S'il est vrai que l'on trouve peu de vertus en général au régime politique chinois. Il est dictatorial, peu intéressé par les droits l'homme et il n'est guère tendre avec ses minorités. On lui accorde pourtant souvent le contrôle et la rationalité à long terme comme qualité. Il est vrai que le chaos et la désorganisation des ex-démocraties occidentales empêtrées dans leurs délires libéraux semblent en apparence moins aptes au travail de groupe que l'ogre montant chinois. C'est d'autant plus vrai que la chine bénéficie de la mondialisation et tire largement sa croissance d'un modèle qui peut sembler pertinent aux moins observateurs d'entre nous. La Chine comme l'Allemagne peut servir facilement d'exemple de modèle de croissance pour quiconque n'irait pas plonger dans les méandres des chiffres macro-économiques réels. Alors l'on pourrait se poser cette question. Mais comment font les élites chinoises pour si bien diriger leur pays ? Sont-elles supérieures aux nôtres ? L'on voit déjà poindre l'orgueil chinois à travers des remarques xénophobes présentant le peuple de l'empire du Milieu comme supérieur. C'était d'ailleurs l'une des inquiétudes de Pierre Larrouturou que la chine devienne folle comme l'Allemagne des années 30. La fin de la croissance forte en Chine pouvant produire une grave crise politique.
Il est ainsi que dans le monde moderne pseudo-rationnel l'on attache souvent la réussite d'une nation à un facteur endogène ou essentialiste. Hier la doxa disait que les blancs réussissaient parce qu'ils étaient supérieurs par la race, la culture, et l'intelligence. Aujourd'hui l'on voit presque poindre ce type de raisonnement en Asie. De la même manière que l'homme riche a tendance à oublier que sa réussite n'est jamais le fruit unique de son propre labeur, mais aussi le fruit de relations sociales et de conditions personnelles parfois hasardeuses. Les peuples qui réussissent tendent naturellement à oublier l'origine réelle de leur propre réussite pour s'enorgueillir de fantasmes nourris par leur hubris, et en oubliant les conditions pratiques réelles qui les ont portées au pinacle. De sorte qu'ils oublient même souvent l'origine de leur réussite. Et parfois cela les conduit à leur propre perte. On l'a bien vue avec les USA ou l’Angleterre, grandes nations du protectionnisme et de l'interventionnisme étatique, mais qui dans leur imaginaire collectif s'imaginent prospères grâce au laissez-faire économique passé. Il faut accorder beaucoup de crédit aux croyances populaires et à celles qui tiennent lieu de pensée dans les hautes sphères du pouvoir politique. Car c'est bien plus ces croyances qui façonnent l'action politique des nations que la raison pratique. Car comme nous le savons « Ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ignorent l'histoire qu'ils font ».
L'état chinois ne contrôle rien
C'est dans cette optique qu'ils font bien voir le caractère factice de l'idée de puissance de contrôle de la part de l'état chinois sur son économie. J'en veux pour preuve le manque d'efficacité des politiques menées visant à des changements d'orientation macro-économique importants. Il ne faut pas tomber dans l'illusion du verbe comme le fait malheureusement Jacques Sapir dans un interview donné à BFM. Un interview dans lequel il affirme que l'état chinois réoriente son économie vers la demande intérieure et que cette réorientation a comme effet secondaire un ralentissement de la croissance économique. On voit ici chez Sapir, qui est un économiste que je respecte beaucoup, un aveuglement hyper-rationnaliste. Il fait sur la chine la même erreur que sur l'euro. Il disait ainsi que l'explosion de l'euro était inéluctable en 2010. De fait, il a surestimé la capacité des élites à réagir de façon rationnelle. Il faut bien comprendre que l'action des élites n'a pas grand-chose à voir avec l'idée que l'on s'en fait. Loin d'être des choix mue par la réflexion, la politique consiste souvent à faire des compromis à court terme. C'est vrai dans les oligarchies d'occident, mais ça l'est tout autant en chine. Compromis, copinage et corruption ou raisonnement tautologie de bonne tenue sociale visant aux bons rapports dans leurs milieux sociologiques. Autant de choses qui empêchent la raison de l'emporter chez les politiques. Sans parler de l'application des politiques qui nécessite la mise en marche d'une administration qui n'est pas toujours très obéissante, ou qui dispose d'une inertie telle que l'action finale est complètement édulcorée et qu'elle produit même parfois des politiques inverses.
En France et en occident, les administrations sont toutes vouées au libéralisme économique. Ce ne sont pas seulement les décideurs politiques qui baignent dans cette idéologie, mais tous leurs milieux sociaux. Ainsi que toute la chaîne de commandement de nos états. Et bien en Chine tout est fait pour l'exportation comme débouchée. L’idéologie locale est que l'exportation c'est le bien. Le mercantilisme tient lieu de politique depuis Deng Xiaoping, cette culture ne disparaitra pas en un jour.La chine a massacré des pans entiers de ses vétustes industries pour moderniser et orienter vers les marchés occidentaux sa production. Et le résultat est la spécialisation de la chine dans la production de masse de tout ce que la planète consomme en biens manufacturés. On sous-estime assez largement d'ailleurs les dégâts sociaux et humains produits par cette industrialisation accélérée. Nous ne verrons sûrement les effets désastreux de cette surcroissance déséquilibrée que dans quelques années. Lorsque la Chine sera un pays de vieux se dépeuplant. En attendant l'idée que parce que l'état chinois décide de sortir du mercantilisme, cela va se produire est un argument des plus discutable.
C'est d'ailleurs d'autant plus vrai que la Chine se retrouve aujourd'hui dans une situation inextricable à court terme. L'on peut d'ailleurs comparer la situation de la Chine à celle des USA en 1929, toute proportion gardée, car les USA avaient une économie beaucoup moins déséquilibrée que celle de la chine à l'époque. Si l'on moque souvent la croissance déséquilibrée des USA. Il ne faut pas oublier qu’à partir du moment où un déséquilibre commercial fait partie de votre modèle économique, vous êtes par nature en danger. Que cette croissance ait comme conséquence un déficit ou un excédant commercial ne change rien au caractère instable de votre croissance, car dans les deux cas vous êtes menacé par un rééquilibrage brutal. Il n'y a pas de vertu dans le déséquilibre, juste une préparation du chaos qui suivra l'inévitable rééquilibrage. La Chine ou l'Allemagne ne sont pas plus vertueuses que les USA parce que ces nations ont des excédents. Raisonner ainsi c'est justifier le mercantilisme et ne pas voir que tous les pays du monde ne peuvent être simultanément en excédents. Et donc oublier que ce modèle est un danger pour la paix du monde. Quelques analyses de données vont nous permettre de voir plus clair dans la situation chinoise. En premier lieu, nous voyons l'excédent commercial qui est à la source de la croissance chinoise.
On voit bien sur ce graphique l'orientation prise par l'économie chinoise surtout depuis le début du 21e siècle.
Si l'analyse de Jacques Sapir, qui voit un changement de volonté politique visant à la réorientation de la croissance vers son propre marché intérieur, était vraie, nous en verrions les prémisses. Or rien de cela ne se voit en pratique. La vérité c'est que le ralentissement de l'économie chinoise n'est pas le fruit de la réorientation vers la consommation intérieure, mais de l'effondrement de la demande en occident. Les importations ont baissé en même temps que les exportations. Un coup d'oeil rapide au comportement des consommateurs chinois nous montre d'ailleurs le peu d'épaisseur de l'hypothèse d'une réorientation économique.
(Source :forexagone)
Comme nous pouvons le voir sur les deux précédents graphiques, la réorientation vers son marché intérieur ne se voit pas du tout. Le plus étonnant c'est que ces vingt dernières années la part de la consommation dans le PIB chinois n'a cessé de baisser, et ce alors même que la croissance battait son plein. Le taux d'investissement est tous simplement absurde et dépasse les 50% du PIB. Aucune économie ne peut fonctionner comme cela. Seul le caractère mercantiliste de l'économie chinoise permet d'expliquer ce phénomène. Nous avons affaire à une surproduction dépassant l'imagination et donc la fin sera aussi surprenante que son apparition. La crise chinoise qui se prépare va faire très mal et je ne vois aucune politique publique susceptible de l’empêcher même en présentant l'état chinois comme incroyablement rationnel et compétent, ce qu'il n'est pas sinon il ne serait pas dans cette situation. On remarquera de plus que depuis le début de la crise de la mondialisation libérale que malgré la baisse des exportations chinoises la consommation a continué à chuter en proportion du PIB.
Cela provient certainement des politiques pseudo-keynésienne chinoises qui ont eu comme effet de maintenir la demande croissante malgré l'effondrement simultané de la consommation extérieur et le tassement de la consommation intérieure. Il y a d'ailleurs de nombreuses incohérences dans les données officielles chinoises. D'un côté l'on voit la part de l'épargne qui reste excessive, de l'autre la part des dépenses publiques est stable et pourtant officiellement la croissance continue. Il faut prendre avec une certaine méfiance les statistiques officielles chinoises comme l'avait rappelé en 2009 le site WSWS.
Mais si le régime de croissance chinois est en danger, c'est aussi parce que sa structure est fondamentalement inégalitaire. La course à l'inégalité n'est en effet pas l'apanage de l'occident. Comme je l'ai déjà répété à de nombreuses reprises, l'économie mondialisée est un système de domination des riches à l'échelle planétaire. Les élites économiques de chaque pays tirant de la mondialisation un moyen pour faire plier ses propres forces de travail et pour concentrer les richesses vers le haut de la pyramide. La course à l'inégalité est un phénomène mondial pas uniquement occidentale. Il suffit pour s'en rendre de compte de voir les émeutes qui ont lieu en ce moment au Brésil. En général cette croissance des inégalités est le fruit d'une baisse étrange de l'inflation. Une inflation qui est sans cesse présentée comme un poison alors même qu'elle n'a pas vraiment dérangé la France des trente glorieuse. En Chine la baisse de l'inflation coïncide comme par hasard avec l'orientation massivement exportatrice du pays comme on peut le voir sur le graphique suivant.
Le Brésil l'autre pays de la crise.
L'inflation était en fait largement plus forte dans la période peu excédentaire de la chine. Grâce au libre-échange et à l'excédent, l'économie chinoise a permis une croissance peu inflationniste puisque l'on pouvait se passer de la consommation intérieure. Inutile de hausser les salaires pour que la demande soit là. La baisse de l'inflation étant parfaitement corrélée à la baisse de la part de la consommation intérieure chinoise dans le PIB. À cette époque la croissance du pays était pourtant aussi forte qu'aujourd'hui au cas où certains penseraient que globalement le pays a connu une accélération avec la mondialisation. Ce que le modèle mercantiliste a changé ce n'est pas la croissance chinoise, mais la répartition intérieure des richesses , tout comme les déficits commerciaux ont changé la répartition des richesses aux USA ou en France. On assiste en Chine comme ailleurs à un détachement des élites de leur propre pays.
Elles courent vers leurs intérêts à court terme. Il se trouve qu'en Chine cette course inégalitaire a pris l'apparence d'un modèle mercantiliste parce que l'élite chinoise avait une contrainte telle qu'elle n'avait pas le choix pour tirer son épingle du jeu. Le problème évidemment c'est que ce modèle est à bout de souffle et ce ne sont pas des plans d'investissement massifs qui changeront la donne dans le cas chinois. L'on sait par ailleurs que le pays est déjà inondé de villes vides et d'aéroports inutilisés. La Chine a effectivement besoin de recentraliser son système industriel pour sa consommation intérieure, mais cela ne se fera pas par la planification. Cela sera le résultat de contraintes que les autres nations lui imposeront par le biais de douanes et des dévaluations. Le Japon vient d'ailleurs de déterrer la hache de guerre en dévaluant. La fin de la mondialisation poussera la Chine à mieux traité ses salariés pour qu'ils épargnent moins et consomment plus.