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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

La défaite de l'occident, le dernier livre d'Emmanuel Todd ? (conclusion)

 

Conclusion sur la Défaite de l'occident

 

Nous arrivons enfin à la fin de cette trop longue critique. La dernière partie du livre est plus spéculative à mon sens que le reste du livre. J'ai d'ailleurs ici un désaccord avec la vision de Todd sur les relations économiques entre l'occident et le reste du monde. Je vais tenter d'étayer rapidement ce désaccord sans trop m'étendre pour une fois. Mais commençons par continuer le livre. Après avoir rapidement décrit l'économie américaine comme improductive et dépendante de l'extérieur, Todd s'emploie à décrire les comportements de Washington comme complètement irresponsables. On l'a vu il est indéniable que les politiques de Washington sont globalement contre-productives. L'on pourrait ici parler d'un délire de puissance, les USA sont rongés par l'ubris. Dans l'antiquité ont considéré l'ubris comme la pire des maladies qui puisse toucher un dirigeant ou une institution. Si je suis d'accord avec la description que fait Todd de l'état de l'empire sur son comportement géopolitique, je pense qu'il est allé un peu loin en émettant l'hypothèse d'une vengeance de certains dirigeants américains juifs sur l'Ukraine. J'ai connu un Emmanuel Todd mieux inspiré franchement, même s'il met un gros bémol à son hypothèse au préalable.

 

La partie suivante sur l'attrait de la Russie vis-à-vis du reste du monde est beaucoup plus intéressante et solide. On peut même dire qu'elle est très convaincante. Todd avait d'ailleurs déjà exprimé dans différents interviews cette hypothèse explicative à l'isolement géopolitique de l'occident. Oui parce que j'espère que mes lecteurs savent que c'est l'occident qui est isolé et non la Russie. Il suffit de regarder la carte du monde des sanctions pour voir que l'essentiel des nations du monde, les plus peuplées et désormais les plus dynamiques économiques, a plutôt pris le parti de la Russie. Ou dans le pire des cas, elles sont restées neutres et n'ont pris aucune sanction contre la Russie. Les orientations les plus spectaculaires furent celles de l'Inde qui n'a pas sanctionné Moscou alors que ce pays est quand même plutôt proche généralement des Anglo-saxons, et qu'il s'agit en plus de la plus grande démocratie du monde sur le plan démographique. L'on pourrait rajouter l'étonnante perte de contrôle de Washington sur la péninsule arabique.

 

 

Un regard sur la carte suivante montre bien que la Russie n'a été condamnée que par les pays sous influence plus ou moins directe des USA. Le reste du monde est resté globalement bien éloigné du bourbier ukrainien. On rajoutera une information récente qui confirme l'analyse de Todd sur le sujet puisque la Chine soutient désormais officiellement la Russie dans sa guerre. Cependant pour Emmanuel Todd ce soutien n'est pas juste une réaction à l'Empire américain et à un ras-le-bol général de l'occident. Car on pourrait tout à fait interpréter ces réactions comme cela. Les USA et leurs guerres d’agression sans mandat et à répétition, en particulier depuis le 11 septembre 2001 qui a servi de prétexte, ont perdu toute crédibilité sur le plan idéologique. Le coup de la guerre au nom de la démocratie et des valeurs libérales ne dupe plus personne depuis un moment à part peut-être les vieilles nations européennes en état d’Alzheimer avancé. Si cela joue certainement, Todd y voit surtout une solidarité de vision du monde relativement commune à ces régions. Comme dans le cas des mouvements idéologiques, il y voit les effets des structures familiales. En effet, l'essentiel de l'Eurasie a des familles de type communautaires complexes. Les valeurs libérales des familles nucléaires sont en réalité très minoritaire sur terre d'un point de vue démographique. Et la dérive de plus en plus libérale et de plus en plus individualiste, qui se mesure aujourd’hui par la promulgation des transsexuels et de toutes les transgressions possibles en matière de mœurs va heurter de la même manière un Arabe, un Russe, ou un Chinois. Au fond, Todd fait un peu ici du Huntington. Cependant, il ne parle pas de choc des civilisations à la définition douteuse, mais d'un choc anthropologique. Entre l'abus de position dominante que les USA ont pratiqué et leurs délires sociétaux, c'est un peu la goutte d'eau qui a fait déborder le vase en quelque sorte.

 

Les BRICS s'organisent donc pour ne plus avoir affaire aux USA et pour minimiser leur possibilité de nuisance chez eux. Reste la pauvre Europe contrôlée par ses élites qui organise son suicide collectif pour maintenir encore un peu l'Empire américain. Todd suit par contre un raisonnement par la suite que je trouve bancal . Il décrit en effet l'occident comme un exploiteur au sens stricts du terme. Les Occidentaux vivant en quelque sorte aux crochets du reste du monde. Il décrit même le prolétariat occidental comme lui même exploiteur puisqu'il bénéficie en quelque sorte de la globalisation. J'ai l'impression ici que Todd est retombé un peu sur les vieilles lunes marxistes en faisant cette réflexion. La réalité est beaucoup plus complexe et les responsabilités partagées. Du reste, j'ai du mal à voir dans des gens qui peinent à se loger et à se chauffer des exploiteurs des classes pauvres du tiers-monde. Todd trouve avec ce raisonnement à l'emporte-pièce une explication du vote à droite des classes populaires. Il me semble que la trahison constante de la gauche est pourtant plus simple comme explication. Les mouvements de gauche en France et dans la plupart des pays occidentaux ont accompagné le néolibéralisme quand elles ne l'ont tout simplement pas installé. C'est à la gauche française que l'ont doit l'UE, le marché unique, l'euro, et, toutes les bêtises qui ont coulé notre pays. Certes, la droite n'a rien fait pour inverser la tendance, mais il faut bien dire que les Français ont de bonnes raisons de ne plus voter à gauche. Alors que l'on a eu droit à un effroyable éloge de Delors récemment j'aurais bien aimé l'avis de Todd sur cet homme qui aura tout fait pour détruire l'état social français tout en étant de « gauche ». Dire que les Français votent à droite parce qu'ils seraient bénéficiaires de la globalisation est donc pour moi absurde.

 

Ensuite, il faut bien distinguer les USA du reste de l'occident comme il l'avait fait lui-même dans ses précédents livres. Le privilège monétaire n'appartient qu'aux USA . Ce sont les seuls à pouvoir émettre de la dette gratuitement grâce au dollar. Les Européens sont obligés d'équilibrer leur commerce extérieur. L'anomalie française est liée à son appartenance à l'euro et met d'ailleurs notre pays en grand péril à terme. La zone euro n'a jamais connu une période durable de déficit commercial comme c'est le cas des USA. Il est donc absurde dans ce cas de parler de privilège économique pour les vassaux des USA. Ensuite, je pense qu'il faut un peu arrêter le manichéisme sur le plan commercial. On peut parler d'exploitation de la main-d'œuvre chinoise, mais ne pourrait-on pas inverser la réflexion ? Qui s'est le plus développé ces quarante dernières années, la Chine ou l'occident ? Qui a réussi à rattraper en deux générations un retard technologique de plusieurs siècles ? C'est bien la Chine. Donc pour un pays exploité, elle s'en est quand même étrangement bien tiré, ne trouvez-vous pas ? On pourrait donc inverser la réflexion de Todd et dire que c'est la Chine qui a exploité les classes moyennes occidentales. Car la Chine a pu développer sa production sans avoir à augmenter les salaires et la demande intérieure.

 

J'insiste sur ce point, car malheureusement Todd ne fait pas d'analyse sur l'économie chinoise. Je pense que c'est un gros manque sur son livre, il aurait pu voir des choses qui lui échappent ici. La croissance chinoise a été anormale surtout depuis son entrée dans l'OMC. On constate une forte hausse des inégalités dans ce pays en même temps son entrée. On constate également des taux d'épargne qui atteignent des sommets montrant bien que la Chine a tiré sa croissance en grande partie de la demande extérieure. C'est une stratégie clairement mercantiliste, mais pour un pays de 1,4 milliard d'habitants. Cela permit à la Chine d'avoir une croissance avec une faible inflation. Son inflation diminue avec l'entrée dans l'OMC. Si l'on y réfléchit bien, il y a eu en réalité une alliance de circonstance entre les élites chinoises et les élites occidentales. En exploitant la main-d’œuvre chinoise, les élites occidentales ont réussi à casser leur classe productive et à avoir de la croissance sans avoir à donner des salaires. Et pour la Chine c'est la même chose, la croissance a pu continuer sans avoir à faire augmenter les salaires au rythme des gains de productivités. Dans les deux régions, la conséquence du libre-échange fut l'augmentation des inégalités. Il n'y a donc pas d'exploitation de l'occident en Chine, mais une exploitation conjointe des dominants sur leur propre prolétariat pour reprendre une terminologie marxiste. On arrive aujourd’hui à la fin de ce système avec d'un côté un occident surendetté exsangue et désindustrialisé. Mais aussi une Chine qui entre en dépression et en déflation faute de clients solvables en quantité pour consommer tout ce qu'elle produit.

 

Je pense que c'est sur cette question de domination économique que mon avis diverge le plus de celui d'Emmanuel Todd. Alors que conclure de ce livre finalement ? Son grand mérite est de remettre en perspective les actions de l'occident. Il met aussi en lumière la réalité du monde et de la Russie bien éloignés de l'image que les médias donnent de la réalité. Au fond le vrai problème de nos pays aujourd'hui c'est bien l'absence de débat de fond et l'acceptation d'un narratif totalement hors sol construit dans l'unique but de maintenir un système économie et géopolitique intenable. Les USA ne sont plus la première puissance du monde et l'atlantique n'est plus le cœur économique de la planète. Cependant, les rapports de force géopolitique vue d'occident semblent être restés coincés dans une vision des années 90. En un sens, la défaite de l'occident a eu lieu il y a longtemps. Elle s'est fait petit à petit sous les coups de l'idéologie libérale et de la déconstruction des appareils de production au nom d'un calcul stupide à court terme. L'Europe rentre en panne dès la mise en place de l'acte unique en 1986. Chaque mesure de dérégulation supplémentaire et d'élargissement aggravant la panne des pays membres. Pour les USA ce fut la même chose à la différence qu'ils ont pu continuer à faire semblant en s'endettant massivement et en monétisant. Emmanuel Todd a écrit ce livre pour éveiller les consciences et éviter la guerre que certains veulent contre la Russie. Il imagine à la fin un rapprochement final de l'Allemagne et de la Russie, mais la Russie a-t-elle encore un intérêt en Europe ? La machine industrielle allemande s'effondre et le déclin de l'industrie allemande date d'ailleurs d'avant la crise énergétique puisque cela débute dès 2017 si l'on se fie aux chiffres de Philippe Murer. Je ne crois pas à une guerre personnellement. Par contre, je crois à un effondrement économique massif des USA et de l'Europe de l'ouest. Quelle forme cela prendra je n'en sais rien, mais l'on tombera certainement avant une éventuelle apocalypse nucléaire.

 

 

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L
J'ai aussi relevé l'absurdité de la réflexion de Todd sur le vote "de droite" des classes populaires de par leur nature supposée exploiteuse du prolétariat chinois. <br /> Cela me rappelle trop la position matoise de la classe politico-médiatique depuis au moins vingt ans sur les prétendues contradictions des mêmes classes populaires, en gros : " Elles râlent sur la mondialisation mais sont bien contentes de se gaver au supermarché du coin".<br /> On pourrait d'ailleurs, pour s'amuser tant qu'à faire, étendre le raisonnement de Todd aux classes intermédiaires notamment de la fonction publique, lesquelles voteraient à gauche parce qu'elles seraient parfaitement neutres dans l'exploitation du travailleur chinois - et qu'après tout, la Chine est toujours dirigée par son parti communiste.<br /> Finalement, ce livre Testament de Todd (selon ses propres propos) nous laisse un peu orphelins. <br /> Todd souligne bien que la défaite de l'occident est aussi la sienne et l'on devine encore ce qui a toujours été la limite du personnage, dont la conscience d'indécrottable homme de gauche libéral de son temps et de son espace a finalement empêché d'aller au bout des conclusions qu'impliquait sa propre méthode.<br /> Je me faisais en fait le même genre de réflexion en regardant récemment passer le morne défilé local des personnels de l'éducation nationale et leurs revendications tournant inlassablement à vide. Image très toddienne finalement d'un troupeau de vaincus par l'histoire faute d'avoir pu dépasser ses propres contradictions. <br /> Vae Victis...
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Y
J'ai regardé la vidéo de Berruyer quand elle est sortie. C'est un bon complément au livre même s'il conclut sur son raisonnement douteux sur les classes laborieuses occidentales qui votent à droite, parce que rongées par leur rôle de prédateurs dans la globalisation. Je continue à trouver ce raisonnement presque puéril. Pour ce qui est d'un retour à une croyance collective, je pense comme lui que la solution à court terme en Europe se fera à travers un retour des nations. Peut-être, après une forte descente aux enfers économique, ce qui semble être le chemin que nous suivons malheureusement. En un sens, c'est aussi ce qu'on vécut les Russes dans les années 90. Il n'y aurait peut-être pas eu de Poutine si la Russie n'était pas tombée aussi bas. Après tout, l'histoire des nations est aussi une histoire de choc externe. Les violences externes créant une collectivité interne en réaction. Les nations françaises et anglaises sont elles-mêmes nées en partie de leurs confrontations. Tout comme le nationalisme des peuples colonisés fut nourri justement de la confrontation avec les puissances coloniales. Confrontées à l'affaissement et aux crises, les nations renaîtront par nécessité. On voit déjà en Allemagne des réactions politiques face à l'affaissement du pays beaucoup plus rapide qu'on aurait pu l'imaginer. Je continue à penser que c'est probablement l'Allemagne qui mettra fin à la mauvaise farce qu'est la construction européenne. <br /> <br /> Pour en revenir à Todd, il est effectivement dommage qu'il soit retombé dans ses travers de jeunesse. Il n'aura jamais vraiment rompu avec la gauche qui est pourtant aujourd'hui dans un état lamentable. Le seul qui sort un peu de la mélasse idéologique gauchiste étant François Ruffin, mais lui-même est pieds et mains liées par l'européisme béat de son camp. <br />
L
Bon... Cette histoire d'exploitation du prolétariat chinois par nos classes populaires m'a traumatisé et m'a fait passer le reste en arrière plan, puisque même en termes marxistes elle semble indéfendable. <br /> La plus-value du travailleur chinois serait selon Todd  captée en majorité non par le capitaliste chinois et son homologue occidental mais par le consommateur du même occident, ce qui revient à dire que la mondialisation était en fait une œuvre philanthropique au bénéfice des travailleurs occidentaux du tertiaire, surtout les plus pauvres.<br /> J'ai depuis longtemps émis l'hypothèse - toujours en terme marxiste quant à la division mondiale du travail - que la seule plus value prise en compte par le capitalisme financier était celle du travailleur chinois (pris au sens symbolique pour désigner le travailleur de l'ancien tiers monde). <br /> La part de richesse créée par le travailleur occidental étant totalement fictive derrière l'écran magique du PIB apparait plutôt comme une plus value négative, soit la charge nécessaire dont le système doit s'acquitter pour entretenir la masse surnuméraire et la maintenir dans la docilité politique. <br /> Le nihilisme contemporain se nourrit donc de l'idée que le moment est venu de se débarrasser des "inutiles" du système, sans se rendre compte combien cela revient à scier la branche sur lequel celui-ci est assis faute de débouché pour la production chinoise. <br /> Le capitalisme butte donc une nouvelle fois sur son problème insoluble ; comment se débarrasser du cadavre de la lutte des classes sans le ressusciter ? Et en Occident autant qu'en Chine ! <br /> Lutte des classes qui se double chez nous d'une lutte des sexes (j'en ai déjà parlé) puisque les femmes occidentales ont été les premiers alliés objectifs de la mondialisation en investissant un vaste secteur tertiaire qui a permis une élévation de leur statut. Le retour à une société de production se fera nécessairement contre elles au moins sur le plan symbolique, ce qui permettrait de régler le problème par des compensations sur le plan matériel. <br /> Il me reste à relire le livre de Todd pour en saisir pleinement toutes les nuances et ne pas en jeter tous les bébés avec l'eau du bain. En général ses bouquins méritent une double relecture comme le suggère le lien suivant. <br /> <br /> https://m.youtube.com/watch?v=7YF-QoBNmZs<br /> <br /> (Très bonne vidéo même si je n'apprécie pas trop Berruyer). Il semble que Todd apporte une réponse (il l'avait déjà donnée dans "L'illusion économique") à la question que vous m'aviez posée récemment sur la nécessité d'adapter les religions à la modernité. <br /> S'il est un retour possible à une idée qui pourrait fédérer ou remplacer toutes les anciennes croyances collectives, ce serait l'idée nationale, assise sur la conviction d'une histoire commune malgré toutes ses vissicitudes, et non plus porteuse d'une seule idéologie de nature religieuse ou politique. <br /> Je pense que c'est d'ailleurs ce processus immanent qui est à l'œuvre en Russie, d'autant plus facile dans ce cas de figure que ce pays n'avait pas encore réalisé sa transition d'un empire vers une nation. <br /> Ce sera plus difficile pour la France (et il n'est pas certain comme le dit Todd à propos de l'exemple anglais que le frexit électoral soit le meilleur moyen d'y parvenir).