnie aux USA dans une conférence organisée par le très sérieux Harper's Magzine. Une réunion consacrée à l'Europe et à la monnaie unique. Une discussion à laquelle a d'ailleurs participé l'économiste James Kenneth Galbraith fils du célèbre économiste keynésien John Kenneth Galbraith. Une conférence très sérieuse donc même si comme à l'accoutumée Todd a fait rire ses interlocuteurs par ses désormais célèbres formules-chocs remplies d'ironie.

 

 

 

 

 

L'argumentation toddienne ici en anglais ne change guère de ses apories habituelles à ceci près que je constate avec curiosité que Todd semble à nouveau s'illusionner cette fois sur nos amis anglo-saxons. Il se peut cependant que le fait qu'il côtoie ici des Anglo-saxons ait altéré un peu ses propos. Après ses erreurs sur le Hollandisme révolutionnaire dont il a reconnu tout de même qu'il avait maintenant peu de chance de se produire le voici qui s'acoquine avec le monde anglo-saxon présenté en quelque sorte comme moins fou que l'Europe pangermanique actuelle. S'il est notablement vrai que l'Allemagne a une part importante dans la situation actuelle et que l'euro joue à court terme dans ces intérêts. Peut-on pour autant qualifier l'Allemagne d'hégémonique ? D'autant que Todd lui-même admet que la France peut casser le système. C'est une hégémonie extrêmement fragile si la France ou même l'Italie peuvent la briser simplement en sortant de l'euro. Mais il est vrai que Todd est un habitué des formules fracassantes. Je dois dire que si cela permet d'attirer l'attention des spectateurs sur les propos en question et de soulever certaines questions. Il est possible aussi que cela desserve grandement l'argumentation toddienne qui est évidemment bien plus complexe que ce que ces formules-chocs peuvent exprimer. Il est vrai aussi que si Todd arrive souvent à se faire inviter dans les médias c'est grâce à ces formules fracassantes dont les médias accros à l'audience sont friands.

 

Cependant, revenons au fond de la nouvelle lubie toddienne d'un monde anglo-saxon qui à nouveau serait ce refuge de la raison et de l'équilibre qui fait tant défaut à la folle Europe embrigadé par l'Allemagne dans un nouveau suicide collectif monétaire et commercial cette fois-ci. Je tiens à préciser ici qu'effectivement l'Europe se suicide tant démographiquement qu'économiquement, les deux phénomènes sont d'ailleurs liés comme je l'ai montré avec quelques statistiques à l'appui l'année dernière. On vient d'ailleurs de s'apercevoir que la crise provoque un effondrement démographique dans les pays du sud à l'image de l'Espagne qui a perdu l'année dernière 0,9% de sa population. Ce qui est énorme dans un pays à la natalité déjà catastrophique et qui baisse à nouveau avec la crise. Bref je suis tout à fait d'accord avec Todd sur l'Europe. Mais pas du tout sur l'image qu'il a d'un monde anglo-saxon qui irait bien. Je crois là que Todd se fit un peu trop à ses données démographiques données qui auraient d'ailleurs besoin d'être mises à jour.

 

Todd définit ainsi les pays qui vont bien et ceux qui vont mal par la question de la natalité. En effet en dessous de 2 enfants par femme à long terme l'on peut considérer le système comme non viable. Ce qui est vrai. Sans immigration la population allemande baisserait de façon naturelle. Là où Todd se trompe, c'est sur la réalité du dynamisme démographique aux USA qu'il considère comme un système qui marche. Une société de joyeux bordel chaotique, mais qui fait des enfants contrairement au Japon ou à l'Allemagne. Le fait est pourtant que la natalité aux USA n'a cessé de baisser depuis le début de la crise. C'est un fait connu, en 2012 il y a eu 63 naissances pour 1000 femmes contre 67 en 2007. Preuve de l'impact de la crise sur les naissances. D'autre part la bonne tenue des naissances aux USA devait surtout à la présence des latinos en grand nombre sur le sol américain. C'est la forte natalité des Mexicains et des latinos immigrés qui a longtemps permis à l'Amérique de s'affirmer plus dynamique que l'Europe ou le Japon. Affirmer comme Todd le fait que la natalité US est meilleure que celles des autres pays développés en oubliant ce détail est un peu malhonnête. Pour définir un système qui marche, on doit en exclure les importations compensatrices. À l'image de ce qu'il dit sur l'Allemagne d'ailleurs. Les Américains ayant un droit du sol, les latinos font gonfler la natalité moyenne nationale depuis les années 70. Or les chiffres montrent que les Mexicains s'alignent en fait sur la natalité US moyenne. C'est un signe d'intégration, mais cela montre aussi que le soi-disant modèle bordélique ne sera pas forcément plus fécond et équilibré à long terme que les systèmes japonais ou allemands. Peut-être moins déséquilibré avec un taux de natalité à 1,7 1,8 mais pas équilibré.

 

La petite carte ci-dessous montre les états ou la natalité a le plus baissé. Ce sont les états où les latinos représentent la plus forte proportion de la population. La natalité moyenne aux USA est donc quelque chose de très trompeur tant ce pays fait appel à l'immigration qui n'a rien de comparable avec les niveaux en France par exemple. Mais même en prenant la fécondité moyenne actuelle des USA ont obtient 1,88 enfant par femme. Les USA ne sont donc plus un système qui marche pour reprendre les termes de Todd

 

fertility-rate.jpg

Variation de la natalité aux USA de 2007 à 2009

 

Resident-population--Hispanic-or-Latino-Origin--percent--20.png

 

Proportion de la population latino aux USA 

L'agonie économique des USA

 

L'autre problème qu'il y a dans la vision idyllique de l'oncle Sam est économique. Todd sait pertinemment que les grands équilibres ne sont pas retrouvés. Le déficit commercial des USA est toujours aussi énorme et le chômage de longue durée commence à s'installer dans ce pays qui n'en a pas l'habitude. À y regarder de plus près j'ai même plutôt l'impression que les USA s'alignent sur les standards de la vielle Europe chômage élevé, natalité basse et pessimisme généralisé. Sans oublier les inégalités délirantes bien plus grandes qu'en Europe de l'Ouest malgré l'euro et la crise. Et que dire de ces millions d'Américains qui vivent des bons de nourriture. Dans l'OCDE il n'y a que deux pays qui souffrent plus de la faim que les Américainsc'est  la Hongrie et l'Estonie. L'Europe d'ailleurs ne fait qu'appliquer en grande partie les politiques inventés et défendus par les USA. Le monétarisme délirant est une invention américaine. La plus grande souplesse des Américains sur la question monétaire ne doit pas faire oublier l'origine du dogme libre-échangiste. Les politiques d’expansion monétaire n'ont d'ailleurs fait que relancer une croissance par le gonflement des actifs financiers et du patrimoine immobilier. Il n'y a pas de vraie croissance créatrice d'emplois qualifiés. Et pour cause le libre-échange est toujours là.

 

 tradeUS     

 

Plus grave Todd présente l'Amérique comme un ilot de bon sens alors qu'elle attise les flemmes de la guerre en Europe et soutient la Pologne et l'Ukraine dans leurs délires face à la Russie. Ajoutons à cela le traité de libre-échange entre l'UE et les USA et l'on voit à quel point Todd se trompe sur le rôle des USA en cette année 2014. Bush n'est plus là, mais la folie est toujours présente. L'empire continue d'aggraver les déséquilibres mondiaux pour maintenir son existence et son sacro-saint dollar. Todd était un peu plus clairvoyant pendant la deuxième guerre d'Irak. À moins qu'il ne se raccroche à l'Amérique pour ne pas sombrer dans le désespoir, ce que je peux tout à fait comprendre en cette période sombre. L'Europe est une catastrophe, mais l'Amérique ne va pas mieux.

 

 

 


 

Todd reste cependant extrêmement intéressant à lire et à écouter. Il énerve d'autant plus quand il se trompe. Pour ceux qui ne l'auraient pas encore vue voici les différentes conférences vidéo de Todd récentes:

 

 

 

Todd à Montpellier sur l'évolution des structures familliales

 

 

 

Todd au CERA sur l'Europe et l'euro. 

 

 

Extrait mémorable de la conférence du CERA: personne ne comprend la monnaie. 

 

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Y
<br /> @Lelien<br /> <br /> <br /> Merci pour les liens. j'avais cependant déjà lu l'article sur Hérodote.<br />
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L
<br /> Une petite interview de Todd pour le journal Fakir (16 mai 2014):<br /> <br /> <br /> http://www.fakirpresse.info/L-Europe-est-une-machine-a-737.html<br /> <br /> <br /> Il y a aussi une interview sur hérodote(?) reprise pas le site de Berruyer.<br />
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Y
<br /> @La Gaule<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne sais pas s'il est aveugle sur l'immigration puisqu'il fait les bonnes<br /> remarques sur l'Allemagne ou d'autres pays. J'ai l'impression qu'il s'aveugle lui même sur certains points particuliers, mais surtout pour certains pays. Il n'hésite pas à dire que les immigrés<br /> turcs ne s'intègrent pas en Allemagne idem pour la Pakistanaise en Angleterre. Il faut dire qu'il serait bien difficile d'affirmer le<br /> contraire.Mais il va s'aveugler sur les mariages mixtes en France dont beaucoup sont endogamesbien qu'officiellement multinationaux.  Et puis comme par enchantement les immigrés ne comptent plus lorsque l'on parle de la<br /> natalité US alors que les blancs font maintenant moins de la moitié des naissances. C'est pourtant eux qui montrent l'avenir de la natalité US puisque tous les immigrés finissent par s'aligner<br /> sur le modèle dominant. Preuve que le modèle US n'en est pas un, pas plus sur le plan économique que démographique. <br />
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L
<br /> Cela fait longtemps que Todd n'énerve plus. On l'admire pour l'ampleur de son oeuvre ou on se fout de sa fiole pour ses célèbres bides politiques, ce qui apparemment a don de le ravir.<br /> <br /> <br /> Conférence sans grand intérêt en fait, sauf pour remarquer avec une certaine stupéfaction que cet homme là aussi est quelqu'un du passé, une sorte de barde  savant d'une époque qui l'a fait<br /> Dieu (pour beaucoup de monde) mais qui est bel et bien en train de sombrer.<br /> <br /> <br /> On sent bien alors qu'il a du mal a tourner le dos à tout ce qu'elle a pu représenter de promesses positivistes (car Todd est fondamentalement un positiviste, comme vous d'ailleurs). De là<br /> l'impression pathétique qu'il donne parfois (de plus en plus souvent) de ne plus savoir où il habite.<br /> <br /> <br /> Il reste l'oeuvre immense, dont chacun peut tirer ce qu'il veut face à un avenir plus que jamais nébuleux, sans trop prêter attention aux certitudes datées de la star. Vous me faites rire avec<br /> votre histoire de natalité US boostée par les latinos. Comment voulez-vous que Todd mette le doigt là-dessus puisqu'il a toujours été un immigrationniste convaincu !<br /> <br /> <br /> J'avais déjà vu la conférence du CERA -celle où vous l'avez défendu de manière pertinente chez Berruyer- beaucoup plus intéressante parce que plus anthropologique.<br /> <br /> <br /> Et là, plus Elvis que jamais, il montre aussi tous ses talents d'impayable show man.<br />
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