Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Si je parle régulièrement sur ce blog de la question de la régulation commerciale par le protectionnisme c'est qu'à mon sens il s'agit là de la priorité absolue à court terme pour redresser la situation. Cela ne signifie pas cependant que ces mesures seules parviendront à nous sortir du bourbier dans lequel nous sommes empêtrés. C'est pour cette raison que je parle également de la relance de la demande par des mesures d'investissement, mais aussi, et surtout, par la relance des salaires. Il s'agit là du deuxième pilier sur lequel peut s'appuyer une véritable politique de sortie de crise. Mais comme en mécanique un système n'est stable que s'il a trois points d’appui, il y a un troisième pilier nécessaire au redressement économique du pays. C'est celui du financement de notre développement et du choix des orientations de ce même développement. S'il est nécessaire de rendre à l’investissement public, toute la place qu'il n'aurait jamais dû abandonner. Il ne faut pas oublier non plus que l'actuel système qui permet de financer les entreprises a totalement échoué sur le plan collectif. La finance actionnariale et le système qui a jusqu'à aujourd'hui prétendu à l’efficience la plus grande s'avèrent incapables de financer le plus petit projet collectif. Notre système d'investissement est incapable de financer des projets portés par autre chose que l'intérêt à très court terme et à taux de retour sur investissement démentiel. Il ne faut pas douter du fait qu'il s'agit là d'un tournant majeur dans l'histoire économique, car c'est une rupture avec l'ancien capitalisme. Celui qui certes avait ses défauts inégalitaires, mais qui savait financer les idées les plus folles faisant bouger l'innovation et l'économie. C'est cette réussite apparente qui permettait aux gens d'accepter les inégalités du système comme l'avait bien compris Keynes.
Le capitalisme ne doit son succès qu'à la passion non économique de ses investisseurs
En vérité, l'on s'est bien trompé sur l'origine du succès du capitalisme occidental. Et c'est encore une fois la pensée libérale qui nous a induits en erreur, car elle a pris une contrainte pour cause et a ignoré ce qu'était le moteur réel du capitalisme et des sociétés occidentales. À la base de la thèse libérale, c'est l'intérêt purement économique qui motive l'investisseur, de la même manière que c'est l'intérêt purement économique qui motive le salarié, le consommateur et toute la société. Chez les libéraux il y a une espèce de cynisme qui considère toute autre apparente raison comme un cache-sexe aux intérêts économiques auxquels tous se rapportent. Nous ne sommes pas trop durs avec eux cependant, leurs cousins marxistes en pensent autant. Là est à mon avis une des erreurs fatales de ces pensées économicocentriques. On pourrait parler d'ailleurs parler pour qualifier ces théories économiques d'éconocentrique.
La vérité c'est que le capitalisme occidental s'est développé dans des cultures particulières et dans des cadres qui lui ont fourni une qualité d'individu qui lui a permis son développement. Comme le dit si bien Jean Claude Michéa, ce n'est pas le capitalisme et l'intérêt individuel qui ont construit l'honnêteté, la passion des arts et des sciences, ou qui ont donné aux hommes l'envie du savoir et la puissance créatrice. Le développement du capitalisme fut le fruit d'hommes passionnés. On pourrait sortir les célèbres créateurs américains de Ford à Edison pour montrer que la passion première de ces hommes n'était pas en réalité la passion de l'argent. La première volonté d'Henry Ford était par exemple d'alléger la charge du travail des agriculteurs qu'il connaissait bien, lui qui venait d'un milieu agraire. Si la Ford-T était d'ailleurs une voiture capable d'être utilisée par les gens de la campagne ce n'était pas un hasard. Loin de la seule motivation pécuniaire Ford avait le souci de la société qui l'entourait et des passions qui le guidaient. On peut en dire autant de la plupart des grands créateurs d'entreprise ou d'innovation majeurs. Le succès du capitalisme fut donc surtout le succès des hommes qui le portait, hommes produits d'une éducation particulière et de passions. Ce ne sont pas des gens avec des mentalités de banquier qui innovent ou qui créent, ce sont les passionnées.
Le problème c'est que le capitalisme actuel est porté justement par des individus de pensée marchande qui ne sont justement passionnés que par l'argent. Loin de sa passion des débuts, le capitalisme n'est plus que l'ombre de lui même. Les générations de rentiers qui ont hérité des héros du passé ont sclérosé le capitalisme. Cette sclérose n'est pas le fait du capitalisme lui-même, même si sa nature avare en matière de richesse accélère considérablement le processus. Toutes les organisations humaines sont touchées par le même mal, celui de la dégénérescence consubstantielle à l'héritage sociologique. Les héritiers des bâtisseurs de jadis ne souhaitant plus que jouir de leur rente le système met à sa tête des gens sans talent et sans passion. On retrouve la même dégénérescence dans le système politique français, combien de députés sont enfants de ministre ou de députés ? Combien y a-t-il d'enfants d'ouvriers ou de classes sociales inférieures chez les ministres ? Et surtout combien y a-t-il d'hommes passionnés par la politique et par l'intérêt du pays ? Bien peu malheureusement. Et c'est bien là le problème. Plus que l'inégalité économique c'est la nullité de ses élites qui condamne notre société.
Les artistes, les scientifiques, et les créateurs d'abord !
Notre décadence créative est donc surtout due au fait que les pouvoirs économiques, ceux qui permettent l'action collective des hommes, sont aux mains de gens peu à même d'en faire bon usage. Tout comme ceux qui dominent l'espace politique sont incapables de résoudre les problèmes de la nation. Problèmes qui en vérité les intéressent bien moins que leurs intérêts propres et carriéristes. Pour redresser la barre, nous devons donc remettre à la tête de nos entreprises et de la finance ceux qui ne sont pas passionnés par l'argent ou par l'intérêt économique, mais ceux qui sont passionnés par la création par l'invention par l'originalité et l'intérêt général. Ce n'est pas de banquier dont nous avons besoin pour diriger nos entreprises, mais d'artistes, de scientifiques, d'ingénieurs et de créateurs. En mettant le marketing et la finance au cœur de la domination économique ce qui s'est traduit par le remplacement des polytechniciens et des normaliens par des gens de HEC ou de l'ENA, nous avons cassé la créativité collective et la passion du bien commun.Ils nous faut des gens passionnés par l'art de créer et non par l'art d'accumuler. Ce n'est qu'à cette condition que la mécanique positive du capitalisme pourra reprendre, celui de la création et de l'innovation.
Réinventer le financement de projet
Vous allez me dire : « Tout cela, c'est très bien. Mais comment peut-on faire concrètement ? » Quelles décisions un état peut-il prendre pour redresser la situation ? Au-delà de la question du contrôle des capitaux nécessaires au redressement productif national, il est important d'imaginer des systèmes de financement alternatifs pour les créateurs d'entreprises. Pour ce qui est de la création d'entreprises, on peut penser à des prêts à taux nul ou même négatif pour les entreprises. Cependant, nous tombons là dans un problème essentiel, même si l'état décide de faire ce type de prêt il y aura toujours le problème du choix. Des fonctionnaires ne sont pas forcément mieux placés que les banquiers pour financer des projets. Pour des activités relativement normales du type petite entreprise de BTP ou de commerce, ce n'est pas un problème. Pour des activités plus pointues, ce n'est pas l'idéal. L'idéal serait que des passionnées de l'art puissent décider collectivement de l'investissement à fournir. En clair, le choix d'un financement d'une entreprise particulière devrait pouvoir se déclencher grâce à un choix collectif fait par ceux qui sont le plus à même de juger de la qualité intrinsèque du projet. Par exemple si un scientifique veux créer une entreprise dans un domaine de génie génétique il faudrait que l'octroi du prêt soit décidé par des gens neutres, mais de culture scientifique suffisante pour générer le prêt. On pourrait donc imaginer que des prêts publics à taux nul ou négatif soient octroyés dans tous les domaines, mais chapeauter par des décideurs non intéressés et neutres, mais ayant des capacités techniques leur permettant de faire une mesure de la potentialité de la future activité de l'entreprise. L'idée étant d'exclure autant que possible le choix sur des critères purement économiques, pour se concentrer sur l'intérêt proprement scientifique, technique, artistique et collectif. Pour ce qui est de la gestion des grandes entreprises, l'inclusion de processus démocratique me semble à l'heure actuelle la meilleure façon d'éliminer l'influence de la finance et de l'actionnariat. Associer les salariés au processus décisionnel de l'entreprise est non seulement nécessaire, mais vital. On pourrait aussi responsabiliser les actionnaires en diminuant fortement la liquidité des titres. On obligerait un titulaire de titre d'action à garder celle-ci au moins 5ans avant de la revendre. Responsabiliser les actionnaires c'est aussi améliorer la prise de décision à long terme.
Mais d'autres solutions moins concentrées sur l'état, plus rapides, et moins administratives peuvent également se faire. Je vais prendre un exemple qui nous vient d'une industrie particulière, celle du jeu vidéo et de l'informatique. En effet, le jeu vidéo est une industrie qui entre en crise à l'heure actuelle. On assiste à une désaffection croissante d'une partie des anciens joueurs face à ce que l'on peut considérer comme une baisse notable de la qualité globale des titres produits. L'industrie du jeu vidéo si elle est une industrie relativement récente, a connu très rapidement toutes les étapes qui font passer de l'artisanat à la superproduction. Elle est passée à la maturité en une vingtaine d'années tout au plus. Dans les années 80-90 une poignée d'individus suffisait à faire un jeu à succès, le faible nombre d'individus permettait à la créativité d'être grande et la prise de risque maximum. Les dirigeants des entreprises du jeu vidéo à l'époque étaient essentiellement les créateurs eux même. L'exemple typique fut le français Éric Chahi qui créa seul l'un des jeux les plus culte de l'histoire, Another World. Cependant petit à petit comme dans le cinéma, les investisseurs, les financiers et les actionnaires ont vu que le jeu vidéo pourrait être rapidement une industrie hautement lucrative. Et comme dans la musique, le foot ou le cinéma les créateurs ont perdu la main et se sont fait dominer par des gens qui ne s'intéressent aux jeux vidéo que pour gagner de l'argent. On assiste depuis à la création de jeux de moins en moins innovants, de moins en moins intelligents, et de plus en plus violents, stupides et simplistes. Les marketeux fonctionnant avec leurs lunettes sociales particulières ils pensent que des jeux cons sont plus susceptibles de se vendre que des jeux intelligents puisqu'ils pensent que la majorité des gens sont stupides.
Face à cette décadence, certains créateurs ont décidé de réagir et ils ont eu une idée que je crois simplement géniale. C'est le projet Kickstarter. L'idée est de faire financer les projets directement par les personnes qui sont intéressées en payant d'avance. Les personnes présentent leur projet sur le site, puis les gens font des donations par palier et avec un certain niveau par exemple vous donnez 15 euros pour acheter le programme d'avance dans le cas d'un projet de programmation. Les projets peuvent être informatiques, vidéoludiques ou autres. Et tout un chacun peut financer le projet et en bénéficier par la suite si le projet aboutit. Le principe contourne directement les banques, l'état ou le système financier. C'est un peu le principe du lien direct du producteur vers le consommateur, mais inversé. On pourrait dire que c'est une production directe du créateur vers les passionnés. De gros projets sont déjà financés grâce à ce système totalement novateur et qui mériterait d'être imité en France. Ainsi le créateur de jeux vidéo Brian Fargo a-t-il réussi à financer son projet de jeu à hauteur de 3 millions de dollars sans emprunt et en tout indépendance financière. Un jeu qu'aucun financier ne voulait créer sans le façonner à la mode pour « optimiser » les ventes selon les règles du marketing (simplification, vulgarité, sexe abondant, etc.). On pourrait imaginer un tel système en France soutenu par l'état pour attirer le chaland. Bien sûr tous les projets ne réussiront pas, mais le mécanisme permettra sûrement de financer des projets originaux et audacieux, bien plus audacieux que ceux du système actuel. Il s'agit peut-être de la naissance du véritable capitalisme 2.0, car ce type d'initiative n'aurait pas pu émerger sans internet .
Quoi qu'il en soit, il faut mettre fin à l'idée que la bourse, l'actionnariat et le système financier actuel sont le nec plus ultra du financement d'entreprises. Au contraire, dans les conditions actuelles ils réduisent à néant la créativité en mettant au centre du choix de financement l'intéressement économique à court terme. Ils produisent du laid parce que ce serait trop cher de faire du beau. Ils prônent la stagnation et le conservatisme, car il serait trop risqué pour les investissements de créer de nouvelles activités et potentiellement de nouveaux marchés. Enfin, n'oublions pas qu'aujourd'hui la finance se nourrit bien plus des entreprises qu'elle ne les finance. La finance a perdu son rôle d'investissement pour devenir un énorme parasite qui se nourrit de l'activité productive. Tuons là avant qu'elle ne nous tue.