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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 00:12

 

Nous allons aborder un thème un peu différent même si cette question peut présenter quelques intérêts pour les questions de politiques générales. Cette question est celle de la démographie et plus exactement celle du lien qui existe entre le développement économique et l'évolution du développement d'une nation. C'est une thématique sulfureuse, plus qu'on ne peut le croire parce qu'elle induit tout un tas d'idées reçues et de précarrés idéologiques. La campagne présidentielle qui a tourné en une avalanche de points Godwin montrant sous forme caricaturale à quel point il est difficile de parler sereinement de certains sujets sans être victime d'anathèmes et de raccourcis. Et s'il y a bien un sujet sulfureux, c'est bien celui de la démographie. Outre que la question démographique est liée à la question de l'immigration, elle a aussi un lien indubitable avec le développement humain. Mais il est difficile de parler de cela sans tomber sur des caricatures qui vont de l’expansionnisme sans fin, de certains extrémistes religieux, aux décroissants compulsionnels adeptes de quelques pages mal digérées de Thomas Robert Malthus. Décroissant pour qui l'avenir de la terre repose sur la disparition du plus grand nombre d'humains possible.

 

La vérité est bien évidemment beaucoup plus nuancée, mon blog ne s'appelle pas le BonDosage pour rien après tout. Tout d'abord, revenons à une évidence toute simple que Keynes avait déjà fait remarquer à ses lecteurs dans les années 30. Il y a bien un lien direct entre la croissance économique en volume et la croissance de la population. À niveau de vie constant, la simple augmentation de la population conduit à une croissance économique. L'augmentation des besoins et du nombre de travailleurs disponibles permettant de faire croître l'activité humaine et donc la richesse collective. Ce raisonnement est tout à fait vrai et peut se vérifier dans les données statistiques. Encore faut-il bien évidemment que cet accroissement de population soit réellement utilisé à son plein potentiel. Là se joue la question des structures économiques du pays en question. Si l'accroissement de la population peut se voir comme un enrichissement, il ne faut pas oublier que pour que cet enrichissement collectif soit pleinement établi il y a des conditions minimales pour y parvenir. Dans les pays avancés, le niveau d'investissement par tête et par emploi est très élevé. Cela signifie que pour qu'un travailleur soit réellement productif il doit avoir reçu un capital très élevé au préalable, bien plus que dans un pays peu développé.

 

Ce capital n'est pas uniquement une question d'investissement économique direct, c'est aussi tout ce qui tourne autour de l'éducation, des services publics, des services de santé, les infrastructures, du niveau d'investissement productif des entreprises, des infrastructures, etc.. Tout ce qui participe de la hausse générale du niveau de productivité d'une nation. Négliger cet aspect c'est ignorer les contraintes mêmes du développement qui explique en partie la baisse de la fécondité dans les pays qui se développent justement. Si la baisse de la natalité ne résout pas tous les problèmes, elle permet cependant d'augmenter le niveau d'investissement par tête et peut potentiellement accroître le niveau de productivité d'un pays. L'on a souvent souligné le lien qu'il y avait entre le développement économique d'un pays et la transition démographique, c'est extrêmement simple à comprendre. Au milieu de la transition lorsque la natalité a baissé depuis une vingtaine d'années, la population d'actifs potentiels se met à croître plus rapidement que les inactifs, les très jeunes étant moins nombreux proportionnellement. Ce phénomène favorise naturellement la croissance économique et l'augmentation du capital par tête. Ces bénéfices restent jusqu'à ce que la transition passe au vieillissement de la population. Alors les vieux augmentent plus vite que les jeunes en nombre absolu, la plupart des pays développés en sont à ce stade.

 

L'on voit tout de suite dans ces raisonnements pourquoi certains pays n'arrivent pas à se développer. Comme je l'ai dit pour que la croissance économique soit réelle il faut que la croissance par tête augmente. Et cette croissance n'est possible que si la croissance démographique n’excède pas la croissance de la population. Paul Bairoch est l'un des économistes à s'être le plus penché sur les questions du lien entre le développement humain et la croissance économique. Il en avait déduit qu'une croissance naturelle de la population très supérieure à 1 % par an empêcherait une croissance économique réelle. Car le capital du pays ne pourrait pas s'accumuler à un rythme suffisant pour faire croître réellement le niveau de vie global. L'on comprend mieux ici les difficultés de l'Afrique subsaharienne où certains pays croissent encore à plus de 3 % par an. Même avec la meilleure politique du monde ces pays ne pourraient pas sortir de la misère avec ce rythme de croissance démographique. Pour vous donner une idée dans un pays comme le Bénin près de la moitié de la population a moins de 15 ans. De combien faudrait-il augmenter le budget de l'éducation nationale en France pour maintenir le niveau d'investissement par tête avec une pyramide des âges comme celle du Bénin ? Sachant qu'en France les moins de 15 ans font à l'heure actuelle 18,3 % de la population. Et bien il faudrait multiplier le budget de l'éducation nationale par 2,3 environs. Et cela en prenant en compte le fait que la base d'actif serait fortement réduite puisque la population en âge de travailler est bien moins nombreuse. Vous comprenez mieux le problème non ? Sans un contrôle des naissances, il ne peut pas y avoir de développement tout court.

 

La démographie et la civilisation de l'épuisement

 

Tout ceci exclut les questions de la potentialité de la croissance. Une croissance économique est liée au modèle économique, et à l'évolution démographique, mais aussi aux contraintes en ressource naturelle. Pour ce qui est de l'immigration, elle est effectivement le seul facteur qui puisse permettre une croissance plus forte avec peu d'investissement. C'est d'ailleurs pour cela que les capitalistes adorent l'immigration. En effet comme je l'ai déjà expliqué dans un texte nous vivons dans ce que l'on pourrait appeler une civilisation de l'épuisement. Contrairement aux civilisations classiques, qui se maintenaient sur une longue durée et avait appris à renouveler leur biotope humain et économique. La civilisation de l'épuisement par contre ignore parfaitement les contraintes de long terme pour se focaliser sur l'immédiat. Dans ce sens, la formation professionnelle, l’instruction, l'investissement productif à retour long ou même la simple reproduction de la population sont autant de choses que nos sociétés rejettent parce que c'est coûteux dans l'immédiat. L'on préfère l'immigration à la politique familiale parce que cette dernière implique tout un tas d'investissements pour rendre exploitable le salarié. Investissement qui a un coût pour le capitaliste. Ce n'est guère étonnant que dans la civilisation de l'épuisement l'on considère le fait d'élever ses enfants comme une contrainte plus que comme un investissement. Cela coule de source en faite. On valorise le travail monétisable et l'on considère que le travail non monétisé n'a pas de valeur intrinsèque. Alors même qu'élever un enfant est l'investissement qui conditionne en fait toute la survie de la civilisation. Mais comme disait ce bon vieux Rousseau, «  les arts sont lucratifs en raison inverse de leur utilité. De sorte que les plus essentiels finissent par être les plus négligés ».

 

Ce n'est pas un hasard si cette « civilisation de l'épuisement » a pris naissance aux USA. C'est une nation qui n'a aucune conception de limite. Comme l'avait si bien écrit Emmanuel Todd dans son livre « Après l'Empire » : les USA sont une nation de paysans européens débarrassés à tort des contraintes qui étaient les leurs dans leur milieu d'origine. Parce qu'ils sont passés d'une petite terre limitée où il fallait gérer des ressources humaines et écologiques limitées, à une terre d'abondance apparente, les habitants des USA ont construit une illusoire civilisation de l'épuisement. Une civilisation qui s'est malheureusement étendue à toute la planète de par son apparente séduction. Jouir du présent en oubliant ce qui prépare l'avenir permet effectivement de prospérer à court terme, mais la facture à l'arrivée est extrêmement lourde. Nous arrivons aujourd'hui aux limites de cette civilisation. Et c'est dans le domaine démographique que cette logique est la plus tragique. L'immigration qui est censée résoudre tous les problèmes démographiques ne fait que construire de nouveaux problèmes. Les populations n'étant finalement pas aussi interchangeables que ce que pouvait espérer le patronat local.

 

Mais en plus cette façon de croître par l'importation de population casse les pays qui ont formé justement ces populations. Il s'agit là d'une véritable injustice qui doit être fortement soulignée. Les pays en voie de développement investissent le peu qu'ils ont de capital dans certaines parties de leur population. Comme nous l'avons vue à cause de leurs croissances, il est très difficile de sortir du sous-développement. Mais en plus les pays avancés viennent leur voler leur population la mieux formée, celle qui pourrait justement améliorer leur situation. Et étrangement, ce sont des gens dits de gauche qui défendent massivement ce pillage des cerveaux par les sociétés du nord qui ne veulent pas investir pour renouveler leur propre population. Un pillage qui crée des problèmes massifs de confrontation ethnique au nord, et qui pille le sud. Tout ça pour permettre à quelques milliardaires de jouir sans entrave. Le cynisme de l'ère moderne n'a vraiment aucune limite.

 

 

La baisse quantitative de la population est la grande peur du capital

 

De fait, le rythme de croissance est primordial. Mais que se passe-t-il à l'inverse quand la population diminue ? Et bien on assiste à une logique implacable. D'un point de vue strictement arithmétique si la croissance perdure malgré la baisse de la population alors la croissance par tête augmente. L'on pourrait ici dire que c'est formidable et tomber dans le piège malthusien consistant à dire qu'il suffit de faire décroître la population pour que le niveau de vie augmente, mais ce n'est pas si simple. En effet, la baisse de la population induit une baisse concomitante de la demande adressée aux entreprises. Keynes avait bien vu cette réalité . La baisse tendancielle de la population entraîne alors une baisse tout aussi tendancielle de l'investissement. Au final, le seul moyen de compenser est de maintenir une demande suffisante pour compenser la baisse de la population . À l'époque où Keynes avait réfléchi à cette question, il avait donné comme solution une hausse régulière des salaires. Car il concluait que plus une société tendait vers le déclin démographique plus elle devait être égalitaire sur le plan économique. En effet, les populations aux plus faibles revenus ont une propension à consommer plus élevée que les riches. Quand vous distribuez du revenu aux plus pauvres, ils consomment une plus grande part de ce nouveau revenu. Alors que les riches le thésauriseront. De sorte que plus la demande baisse à cause du déclin démographique plus il faut aplatir la pyramide des revenus.

 

L'on comprend ici pourquoi les classes sociales supérieures ont une grande peur du déclin démographique. Mais Keynes a sous-estimé la malveillante innovation à court terme des élites bourgeoises. Nous connaissons aujourd'hui deux pays qui sont en déclin démographique et non des moindres, il s'agit du Japon et de l'Allemagne. Et ces deux pays ont trouvé des astuces pour continuer à ignorer leur problème de fond tout en laissant les inégalités à des niveaux importants. L'Allemagne comme je l'ai déjà écrit plusieurs fois exporte son problème démographique avec ses excédents commerciaux. Elle compense son manque de demande intérieure par la destruction des économies voisines. L'euro est un moyen idéal pour cette fin. À cela s'ajoute également l'immigration pour compenser son déclin intérieur. Au Japon le choix est différent. Ce pays n'a pas de zone d'exportation sans défense comme la zone euro. Il a simplement laissé filée la dette publique pour compenser la demande intérieure en déclin. C'est un choix curieux et assez malsain parce qu'il ne résout en fait rien du tout et qu'il conduit à une forte inégalité interne. Le Japon est nettement plus inégalitaire que la plupart des pays européens. Cependant la pression exercée par le manque de main d’œuvre au Japon va peut-être naturellement pousser vers la solution keynésienne dans ce pays. Le Japon semblant s'interdire la solution migratoire. Les Japonais devront de toute manière un jour ou l'autre relancer leur natalité d'une manière ou d'une autre et sortir de la civilisation de l'épuisement.

 

Mais ces deux exemples montrent le danger que le déclin démographique peut produire. Si théoriquement ce déclin peut être une chance comme le montrait Keynes. Rien n'indique que les élites de notre civilisation adepte du court terme saisiront cette chance . À dire vrai il est même probable que ce soit le déclin démographique de l'occident qui a conduit les élites dans les années 70 à promouvoir un monde sans frontières. Car le capital a horreur du déclin démographique qui remet en cause sa domination. En face d'un changement du rapport de force salariés-patron, le globalisme a été une bouffée d'oxygène du capitalisme dans les années 1970-2010. Cependant la fête va bientôt se terminer, car la transition démographique est un phénomène mondial. S'il est parti d'occident il s'étend inexorablement sur toute la planète. De fait la grande question est que se passera-t-il quand, la civilisation de l'épuisement qu'est la nôtre aura fait tomber la natalité mondiale moyenne à moins de deux enfants par femme ? Où seront donc ces immigrés nécessaires à nos sociétés ? Le questionnement du renouvellement humain se posera alors comme se pose de plus en plus la question du renouvellement des ressources.

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commentaires

J
Ai trouvé un excellent article/étude de @bernard jomard sur les évolutions démographiques ,le vieillissement, les migrations et réfugiés , à lire sur : http://bernard-jomard.com/2016/03/09/refugies-migrants-regardons-la-verite-en-face/
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C
Bonjour,<br /> <br /> Il faut dire que le rythme démographique mondial ne cesse de grimper pourtant, la question se pose sur le logement, la nourriture, l'insertion sociale...Ce problème de surpopulation affecte le monde entier même dans les pays dit; développés.<br /> <br /> <br /> A très bientôt !
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R
"Et cette croissance n'est possible que si la croissance démographique n’excède pas la croissance de la population" ???? Pas compris
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M
Article intéressant mais je voudrais relever votre remarque concernant les « gens dits de gauche qui défendent massivement ce pillage des cerveaux par les sociétés du nord qui ne veulent pas investir pour renouveler leur propre population. » Faisant partie de ces gens de gauche, je me dois de vous répondre qu’il faut faire une distinction entre ce qui serait souhaitable et la situation de fait, d’urgence humanitaire, qui se pose aujourd’hui, notamment du fait de la guerre au Proche-Orient (Syrie, Libye, Irak…) Il ne s’agit pas de défendre un modèle reposant sur l’immigration de masse mais, plus pragmatiquement, de savoir ce qu’il convient de faire lorsque des centaines de milliers de migrants, poussés par la guerre et/ou par la famine, arrivent chez nous. Il est évident qu’il faut résoudre les problèmes en amont pour que ces situations ne se produisent pas. Mais lorsqu’elles sont là, on ne peut pas renvoyer ces gens purement et simplement sans se soucier des conséquences humaines.
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R
Tout à fait mais alors arrêtons de confondre "Migrants" et "Réfugiés". "Du fait de la guerre au Proche-Orient (Syrie, Libye, Irak…)" la France aurait du recevoir des réfugiés en nombre suffisant pour permettre à tous d’être en sécurité le temps de la guerre. En fait elle a reçu un petit nombre de migrants (et peut être déjà trop au vu de l’état de notre économie et de nos capacités actuelle d'assimilation)...<br /> C'est cette confusion qui pose problème, un réfugié n'a pas vocation à concurrencer l'autochtone au chômage ou en galère de logement, il n'a pas forcement à être intégré puisqu'il n'est pas là pour rester, il est là pour être mis en sécurité et on doit sérieusement s'occuper de mettre en place les conditions permettant son retour. Ce n'est pas du tout ce que l'on fait actuellement avec ces gens que l'on filtre et fait venir au compte goutte comme si ils venaient s’installer dans des pays en graves crises qui n’ont effectivement pas les moyens de recevoir des millions de migrants mais qui pourraient accueillir des millions de réfugies. Arrêtons cette confusion, que les chose soient enfin claires et au boulot!
T
J'ai une remarque sur cette analyse : il est en effet très étrange que les amoureux du sans-frontiérisme ne comprennent pas que ce n'est pas rendre service aux pays dits sous-développés que de "piller leurs cerveaux". Cela dit, l'immigration en provenance du continent africain est loin de ne concerner que les plus éduqués.<br /> <br /> J'ai eu l'occasion de le voir dans une association d'aide sociale : le sous-prolétariat des services de proximité est très largement constitué de résidents étrangers originaires du continent africain (réguliers ou pas).<br /> C'est qu'il faut bien du personnel pour faire la plonge à minuit dans les restaurants exotiques de la capitale, ou pour faire le ménage à 7 heures du matin dans les bureaux de la Défense !<br /> Toutes sortes d'emplois au sujet desquels des patrons chagrin viennent parfois dire dans les médias : "mais les français ne veulent pas occuper ces postes" (bizarrement, il ne leur vient jamais à l'idée que cela pourrait avoir un rapport avec les conditions de travail qu'ils proposent...)<br /> <br /> Pour le reste, même si la transition démographique est bien entammée partout, nous n'en sommes pas encore à nous poser la question du "renouvellement humain".<br /> Il y a une considération que je ne partage jamais "irl" tant elle est explosive : puisque le taux de renouvellement est de 2 enfants par femme, dans les pays où la fertilité est bien supérieure, même quand les familles perdent un ou plusieurs de leurs enfants dans une situation de guerre civile ou de terrorisme, cela ne menace en rien la perennité de la société au sens démographique.<br /> A mon sens, la conséquence en est qu'il sera impossible aux nations industrielles de ne pas intervenir de plus en plus directement dans la politique et dans l'économie du continent africain.<br /> L'histoire des nations européennes étant ce qu'elle est, nul doute que des hordes de militants "décoloniaux", toujours ravis d'instrumentaliser les autres afin de valider la pureté de leur âme, viendront hurler à la recolonisation...<br /> <br /> Pourtant, il ne me paraît pas possible de rester sans rien faire. Ce que je comprends, c'est qu'en l'état actuel des choses, les nations africaines dont la démographie reste explosive ne pourront pas s'en sortir seules... Et attendre que la transition démographique soit achevée nous amènerait, a minima, au milieu du siècle.<br /> Quant à savoir ce qu'il faudrait faire, j'ai bien peur que ça n'intéresse pas grand monde de toute façon...
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