Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Nous avons longtemps parlé de la nécessité d'un retour à des politiques protectionnistes. L'actualité donne à cette question une urgence de plus en plus forte, à mesure que la France, l'Europe, et plus généralement l'occident, s'enfoncent dans le déclin. On a appris récemment que la Chine voulait limiter les exportations de terres rares dont elle est la principale productrice planétaire en réponse à la politique interventionniste très agressive des USA . Si ces derniers s'étaient contentés de politiques protectionnistes pour leur marché intérieur, je pense que la réaction chinoise n'aurait pas été aussi forte. Mais voilà, les USA ne veulent pas seulement protéger leur production nationale ou rééquilibrer leur balance commerciale. Ils essaient d'interdire à la Chine de les rattraper techniquement sur les technologies des semi-conducteurs et entraînent derrière eux d'autres puissances comme Taïwan, le Japon, la Corée du Sud et bien sûr l'UE. Cette évolution montre que les USA ont compris qu'ils étaient en train de perdre, et ils essaient d'arrêter un phénomène qu'ils ont eux-mêmes mis en place dans les années 70 en délocalisant stupidement de plus en plus de leurs activités industrielles et les savoir-faire avec.
Ce n'est pas la première fois que les USA agissent aussi agressivement d'un point de vue commercial. On l'a oublié, mais dans les années 80 les USA ont eu également très peur du Japon triomphant de l'époque. En effet entre 1974 et 1984 le Japon qui était resté protectionniste, contrairement aux puissances occidentales, a connu une très forte croissance économique et des excédents très importants. Le déficit commercial des USA poussa ces derniers à prendre des mesures importantes à coup de menace contre le Japon. Ce dernier plia face aux USA et les accords de Plazza furent mis en place en 1985 pour stabiliser le système monétaire américain. Les Japonais commencèrent à financer la dette extérieure américaine. On le voit dans cet exemple, la crise actuelle c'est un peu la même chose en beaucoup plus grave parce que la Chine n'est pas le Japon, elle est beaucoup plus grande et elle va pouvoir se passer de la demande américaine. Il y a donc fort à parier que cette fois aucun accord favorable aux intérêts US ne peut être pris. La direction américaine qui veut probablement vite réindustrialiser doit le comprendre en partie, même si l'esprit suprématiste des néoconservateurs plane encore au-dessus de la direction générale des affaires américaines. Le temps de la vie à crédit gratuit grâce au dollar sera bientôt terminé et si le pays n'est pas capable de vite rééquilibrer ses comptes extérieurs c'est la cessation de paiement et l'hyperinflation qui le guette.
Étrangement, la France sous la direction de l'UE et sous la contrainte de l'euro se retrouve dans la même situation. L'euro a agi sur l'économie française de la même manière que le dollar. En déconnectant les politiques macroéconomiques de la valeur monétaire. Comme l'a très bien dit récemment Emmanuel Todd dans l'une de ses nombreuses interventions, loin d'avoir discipliné les français l'euro a favorisé leur tendance au laisser-aller. Tout s'est passé comme si l'euro avait spécialisé la France dans la consommation de biens qu'elle ne produit pas. Le principal mécanisme qui a permis cela fut la bulle immobilière qui a explosé avec l'euro comme le montre la courbe du Friggit. Plus fondamentalement l'unification monétaire est par essence une machine à spécialiser les régions. Je l'avais déjà expliqué dans ce texte sur les monnaies locales. En créant une monnaie unique, l'Europe a créé une machine à concentrer les richesses dans les régions les mieux avantagées du continent. Malheureusement pour nous ces régions sont plutôt dans le monde germanique, d'autant que la base industrielle était nettement plus développée qu'en France dès le départ. Cette unification monétaire ratée a produit les mêmes distorsions qu'on a pu voir dans des pays mal unifiées comme l'Italie. La situation du sud de l'Italie est liée à ce phénomène d'unification monétaire raté. Pendant longtemps Naples était une région prospère, l'unité italienne l'a en grande partie ruinée fabriquant le fameux mezzogiorno misérable que ce pays connait aujourd'hui. Ce fut également le cas avec l'Allemagne de l'Est qui est aujourd'hui dépeuplée et en ruine malgré les milliards injectés par l'ouest. On ne joue pas impunément avec les monnaies et la France a payé un lourd tribut à l'unification monétaire artificielle du continent. D'autant que l'Union européenne contrairement à des états nations classique ne fait pas beaucoup de redistribution, en tous cas pas au niveau qu'il faudrait pour contrebalancer ce phénomène. À cela s'ajoute le fait que la mobilité de la population entre les pays de la zone euro est très faible à cause de la barrière linguistique et historique. En toute logique la destruction des économies du sud aurait dû pousser la population française à s'installer en Allemagne. Mais il n'en a pas été ainsi, heureusement pour l'avenir du pays d'ailleurs.
L'état va devoir intervenir directement
La question de la réindustrialisation est donc au centre de la problématique des pays occidentaux pour les vingt prochaines années, y compris pour l'Allemagne d'ailleurs qui fait surtout de l'assemblage de pièce provenant d'ailleurs. On a vu pendant la crise du Covid que l'industrie de ce pays était incapable de fonctions sans les nombreuses pièces provenant de Chine, en particulier tout ce qui concerne l'électronique. Et la crise avec la Russie a en plus cassé durablement l'avantage comparatif que l'industrie chimique allemande pouvait tirer de l'accès au gaz russe moins cher. On le voit, si la France et les USA sont dans une situation extrêmement grave, ce n'est pas beaucoup moins vrai pour l'Allemagne et ses satellites économiques. Mais notre objectif cependant doit être réaliste, les USA se battent contre l'inéluctable à savoir la fin de leur domination économique et scientifique. Comme je l'ai déjà dit, cette réalité est déjà là et elle est impossible à arrêter, toute tentative dans ce sens ne fera qu'accélérer le mouvement. D'ores et déjà si l'on parle en parité de pouvoir d'achat, la Chine est la première puissance du monde et dans quelques années il n'y aura plus aucun pays européen dans les dix premières puissances économiques du monde. C'est comme ça, nous n'y pouvons rien, nous sommes trop peu nombreux et notre démographie a été trop faible pendant trop longtemps. Il arrive à l'ensemble de l'occident ce qui est arrivé à la France un siècle plus tôt, un déclin relatif lié à une baisse de poids démographique.
Le centre du monde de demain c'est la Chine, l'Inde, l'Indonésie, le Vietnam, etc. Notre objectif ne doit pas être de se battre contre des moulins à vent pour maintenir une puissance qui s'est évaporée, mais de maintenir en Europe et en France en particulier des capacités à pourvoir à l'essentiel de nos besoins. Et cela pour permettre aux peuples d'Europe de continuer à écrire leurs propres histoires chez eux et éviter de devenir réellement des colonies d'autres puissances qui s'amuseraient à leur imposer leurs diktats. Pour être indépendant, il n'y a pas besoin d'être puissant, il faut simplement être autonomes. En ce sens pour une fois Macron n'a pas dit que des bêtises dernièrement même si cela concernait aussi les questions militaires et que son propos ne sera comme d'habitude jamais suivi d'effets. Cependant, nous le savons, la souveraineté européenne est une chimère. Cela se transformerait surtout en souveraineté allemande et nous inféoderait encore plus dans le carcan européen, ce qui est son grand projet. En évacuant la question cette question absurde, il est assez intéressant de voir enfin resurgir cette question dans le débat public. À force les Français finiront bien par valoriser politiquement les partis et les groupes politiques donnant de vraies solutions en la matière. Les réactions violentes contre le discours pourtant très timoré de Macron montrent d'ailleurs à quel point l'Europe est aujourd'hui contrôlée par les intérêts américains. Est-ce lié à une inféodation culturelle totale des élites du continent ou à une corruption au plus haut niveau, c'est difficile de trancher ? C'est probablement les deux hypothèses en même temps. Cependant, l'on voit bien que le simple fait d'évoquer une capacité d'indépendance des nations européennes révulse au plus haut point les instances politiques américaines. Même Trump qui sert souvent de champion de la souveraineté à une partie des souverainistes français a accusé Macron de « lécher le cul des chinois ». Preuve pour ceux qui en doutaient encore que nous n'avons aucun allié aux USA. Ils considèrent l'Europe de l'Ouest comme des colonies qui n'ont aucun droit à part celui de se plier à leurs désirs.
Mais comme je le disais, le simple protectionnisme ne sera pas suffisant surtout dans un pays comme la France où la capacité de production a été à ce point détruite. L'état devra directement intervenir dans l'économie. Non seulement en relançant un véritable commissariat au plan visant à élaborer des projets industriels ambitieux pour le pays, mais aussi en finançant au moins au début des activités industrielles directes. Nous ne pourrons pas compter sur les acteurs privés seuls, car la France est un petit pays qui ne les intéressera pas . On l'a vu dernièrement, l'Allemagne a attiré chez elle une usine de production de semi-conducteur alors même que ce pays manque de main-d’œuvre. Dans ce domaine il nous faudra purement et simplement acheter des usines clef en main chez des partenaires asiatiques dans le but de fournir le marché français. Dans la même idée, la création de toute la filière des semi-conducteurs de l'extraction des minerais jusqu'à la fabrication de Wafer et de machine permettant la gravure sur le silicium, nécessitera de gros investissements publics en plus de barrières protectionnistes pour valoriser des productions qui seront nécessairement plus chères que celles produites en Asie. Mais le jeu en vaut la chandelle à terme.
En effet, comme le disait Keynes si le libre-échange permet de réduire les coûts de production pour certains biens, les coûts sociaux et politiques en sont largement supérieurs même si la population ne fait pas forcément le lien entre sa situation politique et sa situation économique. La fin du libre-échange augmentera nécessairement les coûts de production, c'est inéluctable. Mais cela permettra une meilleure répartition des richesses et rendra à nouveau possibles des politiques économiques et des choix sociaux autonomes. Si le reste du monde veut presser les travailleurs comme des citrons au risque qu'ils ne fassent plus d'enfants grand bien leur fasse. Mais les Français doivent être libres de choisir une autre voie quitte à payer leurs smartphones trois fois plus cher. C'est ce type de choix que le libre-échange nous empêche de faire. Il y a un lien direct entre la fin de la démocratie politique dans nos pays, le libre-échange et la libre circulation des capitaux. Contrairement à ce que pensent les libéraux, la société n'a pas pour seul but de maximiser les profits et réduire sans arrêt le coût de production. Elle doit aussi prendre en compte les contraintes à long terme qui permettront à la société de survivre par exemple le renouvellement des générations. Or cela n'entre absolument pas dans le cadre de la régulation par la seule loi du marché dérégulé.
D'autres secteurs nécessiteront des interventions directes. Les secteurs où les savoir-faire locaux sont les plus faibles sont ceux qui nécessiteront probablement les investissements les plus forts de la part de l'état. Il faut surtout rompre avec l'idée que le marché résout tous les problèmes et qu'il a une dynamique qui lui est propre. L'histoire récente des pays asiatiques montre le contraire. C'est à travers une politique interventionniste à la fois protectionniste et régulatrice que l'Asie et la Chine en particulier se sont développées. L'Asie a simplement imité l'occident de la fin du 19e siècle et de l'Europe d'après guerre. Une politique qui n'empêche pas les initiatives privées, qui les encourage même lorsqu'elles sont dans l'intérêt du pays et qui favorise surtout les productions nationales. Tout le contraire de ce qui nous faisons depuis 40 ans en réalité.